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ANALYSE

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Discours sur la méthode de J. Halbronn

par Mathieu Barrois

    Que doit-on retenir de la méthode de J. Halbronn lorsqu’il l’applique à l’analyse des textes de Nostradamus ? Dans une étude récente1, il expose ainsi sa vision de la question : “Il convient de distinguer deux étapes et deux activités, l’une consistant à remarquer et à signaler des variantes et l’autre à en tirer des conclusions. La moindre des choses que l’on est en droit d’attendre d’un nostradamologue qui se respecte d’avoir connaissance des variantes...” Mais il ne dit pas tout de sa méthode de signalement, en ce sens qu’il n’hésite pas à créer ses propres variantes lorsque les circonstances l’exigent.

Variation sur le thème de 1792

   La fameuse date de 1792, mentionnée dans la deuxième partie de la Lettre à Henry, est un obstacle de taille pour quiconque veut en faire un exemple démontrant que le prophétisme nostradamique tient en partie de la contrefaçon et de la corruption des textes. L’importance historique de cette date, l’endroit précis choisi pour insérer la date avec un commentaire pertinent sur un moment qui amène une rénovation de siècles font de ce passage de l’épître un modèle de clarté sur le propos et l’intention de l’auteur. La distance de plus de deux siècles depuis la parution de l’épître, dans sa facture que nous lui connaissons aujourd’hui, rend impossible l’argument du texte contrefait et antidaté après 1792. Dans notre analyse2 sur la structure de la Lettre à Henry, nous avions montré comment cette date de 1792 venait, pour ainsi dire, remettre le compteur à zéro en introduisant le deuxième volet de la chronologie des événements, tout en confirmant que le premier volet partait lui aussi de l’époque de la Révolution française. Mais J. Halbronn n’a pas à s’embarrasser de telle considération puisque cette grille d’analyse n’est pas utile à sa démonstration. Voyons à quelles sources sont puisés les éléments de son analyse et surtout à quelle conclusion ahurissante il en arrive : “On peut se demander s’il n’y a pas eu une corruption dans H2 (i.e. la Lettre à Henry), sous la forme canonique que nous lui connaissons, en 1792... Ce qui conduirait à penser que le succès prévisionnel obtenu sous la Révolution serait le résultat d’une erreur de transcription car il conviendrait quand même de savoir d’où vient la date qui est ainsi avancée et ne pas se contenter - ce qui pour l’historien des textes n’est nullement déterminant - du fait que 1792 correspond à la Révolution Française.” Mais où trouve-t-il la preuve de cette erreur de transcription, une erreur difficile à justifier comme le signale Robert Benazra dans sa dernière analyse, parce que la date est écrite en lettres et non en chiffres ? Un ouvrage de Chavigny, inspiré de François Liberati, parle d’une grande conjonction Saturne-Jupiter d’une durée de 200 ans de 1583 à 1782. Alors si Chavigny et Liberati ont vu une quelconque conjonction astrologique pour cet intervalle de temps, faudrait-il donc s’incliner béatement devant eux et leur accorder un monopole, une paternité ou une influence déterminante sur toutes publications qui contiendraient ces dates et même toutes celles qui s’en approchent plus ou moins ? Puisque la Lettre à Henry a le bonheur ou le malheur de contenir deux dates relativement (?) proches, 1585 et 1792, elles deviennent non seulement suspectes selon la grille d’analyse de Halbronn, mais condamnables sans autre forme de procès. Que les dates de l’épître ne soient en aucune façon associées l’une à l’autre pour exprimer une durée et que l’une fasse partie du préambule et l’autre inscrite beaucoup plus loin dans la deuxième partie du texte lui importe peu. Et Halbronn de conclure : “Il faudrait donc lire (dans la Lettre à Henry) .... l’an mil sept cens octante deux et non nonante deux. Il est possible que ce nombre ait été mal recopié mais force est de constater que 1782 ait bien plus cohérent du point de vue astrologique en général, du fait d’une conjonction Saturne-Jupiter en sagittaire, la dernière de la série de feu alors que 1792 ne fait pas sens.” Il suffisait donc de retrancher dix ans à 1792, à gommer les trois ans qui séparent 1582 à 1585 pour que le tour soit joué. Cette méthode est un modèle de simplicité et d’efficacité. Curieusement, il ne viendrait pas à l’idée de l’historien des textes que la conclusion la plus sensée dans les circonstances serait justement que l’aspect astrologique ne soit nullement déterminant dans la date de 1792. Finalement, la Lettre à Henry mentionne les années 1585, 1606 et 1792, mais il n’y a pas comme dans Chavigny l’introduction d’une année à mi-chemin entre 1585 et 1792. Cette absence prouve une fois de plus que les dates de Chavigny n’ont rien à voir avec le texte de Nostradamus. Mais Halbronn en rajoute et, de cette absence, il conclut cyniquement “ce qui montre que le texte de l’épître fut bel et bien corrompu.” Après avoir fait preuve d’autant d’incohérence, de partialité et de manque de rigueur, Halbronn a le courage ou l’inconscience d’ajouter : “… nous espérons avoir montré que l’historien des textes a pour mission de proposer une grille permettant d’agencer et d’ordonner, dans le temps et dans l’espace les documents qui lui sont parvenus, tout en proposant de reconstituer des chaînons manquants sans lesquels on se trouverait en face d’un ensemble décousu et dépareillé, ce dont apparemment nombreux semblent à ce jour vouloir se contenter, ce qui ne peut que condamner les études nostradamiques à un retard certain par rapport à d’autres chantiers en cours.” Il y a des retards bien salutaires qui sont préférables à ce genre de rapiéçage indigeste menant à l’impasse. J. Halbronn se plaît à dire qu’il n’y peut rien, puisque les faits sont têtus. Mais, dans les circonstances, tout nous porte à conclure qu’il y a plus têtu que les faits.

