La visite de Marguerite de Savoie
(1559 - 1560)

    Le 7 février 1559, Nostradamus terminait la rédaction de son Almanach pour 1560, publié à Paris chez Guillaume le Noir.

    Nostradamus dédie son Almanach, le 10 mars 1559, à son vieil ami, Claude de Savoie, comte de Tende et gouverneur de Provence. Composé au printemps 1559, le prophète fait précéder la prédiction de janvier de ce sous-titre en gros caractères à l’adresse de ses détracteurs : Carpet citius aliquis quàm imitabitur, soit « Il est plus facile de blâmer que d’imiter ».

    Nostradamus publie une autre pronostication intitulée : La Grand’ pronostication nouvelle pour l’an 1560, imprimée à Lyon par Jean Brotot et Antoine Volant. Au verso du titre, on lit : « A Monseigneur de Savigni, Lieutenant général pour le Roy au pays du Lyonnois... »

    Le 26 août 1559, l’ambassadeur anglais aux Pays-Bas, Sir Thomas Challoner, rapporte au secrétaire d’Etat Sir William Cecil que la flotte de Philippe II vient de quitter Anvers pour l’Espagne avec le roi à son bord :

    1. A la fameuse prédiction de Nostradamus à Catherine de Médicis, affirmant qu’elle verrait tous ses fils rois, s'ajoute ici de la crainte de voir Charles IX perdre un œil. En effet, le prophète n’avait-il pas écrit :

    (III.55)
    En l ’an qu’un œil en France regnera,
    La court sera à un bien fascheux trouble ?

    Au même moment, l'ambassadeur Suriano se fait l'écho de cette inquiétude générale, dans son rapport de 1561.

    2. Charles IX succéda à son frère à l’âge de dix ans. Suite aux prédictions de Nostradamus, on commença à s’inquiéter de la santé du nouveau roi. Un autre ambassadeur vénitien, Giovanni Michiel, écrivait dans son rapport, à son retour de mission en 1561, qu'un pronostic du « fameux astrologue appelé Nostradamus » menaçait la vie des princes.

    A l’automne 1559, le conseiller au parlement de Paris, Anne du Bourg, qu’Henri II avait fait enfermer le 15 juin pour son adhésion à la Réforme, fit plusieurs appels pour obtenir sa libération. Ce fut peine perdue ; on soupçonna un complot pour le faire évader, soupçon entretenu par un quatrain mensuel de Nostradamus.

    Le quatrain qui inquiétait était celui d’octobre 1559 :

Icy dedans se parachevera,
Les 3. Grands hors le Bon-Bourg sera loin,
En contre deux l’un d’eux conspirera,
Au bout du mois on verra le besoin.

    En France, Henri II était décédé le 10 juillet 1559 de la blessure reçue à l’oeil au cours du célèbre tournoi. On célébra discrètement la veille, le 9 juillet, le mariage de Philibert-Emmanuel, duc de Savoie, et de Marguerite de France, soeur du roi mourant. Le sacre de François II eut lieu deux mois plus tard à Reims (le 18 septembre), après quoi le duc de Savoie et sa suite immédiate prirent le chemin de Nice. Ils passèrent à Salon en octobre, mais Nostradamus semble avoir été absent.

    En effet, ce même mois, le médecin provençal se dirigeait vers la ville de Narbonne. Il s’arrêta à Béziers où il fut mandé par l’évêque Laurent Strozzi, promu cardinal en 1557. Nous avons conservé de la pratique médicale de Nostradamus la lettre du vendredi 20 octobre 1559 adressée à l’évêque de Béziers, le cardinal Strozzi, un illustre patient.

    Le médecin, qui faisait route vers Narbonne pour une raison que nous ignorons, s’arrêta à Béziers pour examiner le prélat, qui souffrait de maux de tête et de douleurs aux épaules, à l’estomac et aux jambes. L’examen terminé, il écrivit la lettre en question, donnant le détail des soins recommandés.

