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ANALYSE |
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L’Epître à César au hasard des attaques et des rééditions |
Gérard Morisse, dans une lettre qu’il nous adresse, attire notre attention sur une phrase trouvée dans Videl1 et qui existe également chez Couillard, et qui fait évidemment écho à un passage de la première Epître à César, dont l’existence n’est pas mise en question mais qui n’accompagnait probablement pas de Centuries ou en tout cas pas celles que nous connaissons, sous la forme canonique qui nous est familière. Voilà qui souligne l’intérêt des adversaires de qui en sont, de facto, les premiers commentateurs et desquels on tente parfois désespérément d’extraire des indices en faveur de l’existence des Centuries. Olivier Millet, pour sa part, ne s’inquiéte pas outre mesure : Dans son pamphlet, Videl s’en prend non pas aux Prophéties déjà anciennes de 1555, ni à celles de 1558 pas encore publiées mais aux almanachs et pronostications des dernières années.2 Il y a 20 ans, en 1985, nous avions consacré, à l’invitation de Michel Chomarat - lequel était intervenu sur Nostradamus en 1984, à Lyon3, dans un colloque astrologique que nous avions organisé - notre communication au Colloque Nostradamus de Salon de Provence à l’apport de ces critiques de Nostradamus, encore que R. Amadou4 ne donne même pas notre nom dans la liste des intervenants aux Premières Journées Nostradamus5 auquel il fit écho et dont il reprend un certain nombre de communications.
I - La négation absente
Il s’agit, bien entendu, de montrer le lien existant entre les commentateurs, même hostiles, des publications de Michel de Nostredame et le contenu des prétendues premières éditons des Centuries, à commencer par l’édition Antoine du Rosne, conservée à la bibliothèque de Budapest et dont Gérard Morisse a publié une nouvelle édition en fac simile, en 2004, à la demande des Hongrois.
G. Morisse nous écrit :
Nous sommes certains que (Videl) a eu entre les mains un exemplaire des Prophéties identique à l’exemplaire de 1557 actuellement conservé à Budapest ; il n’y a (à ma connaissance à ce jour) que dans cet exemplaire (donc ce type d’exemplaire Budapest) qu’il y a la coquille suivante (...) dans la Préface à César : nous inspirant par baccante fureur (page 4) expression terrible, reprise quasiment telle quelle par Videl (fol D4r) forgée en sa furye bacchanale.
On comparera avec la Préface centurique : 1557 Budapest-Anvers
Le tout est régi & gouverné par la puissance de Dieu inestimable nous inspirant par baccante fureur ne par l’impathique monument (sic) mais par Astronomiques assertions
Préface à César dans les éditions d’Anvers 1590 et Du Rosne 1557 (Bibl. Budapest).
Notez la même orthographe pour baccante et un tard qui manque dans l’édition d’Anvers
Il est bien évident qu’il manque une négation, en effet, il faudrait lire nous inspirant non par baccante fureur ne par limphatique mouvement comme c’est d’ailleurs le cas des autres éditions de la Préface centurique à César.
Citons plus amplement le passage en question de Videl pour mieux resituer la formulation :
(Il) nous veut inventer une nouvelle astrologie forgée en sa furye bacchanale & non limphatique (comme il dit) sur umbre de prophetie
Videl a-t-il recopié une formule fautive de Nostradamus sur le plan grammatical
ou bien sciemment déformé sa pensée ?
Videl rend astronomiques assertions par astrologie qu’il oppose à la furye bacchanale, il est donc impératif de rétablir une négation sur le modèle : ni, ni... mais.
