A la Cour de France
(1555)

   P
uisqu'en cette année 1555, Nostradamus fait éditer son célèbre recueil de quatrains prophétiques, il ne jugera pas nécessaire d’inclure des présages en vers dans sa Pronostication pour l’an 1556. On ne connaît aujourd'hui aucun exemplaire de cette Pronostication.

   Cependant, dans la dédicace, datée du 13 janvier 1556, de sa pronostication intitulée Les Présages merveilleux pour l’an 1557, adressée à Henri II, Nostradamus dit lui-même textuellement qu’il composa une pronostication pour 1556 :

    « Estant retourné de vostre court, o serenissime et invictissime roy... et a cause que l’année passée l’air n’estait en telle serenité ne les astres disposez, ne me feut possible si amplement especfier les faicts et predictions futures de l’an mil cinq cens cinquante et six... ».

   Cette déclaration permet notamment de fixer la date de la visite de Nostradamus à la cour du roi de France en 1555, et non en 1556, comme l’affirment certains auteurs.

   Nostradamus publia son Traité sur les Fardements et les Confitures qui a paru vraisemblablement avec la première édition des Centuries, sous ce titre : Excellent & Moult Utile Opuscule à touts nécessaire... L’ouvrage fut imprimé à Lyon par Jean Pullon, dit de Trin, et publié chez Antoine Volant.

   Cet ouvrage a jouit d’une grande vogue et a été réimprimé plusieurs fois jusqu’à la fin du XVIe siècle, mais tous les exemplaires semblent avoir disparu. Par ailleurs, le contenu de ce traité a subi de notables modifications dans ses diverses éditions. La première partie du livre comprend des recettes de fards et des parfums, alors que la deuxième partie est consacrée aux confitures. Le texte est très intéressant, car il contient les seules précisions authentiques que l’on possède sur la vie de Nostradamus, notamment quelques notations chronologiques et plusieurs confidences de l’auteur.

   Il s’agit d’un curieux ouvrage, dans lequel Nostradamus est à l’aise aussi bien en thérapeutique cosmétique qu’en hygiène alimentaire, qu’il s’agisse de produits de beauté, filtres amoureux, aphrodisiaques et recettes de confitures.

   Brind’Amour note qu’à cette époque, les préoccupations professionnelles de l’auteur étaient encore nettement pharmaceutiques.

   L’été 1555, Nostradamus se rend à la Cour.

   Est-ce la publication de la 1ère édition des Centuries qui valut à son auteur d’être appelé à la Cour à l’été 1555. On serait tenté de le croire si on se réfère au seul récit de César de Nostredame, qui était encore au berceau lorsque son père lui dédia sa lettre d’introduction aux Prophéties :

   « Il arrive l’an d’après Michel de Nostredame me dedie estant dans le bers, & met au jour les Centuries, qui le rendans immortel ne feront suyvre les traces & le chemin de vertu, que luy avoyent frayé ses peres. Au demeurant plus tost ne sont ces Propheties en cognoissance, quoy qu’en vers obscurs, & d’un stile sybilin (car il ne faut que telles choses soyent vulgairement prophanees) que le bruit de son nom volle, & le faict ouyr par tout avec beaucoup plus d’admiration qu’il ne m’est seant de l’escrire. Je diray cela sans plus, que la Royne qui en a le vent mande incontinent lettres expresses au comte Claude de luy envoyer ce personnage que le Roy desire voir. Parquoy au commendement de sa Majesté que le Gouverneur qui l’aimoit & l’estimoit lui communique, il s’appreste, & part de sa maison au cinquante trois de sa vie le quatorze de Juillet, & se rend aux murs de Paris le quinze du mois d’Aoust, jour de l’Assomption nostre Dame, luy qui en portoit le nom, allant descendre à l’enseigne de sainct Michel pour rendre l’auspice heureux entierement accomply. Monsieur le Connestable qui en a le vent par une excellente faveur le va prendre à son logis, & le presente au Roy, qui commande de le loger chez le Cardinal de Sens : là la goutte qui le surprend le detient dix ou douze jours, pendant lesquels sa Majesté luy envoye cent scus d’or dans une bource de velours, & la Royne presques autant : au moyen dequoy il n’est plustost hors de ces violentes douleurs, que par l’exprez commandement du Roy il prend le chemin de Blois, pour voir les enfans de France : ce qu’il fit très-heureusemnt. Quant aux honneurs, despouilles royales, joyaux & magnifiques presents qu’il receut de leurs Majestés, de Princes & plus grands de la Cour, j’ayme mieux les laisser au bout de ma plume, que de les dire par trop d’esquise vanité, craignant d’en avoir plus dit que ne requiert la modestie. »

    · Ainsi, c’est par une lettre à Claude de Savoie, comte de Tende, que la reine invita le prophète à la Cour.

   · Quant à
« Monsieur le Connestable », il s'agit de Anne de Montmorency.

   Mais comment croire à cette réputation soudaine du prophète, à la suite de la publication d’un ouvrage qui fut aussi incompréhensible aux contemporains de Nostradamus qu’à nous-mêmes aujourd’hui.

