Le remède contre la peste
(1561)

   Il semble que l’appel de Videl et de plusieurs autres aux autorités compétentes, pour qu’elles mettent un terme aux prédictions effrontées de Nostradamus et de ses semblables, fut entendu en haut lieu et amena l’adoption de l’article 26 de l’Ordonnance d’Orléans du 31 janvier 1561 :

   « Et parce que ceux qui se meslent de prognostiquer les choses advenir, publiant leurs almanachs & Prognostications, passent les termes de l’Astrologie, contre l’expres commandement de Dieu, chose qui ne doit estre tolleree par Princes Chestiens : Nous defendons à tous Imprimeurs & Libraires, à peine de prison & d’amende arbitraire, d’imprimer ou exposer en vente aucuns Almanachs & Prognostications, que premierement ils n’ayent esté visitez par l’Archevesque ou Evesque, ou ceux qu’il commettra. Et contre celuy qui aura fait ou composé les dits Almanachs, sera procedé par nos Juges extraordinairement, & par punition corporelle. »

   L’un des auteurs de cette ordonnance était le nouveau chancelier Michel de l’Hospital que nous avons aperçu de passage à Salon en décembre 1559 en compagnie de Marguerite de Savoie. Nous avons déjà cité le passage, défavorable à Nostradamus, du poème qu’il composa à l’occasion de ce voyage à Nice. Dans une épître adressée au cardinal de Lorraine à son départ pour Rome, le chancelier met l’homme d’Eglise en garde contre les périls de la Ville ; il devra protéger son escorte d’une variété de dangers, dont le moindre n’est pas la présence des astrologues. L’administration de la justice en France était donc entre les mains d’un homme hostile à l’Astrologie en général et à Nostradamus en particulier. Mais ce dernier, en étant très prudent dans la composition de ses almanachs, n’eut aucune difficulté à obtenir les permissions épiscopales requises par l’ordonnance.

   Aux yeux d'un réformé comme Théodore de Bèze, on peut comprendre qu'il se plaignait à ce propos « qu’au Royaume de France, plus qu’en Royaume du monde, les bonnes & sainctes ordonnance ne consistent qu’en papier ».

   En 1561, Nostradamus publie son Almanach nouveau pour 1562. Il le fait imprimer à Paris, par Guillaume le Noir et Jehans Bonfons. Cet almanach est dédié, le 17 mars 1561, à « Pie IIII Pontifice Max ».

   Puis, il compose sa Prognostication nouvelle pour l’an 1562, qu’il fait imprimer à Lyon par Antoine Volant et Pierre Brotot. L’épître de Nostradamus est adressée Jean de Vauzelles.

   Le XVIe siècle nous a transmis un manuscrit en français comportant plusieurs passages autographes de Nostradamus : Les Praedictions de l’almanach de l’an 1562, 1563 et 1564 par M. Michel de Nostre dame... Cette copie manuscrite de 222 pages est restée inédite. Les Prédictions sont dédiées au Pape Pie IV. Malgré son titre, l’ouvrage porte essentiellement sur l’année 1562, avec quelques anticipations, comme c’était la coutume, pour l’année suivante et d’autres plus tard.

   Il ne semble pas que ce manuscrit destiné au pape lui fut envoyé, car on remarque dans le texte de nombreux espaces blancs, prouvant que Nostradamus n’avait pas entièrement revu son texte. On sait effectivement que le secrétaire de Nostradamus laissait des espaces blancs, à remplir plus tard, quand il n’arrivait pas à lire le texte original. Les troubles du printemps 1561 à Salon et la fuite de Nostradamus à Avignon expliquent sans doute ces particularités.

   Nous trouvons huit passages autographes dans le corps de l’ouvrage, qui tendent à montrer qu’il se fabriquait dès le vivant de Nostradamus plusieurs éditions falsifiées. Voir la lettre datée du 15 décembre 1561 que lui adresse Jean Rosemberger.

   L'autographe de Nostradamus nous a été heureusement conservée dans plusieurs ex-libris. Ainsi, cette signature est bien celle de l'astrophile provençal.

   Nostradamus fait réimprimer son Traité des Fardements et Confitures en 1560, toujours à Lyon chez Antoine Vollant, sous le titre : Excellent et très utile opuscule à tous necessaire...

   De cette année 1561, les anciens catalogues des foires de Francfort ont conservé le titre d’un livre aujourd’hui perdu : Remede tres utile contre la Peste..., imprimé à Paris chez Guillaume Nyverd. On a cru qu’il s’agissait là de l’ouvrage dont An excellent Tretise était la traduction anglaise ; c’est pourquoi l’on a pu penser que Le Remede tres utile avait fait l’objet d’une première édition en 1559. Mais le contenu des deux ouvrages, dans la mesure où l’un nous est accessible et l’autre est annoncé par son titre, ne paraît pas le même ; l’original français de An excellent Tretise est bien perdu. En revanche nous avons peut-être conservé des extraits du Remede tres utile en traduction italienne dans un manuscrit de la Braidense publié pour la première fois en 1966 par B. Ferrari et S. Balossi ; on y trouve en tout cas par deux fois, parmi d’autres conseils, la recette d’un électuaire à base d’œuf comme antidote à la maladie.

