Faute de documents sur la période qui suit son enfance à Saint-Rémy-de-Provence, on ne peut que recourir à une biographie passionnelle, que son disciple Jean-Aimé de Chavigny rédigera en 1594, insérée dans La Première face du Janus françois.

Un adolescent en Avignon
(1518 - 1521)


    S’il faut en croire Jean-Aimé de Chavigny, et il n’y a aucune raison de mettre en doute cette affirmation, les parents de Michel l’envoyèrent faire des études classiques de rhétorique et grammaire à la Faculté des Arts en Avignon, située à cinq lieues de Saint-Rémy de Provence. Nous savons d’ailleurs que la famille Nostredame était originaire de cette ville.

   Avignon était la cité où son grand-père paternel, Crescas de Carcassonne, néophyte ayant pris le nom de Pierre de Nostredame, avait exercé la profession de marchand de céréales.

   Michel avait presque quinze ans lorsqu’il arriva, en 1518, dans la ville  « sonneuse de joie » de Frédéric Mistral. Michel s’était certainement rendu auparavant, avec son père, dans la cité des papes, ne serait-ce que pour rendre visite à la tante Marguerite. Cette dernière s’était marié, le lendemain du Noël 1494, avec Pierre Joannis, teinturier de son état, habitant précisément rue des teinturiers, en Avignon.

    On peut supposer, dès lors, que Michel prit pension chez la sœur cadette de son père, durant sa scolarité au Collège de la ville.

   Les études secondaires de Michel devaient durer quelques trois années. Comme dans les écoles médiévales, l’enseignement du Psautier et du chant, acquis peut-être auprès de l’arrière grand-père maternel ainsi qu’à l’école communale de St-Rémy, était complété par celui des Arts libéraux, les Artes liberales, hérités de la culture hellénistique, en provenance d’Italie : le Trivium (Grammaire, Rhétorique, Dialectique) et du Quatrivium (Géométrie, Arithmétique, Astronomie, Musique), auxquels s'ajoutèrent l’étude de la Théologie, c’est-à-dire des Ecritures et du Droit canon.

   Le latin était la langue véhiculaire de l’époque, dont Michel avait sans doute appris les premiers rudiments dès son plus jeune âge. Et Michel fut un excellent latiniste, ainsi qu’on peut le constater, au travers de ses textes emplis de tournures latines. Notons simplement le célèbre avertissement au lecteur qui clôt la VIe centurie, la Legis cautio contra ineptos criticos, qui n’est nullement une incantation magique, mais un pastiche des textes archaïques de droit romain, comme l’ont montré le chartiste Raoul Busquet et notre regretté ami Pierre Brind’Amour.

   Le cycle normal débutait ainsi par les classes de Grammaire, puis ce qu’on nommait les « Humanités », la Rhétorique, la Logique, et enfin la Physique. Si on excepte les Humanités, un apport de la pensée humaniste du XVIe siècle, toutes les matières citées désignent les Arts libéraux.

   La Grammaire, avec la Rhétorique - cet « art de persuader par l’éloquence », du Trivium, pourraient correspondre à notre Philologie actuelle, une partie des Sciences Humaines.

   L’ancienne Dialectique du Trivium disparut au profit de ce qu’on nomma la « Logique », avec une connotation plus philosophique qu’oratoire. Cette partie fut enseignée à la fin du cycle de latinité, dans les deux dernières classes, sous les noms de « Logique » et de « Physique ». Elles deviendront nos classes modernes de philosophie, et nos Facultés modernes des Lettres et des Sciences. Quant à la Physique, elle n’est autre chose que l’ancien Quadrivium.

   L’enseignement des Arts dans les villes universitaires donna naissance, à partir du XIIIe siècle, à la Faculté des Arts qui préparait à l’accès aux écoles supérieures, le Droit canon et la Médecine.

   On désignait la classe par l’expression latine lectio, et les Arts étaient répartis en lectiones.

   En ce qui concerne l’indiscipline des écoliers, elle n’avait rien à envier à celle que nous rencontrons aujourd’hui dans nos écoles. Par ailleurs si nous avons le bizutage, c’est-à-dire l’initiation du « novice », à l’époque médiévale existait le béjaunage.

   Le béjaune avait surtout des devoirs, ceux notamment de s’acquitter financièrement du droit de fêter son avènement et d’offrir un banquet, un « gueuleton », pour tout dire, à ses maîtres et à ses camarades. Les beuveries et les débordements étaient de rigueur, et on pouvait assister à certaines scènes licencieuses.

   Malheureusement, des études de Michel accomplies à la Faculté des Arts en Avignon, il ne subsiste aucune anecdote. Nous en sommes réduits à quelques extrapolations, bien que plausibles.

   Pendant ses loisirs, le jeune adolescent avait sans doute visité la ville, en compagnie de ses camarades, et parcourut les rues où était passé Pétrarque autrefois. Il s’était engagé sur le pont Saint-Bénezet qui enjambait le cours d’eau : le « pont d’Avignon » où, pendant des siècles de tradition folklorique, les enfants dansèrent « tout en rond ».