    La consultation dénote aussi un courage certain, si l’on tient compte du fait que Béziers était le siège au même moment d’une effroyable épidémie de peste.

    Le 21 septembre 1559, Emmanuel-Philibert de Savoie, rentrait de Paris à Nice dans ses Etats, avec son épouse Marguerite et soeur du roi Henri II, qu’il avait épousé quelques heures avant la mort du souverain. Apprenant que la peste venait d’éclater à Nice, il décida de faire un détour par Salon pour y séjourner afin de faire connaissance avec Michel de Nostredame.

    Nostradamus se trouvait à salon en décembre quand la princesse Marguerite, qui suivait son mari avec une cour plus nombreuse, y fit halte.

    Il était alors d’usage d’accueillir les grands personnages avec des banderoles où étaient inscrites des devises et des paroles de bienvenue. Comme toujours, l’érudition de Nostradamus s’était montrée indispensable : Il avait été chargé par les magistrats et principaux nobles de composer quelque galante inscription. César de Nostredame raconte :

    « Michel de Nostredame mon pere, qui avoit esté prié des Magistrats & principaux Nobles de faire l’honneur de la ville, avoit fait poser quelques breves inscriptions Latines, en vers héroïque, entre lesquels furent ceux-ci :

Sanguine Troiano, Troiana stirpe creata,
Et Regina Cypri.

    « Fille de sang troyen et de souche troyenne, reine de Chypre ».

    On notera cette allusion au sang troyen qui coulait dans les veines de Marguerite de France. D'après une tradition, toujours vivante au XVIe siècle, les trois races royales françaises (mérovingiens, carolingiens et capétiens) descendaient d'un prince troyen émigré, Francus, fils d'Hector le Troyen, immortel descendant de Cypris, déesse des Amours.

     Dans le quatrain (VI.52), Nostradamus fait justement allusion à un prince de « sang troyen ».

    La princesse fut l’hôte, au château de l’Emperi, du cardinal de Lenoncourt qui venait d’être nommé archevêque d’Arles ; le château était la propriété des évêques de ce diocèse.

    Marguerite de France reçut personnellement Michel et s’entretint avec lui. César rappelait comment « un gentilhomme qui fut présent à toutes ces choses, l’assura que cette Princesse avait entretenu son père fort longuement, lui faisant beaucoup d’honneur, suivant en cela les traces et les vertus royales du grand François, son géniteur. »

    Il est plus que probable que Nostradamus eut une entrevue avec Marguerite de Savoie, lors de la venue de cette dernière à Salon-de-Provence, car il en résulta à l’automne suivant la dédicace à cette dame de l’Almanach pour 1561 et une nouvelle inscription latine.

    Après César, la légende dorée ne tarit plus sur les relations de Nostradamus avec la Maison de Savoie. Guynaud raconte, avec complaisance, comment le « grand homme prédisait de nouvelles aventures qui arrivaient à point nommé. »

    Nostradamus n’abandonna pas tout à fait la médecine à l’époque de sa gloire prophétique. En effet, en 1559, à Londres, un certain John Daye publia la traduction anglaise d’un Traité de la Peste de Nostradamus, dont l’original français est malheureusement perdu. En voici le titre anglais : An excellent Treatise, shewing such perillous and contagious infirmities, as shall issue 1559 and 1560..., imprimé à Londres par John Daye.

    Ce Traité de la Peste est antérieur à 1561, très probablement 1558-1559. L’ouvrage est dédié à Amanien de Foix, évêque de Mâcon et protonotaire du siège apostolique.

    Le 15 décembre 1559, c’est la naissance d’Anne, la deuxième fille et le cinquième enfant de Nostradamus.

