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ANALYSE

99

Un homme de la Renaissance
face aux tragédies du XXe siècle

par Mathieu Barrois

    Dans la Lettre à Henry, roy de France second, l’expression “l’abomination du premier holocauste” désigne un événement qui, de prime abord, a les apparences de ce que les témoins et les victimes du nazisme ont subi durant la deuxième guerre mondiale. Alors pourrait-on admettre le fait qu’un auteur du XVIe siècle ait pu utiliser un mot aussi peu banal que le mot holocauste dans le sens précis qui sera utilisé, mais pas avant le XXe siècle, en désignation des atrocités nazis ? Nous tenterons de démontrer dans notre analyse que l’auteur de la Lettre à Henry a pu décrire et nommer précisément les événements qui auront lieu quatre siècles plus tard. Nous tenterons aussi de montrer, ce qui s’avère une tâche bien plus délicate et périlleuse, qu’il ne s’est pas limité à présenter froidement les faits, mais qu’il a tenu compte aussi de l’opinion, de la sensibilité des victimes et d’une volonté de leur rendre justice dans l’interprétation qu’il fait des grandes tragédies de la première moitié du XXe siècle. En fait, les choses se présentent à nous comme un texte écrit quasiment sous la forme d’un témoignage et comme s’il avait jailli de la plume d’une victime ou d’un témoin de ces tragédies.

Localisation et mise en relation des mots

   Il est nécessaire de bien localiser et de situer les unes par rapport aux autres les différentes expressions retenues pour fin d’analyse. Le coeur de la Lettre à Henry se compose de deux parties introduites chacune par une chronologie. Nous retiendrons un extrait de la partie I et un extrait de la partie II qui seront analysés en relation l’un avec l’autre en soulignant les liens explicites et les liens tacites entre les mots.

Le plan de la Lettre à Henry

   Préambule - Première chronologie - Partie I - Deuxième chronologie - Parti II - Conclusion

L’extrait de la partie I1

   Puis le grand empyre de l’Antechrist commencera dans la Atila & Zerses descendre en nombre grand et innumerable, tellement que la venue du sainct Esprit procedant du 48. degrez fera transmigration, deschassant à l’abomination de l’Antechrist... & sera au moys d’Octobre que quelque grande translation sera faite, seront precedans au temps vernal & s’en ensuyvant apres d’extremes changemens, permutations de regnes, par grands tremblemens de terre, avec pullulation de la neufve Babylonne fille miserable augmentee par l’abomination du premier holocauste, & ne tiendra tant seulement que septante trois ans, sept moys...

   On voit se profiler l’enchaînement des mots qui crée le lien entre chaque expression :

Le grand empyre de l’Antechrist
L’abomination de l’Antechrist
L’abomination du premier holocauste.

   De là, le lien tacite se déduit logiquement. Dans la première partie de la lettre, nous avons le premier Antéchrist, issu d’un grand empire et initiateur du premier holocauste. Nous verrons si la deuxième partie de la lettre mentionne des événements liés à un deuxième Antéchrist initiateur d’un deuxième holocauste. Mais le fait de parler d’un premier holocauste, dans le sens où nous l’entendons pour désigner l’extermination des Juifs, est hautement contestable et l’objet d’une grande confusion. Les victimes de l’extermination programmée par les nazis revendiquent la spécificité et l’unicité de ce qu’on leur a fait subir. La perspective d’un premier, d’un deuxième ou d’un troisième holocauste viendrait banaliser les horreurs qu’ils ont vécues, et, ceci étant dit, sans nier et sans minimiser les souffrances des autres peuples qui ont été victimes de génocide au cours de l’histoire humaine.

L’extrait de la partie II2

   ... dans iceluy temps & en icelles contrees la puissance infernalle ... qui sera le second Antechrist, lequel persecutera... par moyen de la puissance des Roys temporelz, qui seront par leur ignorance seduitz par langues qui trencheront plus que nul glaive entre les mains de l’insensé : le susdit regne de l’antechrist ne durera que jusques au definement de ce nay pres de l’eage & de l’autre à la cité de Plancus accompagnez de l’esleu de Modone Fulcy par Ferrare maintenu par liguriens Adriaticques & de la proximité de la grande Trinacrie...., alors par grands deluges la memoire des choses contenues de telz instrumens recevra innumerable perte mesmes les lettres : qui sera devers les Aquilonaires par la volonté divine & et entre une foys lié satan.

