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ANALYSE |
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Réponse à J. Halbronn |
La thèse de Jacques Halbronn tente de jeter un doute sur l’authenticité non seulement des éditions des Centuries, mais même sur leur paternité :
« Il fallait se rendre à l’évidence : rien neprouvait que les Centuries étaient parues du vivant de Nostradamus et même avant le début des années 1570 [...] On peut donc raisonnablement supposer que les quatrains centuriques ont pris modéle, sont un pastiche des quatrains des premiers almanachs conservés dans les recueils ad hoc. Faut-il rappeler, en outre, que la grande différence entre les deux catégories de quatrains est que les uns sont datés, associés à un mois d’une certaine année et que les autres ne le sont pas, il y a là comme une coupure épistémologique, au niveau de la précision chronologique, de l’absence de mode d’emploi, entre ces deux présentations qui confirme notre idée que Michel de Nostredame ne serait pas l’auteur des seconds. »
Il nous semble donc utile de rappeler brièvement qu’il existe des textes d’époque faisant référence aux épîtres et Centuries, dont l’authenticité n’est pas contestée. Le lecteur est ensuite renvoyé à la bibliographie, puis aux textes originaux.
1) Depuis des décennies, on trouve dans de nombreux ouvrages d’histoire une mention de l’association du quatrain X.39 à la mort de François II, en novembre 1560. La source est la correspondance de l’ambassadeur de Venise.
X.39
Premier fils vesve malheureux mariage
Sans nuls enfants deux Isles en discord,
Avant dix huict incompetant eage
De l’autre pres plus bas fera accord.
Les dix centuries ont donc été imprimées en totalité avant 1560, c’est-à-dire du vivant de Nostradamus. Il n’y a donc aucune raison de douter du fait que Nostradamus ait écrit ces dix centuries. Il n’y a pas plus de raison de douter a priori de l’édition de 1558 et a fortiori de celles précédentes (Cf. Pierre Brind’Amour, Nostradamus Astrophile, 1991, pp. 39 - 40 & 60 et Jacques Boulenger, Nostradamus et ses prophéties, 1943, p. 132)
2) Le pamphlet d’Antoine Couillart, en 1556, fait allusion à l’épître à César. Videl, en 1557, fait lui aussi allusion à cette épître à César :
« Non pas que j’entende & veille parler
de perpetuelles vaticinations pourd’ici l’an 3797... non seulement pour servir à
Martial mon fiz, l'aage duquel ne te veux celer, comme nostre maistre Nostradamus grand
philosophe & prophete, veult en son epistre tant espouventable taire les ans de Cesar ton
fils. »
« ... plusieurs volumes de l’occulte philosophie que par long temps ontestez cachez, luy ont
estez manifestez. Et puis tous ses belles reveryes qu’il dit les avoir brusléz, ou fait
un present a Vulcan &reduictz en cendres &c... Tu donc Michel, as composé (comme tu dis)
livres de propheties & les as rabotez obscurement, et sont perpetuelles vaticinations. »
(Cf. Pierre Brind’Amour, Nostradamus Astrophile, 1991, pp. 57 - 58)
Il faut donc bien supposer que l’épitre à César et les premières centuries sont parues en 1555.
3) Signalons enfin que César, dans son Histoire de Provence, traite (p. 782) de la mort d’Henri II survenue en 1559 avec le célèbre quatrain "Le Lyon jeune le vieil surmontera etc", non sans ajouter "Prophétie à la vérité estrange où pour la cage d’or se void le timbre Royal dépeint au vif qui accordant merveilleusement bien avec ce qu’il en avoit dit en quelque autre endroit en ces termes courts & couverts, L’Orge estouffera le bon grain, jeu de mot sur l’un des titres de celui qui le blessa mortellement en tournoi, Gabriel de Montgomery (1530 - 1574), seigneur de Lorges (d’où le jeu de mot sur L’orge). Au demeurant, ce dernier verset contribuerait, par sa précision suspecte, à faire dater les éditions qui le comporteraient d’après la mort du roi. (Jacques Halbronn)
En fait, le sujet est plus complexe. Dans la Pronostication nouvelle pour l'an 1562, Nostradamus félicite le prieur Jean de Vauzelles, qui a retrouvé le nom du meurtrier de Henri II, à partir de la dérivation grand / grain / grain d'orge / Gabriel de Lorges. Le quatrain concerné portant le numéro (III.55), on a donc une confirmation de la publication des trois premières centuries en 1562. Le quatrain est le suivant :
III.55
En l’an qu’un œil en France regnera
La court sera à un bien fascheux trouble ;
Le grand de Bloys son ami tuera
Le regne mis en mal & doute double.
