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ANALYSE |
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L’appareil iconographique des éditions Macé Bonhomme |
L’imprimeur et libraire Macé ou Mathieu Bonhomme est reconnu pour sa production d’un assez grand nombre d’ouvrages ornés de frises et d’encadrements, illustrés de gravures et de belles lettrines dans le texte, matériel iconographique dû en partie aux dessinateurs Pierre Vase et Georges Reverdi. L’essentiel de son activité se situe à Lyon dans les années 50. Suite à un conflit dans les milieux de l’imprimerie lyonnaise, il quitte la capitale de l’imprimerie pour s’installer à Vienne, au sud de Lyon, et y restera un peu plus d’une année. En 1548, il s’associe avec Guillaume Rouillé, l’éditeur de Richard Roussat, et partage avec lui plusieurs éditions dont les fameux Emblèmes d’Alciat. En 1552 il ouvre une librairie à Avignon, puis un atelier d’imprimerie, qui seront tenus par son frère cadet Barthélémy jusqu’en 1557. Ce dernier imprime notamment en 1555 une traduction par Vaisquin Philieul de Carpentras des oeuvres de Pétrarque.
Je m’intéresserai principalement dans cette étude à la description iconographique des ouvrages imprimés à Lyon par Macé Bonhomme en relation avec les tampons et marques d’imprimerie de l’édition des Prophéties de Nostradamus, celle de 1555, tels qu’ils apparaissent dans la copie conservée par la médiathèque d’Albi, et dans celle de la bibliothèque de Vienne en Autriche.
L’ouvrage comprend 46 folios, dont 91 pages sont imprimées. Les différentes sections de l’ouvrage, non paginé, s’ordonnent comme suit:
folio A1r frontispice (p.1)
folio A1v privilège (p.2)
folios A2r-B4v préface sur 14 pages (p.3-16)
folios a1r-c3r centurie 1 sur 21 pages (p.17-37)
folios c3v-f1v centurie 2 sur 21 pages (p.38-58)
folios f2r-h4r centurie 3 sur 21 pages (p.59-79)
folios h4v-k2r centurie 4 sur 12 pages (p.80-91)
Les pièces iconographiques sont les suivantes:
- fleuron 1 et vignette (astrologue-érudit à sa table de travail) en page 1
- bandeau 1 et lettrine T au début de la préface (p.3)
- bandeau 2, fleuron 2 et lettrine E au début de la centurie 1 (p.17)
- fleuron 3 (inversé) à la fin de la centurie 1 (p.37)
- bandeau 2, fleuron 2 et lettrine V au début de la centurie 2 (p.38)
- fleuron 3 à la fin de la centurie 2 (p.58)
- bandeau 2 et lettrine A au début de la centurie 3 (p.59)
- fleuron 3 à la fin de la centurie 3 (p.79)
- bandeau 2, fleuron 2 et lettrine C au début de la centurie 4 (p.80)
- fleuron 3 à la fin de la centurie 4 (p.91)
La copie de Vienne présente quelques différences:
- fleuron 4 à la fin de la centurie 1 (p.37)
- fleuron 4 à la fin de la centurie 2 (p.58)
- bandeau 2 inversé au début de la centurie 3 (p.59)
L’appareil iconographique comprend donc au total 1 vignette, 2 bandeaux, 3 ou 4 fleurons, 5 lettrines.
Ces marques d’imprimerie figurent dans des ouvrages parus chez Macé Bonhomme entre 1552 et 1560, et par exemple dans les ouvrages suivants:
Barthélemy Aneau, Picta poesis, 1552
Barthélemy Aneau, Imagination poetique, 1552
Guillaume de La Perrière, Les considerations des quatre mondes, 1552
Guillaume de La Perrière, La morosophie, 1553
Alfonso Ferri, De sclopetorum, 1553
Pierre Coustau, Pegma cum narrationibus philosophicis, 1555
Ovide, Trois premiers livres de la Métamorphose, 1556
François Boussuet, De arte medendi, 1557
Roger Bacon, De l’admirable pouvoir et puissance de l’art, 1557
Roger Bacon, Le miroir d’Alquimie, 1557
Antonio de Guevara, Epistres dorées, moralles et familieres, 1558-1560
Pierre Coustau, Le pegme, 1560/
La plupart de ces traités, à l’exception des ouvrages de Bacon, appartiennent à la florissante littérature emblématique, avec gravure et pièce latine ou française versifiée, selon la version, suivies éventuellement d’un commentaire philosophique ou moral. L’enseignement se divulguait à la Renaissance, par le texte aussi bien que par l’image, et par morceaux.1
La vignette des Prophéties (1555) est propre aux ouvrages de Nostradamus. Elle s’inspire de la Prognostication nouvelle pour l’an 1555, mais sans l’encadrement zodiacal. On la retrouve en 1557 dans la Paraphrase de Galien et dans l’édition Antoine du Rosne des Prophéties (copie de la bibliothèque d’Utrecht).