Les vicissitudes d’une méthode mal maîtrisée

   Prenons l’exemple du mot holocauste qui n’est pas banal et qu’on trouve dans la Lettre à Henry. A lui seul, il peut faire l’objet d’une analyse exhaustive, que nous vous proposerons en d’autres circonstances, afin de ne pas détourner notre propos sur la méthode Halbronn. Pour les fins de la présente analyse, nous présentons un cas fictif illustrant les vicissitudes d’une méthode de travail qui pourrait donner les résultats les plus féconds, mais qui malheureusement est mal maîtrisée par son auteur. Dans la Lettre à Henry, “l’abomination du premier holocauste” désigne un événement qui a les apparences de ce que les témoins et les victimes ont considéré comme l’innommable évènement. Après avoir obtenu le prix Nobel de la paix, une des victimes du nazisme, Elie Wiesel, disait dans un dialogue3 avec Philippe de Saint-Cheran : “Je me souviens que tout de suite après la guerre, quand deux juifs se rencontraient, ils ne parlaient pas de l’Holocauste parce que ce mot n’était pas encore introduit dans le langage…” Et dans une rencontre4 avec Elie Wiesel, Brigitte-Fanny Cohen le questionnait sur la pertinence du mot Holocauste, autour duquel on a beaucoup débattu, pour nommer les atrocités nazies. Et en avouant l’insuffisance de ce mot pour désigner l’Evènement, Elie Wiesel ajouta : “... et pourtant je pense être parmi les premiers - le premier peut-être - à avoir utilisé ce concept dans mes écrits. Auparavant personne ne l’employait à ce propos, bien qu’il existât dans le dictionnaire.” Voilà un objet d’étude absolument extraordinaire pour un historien des textes. Dans mille ans, en l’an 3004, imaginons qu’un historien des textes se penche sur ce cas. Imaginons aussi qu’il utilise la méthode Halbronn avec la même attitude partiale et le même état d’esprit afin, comme le veut la méthode “d’agencer et d’ordonner, dans le temps et dans l’espace les documents qui lui sont parvenus.” Dans un premier temps, nous aurions droit à un questionnement qui mettrait en lumière des pistes de réflexions des plus intéressantes, mais qui aurait bien des chances de se terminer sur une conclusion désolante. Par exemple, comment un auteur du XVIe siècle a-t-il pu utiliser un mot aussi peu banal dans le sens précis qui sera introduit dans le langage seulement au XXe siècle ? Peut-on concevoir que l’auteur de la Lettre à Henry ait eu cette capacité de décrire et de nommer aussi précisément un événement qui aura lieu quatre siècles plus tard ? Les historiens du XXe siècle ont-ils étudié sérieusement la question ? Et si oui, pourquoi ne reste-il pas davantage de traces crédibles de ces études ? Mais peut-on se fier aux textes qui nous sont parvenus de cette époque ? Ne serait-on pas en présence d’un procédé grossier et maladroit de manipulation ou de contrefaçon des textes ? Et pris dans le grand vertige provoqué par ces questions, l’historien des textes, héritier de J. Halbronn, après avoir soupesé mille et une solutions (une miliade peut-être), proposerait finalement sa conclusion. Ce cas lui semblerait, au mieux, une banale affaire d’erreur de transcription et, au pire, une maladroite opération menée par des fabricants de faux et des spécialistes de la contrefaçon. Dans les circonstances, la référence à l’holocauste dans la Lettre à Henry n’aurait pas pu exister dans le texte avant la moitié du XXe siècle, ce qui montrerait que toute édition datée d’avant cette période et qui comporterait ce mot ne saurait être authentique. Ce serait une conclusion bien pénible pour un sujet d’étude si prometteur, à l’image de ce que Halbronn nous a servi dans plusieurs de ses analyses, dont celle portant sur la miliade.