Citons la traduction de Pierre Brind’amour :
tout est régi par l’infinie puissance de Dieu : inspiré non par le délire dionysiaque ni par la folie mais par des considérations astrologiques (p. 5, Ed 1996)
Certes, on comprend ce que G. Morisse a voulu dire, à savoir que Videl, qui écrit en 1558 n’aurait fait que transcrire la formule impropre de l’exemplaire Budapest 1557. Or, Couillard, en 1556, nous signale une édition ne comportant pas une telle anomalie (p. 11 recto) :
Plusieurs autres prophéties esquelles non par bacchante fureur ne par limphaticque mouvement mais par vraye & subtile praticque & expérience, ay toujours donné le futur & vray jugement
On peut évidemment supposer que d’une édition des centuries à l’autre, le texte s’est corrompu et que Videl, lui, rend compte d’une édition plus tardive, celle de 1557 et non celle de 1555 dont Couillard se ferait l’écho. Il se peut en effet qu’il y ait eu non pas deux éditions successives des Centuries mais deux éditions de l’ouvrage introduit par la Préface à César et que la deuxième ait comporté cette lacune. Mais l’enjeu est plus sérieux puisque G. Morisse nous signale précisément une préface à César suivie des Centuries, dans l’exemplaire Budapest.
Couillard copie-t-il simplement Nostradamus
ou ajoute-t-il des choses de son cru que l’on ne retrouve pas dans la préface centurique à César ?
Couillard parle-t-il ici à la place de Nostradamus ou contre lui ?
Notez que la forme non par bacchante est différente dans l’exemplaire de Budapest.
Or, il se trouve que l’exemplaire Budapest est fort défectueux - on a vu ainsi monument au lieu de mouvement dans la phrase de référence - et qu’il n’y a rien de bien surprenant à ce qu’une négation manque ; après tout la fin de la préface à César n’est-elle pas tronquée de plusieurs lignes ? De là à relever qu’une faiblesse de cette édition se retrouve attestée dès 1558, alors que rien ne prouve que Videl ait mal compris la Préface en sautant lui-même une négation, ce qui nous est confirmé par le fait que Videl a reconstruit la phrase en question en mettant en avant l’astrologie pour l’opposer à d’autres pratiques telle la fureur baccanale qui en effet n’est pas dans le même registre que l’astrologie. G. Morisse ne nous a donc pas démontré que sa formulation serait causée par son modèle. Disons que la langue française a parfois des problèmes avec les marqueurs souvent redondants de négation sans qu’il soit besoin d’expliquer l’ellipse d’un marqueur par celle d’un modèle. Rappelons que la Préface à César de l’exemplaire Utrecht, également datée de 1557, chez le même libraire, Antoine du Rosne, ne comporte pas une telle ellipse pas plus d’ailleurs que celle de l’édition Macé Bonhomme 1555.
En tout état de cause, vu que la Préface centurique est largement inspirée et reprise du texte ainsi commenté par Couillard et Videl, on pourrait également s’attendre à ce que certains traits de la première Epître à César, dans une des versions qui circulaient alors, ait été utilisée par les faussaires. On pourrait éventuellement conclure à la pluralité des versions, tout comme d’ailleurs il existe des variantes entre les deux exemplaires Macé Bonhomme 1555, comme l’a montré Robert Benazra, en son temps (1984).
Mais nous voudrions, en passant, faire remarquer aux tenants des éditions 1557 qu’elles n’ont pas eu l’heur d’être mentionnées dans les éditions suivantes qui leur correspondent grosso modo. Jusqu’en 1649, les seules dates de référence sont 1568 et 1555 et encore va-t-il alors surtout être question de 1556 et 1558 comme dans les éditions hollandaises. Au vrai, on ne signale jamais dans l’hypertexte centurique d’édition de 1557 ! Prenons le cas d’un pamphlet paru au lendemain de la mort de Concini (1617) : les Charmes de Conchine (...) Avec la prédiction de Nostradamus, tirée de la 4e Centurie du fol. 41. Imprimé à Lyon, 1555 (Harvard College Library) et qui comporte le quatrain IV, 14, suivie d’un autre, évidemment post eventum, comportant l’année 1617. Idem pour le Petit discours ou commentaire sur les Centuries de Maistre Michel Nostradamus, imprimées en l’année 1555. On voit qu’au début des années 1620, une certaine édition 1555 a la