Le passage de l’épître à Jean de Vauzelles, où Nostradamus félicite le destinataire pour sa perspicacité, est le suivant :
« […] comme quand j’en mis : Lors que en œil en France regnera. Et quand le grain de Bloys, son amy tuera, […] en infiny d’autres passages. Cela m’a causé une si grande amitié entre nous deux que je ne seray jamais en repos que nous soyons visitez par mutuelle personne. »
C’est Chavigny qui, dans un autre contexte, achève la dérivation grain / graind'orge / Gabriel de Lorges. César ne fait que reprendre une exégèse vraisemblablement devenue populaire.
Fort malheureusement pour la thèse de M. Halbronn, la dérivation n’étant pas évidente pour arriver à Gabriel de Lorges, il n’y a aucune raison de supposer qu’il s’agisse d’un faux rédigé a posteriori. Cela ne peut lui servir pour ensuite discréditer cette référence aux Centuries. (Cf. Pierre Brind’Amour, Nostradamus Astrophile, 1991, pp. 267 - 268)
4) Par ailleurs, l’analyse du texte des éditions de 1555 à 1611 démontre une évolution dans le temps. Ainsi, le vocabulaire est modernisé : absconse se substitue à esconse, fugitif à fuitif, peur à frayeur, statut à estatut, maintenant à asture, etc. Les graphies grecques disparaissent. Il est hors de question de développer ici ces aspects trop complexes.
5) Chavigny a très certainement utilisé l’édition de
1558. La démonstration, très raccourcie, tient en deux parties.
1) Il n'a utilisé qu'un seul exemplaire endommagé parce qu'il manque une partie d'un vers
à ses citations des quatrains (I.52) et (VIII.18), complets dans toutes les éditions connues.
2) Les transcriptions de Chavigny démontrent l’emploi d’un
texte ancien. Sans rentrer dans les détails, par exemple, il utilise les graphies
grecques dans les quatrains (I.81) et (IV.32), qui disparaissent dans les éditions
modernes. Encore une fois, il est hors de question de développerici ces aspects trop
complexes.
6) Au sujet du Guide de Charles Estienne (première publication) et des Voyages, nous avons un petit problème, car la rédaction de M. Halbronn est un peu confuse. En effet, nous ne connaissons pas le dernier ouvrage, Voyages, à moins qu’il ne s’identifie avec la seconde publication de Charles Estienne : Estienne (Charles), Les voyages de plusieurs endroits de France : & encores de la Terre Saincte, d'Espaigne, & autres pays, Les Fleuves du royaulme de France, chez Charles Estienne, Paris, 1552.
Quoi qu’il en soit de cette identification, M. Halbronn aurait pu avoir l’amabilité de nous citer : à notre connaissance, nous sommes le premier a avoir fait référence à ce titre et certainement à lui faire remarquer la concentration des citations dans les trois dernières centuries. Nous sommes donc d’accord avec l’auteur s’il considère que Nostradamus a utilisé ce second guide autant que le premier. Nous serions en total désaccord s’il affirmait que le Voyage est un autre ouvrage : il faudrait démontrer que Nostradamus a utilisé l’un plutôt que l’autre. Pour un autre point de vue sur le sujet des désignations géographiques, nous renvoyons à la référence http://www.geocities.com/connetable.fr/geographie.htm ou mieux à un texte mis à jour, joint en annexe, que M. Benazra aura peut-être l’amabilité de publier. Le texte est évidemment en faveur de l’unité des Centuries, de la nature hermétique du texte et de l’identification de leur auteur comme étant Michel Nostradamus.