    Suite à la réédition de la Paraphrase de Galien en 1558, sans doute vers 1560, un propre membre de la famille de Nostradamus, le cousin Olzias de Cadenet porta sur l'ouvrage un jugement sévère, semble-t-il. Il ne se gêna pas pour glisser à l'oreille de Jean de Nostredame, que la traduction de ce petit livre n'allait pas manquer de susciter la critique. Jean rapporta le commentaire à Michel, qui, blessé dans son amour-propre, répliqua violemment à cette critique, accusant son contradicteur, entres autres choses, de ne pas savoir le grec, si on se réfère à la lettre sans complaisance que Cadenet lui écrivit, la seconde, puisque la première, écrite en grec, resta sans réponse.

     Le notaire Thomas de Cadenet de Salon avait été taxé comme néophyte le 22 décembre 1512.

    En effet, Cadenet répondit par une lettre entièrement rédigée en grec et, comme cette lettre est resté sans réponse, il envoie au médecin salonnais une autre missive. Cette fois, dans un récit en latin entrecoupé de citations grecques, le bouillant docteur démontre à son correspondant qu’il a une bonne connaissance du latin et du grec, ajoutant à la fin qu’il n’a pas critiqué sa traduction. Cette lettre, qui nous a été heureusement conservée, est tout ce qui reste de la querelle ; elle contient une attaque voilée contre la réputation prophétique de Nostradamus.

    Publication de l’Almanach pour l’an 1561. Nostradamus le rédige dès le mois de février 1560. En avril, il est toujours dans la composition de sa pronostication et la fait imprimer à Paris chez Guillaume le Noir.

    Il ne demeure aujourd’hui que des fragments de deux ou trois exemplaires de cet Almanach. Chavigny a heureusement conservé huit des treize quatrains-présages. Grâce à l’éditeur des Centuries de 1561, dont plusieurs rééditions eurent lieu en 1588 et 1589, quatre des présages de 1561, non transcrits par Chavigny, ont été conservés ; il s’agit des présages de février, septembre, novembre et décembre.

    Seul le quatrain de janvier 1561 nous restait à l’état fragmentaire, jusqu’à la publication par Bernard Chevignard du Recueil des Présages prosaïques.

    L’épître de l’Almanach pour l’an 1561 est dédicacée à Marguerite, Duchesse de Savoie, et le Privilège d'imprimer est daté du 24 octobre 1560.

    Michel de L’Hôpital avait accompagné la princesse dans ce voyage à Nice qui était pour lui un retour au pays natal. Il en fit le récit dans un poème intitulé Iter Nicaeum, écrit au printemps 1560, où il célébrait les paysages traversés.

     Michel de l'Hôpital sera nommé chancelier à son retour à Paris au début de l’été 1560.

    Voici le passage consacré à Salon :

    Apparent longè lapidodi tecta Saloni :
    Hic mendax contorta dabat responsa petenti
    Nostradamus populo, iam (quae dementia !) regum
    Dictis nobiliúmque animos & corda regebat.
    Haec aliena Deo preudentia : namque futuras
    Prospicere euentus mortalibus ille negauit.

     Traduction de Brind’Amour :

    « Apparaissent au loin les toits de Salon la pierreuse ; c’est là que Nostradamus en mentant rendait des oracles ambigus au peuple qui le questionnait. Déjà (quelle folie !) il régnait par ses déclarations dans les esprits et les coeur des souverains et des nobles. Cette clairvoyance ne vient pas de Dieu : car il n’a pas permis aux mortels de prévoir les événements à venir. »

    Après avoir publié sa parodie des Prophéties en 1556, Antoine Couillard rédige en 1560 ce pamphlet contre Nostradamus : Les Contredicts du Seigneur du Pavillon... aux faulses & abbusifves Pophéties de Nostradamus..., publié à Paris, chez Charles l’Angelier.

    L’ouvrage fut conçu dès 1555. L’auteur ne nomme Nostradamus que dans le titre de son ouvrage, certainement pour en favoriser la vente, compte tenu de la nouvelle notoriété de Nostradamus.