La miliade comme dans myriade

   Le mot miliade vient vraisemblablement du latin milia. Il s’écrirait donc étymologiquement avec un seul L et non deux. C’est peut-être une mauvaise note pour l’édition Besson qui utilise milliade au lieu de miliade, une édition que J. Halbronn considère plus proche des éditions originales. L’édition Besson a-t-elle voulu faire plus français que nécessaire ? Mais trêve de suspicion halbronienne, quoiqu’il en soit, le mot miliade ne fait pas partie de notre vocabulaire, pas plus qu’il n’apparaît dans les dictionnaires modernes. Mais un historien des textes devrait pouvoir suggérer une expression usuelle comparable afin d’en comprendre la juste mesure. À cette fin, le mot myriade serait tout indiqué. Lorsque nous parlons d’une myriade d’étoiles, viendrait-il à l’esprit de quiconque de faire le compte exact de dix mille ? Tous comprendront que ce mot signifie une quantité innombrable et indéterminée, comme le mot miliade qui devrait ainsi désigner une grande quantité tout à fait approximative représentant un nombre pas nécessairement très proche du chiffre mille.

   J. Halbronn fait, une fois de plus, preuve d’une attitude évidente de partialité, d’incohérence et d’un manque de rigueur dans l’application de sa méthode d’analyse, lorsqu’il examine5 le passage de la Lettre à Henry sur le parachèvement de la miliade de quatrains. D’une part, la Bibliothèque DuVerdier (1585) mentionne une édition Benoist Rigaud, datée de 1568, comportant “Dix Centuries de propheties par Quatrains...”, une formulation précise qui n’incite pas à la tergiversation, mais qui peut tout de même faire l’objet de questionnement. D’autre part, il y a un extrait de la Lettre à Henry indiquant le parachèvement d’une miliade de quatrains, une expression vague et approximative qui, à la lumière d’une équivalence formelle comme myriade, ne vise raisonnablement pas à faire le décompte d’une quantité de mille exactement. Mais dans les circonstances, Halbronn se garde bien d’opter pour l’interprétation la plus simple et la plus probable ou, de se dispenser de conclure en l’absence d’arguments valables. Il préfère opérer un renversement de valeur, un détournement de sens qui répugnerait à toute personne de bonne foi et encore davantage à un historien qui se veut sérieux et crédible. D’un côté, il juge avec largesse le commentaire de DuVerdier sur les Dix Centuries en considérant que cela “... n’implique nullement des centuries pleines ...” De l’autre côté, il juge de façon très stricte et étroite une certaine miliade, somme toute, assez vague et indéfinie en affirmant sans ambages que “une Epître à Henri II faisant référence à une miliade parachevée de quatrains, … n’est possible, nous semble-t-il, que si la centurie VII n’est plus incomplète.” On pourrait comprendre qu’on puisse défendre, par souci de cohérence, une interprétation, soit très large, ou soit très stricte des deux expressions. Mais une interprétation lato sensu sur l’ensemble du puzzle aurait empêché toute conclusion permettant de disqualifier une édition datée de 1568 et contenant à la fois la référence à la miliade et les dix centuries, qu’elles soient complètes ou non. Et au contraire, une interprétation stricto sensu du sujet aurait apporté une forte présomption d’authenticité à une édition de 1568 contenant dès ce moment un corpus centurique déjà complété. Ce qui semble une voie que s’interdit J. Halbronn. Grâce à un joyeux contresens, l’historien des textes se permet une astuce de son cru en concluant que “La référence à la miliade n’a selon nous pas existé au XVIe siècle, ce qui montre que toute édition datée de 1568 qui la comporterait ne saurait être de ce siècle...” Pour le commun des mortels dix groupes de cent individus font bien mille personnes, tandis qu’une miliade de personnes, comme dans myriade, signifierait des centaines d’individus, ce qui demeure une quantité approximative et indéfinie. Mais Halbronn aura choisi de comprendre que dix centuries de quatrains peuvent être incomplètes, mais qu’une miliade de quatrains n’est possible qu’à la condition d’y trouver son compte exact de mille. Voilà un bel exemple de deux poids deux mesures, associé à une conclusion sans aucune nuance, sans la retenue et la part de doute salutaire qui teintent le jugement d’un chercheur authentique.

Mathieu Barrois
Québec, le 27 février 2004

Note

1 Cf. “Importance de l’an 1568 pour l’histoire des éditions centuriques”, Analyse 79 sur Espace Nostradamus. Retour

2 Cf. “La chronicité des événements dans la Lettre à Henry”, Analyse 73 sur Espace Nostradamus. Retour

3 Cf. Le mal et l’exil, dialogue avec Philippe de Saint-Cheran, Editions Nouvelle Cité, 1988, Paris, p. 112. Retour

4 Cf. Elie Wiesel, qui être vous ?, La Manufacture, Lyon, 1987, p. 54. Retour

5 Cf. “Sur les éditions du XVIe siècle connues et inconnues des Centuries”, Analyse 80 sur Espace Nostradamus. Retour



 

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