En conclusion, supposer que toutes les éditions sont l’œuvre de faussaires est une hypothèse peu sérieuse, qui fait fi des textes. Compte tenu de ce qui a déjà été dit plus haut, elle ne mérite pas une réponse plus détaillée. Il est sûr et certain que Nostradamus a publié des épîtres et dix Centuries de son vivant, les premières en 1555, les autres au plus tard en 1560. Il n’y a aucune raison de supposer que les premières éditions connues soient toutes des faux.
Annexe
Ainsi que le docteur Leroy l'a fait remarquer, les dénominations géographiques citées dans les Centuries nous éclairent sur les pérégrinations de son auteur, à une époque où les dictionnaires et les atlas sont rares, les noms de lieux ne peuvent être connus que par les pérégrinations personnelles, les récits de voyageurs et quelques rares ouvrages spécialisés. D'une manière générale, les lieux de faible renommée ne peuvent être connus, à moins d'avoir été traversés par l'auteur. Nous les avons donc retenus en priorité pour découvrir les régions visitées par Nostradamus.
Comme la reconnaissance des noms propres, à l'orthographe incertaine, est une tâche difficile, on n'a retenu que ceux identifiés d'une manière à peu près sûre. Cette identification retient les noms qui apparaissent directement dans la phrase ou à travers un jeu de mots évident. Par exemple, à la lecture du vers « A la Ferté prendra la Vidame », il est admis que Nostradamus connaît l'existence de la Ferté-Vidame. La répétition de dénominations appartenant à une même région donne une garantie statistique contre les erreurs possibles. D'une manière générale, comme rien n'est systématique chez Nostradamus, les énumérations sont des argumentations qui n'ont qu'une valeur statistique.
Les noms sont donnés avec leur orthographe moderne. La Provence et le sud de la Vallée du Rhône sont abondamment citées : Alleins, Equilles, mont Gaussier, Orgon, Saint-Paul-de-Mausole, Saillans, Vernègues et Tricastins. L'Italie du Nord apparaît aussi, puisque l'auteur y fait un voyage entre 1547 et 1548 : Albisola, Buffalore, Carcara, Chivasso, Mortara, Nole et Pesquieres. Le Languedoc et le Sud-Ouest sont aussi présents : Baïse, Bazas, Belvezer, Bigorre, Blaye, Cailhau, Condom, Gange, Langon, Mazères, Millau, Mirande, Mézin, Nay et Tuchan. Le Massif Central est parcouru : Caussade, Charlieu, Lauragais et Pradelles. Plus au nord, les toponymes deviennent moins nombreux. Il apparaît néanmoins une remontée le long des Vallées du Rhône et de la Saône : Hautevelle, Laignes, Nuits-Saint-Georges et Viviers. Le Jura est effleuré : Bletterans et Dôle. On arrive ensuite dans l'Est : Monthureux-sur-Saône, Varennes-en-Argonne, Saint-Nicolas-de-Port et Saulnes ; puis dans le Nord : Arques, Leye (rivière), Quintin, Scarpe (rivière) et Therouanne. On retrouve le Sud avec une incursion en Savoie : Bourget, Bourgoin, Saint-Julien, Montmélian et Maurienne. Plus hypothétique, mais néanmoins possible, serait une poussée jusqu'aux confins de la Bretagne. Les dénominations sont moins évidentes : Ambillou, Arbrissel, Blavet, Carcagny et Madré. La connaissance de la région parisienne est évidente : Antony, Bourg-la-Reine, Breteuil, la Ferté-Vidame, Goussainville, Montlhéry, Vincennes et Vitry. Excepté Vincennes, ces noms n'apparaissent cependant que dans les centuries VIII et IX, publiées après son voyage à Paris en 1555. Ce dernier fait démontre que les noms des localités secondaires sont bien liés à des pérégrinations. Le Sud, le Sud-Ouest, le Massif-Central et même la Savoie correspondent à des pérégrinations tout à fait normales pour un médecin provençal. En revanche, l'expédition vers le Nord est plus surprenante, mais elle est confirmée par quelques témoignages de ses contemporains. Enfin, ce qui est absent étant aussi significatif que ce qui est présent, notre opinion est que les seuls lieux visités par Nostradamus sont ceux qu'il a cité : s'il avait visité d'autres régions, les itinéraires identifiés n'auraient pas été aussi particularisés. Les références aux grandes villes de France et d'Europe complètent ce que révèlent les lieux-dits. Que les grandes villes d'Espagne et d'Italie soient citées est normal, puisque la Provence est alors tournée vers le Sud. Confirmant l'expédition dans le Nord, la Belgique elle aussi est mentionnée : Anvers, Bruxelles, Gand, Liège, etc. Les références à l'Allemagne et la Suisse sont plus étonnantes (Augsbourg, Bâle, Francfort, Genève, Lübeck, Nuremberg, Wittenberg, etc.) au regard de la quasi-absence des noms de villes d'Angleterre et des Pays-Bas. La comparaison avec la toponymie présente dans les almanachs rédigés par Nostradamus est aussi révélatrice. On n'y retrouve aucun lieu-dit, mais en revanche, outre les villes citées dans les Centuries, la plupart des autres métropoles européennes apparaissent : Berne, Constantinople, Cracovie, Edimbourg, Louvain, Prague, Trèves, etc. On pourrait en dire autant des noms de pays. Ceci est déjà un premier indice du caractère crypté des Centuries : l'auteur a utilisé son expérience comme matériel littéraire pour écrire un texte à double sens, car il serait étonnant qu'il ait préféré prophétiser sur le sort de Hautevelle plutôt que sur celui de Prague.