   Dans la deuxième partie de la lettre, nous trouvons effectivement une référence à un second Antechrist, mais sans mention d’un deuxième holocauste. Si on ne trouve pas ici de lien clair et direct entre l’Antéchrist et l’holocauste comme dans la première partie du texte, c’est que, nous semble-t-il, on veut signifier le refus et, même davantage, l’impossibilité de bien nommer les évènements. Mais le lien tacite est souligné de façon exceptionnelle par la référence à la memoire des choses. Ce silence sur le mot holocauste, en même temps que ce choix de faire appel à la mémoire, exprime le caractère unique et spécifique de l’Evènement qu’il convient d’associer au second Antéchrist. Ces mots appellent aussi l’humanité entière à un devoir de mémoire. Et le refus de nommer, le refus de dire le mot Holocauste est en conformité avec ce qu’affirme Elie Wiesel, dans son dialogue3 avec Philippe de Saint-Cheran : “Personnellement, je n’aime pas ce mot, mais parce qu’il a été banalisé... Je ne m’en sers plus. Cela fait des années que je ne l’ai plus employé.

   La description détaillée qui est faite du second Antéchrist nous incite à l’appliquer au régime nazi et à la personne d’Hitler. La référence à l’aveuglement et à l’ignorance des chefs d’Etat séduits par l’éloquence d’Hitler et par son pouvoir magnétique sur les foules est bien rendue par cet extrait : Des Roys temporelz, qui seront par leur ignorance seduitz par langues qui trencheront plus que nul glaive entre les mains de l’insensé. Le personnage de Mussolini, allié d’Hitler, est décrit clairement ici comme l’enfant chéri de Modène et de Ferrare (l’esleu de Modone Fulcy par Ferrare). Il est fait mention de la perte de documents, la memoire des choses ... recevra innumerable perte mesmes les lettres, provoquée par grands deluges de feu qui s’est abattu sur Berlin lors du bombardement des Alliés, et des rares vestiges qui sont tombés entre les mains des Soviétiques (devers les Aquilonaires) à la fin de la guerre (une foys lié satan).

   Mais si le second Antéchrist correspond à Hitler, qui est le premier Antéchrist ? Et qui a été victime de cet événement qui peut être considéré comme le premier holocauste ? Il nous semble évident que le grand empire d’un Antéchrist ne peut pas mériter un tel qualificatif en raison de sa bienveillance, de sa générosité ou de sa magnanimité. Il ne pourrait avoir pour grandeur que son étendue. En ce sens, les grands espaces du vaste empire de Russie de la fin du XIXe et du début du XXe siècle conviennent tout à fait. Un régime tsariste despotique, ayant perdu ses attributs de despotisme éclairé à la Pierre le Grand ou à la Grande Catherine, un empereur qui a le pouvoir de vie ou de mort sur tous ses sujets et qui ne se prive pas de l’exercer à grande échelle, un régime qui même après l’abolition du servage continue de traiter ses paysans comme des bêtes mérite qu’on lui attribue le titre du grand empyre de l’Antechrist. L’Empire russe aura étendu ses tentacules vers l’Asie dans la Atila, jadis la contrée d’Attila, rois des Huns, qui inspira la crainte à cause de sa grande cruauté. Les conquêtes russes se poursuivront pour descendre en nombre grand et innumerable dans les territoires contrôlés par les Perses (écrit Zerses dans le texte, peut-être pour évoquer le nom de Xerxes). Ces contrées furent jadis la patrie de Xerxes, un conquérant perse qui a réprimé brutalement des révoltes d’Egypte et de Chaldée, ce qui permet de faire un lien avec la répression brutale des Turcs envers les Arméniens. Dans le conflit avec la Turquie, la Russie tsariste a distillé son venin en encourageant les Arméniens à former des légions combattantes et à déserter les armées turques. Il s’ensuivit une aggravation des tensions, le développement en Turquie d’une propagande anti arménienne et l’organisation de déportations et de massacres. La suite de l’histoire montre que les Arméniens ont été les victimes d’un génocide qui n’a jamais été reconnu par la Turquie. Les Arméniens ont défendu leur Cause sans succès durant toute la durée du XXe siècle afin que la communauté internationale reconnaisse l’existence du génocide de leur peuple, cet abomination du premier holocauste de 1915. Sauf erreur, aucun pays n’a reconnu à ce jour le génocide arménien, à l’exception de la France. Ce fait constitue une double tragédie pour le peuple arménien. En définitive, l’extermination des Juifs constitue l’innommable Evénement de la deuxième partie de la Lettre à Henry. Alors que le génocide arménien, le premier holocauste, devient la chose> qu’il faut nommer dans un souci de solidarité et de justice pour les victimes de cette tragédie.