Les deux bandeaux sont présents dans l’ouvrage de Boussuet (1557). Le premier figure à l’index du Pegma de Coustau (1555). Il est accompagné dans les deux ouvrages du deuxième petit fleuron qu’on retrouve aussi dans Le miroir d’Alquimie de Roger Bacon (1557). Quant au petit fleuron du frontispice, on le découvre, inversé, dans l’ouvrage d’Alfonso Ferri (1553), à moins que ce ne soit dans les Prophéties qu’il ait été retourné, et à l’endroit dans la traduction d’Ovide (1556), et aussi dans les Noelz et chansons de Nicolas Martin (Macé Bonhomme, 1556, p.65 et p.95).
Les lettrines T et A figurent aux Epistres de Guevara, la lettrine C chez Ferri (1553), la lettrine V dans La morosophie de La Perrière (1553). On trouve encore la lettrine A dans l’ouvrage de Roger Bacon, De l’admirable pouvoir et puissance de l’art, imprimé à part des autres livres du Miroir d’Alquimie en 1557. Ces lettrines proviennent d’alphabets dessinés par Georges Reverdi pour les imprimeurs Thibaud Payen et Macé Bonhomme.2
Les fleurons 3 et 4 figurent dès 1552 dans les versions latine et française de l’ouvrage de Barthélemy Aneau, le fleuron 3 en pages 63 et 130 de l’Imagination poetique et, par exemple, aux folios D5r et F5r de la Picta poesis, et le fleuron 4 de la copie de Wien aux folios A4v, C2r, C5r, E7v, G4v, etc, du même ouvrage. La multiplication des fleurons de toutes sortes en bas de page montre que l’imprimeur, en 1552, ne lésinait pas sur l’encrage. On trouve encore le fleuron 3 dans l’ouvrage de Guevara (1558) et dans Les considerations des quatre mondes du toulousain La Perrière (1552), mais inversé comme à la fin de la centurie 1 des Prophéties (copie d’Albi). Ces fleurons figurent aussi dans le Pegma de Pierre Coustau (1555), le fleuron 3, une dizaine de fois et parfois inversé, aux folios a7v, B4r, D1v, G6v, H3v, etc, et le fleuron 4 aux folios B7r, D5r, etc. On les retrouve encore en 1560 dans la traduction française de l’ouvrage par Lanteaume de Romieu, pour le fleuron 3 aux folios E6r (p.75), G2r, O1v, etc, mais pas aux mêmes emplacements que dans la version latine.
Henri Baudrier (1815-1884) recense l’édition Macé Bonhomme de 1555, mais il semble qu’il ne l’ait pas consultée, comme en témoigne l’absence de marques de séparation des différentes lignes du titre, contrairement à de nombreux autres ouvrages recensés. Baudrier mentionne deux copies manquantes, celle de l’Arsenal et celle d’Orléans, et s’appuie sur le Manuel de Jacques-Charles Brunet (1820; 1860) et sur Antoine Péricaud (1825). Baudrier signale aussi une édition d’Avignon qui aurait été publiée par Pierre Roux en 1555, d’après une mention sise à la fin de l’édition d’Anvers de 1590, parue en pleine crise ligueuse. Klinckowstroem (1913), Ruzo (1975) et Benazra (1990) reprendront cette hypothèse douteuse.
L’édition d’Anvers, à sept centuries, ne peut reproduire une édition de 1555 qui n’en contenait que quatre. De plus un certain Roux d’Avignon en 1557 et Pierre Roux par la suite, est l’imprimeur d’adversaires de Nostradamus, Hercules Le François (1557) et Laurent Videl (1558), peut-être le même homme comme le suggère Halbronn dans son CATAF (CURA, 2001) ainsi que d’un almanach suspect, celui pour l’an 1563, dédicacé en italien au capitaine Françoys Fabrice de Serbellon. Si cette édition d’Avignon a vraiment existé, il est plus vraisemblable qu’elle soit sortie des presses de Macé Bonhomme lui-même ou de son frère exerçant tous deux à Avignon à cette date. Le privilège de l’édition de 1555 est daté du 30 avril 1555 et est accordé pour deux ans au seul Macé Bonhomme, et l’achevé d’imprimer est du 4 mai 1555. Or d’après un acte conservé aux Archives du Vaucluse, Macé Bonhomme et son frère, sont précisément à Avignon le 8 juin 1555 pour l’acquisition d’une maison.3 C’est à cette époque que les frères Bonhomme auraient fait imprimer l’hypothétique édition d’Avignon de 1555.