Nous avons identifié une pérégrination de Michel de
Nostredame, inconnue à ce jour : la Hongrie(Pannonie). D'un côté, son identification a
été très difficile, car aucun guide du XVIe ou XVIIe siècle ne
décrit cette contrée ; de plus, les noms qui apparaissent dans les Centuries
sont corrompus. D'un autre côté, cette lacune renforce la thèse d'une
expérience personnelle. Le fait que tous les toponymes cités soient
concentrés dans deux quatrains consécutifs (X.61) et (X.62) exclut
néanmoins le hasard. Contexte défini par le quatrain Toponyme à
identifier.
Identification :
Betta, Emorre, Vienne Sacarbance Scarabantia
Emorre, Vienne, Sacarbance Betta Bettaw
Dalmatie, Esclavonie, Ravenne Balenne Balina
Ongrie, Bude, Sclavonie Sorbin Saboria ?
Betta, Vienne, Sacarbance Emorre Emona
Vienne est la capitale de l'Autriche.
La Dalmatie est au sud de la Pannonie.
L'Esclavonie (ou Sclavonie) est coincée entre la Dalmatie et la Pannonie.
Bude est la ville de Buda(pest).
Ravenne est une ville d'Italie, sur la côte Adriatique.
Non seulement Bettaw (Pettaw, Pettau, Poetovio, Saboria (Savoria) et Scarabantia sont trois localités très proches l'une de l'autre, mais, avec Emona, elles se trouvent sur la route reliant l'Italie à Budapest.
Sachant que Nostradamus entreprend un voyage en Italie en 1556 - sur lequel on ne sait rien - et que la référence à l'itinéraire vers Budapest apparaît dans la dernière centurie, publiée en 1558, il est tentant de dater son expédition en Hongrie de cette époque. Elle aurait aussi pu être réalisée après son mariage ou dans sa prime jeunesse, mais ces dernières hypothèses sont moins probables car à l'époque les voyages sont difficiles et coûtent cher. En effet, comme Budapest est tombé aux mains des Turcs en 1541, un périple en Hongrie n'a rien à voir avec la vie itinérante d'un médecin en France.
Dans les Centuries, Nostradamus ne mentionne pas que des noms de localités, de provinces ou de rivières. Il est bien connu qu'il fait de nombreuses allusions aux curiosités de sa région natale. Mais, dans au moins deux quatrains (cf. VIIII.30, VIII.40), il fait aussi allusion à la métropole du Languedoc et à son histoire : paroisses toulousaines de Taur et de la Daurade ; lieu-dit du Bazacle ; l'or de Toulouse jeté dans un lac, le martyr de Saint Saturnin, etc. Le quatrain ci-dessous, d'après l'édition de Benoît Rigaud en 1568, contient quatre allusions à la ville de Toulouse :
VIII.40
Le sang du Juste par Taurer la daurade,
Pour se venger contre les Saturnins
Au nouveau lac plongeront la maynade,
Puis marcheront contre les Albanins.