    On lit, dans cet ouvrage qui voulait réfuter les prophéties de Nostradamus, et en particulier le Livre de l’Estat de Richard Roussat :

    « ... combien que de nostre temps & à leur dire mesme, ce ne puisse advenir : car puis qu’ilz nous promectent une grande & merveilleuse conjonction environ les ans de nostre seigneur, mil sept centz octante-neuf... »

    Ce contradicteur du prophète salonais, en s’efforçant de démontrer la fausseté des prédictions des astrologues, nous fournit bel et bien la preuve quasi-irrécusable d’une réalité aujourd’hui confirmée !

    Dans sa Lettre à Henry Second, l’astrophile provençal écrit:

    « ...icelle année sera faicte plus grande persecution à l’église Chrestienne que n’a esté faicte en Affrique, & durera ceste icy iusques l’an mil sept cens nonante deux que lon cuydera estre vne renouation de siecle... »

    Comment l’historien moderne pourrait-il mieux désigner la Révolution française (1789), et en déterminer la période la plus sanglante, pendant laquelle les échafauds se dressèrent sur la place publique ? Rappelons que le calendrier révolutionnaire fut inauguré le 22 septembre 1792.

    En septembre 1560, un autre pamphlet est publié à Londres cette fois-ci, et signé de William Fulke (1538 - 1589) : Antiprognosticon Contra Inutiles Astrologorum Praedictiones Nostrodami...

    En décembre 1560, c’est la publication de la version anglaise de cet ouvrage : Antiprognosticon that is to saye, an Invectiue agaynst vayne and unprofitable predictions of the Astrologians as Nostrodame... , imprimée à Londres par Henri Sutton.

    L’auteur de la Pléiade, Pierre Ronsard, va porter sur Nostradamus un jugement qui sera diversement interprété.

    1/ Dans Les Odes de P. de Ronsard Gentilhomme Vandomois, au roy Henry II. de ce nom, imprimés à Paris, chez Gabriel Buon, Pierre Ronsard évoque les vers des antiques prophètes. Sans doute, Ronsard pensait à Michel Nostradamus qui est « comme un oracle anticque ».

    2/ Ce sont Les Poemes de P. de Ronsard, Gentilhomme Vandomois, imprimés en 1560 à Paris chez le même éditeur, Gabriel Buon. Le troisième tome de ce recueil nous intéresse, car dans une Elegie à Guillaume des Autels gentilhomme Charrolois, Ronsard va insister sur la vérification par les événements eux-mêmes des Prophéties de Nostradamus :

    France, de ton malheur tu es cause en partie,
    Je ten ay par mes vers mille fois advertye...
    Voila comme de tiens tu fais bien peu de conte,
    Dont tu devrais au front toute rougir de honte.
    Tu te mocques aussi des Profetes que Dieu
    Choisit en tes enfans, & les fait au meillieu
    De ton sein apparoistre, à fin de te predire
    Ton malheur advenir, mais tu n’en faire que rire.
    Ou soit que du grand Dieu l’immense eternité
    Ait de Nostradamus l’enthousiasme excité,
    Ou soit que le daimon bon ou mauvais l’agite,
    Ou soit que de nature il ayt l’ame subite,
    Et outre le mortel, s’eslance jusques au cieulx,
    Et de lan nous redit des faicts prodigieux,
    Ou soit que son esprit sombre & melancolicque
    D’humeurs grases repeu, le rendent fantastique,
    Bref, il est ce qu’il est, si est ce toutesfois
    Que par les mots douteux de sa prophete voix,
    Comme un oracle anticque, il a des mainte annee
    Predit la plus grand part de nostre destinee.
    Il ne l’eusse pas creu, si le ciel qui depart
    Bien & mal aux humains, n’eust esté de sa part...

     Nous verrons plus loin qu’on répondit à Ronsard d’une bien curieuse façon, dans un pamphlet anonyme publié en 1563.

 

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