   Au XVIe siècle, les écoliers, dont la puberté était précoce, étaient peut-être des coureurs de jupons, un fait que l’opinion publique contemporaine se plaisait à colporter : ces garnements avaient une telle attitude à l’égard du vin et des femmes que les pères et les maris avaient sans doute quelque raison de se méfier ! De nos jours, nous avons aussi nos « mauvais garçons », héritiers des écoliers turbulents du XVIe siècle.

   Pour connaître l’environnement culturel du jeune Michel à Avignon, on pourra se reporter aux diverses relations consignées par les étudiants de cette époque.

   Chaque jour, le jeune Michel se rendait à son Collège, situé sur la place des Eudes, dès que la cloche de l’église Saint-Didier annonçait l’ouverture des portes.

   Selon son disciple Chavigny, Michel aurait fait preuve, dès ces années d’études, d’une mémoire exceptionnelle presque divine, « Memoriâ penè divinâ præditus erat » nous dit-il dans sa Première Face du Janus François.

   On constate effectivement que les deux lettres-préfaces aux Centuries, et les quatrains, qu’ils soient ou non prophétiques, témoignent d’une connaissance approfondie non seulement des livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, mais aussi des classiques grecs et latins.

   Les étudiants d'Avignon étaient cependant renommés pour leur dissipation. Ils étaient certainement plus assidus aux « branles » et aux « gaillardes » qu’aux cours de leurs professeurs.

   Les branles et les gaillardes étaient des danses accompagnées de fifres et tambourins auxquelles la jeunesse s’adonnait « sous les ombrages de la Barthelasse ».

   Que savons-nous précisément sur la vie scolaire de Michel. L’auteur anonyme de La Vie et le Testament de Nostradamus nous apprend que l’écolier avignonnais était tellement avancé dans la connaissance des choses célestes qu’il instruisait ses petits camarades de collège, et leur donnait l’explication de nombreux phénomènes atmosphériques :

   « ... à peine avait-il l’usage de la raison, qu’il décidait mille petites questions curieuses ; entre autres, se promenant un soir avec ses jeunes camarades, il les détrompa en ce qu’ils croyaient que les étoiles se détachaient du ciel lorsqu’ils voyaient ces petites traînées de feu en l’air, que les philosophes appellent astres errants ; il leur apprit que c’était des exhalaisons sulfureuses que le vent allumait comme le soufflet allume les charbons, & que ce n’était à-peu-près que des espèces de fusées ; il leur enseignait aussi que les nuées ne puisaient pas dans la mer avec des pompes, ainsi que le vulgaire ignorant le pense, mais bien que c’était un amas de vapeurs semblable à celui que l’on voit dans les temps des brouillards ; il leur disait encore que le monde était rond comme une boule, & que le soleil, disparaissant à notre horizon, éclairait l’autre hémisphère ; enfin, il parlait si souvent et avec tant de plaisir des météores & des astres, qu’on l’appelait le petit astrologue. »

   Cet témoignage, prétendument transmis d’après les documents de Chavigny, ce qui a pu faire croire que le livre était d’un descendant de Jean-Aimé de Chavigny, date de 1789. IL s'agit en fait d'une copie d’un manuscrit de Palamède Tronc de Coudoulet, composé au début du XVIIIe siècle, et reflète visiblement les idées de l’époque, aujourd’hui dépassées : nous savons, notamment, que les étoiles filantes ne sont pas plus des feux follets que des étoiles décrochées de la voûte des cieux. Le caractère apocryphe de cet ouvrage et de cette tradition qui y prend son origine, nous permet de récuser cette image d’un petit vaniteux que certains de ses biographes voudraient nous présenter du jeune Michel.

   Pour de plus amples précisions sur le manuscrit de Palamède Tronc de Coudoulet, on se reportera à notre établissement du texte, publié par les Editions Ramkat.

   Michel obtint le titre de Maître ès Arts en 1521, quelque chose d’équivalent à notre baccalauréat actuel, mais qui à l’époque était réservé à une élite. Ce premier grade lui était d’ailleurs nécessaire pour accéder aux études supérieures et s’inscrire en particulier dans une Faculté de Médecine.

   Vers la fin de 1520, la peste fut apportée du Languedoc en Avignon et bientôt se répandit dans tout le Comtat-Venaissin. La Faculté commence à suspendre ses cours, puis ferme ses portes. Dès lors, les étudiants se dispersent, certains avant même d’acquérir leurs diplômes. Michel quitte Avignon et se retrouve sur les routes. On lit dans la préface à son Traité des Fardements et Confitures :

   « ... consommant la plus grande part des mes jeunes années en la pharmacaitrie... la connaissance et perscrutation de simples ; par plusieurs terres et pays, depuis l’an 1521 jusques à l’an 1529... incessamment courant, pour entendre et savoir la source et origine des plantes et autres simples... la fin de la faculté iatrice. »

   Il est certain que Michel a profité, durant ses moments de loisirs, du rapprochement avec l’oncle teinturier, pour collectionner diverses recettes de « teintures » pour chevelures ou barbes, puisqu’il en décrira quelques unes, bien des années plus tard, dans son célèbre Traité des Fardements. Et c’est vraisemblablement en Avignon, que Michel dut connaître ses premiers émois amoureux.

   Qu’allait faire Michel après ces premières études, qu’il venait brillamment de terminer ? Il allait tout naturellement s’orienter vers la médecine, comme l’aurait sans doute désiré son bisaïeul Jean de Saint-Rémy.

 

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