Le commentaire de Pierre Brind'Amour est le suivant : « Evénements divers en Turquie, dont vengeance contre les Saturnins ; voir le commentaire plus haut au quatrain C V, 24 ». Ce commentaire est relatif à l'identification classique des Juifs avec les Saturnins. En note de « Dorade », il ajoute : « Par Taurer la daurade (1611, Le Pelletier), par Taur & la Dorade (1688). Par la région de la chaîne des monts Taurus et de la Doride en Turquie méridionale ». De là, la déduction par l'auteur d'événements impliquant la Turquie. Sans préjuger du sens caché, cela n’est certainement pas le sens littéral, ainsi que l’affirme Pierre Brind’Amour.
L’étude méthodique des désignations géographiques contribue à la démonstration du caractère hermétique du texte.
En 1552, Charles Estienne fait paraître Le Guide des chemins de France puis Les voyages de plusieurs endroits de France & encores de la Terre Saincte; d'Espaigne, & autres pays, Les fleuves du royaulme de France. Ces ouvrages, les premiers du genre en France, décrivent des itinéraires. Nous y retrouvons quelques-uns des noms de localités secondaires cités dans le premier chapitre. Les variations orthographiques et les lacunes des guides démontrent néanmoins que l'expérience de Nostradamus a été sa source d'inspiration. Il n'en est pas de même pour les autres itinéraires que nous allons présenter.
Le premier relie Saint-Jean-de-Luz à Compostelle : Arnany, Chaldondon, Salvaterra, Verbiesque, Burges, Ponteroso, Formande, Capadille, Brisane, Peligoux, Leon, Le Pont de Laigue et Villefrancque. Le second itinéraire conduit à Barcelonne : Tuchiam, Parpignan, Maupertuys, Jonchère, Figuières, Chastillon, Montserrat et Barcelonne. Le troisième relie Bâle à Rome : Sterne, Minuze, Grisons, Thesin, Parpamet Bourgoing. Le dernier correspond à une excursion dans l'Adriatique : Zara, Cassichet Mortara. On pourrait supposer que Nostradamus a réellement parcouru ces itinéraires, si tous ces noms n'apparaissaient que dans les trois dernières centuries. Cette concentration est d'autant plus suspecte que les localités de la région parisienne, elles aussi, apparaissent exclusivement dans ces trois dernières centuries. Enfin, un dernier emprunt au Guide des chemins de France a été effectué. Le commentaire la forest de Torfou essartee, associé à l'itinéraire passant par Montlehery, L'hermitage et Estampes, semble avoir inspiré le premier vers du quatrain :
IX.87
Par la forest du Touphon essartee,
Par hermitage sera posé le temple,
Le duc d'Estampes par sa ruse inventee,
Du mont Lehori prelat donra exemple.
La conclusion est que Nostradamus n'a composé les trois dernières centuries qu'après avoir acheté les guides de Charles Estienne, à Paris ou à Lyon, en 1555. Le corollaire est que la composition des six cent quarante premiers quatrains est à peu près achevée avant le voyage à la Cour. Seules les trois cent derniers sont rédigés postérieurement.
L'étude fréquentielle appliquée à quelques noms de pays démontre aussi la non indépendance des quatrains. Cette conclusion, sans rapport avec le caractère hermétique, implique l'existence d'une structure dans la composition. La conséquence est que toute interprétation isolée d'un des quatrains est une faute méthodologique grave. La généralisation de cette conclusion est que l'exégèse suppose un regroupement des quatrains par thème.
Nous allons maintenant confirmer la suspicion de la nature hermétique du texte. Comme nous l'avons déjà dit, il est suspect qu'un prétendu prophète préfère vaticiner sur le sort de Hautevelle et de Chaldondon plutôt que sur celui de Prague. Il est aussi franchement anormal que son texte soit un tissu d'aberrations composé de jeux de mots sur des désignations géographiques. Par exemple, le quatrain :
IX.67
Du hault des monts à l'entour de l'Izere
Port à la roche Valen. cent assemblez
De chasteau neuf pierre late en donzere,
Contre le crest Romans soy assemblez.
est construit à partir de noms de localités de la Drôme : Valence, Châteauneuf-du-Pape, Pierrelate, Donzère, Crest, Romans. Ajoutons l'Isère qui se jette dans le Rhône. La règle générale est l'appartenance des noms cités à une même zone géographique (e.g. VIII.40, VIII.47, VIII.48, IX.15, IX.31, IX.39, IX.87), mais les associations sont parfois aberrantes. Ainsi, dans le quatrain :
I.89
Tous ceux de Ilerde seront dedans Moselle,
Mettant à mort tous ceux de Loire & Seine :
Secours marin viendra pres d'haute velle,
Quand Hespaignols ouvrira toute veine.