La révolution d’octobre 1917

   Il nous semble que l’association systématique du terme holocauste à l’extermination juive par le grand empyre de l’Antechrist (en l’occurrence l’Empire germanique) a entraîné des interprétations erronées de l’extrait de la Lettre à Henry concerne la Révolution d’octobre en Russie. La Lettre à Henry est un modèle de clarté à certain égard et un modèle de précision à tout égard dans l’extrait sur la Révolution d’octobre. On y trouve un intervalle de temps touchant d’extremes changemens, permutations de regnes qui commence au moys d’Octobre et qui dure septante trois ans, sept moys. Il faut respecter avec une précision calculée au mois l’intervalle de temps désigné par l’auteur. Le Deuxième Reich allemand couvre 48 ans sous l’Empire de 1871 à 1919 et une période 14 ans sous la république de Weimar jusqu’à 1933. Si on ajoute une dernière période de 12 ans de 1933 à 1945 sous le Troisième Reich, ceci fait précisément 74 ans et un peu moins de quatre mois en partant de la proclamation de l’Empire allemand à Versailles le 18 janvier 1871 à la capitulation nazie le 8 mai 1945. Nous pensons que cette durée n’est pas suffisamment proche de l’intervalle indiqué dans l’épître, ce qui en fait une alternative à rejeter. D’autant plus, que la thèse d’un grand empyre de l’Antechrist s’appliquant à la période du IIe Reich, et particulièrement la période républicaine, serait peu vraisemblable. Il nous semble beaucoup plus pertinent de relier le contenu du texte à l’histoire de la Russie, à l’avènement de la révolution bolchevique et à la durée du régime communiste. La puissance évocatrice d’Octobre nous porte spontanément à penser à la révolution russe de 1917. Du 25 octobre 1917 au 30 mai 1991 du calendrier orthodoxe ou du 7 novembre 1917 au 12 juin 1991 de notre calendrier, date où le parti communiste soviétique a été chassé du pouvoir par Boris Elstine, il s’est écoulé 73 ans 7 mois et 5 jours. Cet intervalle nous semble suffisamment précis et déterminant. Nous trouvons dans l’extrait de l’épître d’autres précisions sur le contexte historique ayant précédé la révolution d’octobre. Les mouvements révolutionnaires, qui seront precedans au temps vernal, font référence aux événements du printemps 1917, la révolution de février, qui a provoqué la chute du régime tsarisme. La pullulation de la neufve Babylonne se veut une allusion à la grande affluence de gens vers Moscou, capitale retrouvée qui devient le siège du nouveau gouvernement soviétique. Finalement, il ressort du texte un sentiment de déception, une critique amère sur l’orientation prise suite à la Révolution russe. Malgré un formidable vent de changement amené par la révolution qui a chassé un régime abominable, ce grand empyre de l’Antechrist, il reste que par comparaison avec Marianne, fille et symbole de la Révolution française, la Révolution russe est demeurée la fille miserable d’un pays qui a continué à pratiquer la politique expansionniste et l’absolutisme du précédent régime. Le pouvoir soviétique s’est installé notamment dans des régions autrefois sous le contrôle de la Perse et de la Turquie, et ce fut le cas de l’Arménie après une brève période d’indépendance de 1918 à 1920. Ainsi l’URSS a vu sa puissance augmentee par l’abomination du premier holocauste.

Mathieu Barrois
Québec, le 20 mars 2004

Note

1 Réédition, Les Prophéties, Lyon, 1568, Editions Michel Chomarat, 2000, pp. 160 - 161. Retour

2 Réédition, Les Prophéties, Lyon, 1568, Editions Michel Chomarat, 2000, pp. 168 - 169. Retour

3 Cf. Le mal et l’exil, dialogue avec Philippe de Saint-Cheran, Editions Nouvelle Cité, 1988, Paris, pp. 86 - 87. Retour



 

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