cote, ce qui était déjà le cas en 1590, pour l’édition d’Anvers. Le problème, c’est que les quatrains considérés, cette fois, incluent les Centuries jusqu’à la septi7me, ce qui ne correspond nullement au profil des éditions Macé Bonhomme qui ont été conservées à Albi et à Vienne (Autriche). Tout se passe comme si les éditions Antoine du Rosne 1557 étaient des copies plus ou moins pirates d’une édition à sept centuries se présentant, faussement bien sûr, comme parue à Lyon en 1555. Autrement dit, ces éditions 1557 seraient des faux de faux. On sait que parfois ce sont les traductions et les éditions dérivées qui sont préservées tandis que les éditions ayant servi à produire celles-ci ont disparu. En tout état de cause, si l’on considère l’édition 1590, parue à Anvers, chez François St Jaure, on note qu’elle a une Centurie VII, sensiblement plus brève que celle des éditions 1557, puisque l’on passe de 35 à 40 et à 42 quatrains, ce qui, selon une certaine logique, peut indiquer que les dites éditions 1557 seraient, pour le moins, postérieures à 1590, avec une petite marge de quelques années si la dite édition de 1590 est reprise d’une édition antérieure. En effet, on ne saurait, reconnaissons-le, avoir une vision par trop linéaire de la succession des éditions des Centuries : une ancienne édition peut être reprise par un libraire, bien des années après qu’elle ait été complétée par d’autres, ce qui démontre que dans le domaine de la recherche nostradamologique, il est essentiel de couvrir une période aussi étendue que possible car certains versions peuvent refaire surface, on pense notamment à l’édition lyonnaise d’Antoine Besson, des Centuries, à la fin du XVIIe siècle.
Quatrain 14 de la IVe centurie,
suivi d’un quatrain postérieur à 1617, relatif à la mort de Concini
II - L’orthographe baccante
Un autre aspect du passage étudié par G. Morisse retiendra peut-être davantage notre attention - bien que ce chercheur bordelais ne s’y soit pas intéressé - à savoir qu’il y a deux orthographes : baccante et bacchante, les deux variantes étant attestées dans les éditions des Centuries.
L’édition Budapest a baccante, ce qui est fort rare. On trouve bacchante dans toutes les autres éditions antidatées 1555, 1557, 1568.
Or, on trouve baccante dans l’édition d’Anvers, 1590 mais avec la négation. Il se trouve que nous avons, lors de précédentes études parues sur Espace Nostradamus, rapproché l’édition 1557 Budapest de la dite édition d’Anvers, notamment du fait de la même structure de la Centurie VI : 99 quatrains sans avertissement latin. Inversement, l’exemplaire Utrecht comporte bacchante à l’instar de l’édition de Cahors, 1590. Et on y trouve dans les deux cas l’avertissement latin, à la fin de la VI, à 99 quatrains, et 42 quatrains à la VII, alors que l’exemplaire Budapest n’a que 40 quatrains à la VIIe centurie.
Un tard manque dans l’édition de Cahors
et on retrouve la même orthographe pour bacchante dans l’exemplaire d’Utrecht (1557)
Pour nous, l’exemplaire Budapest, y compris dans sa préface, serait la reproduction antidatée d’une édition de type Anvers mais à 40 quatrains au lieu de 35 à la VII tout comme les éditions 1555 et 1557-Utrecht seraient reprises de l’édition de Cahors, celle de 1555, à 4 centuries, étant tronquée pour des raisons que nous avons exposées ailleurs sur Espace Nostradamus. Le temps qu’il aura fallu pour passer dans les années 1580-1590 de l’édition Budapest à l’édition Utrecht nous paraît avoir dû être plus considérable, bien qu’on ne puisse le fixer exactement, que celui qui séparerait les deux éditions 1557, l’une étant supposée paru en novembre 1556, comme le suggère heureusement G. Morisse, et l’autre dès septembre 1557.
Ajoutons que Videl écrit furye bacchanale alors que l’édition 1557 Budapest donne baccante fureur. On pourrait en déduire que si Videl avait eu baccante sous les yeux, il eut été amené à écrire furye baccanale.
III - Le statut des astres dans l’Epître à César
Le problème de ces études consacrées au corpus nostradamique vient souvent du fait que l’on ne comprend pas ou tout simplement qu’on ne cherche pas ou plus à comprendre, non seulement les quatrains mais même les épîtres.