   Une adaptation anglaise, peut-être du même ouvrage, fait supposer une édition de l’original antérieure à 1561.

   En 1561, un pamphlet anglais, en partie dirigé contre Nostradamus, est signé Francis Coxe : A short Treatise declaringe the detestable wickednesse of magicall sciences...

   Ce petit livret, imprimé par J. Alde, s’inspire de l’Antiprognosticon de Fulke. L’auteur s’en prend nommément à Nostradamus.

   Toujours en 1561, c’est une publication de François Gruget, de Loches, qui sera reprise en 1575 par Michel Nostradamus le Jeune, un imposteur qu’on fera passer, jusqu’à nos jours encore, pour le fils de Nostradamus, puis incluse, dès 1611, dans des éditions des Centuries : Recueil des prophéties et révélations tant anciennes que modernes, lequel contient un sommaire des révélations de Sainte Brigide, saint Cyrille et plusieurs autres saints et religieux personnages. Imprimé à Paris par Robert le Manguier, l’ouvrage sera réimprimé la même année sous le titre : La première partie du recueil des prophéties et révélations, tant anciennes que modernes : Laquelle contient un sommaire des revélations de saincte Brigide, sainct Cirille, & plusieurs autres saincts & religieux personnages : nouvellement reveüe & corrigée oultre les précédentes impressions.

   Antoine Couillard, Hercules le François, Laurens Videl et Jean de La Daguenière furent les principaux auteurs de pamphlets anti-nostradamiens. D’autres s’attaquèrent au prophète dans des épigrammes, ou encore au passage dans des ouvrages divers. C’est ainsi que paraissait en 1561, dans un recueil réformé prétendument imprimé à Reims, le Cantique spirituel, et consolatif à Monseigneur le Prince de Condé... Plus la déclination des Papes, Contre-pronostication à celle de Nostradamus.

   L’auteur anonyme de la satire passe en revue la déclinaison latine, rattachant un pape à chaque cas, pour en arriver à l’ablatif et à Pie IV, dont Nostradamus avait célébré le récent avènement.

   Celui qui est visé ici, par-delà Nostradamus, est sans doute Ronsard, qui en 1560 avait récupéré le prophète pour la cause catholique. Il est remarquable en effet qu’avant cette date, peu de critiques proviennent du milieu réformé.

   Voici une autre attaque voilée contre Nostradamus : le sermon de Claude d’Espence dans l'Exposition du psalme cent trentieme... L’ouvrage, imprimé à Paris en 1561, comporte une épître dédicatoire à Catherine de Médicis, signée de Paris, le 16 février 1561.

   Le Vendredi saint 4 avril 1561, après le prêche, une foule de près de cinq cents paysans catholiques armés de bâtons pointus et cloutés, et reconnaissables à leurs cabans, déferla dans les rues de Salon, cherchant querelle aux huguenots. Nostradamus, accusé d’être de numero Lutheranorum, trouva refuge à Avignon. Il y loua le 14 une partie d’une maison qu’il occupa un peu plus de deux mois, puis le danger passé, il revint à Salon.

   Ses rapports familiers avec Antoine Marc, gagné à la Réforme, sa correspondance avec des clients bavarois et même une sympathie exprimée dans ses lettres à l’endroit de la « vraie religion »ont pu alimenter ces soupçons. On sait aussi que, vers 1534, alors qu’il résidait à Port-Sainte-Marie et exerçait la médecine à Agen, il avait critiqué le culte des saints et de la Vierge Marie ; cela ressort de la déposition de trois religieux d’Agen devant l’inquisiteur Louis de Rochet en mars 1538.

   Le 1er mai 1561, à Lyon, Jacobus Securivagus confiait une lettre à l’intention de Nostradamus aux imprimeurs Pierre Brotot et Antoine Volant ; ceux-ci se rendaient auprès de Nostradamus pour négocier l’entente relative à la Pronostication pour l’an 1562. On pourra juger de l’importance de notre auteur, car ce sont maintenant les éditeurs qui se déplacent pour le voir, tant était grande sa réputation du prophète.

   Le 14 avril 1561, en effet, Géraud ou Gérard de Rippe, d’Avignon, expert en droit, louait à Michel de Nostredame, de la ville de Salon, diocèse d’Arles, le devant d’une maison, située en Avignon, paroisse Saint-Agricol, rue de la Servellerie, pour la durée d’un an et pour le prix de dix huit écus d’or pistollets. C’est Me Antoine de Béziers, notaire d’Avignon, qui avait rédigé le contrat et reçut douze écus en déduction de la somme primitive.

   Toutefois, quelques semaines après la « Presse des Cabans », ledit de Nostredame, ayant changé d’avis et ne voulant plus venir demeurer en Avignon, remettait cette maison à prudhomme Jean Payot, dit Dorgellet. Celui-ci passait un nouveau bail, se substituait à Michel de Nostredame vis-à-vis de Géraud de Rippe, lequel lui tenait compte des douze écus déjà versés.