Dans sa Morosophie (1553), dédicacée à Antoine de Bourbon, le toulousain Guillaume de La Perrière (1499-1565) écrit: j’ay autresfoys usé à l’autre Centurie d’Emblemes, que pieça je dediay à la feu Royne de Navarre (f B1r). Il s’agit de son ouvrage Le Theatre des bons engins, auquel sont contenuz cent Emblemes moraulx, paru à Paris en 1539, réédité à Lyon chez Jean de Tournes en 1545, et dont une première version, sans lieu ni date d’impression, daterait de 1536 (Lyon, Denis de Harsy). Et dans son premier ouvrage imprimé par Macé Bonhomme (1552), Les considerations des quatre mondes, à savoir est : Divin, Angelique, Celeste, & Sensible : comprinses en quatre Centuries de quatrains, Contenans la Cresme de Divine & humaine Philosophie, la mention de centurie apparaît dans le titre et dans les différentes sections de l’ouvrage. Il est probable que cet antécédent ait conduit Macé Bonhomme, le premier éditeur des Prophéties, à faire de même pour l’ouvrage de Nostradamus.
L’ouvrage comprend 429 quatrains, décasyllabiques à rimes croisées comme dans les Prophéties, diverses autres pièces versifiées et plusieurs préfaces. Le privilège, en date du 11 août 1551, est aussi accordé aux libraires toulousains Jean Moulnier et Jean Perrin, pour une durée de dix ans. La hiérarchie des quatre mondes de La Perrière est assez banale (mondes invisibles: divin et angélique ; mondes visibles: céleste et sensible, lesquels correspondent au modèle aristotélicien), comme le sont ses quatrains. Pas de quoi en faire un modèle pour Nostradamus.
Un autre protagoniste de cette édition pourrait être l’ami et correcteur de l’éditeur, Barthélemy Aneau (c.1505-1561), édité par Bonhomme en 1552, et qui traite aussi de centuries dans un ouvrage paru en 1549: les Decades de la description, forme, et vertu naturelle des animaulx, tant raisonnables, que Brutz (Lyon, Balthazar Arnoullet). Aneau confie son vaste projet à la fin de sa préface: Lesquelles Decades, si nous voyons qu’elles soyent agreables, & bien receues: nous faisons foy par la presente epistre qu’elles multiplieront & croistront: de Decades en Centuries, de Centuries en Chiliades, de Chiliades par aventure en Myriades, Dieu aydant, qui nous doint grace de bien commancer, mieulx poursuyvre, & tres-bien achever. (fol. A3v)
Toujours dans sa Morosophie, La Perrière emploie le terme carmina pour désigner ses quatrains (fol. B2r). Il s’agit bien là d’une confirmation que les trois ou quatre cens carmes auxquels Antoine Couillard fait allusion dans ses pseudo Prophéties de 1556 (Paris, Jan Dallier) ne sont autres que les 354 quatrains parus dans l’édition Macé Bonhomme de 1555. Comme l’observe Robert Benazra: Lorsque le Seigneur du Pavillon lez Lorriz écrit à propos de l’auteur dont il paraphrase le texte (celui de César), qu’il a avec labeur merveilleuz faict trois ou quatre cens carmes de diverses ténébrositez (fol. E2v), il ne fait nul doute que nous avons là une allusion très claire aux quatrains qui suivent la Préface à César.4
Une autre particularité de l’édition Bonhomme des Prophéties est l’inscription de la mention FIN à la fin de l’ouvrage, juste avant l’achevé d’imprimer. C’était une habitude de l’imprimeur, qu’on observe assez fréquemment comme par exemple dans Le miroir d’Alquimie de Bacon ou sous la forme FINIS dans le traité latin de François Boussuet.