   Il semble plutôt que ce soit la parution de l’Almanach pour l’an 1555 qui valut à Nostradamus d’être appelé à la Cour, ainsi qu’on peut le supposer à la lecture de son contradicteur Laurent Videl :

   « ... incontinent après (la déclaration de la pleine lune du 7 janvier 1555) tu dis que tu noses declarer ce qu’adviendra ceste année : parquoy uzoys tu de telles ruses ? si non affin que l’on t’envoyasse querir a la court, car aussi en ladicte année au moys de Julliet tu disoys : le roy se gardera de quelcun ou plusieurs qui ne pourchassent que de faire ce que je n’ose metre par escrit, selon que les astres acordéz a l’oculte philosophie demonstrent : tu entendoys bien que le Roy voudroit scavoir la verité. »

   Cet almanach, dont nous avons parlé précédemment, le premier à contenir des quatrains prophétiques, eut un énorme succès, lors de sa parution en novembre 1554, comme l’atteste cet extrait d’une lettre d'Alexandre de La Tourrete à Jean de Morel :

   « Monsieur & fraire... Je vous envoye de nouveaulx almanachz, prognostications, et presaiges merveilleux de Nostradamus en troys sortes... De Lyon ce XIIe de decembre 1554. »

   Claude Haton, curé de Provins, a consigné dans ses Mémoires, à la fin de l’année 1555, que « maistre Michel Nostradamus, docteur en medicinne, faiseur de propheties et almanactz... pour ce temps entroit en grand bruict. »

   Nous avons vu que César de Nostredame, dans la relation consacrée à cet épisode, date le voyage de son père « au cinquante trois de sa vie ». Nostradamus étant né en le 18 décembre 1503, le décompte est inclusif. Nombre de ses biographes, à commencer par Jean-Aimé de Chavigny, dans son Janus François, se fondant uniquement sur le texte de César, placent ce voyage à l’été 1556.

   Le voyage à Paris eut lieu à l’été 1555. Voici les nombreuses confirmations de ce fait.

   - Dans la première missive conservée des papiers de l’astrologue provençal, datée du 1er février 1556, Gabriel Simeoni écrit à Nostradamus :

    « J’ai compris, aussitôt revenu sain et sauf de la guerre de Volpiano, que les choses s’étaient passées à la cour, quant à toi, avec le roi, la reine et les autres grands, selon tes voeux. »

   On notera l'allusion à la prise de Volpiano, en septembre 1555.

   - Nostradamus fait lui-même allusion à son voyage dans l’épître dédicatoire des Présages pour l’an 1557, épître adressée à Henri II et signée le 13 janvier 1556.

   - Ce voyage ne passera pas inaperçu, puisque de nombreuses personnes vont en témoigner. Il traversera Avignon, Valence, Vienne et Lyon. Dans cette dernière ville, c’est le marchand lyonnais Jean Guéraud qui mentionne le passage de Nostradamus à Lyon, en route pour la Cour, dans sa Chronique lyonnaise, entre le 20 mai et le 27 juillet 1555 :

    « En ce mesme temps fust et passa par ceste ville un astrologue nommé Michel de Nostre Dame en Sallon de Craulx en Provence, homme très scavant en chiromancye et mathématicque et astrologie, qui a dict de grandes choses à aulcungs particulliers tant du passé que de l’advenir et jusques à deviner les pensées, ainsy qu’on disoit et alloit à la cour du Roy où il estoit mandé et craignoit grandement qu’on luy fist maulvais party car luy mesme disoit qu’il estoit en grand danger d’avoir la teste coupée devant le XXV jour d’aoust ensuyvant »

   Voilà une étrange prémonition, que le chroniqueur signale à la fin de sa notice !

    Nous savons qu’à Lyon, Nostradamus fut l’hôte de Guillaume de Guadagne, sénéchal de la ville.

    L'épître dédicatoire de la Pronostication nouvelle pour l’an 1558 est adressé à Guillaume de Guadagne.

   Il faut croire que le voyage de Nostradamus à la Cour ne fut pas de tout repos, dans tous les sens du terme. Dans une lettre adressée au Parisien Jean de Morel, le 31 octobre 1561, le prophète raconte qu’il monta à Paris, étant alors « mandé » par les uns et « contremandé » par les autres.

   Nostradamus, qui avait hésité à prendre la route, parcourut « deux cents lieues » avant d’arriver à Paris. « Je y vins malade », nous dit-il, et il dépensa quelque « cent escuz ». Il ne s’attendais pas à pareille dépense, à telle enseigne qu’il dut emprunter à M. de Morel « deux nobles à la rose, et deux escuz ».

   A Saint-Germain, le roi lui fit remettre cent écus et la reine trente. En faisant les comptes, Nostradamus ne gagna donc dans cette affaire que trente écus et ... une dette. Cependant, si nous devions en croire son fils César, la reine lui donna « presque autant » que le roi.

   Voici le début du plus célèbre des quatrains des Centuries :

   (I.35)
   Le Lyon jeune le vieux...

   Il semble qu’à l’époque, personne ne fit le rapprochement avec l’accident qui coûta la vie à Henri II. On ne le trouve pas dans le Janus François de Jean-Aimé de Chavigny, mais on le trouve, au début du XVIIe siècle, chez César de Nostredame !

   En ce qui concerne la fameuse « Consultation de Blois », rapportée par César de Nostredame, on exhibe depuis longtemps une soi-disant gravure sensée perpétuer cet événement : le lecteur pourra consulter les dessous de cette légende photographique.

 

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