   Nostradamus écrit, dans sa lettre du 15 juillet 1561, qu’on devait le rétablissement de l’ordre public à l’arrivée dans la petite ville du préfet de Provence, Claude de Savoie, comte de Tende.

   Le reste de l’année fut occupé et mouvementé à souhait. Nostradamus travailla à la révolution de Jean Rosenberger pour 1562, aux horoscopes des deux fils de ce dernier.

   Début septembre, un sixième et dernier enfant, prénommé Diane, lui naquit.

   Voir ci-après notre Tableau généalogique n° 7 :

Généalogie de Michel Nostradamus

 

   Nostradamus travaille à l’horoscope de Charles IX (lettres du 15 octobre) et forma le projet d’un voyage à la cour, sans doute pour y porter lui-même le fruit de ce travail, projet abandonné par la suite à cause de l’arrivée de l’hiver, et surtout à cause des troubles religieux.

   Quoi qu’il en soit de ces consultations et de ces ouvrages médicaux de circonstance, Nostradamus finit par se consacrer complètement à l’astrologie, notamment, à la rédaction des almanachs, plus nombreux et plus remplis, et de plus en plus élaborés : l’Almanach pour 1566, par exemple, représentera l’aboutissement de cette évolution.

   Les horoscopes princiers en particulier exigeaient un grand soin. Celui de Charles IX lui prit énormément de temps ; le 15 octobre 1561, il écrivait à Laurent Tubbe qu’il hésitait à se rendre à Paris avant d’avoir terminé le travail.

   François II mourut le 5 décembre 1560.

   Nostradamus devait rédigé son Almanach pour l’an 1562 au printemps 1561 : l’épître dédicatoire est datée du 18 avril 1561. Le privilège d’imprimer fut cependant ne fut accordé que le 1er février 1561, au lendemain de l’Ordonnance d’Orléans, alors que toutes les autres pronostications furent accordées à l'automne et précédaient de peu la publication. Dès lors, l’ouvrage pouvait paraître sur le marché en toute légalité.

Les contrefaçons nostradamiennes en 1561

   L’envers de ce succès était que les almanachs nostradamiens authentiques étaient difficiles à trouver et que les contrefaçons abondaient. Nous avons vu Couillard en novembre 1555 trouver dans un panier de colporteur plusieurs almanachs nostradamiens mis sous le nom de divers auteurs. Et un Jean Rosenberger, grand bourgeois d’Augsbourg et client de l’astrologue, cherchait des exemplaires authentiques à la mi-décembre 1561.

   Un passage de l’épître à Jean de Vauzelles, dans la Pronostication nouvelle pour l’an 1562, montre que pour Nostradamus lui-même, le quatrain qui se référait à la mort de Henri II était le quatrain (III.55) :

    En l’an qu’un œil en France regnera...

   En 1561, Nostradamus aurait été mandé à Turin, par Catherine de Médicis suivant les uns, par Philibert de Savoie selon les autres, pour visiter la duchesse Marguerite alors en état de grossesse avancé.

Prédiction de Nostradamus relative à Charles-Emmanuel

   D'après Samuel Guichenon, dans son Histoire généalogique de la Royale Maison de Savoye (1660), le prophète aurait dit au père de ce dernier qu'il devait se réjouir, car son épouse allait mettre au monde un fils « qui seroit le plus grand Capitaine de son siècle ».

   Nostradamus aurait également rédigé un horoscope, où il était dit que Charles-Emmanuel mourait « quand un none viendroit devant un septieme », ce qui advint au duc, à l'âge de 69 ans.

   En effet, le 9 précède le 7 de l'année 70.

   Coraddo Pagliani, qui cite également cette page de Guichenon, déclare n’avoir rien trouvé d’authentique sur ce voyage et sur cet horoscope de Nostradamus, malgré de diligentes recherches aux Archives d’Etat et aux Archives Municipales de Turin.

Les circonstances d'une arrestation de Nostradamus

   Le 23 novembre 1561, le jeune roi Charles IX écrit au comte de Tende, gouverneur de Provence. Sur ordre du roi, le comte de Tende, de passage à Salon, le 16 décembre, fit arrêter Nostradamus, et l’amena avec lui dans son château de Marignane. Le comte écrivit au roi le 18 décembre, en ces termes  :

   « Au regard de Nostradamus, je l’ay faict saisir et est avecques moy, luy ayant deffendu de faire plus almanacz et pronostications, ce qu’il m’a promis. Il vous plaira me mander ce qu’il vous plaist que j’en fasse. »

   Il ne semble pas qu’il y ait eu des suites facheuses à cette curieuse arrestation. Nostradamus sera relâché et continuera à composer ses almanachs, sans être inquiété par les Autorités.

   Au cours de l’année, à Aix, la foule avait intensifié son harcèlement des protestants. Réunis à Riez, ceux-ci déléguèrent l’avocat aixois Mutonis auprès du roi et de la reine et obtinrent l’envoi d’une commission d’enquête.

   Cette commission, dirigée par le comte Antoine de Crussol, quitta Paris le 10 décembre 1561.

 

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