En revanche je n’ai pu retrouver dans aucun de ces ouvrages, ni dans le recensement établi par Baudrier, l’orthographe assez rare Chés Macé Bonhomme au frontispice des Prophéties, laquelle apparaît également dans l’édition Antoine du Rosne de 1557 (exemplaire d’Utrecht). Cependant cette orthographe est attestée dans divers ouvrages parus à Lyon à cette époque, surtout dans les années 40, à savoir:
- Ordonnances royaulx sur le faict de la justice, Lyon, ches Thibault Payen, 1539
- La chirurgie de Paulus Aegineta, Lyon, chés Estienne Dolet, 1540
- La manière de bien traduire d’une langue en aultre, Lyon, chés Estienne Dolet, 1540
- Les epistres familiaires de Marc Tulle Cicero, Lyon, ches Estienne Dolet, 1542
- La plaisante et ioyeuse histoyre du grand Geant Gargantua de François Rabelais, Lyon, chés Estienne Dolet, 1542
- La magnificence de la superbe et triumphante entree de la noble & antique cité de Lyon faicte au Treschrestien Roy de France Henry deuxiesme de ce nom, Lyon, chés Guillaume Rouille, 1549
- Exultation et louange à Dieu, de la prinse de Calais, Lyon, chés Antoine du Rosne, 1558
Tous ces éditeurs ont été liés à Macé Bonhomme et/ou à Nostradamus d’une façon ou d’une autre: Thibault Payen avec qui Bonhomme a partagé certaines marques d’imprimerie, notamment certains des fameux alphabets de Georges Reverdi, Guillaume Rouillé qui a partagé de nombreuses éditions avec Bonhomme et avec qui il a établi un contrat d’imprimerie les liant jusqu’en 1561, Antoine du Rosne qui reprend la publication des Prophéties en 1557, y compris la vignette du frontispice et le fleuron 2 de l’édition de 1555, enfin le fameux Étienne Dolet, auteur et imprimeur, martyr des guerres de chapelles, de croyances et d’intérêts, condamné, pendu et brûlé à Paris en 1546 le jour de ses 37 ans, et dont les affinités et les éventuelles influences sur les idées et positions de Nostradamus restent à éclaircir.
Dolet est l’auteur d’un manuel d’orthographe paru en 1540. Il est intéressant de noter ses positions avancées concernant l’orthographe du /é/ au pluriel des noms: Je te veulx advertir en cest endroict d’une mienne opinion. Qui est, que le, é, masculin en noms de plurier nombre ne doibt recepvoir ung, z, mais une, s, & doibt estre marcqué de son accent, tout ainsi qu’au singulier nombre. Tu escriras doncq voluptés, dignités, iniquités, verités: & non pas voluptéz, dignitéz, iniquitéz, veritéz.5
La description iconographique et matérielle de l’édition de 1555 ne suffit pas à elle seule à mettre fin aux soupçons concernant son authenticité, alimentés principalement par les spéculations de Jacques Halbronn depuis son article de 1998 jusqu’à ses plus récents développement sur le Site Espace Nostradamus. En revanche, la datation du papier pourrait y mettre un terme définitif. On peut d’ores et déjà avancer qu’il est fort improbable que des faussaires, quels qu’ils soient, même les imaginant travaillant en collaboration et avec des moyens matériels importants, aient pu reconstituer une telle bibliothèque des oeuvres de l’imprimeur lyonnais Macé Bonhomme environ trente ans après, et aient réussi à commanditer des experts graveurs capables d’en reproduire les marques d’imprimerie.
De même l’analyse sémantique des quatrains de l’édition de 1555 ne permet pas de trancher en faveur d’une quelconque manipulation ou instrumentalisation du texte de Nostradamus, contrairement à ce qui est incessamment réaffirmé par son détracteur, sans en fournir les preuves qui lui sont demandées. On pourrait même penser qu’en la matière et compte tenu de son hypothèse spéculative principale, à savoir la non-paternité des Prophéties attribuées à Nostradamus, l’hypothèse secondaire d’une édition falsifiée du texte des Prophéties de 1555 est parfaitement inutile.
Quiconque a eu en mains l’exemplaire soigné d’Albi, pour peu qu’il soit sensible à sa matérialité, ne peut que difficilement imaginer qu’il puisse être le produit de faussaires. Mais la preuve essentielle me semble être l’existence même de l’exemplaire corrigé, conservé par la bibliothèque de Vienne. Car dans l’hypothèse de plus en plus ténue d’une prétendue fausse édition Macé Bonhomme, la parution d’une deuxième édition améliorée, comme elle l’est effectivement suite à l’analyse de la plupart des différences observées6, n’aurait aucun sens. En définitive il pourrait s’avérer, paradoxalement, que l’acharnement spéculatif concernant l’édition de 1555, comme les suivantes, puisse faire le jeu des interprètes de la prophétie, c’est-à-dire de l’exégèse du texte de Nostradamus en tant que texte prophétique, et c’est tant mieux.
Dr. Patrice Guinard
Paris, le 1er janvier 2005
Notes
1 Cf. mon étude sur Le système de codage de l’Orus Apollo, à paraître. Retour
2 Cf. Henri Baudrier (dit le Président), Bibliographie lyonnaise, Lyon (Louis Brun) & Paris (Auguste Picard), vol. 10, 1913, p.198. Retour
3 Cf. Baudrier, Op. cit., p.196. Retour
4 Cf. Etude 34 de l’Espace Nostradamus Retour
5 In La manière de bien traduire d’une langue en aultre, Lyon, Estienne Dolet, 1540, p.28. Retour
6 Cf. Benazra, réédition en fac-similé de 1984. Retour
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