C’est ainsi qu’il est assez évident que l’Epître centurique à César comporte des trous qui ne peuvent qu’obscurcir le texte quand ils n’ont pas été repérés. Car mieux vaut identifier ce qui manque que de faire comme si rien ne manquait.
Nous avons déjà, dans une précédente étude sur Espace Nostradamus, mis en évidence une lacune du texte de la Préface à César et ce grâce, étrangement, à des éditions de la seconde moitié du XVIIe siècle, à savoir la traduction anglaise de Théophile de Garencières6 et l’édition Antoine Besson7 qui lui est nettement postérieure, de plus d’une vingtaine d’années et dont nous reproduirons le passage incriminé :
Et puisqu’il a plu au Dieu immortel que tu ne sois venu en naturelle plaige que tardivement qui fait pendant aux premiers mots de la Préface Ton tard avenement en ce monde terrien, César Nostradamus mon fils, si tant est qu’il ne faille parler carrément de redondance, à quelques lignes d’intervalle.
On a du mal à croire qu’à l’origine, c’est-à-dire dans les textes par rapport auxquels réagissent Couillard et Videl, il y ait eu écrit, comme semblerait l’indiquer la Préface centurique :
Et despuis qu’il a pleu au Dieu immortel que tu ne sois venu en naturelle lumière dans cette terrene plaige (1557-Budapest) donc sans la suite en naturelle plaige qui fait pendant à la négation que tu ne sois venu, laquelle négation ne trouble pas spécialement ici G. Morisse.
Rappelons par la même occasion que le texte anglais de la Préface reprend la version complète de la phrase :
Thy late coming, Caesar Nostradamus, my son. And since it hath pleased the immortal God that thou are come late into this World
Les deux tards sont présents, late en anglais.
Ce texte est identique à celui qui a été traduit en anglais en 1672, avec deux tards.
Ici point de négation, de litote : il faudrait retraduire en sens inverse : et puisque il a plu au Dieu immortel que tu sois venu tardivement en ce monde.
Notons que l’on ne dispose plus de l’édition française dont le texte anglais de 1672 est issu et que l’on ne connaît donc que par une réédition des années 1690, ainsi datée sur la base de la période d’activité du libraire lyonnais Besson.
Il est bien dommage pour ceux qui veulent à tout prix valider les versions centuriques de l’Epître à César qu’une telle omission ne se retrouve chez Couillard ou Videl. Et ce d’autant que si elle s’était retrouvée, cela n’aurait pas été un argument décisif puisque nul, encore une fois, ne conteste l’emprunt à une ou des versions des années 1550, pour l’élaboration de l’Epître centurique. En revanche, à partir du moment où il y a décalage, cela montrerait que les éditions des Centuries n’étaient pas connues de Couillard ou/et Videl. On ne peut évidemment être formel quand le passage en question n’est pas reproduit par ces derniers mais l’on est en droit de penser que si une version plus complète a circulé au XVIIe siècle cela n’est probablement pas tout à fait par hasard. De deux choses l’une : ou bien quelqu’un de fort zélé a restauré, de son propre chef, le dit passage ou bien il s’agit de la perpétuation d’une version ayant bel et bien existé et qui aurait été corrompue par un certain nombre de libraires, notamment sous la Ligue, période où commence à émerger, de façon incontestable, cette fois, la dite Préface centurique à César.
Mais, que nous dit précisément le texte adressé à César et commenté, à leur façon, par Couillard en et Videl en 1558 ? Car il convient aussi, de temps en temps, de s’intéresser au propos qui est tenu, ce qui fait partie, tout de même, de la critique interne. Et voilà qui pose, précisément, la délicate question du statut de l’astrologie dans la dite Epître à César, en ses diverses moutures.
Dans l’édition 1557 Budapest, on oppose à baccante fureur les astronomiques assertions.
Chez Videl, également. Mais qu’en est-il chez Couillard ?