Ilerde (Lérida) est une ville de Catalogne bien loin de la Moselle, et Hautevelle en Haute-Saône n'a rien d'un port de mer. Ces analyses ne livrent certes pas le secret du message, mais l'accumulation de ces indices dément l'a priori de nombreux critiques : le texte n'est pas une vaticination déstructurée à prendre à la lettre.
Enfin, en vue de donner un sens littéral, il est inutile de rechercher des altérations des termes non identifiés pour les ramener à des mots connus. Ainsi, dans le quatrain incompréhensible ci-dessous :
VIII.48
Saturne en Cancer, Jupiter avec Mars,
Dedans Fevrier Chaldondon salvaterre :
Sault Castallon assaily de trois pars,
Pres de Verbiesque conflit mortelle guerre.
Le choix de certains termes s’expliquer par le fait que l’itinéraire qui relie Saint-Jean-de-Luz à Compostelle comprend les étapes Chaldondon, Salvaterra et Verbiesque . Le plus souvent, il n’y a pas de sens littéral : l’auteur s’amuse simplement à composer un texte sans queue ni tête à partir d’éléments empruntés à un autre. Aussi transformer le texte et l’interpréter n’est pas lui donner son sens littéral, mais rechercher le sens caché.
L'Espagne et les Espagnols apparaissent dans 27 quatrains : I.19, I.71, I.89, II.39, III.8, III.25, III.54, III.68, III.78, III.86, IV.2, IV.3, IV.5, IV.36, IV.54, IV.94, V.14, V.49, V.55, V.59, V.87, VI.12, VI.15, VIII.54, IX.25, X.48 et X.95. La concentration des occurrences dans les centuries III, IV et V est incompatible avec l'hypothèse d'une répartition aléatoire. A titre de comparaison, le même type de statistique est réalisé pour la France et les Français, qui apparaissent dans 27 quatrains : I.34, I.73, I.78, II.2, II.34, III.15, III.23, III.24, III.27, III.55, III.99, IV.2, IV.92, V.42, V.49, V.77, VI.12, VI.16, VII.3, VII.39, VIII.4, VIII.46, IX.52, IX.55, IX.58, X.16 et X.26. Cette fois-ci la répartition est aléatoire, avec quelques fluctuations tout à fait normales. Cet exercice n'est pas répété sur d'autres désignations géographiques, car les occurrences sont alors trop peu nombreuses. La conclusion de la première statistique est que, en ce qui concerne l'Espagne, les quatrains n'ont pas été rédigés indépendamment les uns des autres.
« Connetable »
Note
Suivant la loi de probabilité
binomiale, le nombre moyen d'occurrences dans ces trois centuries devrait être n ´p où
n = 27 et p = 300 / 940, puisque sur un total de 940 quatrains, 300 appartiennent aux centuries
III, IV et V. La valeur moyenne théorique est égale à 8,6 alors qu'on
comptabilise 16 observations. L'écart-type vn p (1 - p) est égal à 2,4.
L'écart entre la théorie et l'observation étant supérieur à
trois fois l'écart-type, la probabilité d'une répartition due au seul
hasard est inférieure à un pour cent. Si on conteste l'arbitraire de la
sélection des trois centuries médianes, en revanche la rédaction
postérieure des trois dernières centuries est démontrée. Un calcul
similaire conduit alors à une valeur moyenne égale à 18,4 pour les sept
premières centuries, alors qu'on comptabilise 23 observations. L'écart-type est
inchangé. La différence entre la théorie et l'observation étant
encore égal à deux écart-types, la probabilité d'une
répartition due au seul hasard est inférieure à quelques pour cent. Retour
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