Non par baccante fureur ne par limphatique mouvement mais par vraye & subtile praticque & expérience (fol E.v)
Que penser du dernier morceau de phrase que l’on ne retrouve pas dans l’Epître centurique à César : mais par vraye & subtile praticque & expérience ? S’agit-il d’une invention de Couillard ou bien cela fait-il partie du texte de l’Epître à César, passage qui aurait été supprimé par la suite, volontairement ou non ? Car chez ceux qui se servent de Couillard ou de Videl pour prouver que l'Epître à César était déjà connu, il ne semble pas que l’on ait vraiment été vérifier s’il n’y avait dans le commentaire qui en est fait par ces critiques des éléments qui ne devraient pas s’y trouver s’il s’était agi du même texte que celui de la Préface centurique. Ce qui montre les limites d’un tel exercice auquel s’est notamment prêté Robert Benazra (sur Espace Nostradamus) qui consiste à retenir ce qui converge et à négliger ce qui ne converge pas, mettant d’office ce qui ne correspond pas, sur le compte du commentateur et non sur celui du texte commenté, ce qui est peut-être aller un peu vite en besogne.
Donc, chez Couillard on a :
Mais par vraye & subtile praticque & expérience
Et dans la Préface centurique :
Mais par astronomiques assertions
Et à la page d’avant, Couillard écrivait déjà :
Seulement diray choses non aussi par astronomiques assertions ains (c. a. d. mais) par naturelle instigation & inspiration mélancolique (fol E r)
Ou encore :
Quelque chose que j’aye nagueres dict avoir congneu mes assertions par revolutions & vigilations nocturnes, je m’estois esloigné de moy mesme car lon scayt assez que (ni) par limphaticquer ne par longues calculations & estudes nocturnes les hommes ne peuvent rien de certain prophétiser (fol E III r)
On a là une sorte de confession : est-elle de Nostradamus ou une initiative de Couillard ?
Il n’y a pas de doute, selon la version Couillard, le salut ne vient par les astronomiques assertions alors que cela semble bien être le recours dans la Préface centurique à César, du moins dans le passage considéré.
Quel était donc l’esprit du commentaire de Couillard ? Citer Nostradamus ou en biaiser le propos au point de lui faire rejeter ce que ce dernier adorait ? Il nous semble pourtant que Couillard n’était pas censé faire tenir à Nostradamus des propos censés, ce qui eut été le cas s’il lui avait fait, comme c’est le cas, se démarquer par rapport à l’astrologie.
Reste cependant le cas du commentaire de Videl, lequel, à la différence de Couillard, est astrologue. Rappelons qu’en 1560, Couillard publiera les Contredicts aux faulses & abusifves prophéties de Nostradamus & autres astrologues ‘Paris, Charles L’Angelier) lequel ouvrage reprend en s’en moquant l’attaque figurant déjà dans les Prophéties, concernant le terme de 17918 ou deux cent trente cinq ans comptés à partir de 1556 (fol G IIII, v) alors que dans les Prophéties, Couillard annonçait deux cent trente six ans, la rédaction des deux textes étant donc séparée d’un an, ne visant d’ailleurs pas Nostradamus mais Richard Roussat9 qualifiés l’un et l’autre de nouveaux prophètes. A moins que l’on n’affirme que dès 1555, Nostradamus avait publié l’Epître centurique à Henri II, laquelle comporte un emprunt au dit Roussat et parle de 1792. Selon O. Millet10 le retard pris dans la publication des Contredicts serait du au voyage de Nostradamus au cours de l’Eté 1555, lequel voyage a fait différer la publication devenue plus qu’inopportune. Une raison certainement plus sérieuse, en tout cas, qu’une éventuelle parution des Centuries chez Macé Bonhome au printemps 1555.
La même prophétie chez Couillard actualisée de 1555 à 1556
Pour ce qui est de l’astrologue Laurens Videl, qui reproche à Nostradamus de ne pas l’être assez, astrologue, l’astrologie ne saurait être un repoussoir comme elle l’est pour Couillard ; Videl, notamment, déteste les pseudo-astrologues combien (c. a. d. bien) qu’ils se servent des noms & figures d’astrologie (fol D v). N’est-ce pas d’ailleurs le même Laurens Videl qui serait l’auteur de la Première Invective du Seigneur Hercules le François contre Monstradamus11, signant des initiales L. V. C. M., dont cela pourrait-être la première attaque contre Nostradamus. Dans les deux cas, on nous dit que le texte est traduit du latin !12 Dans cette Invective, nous lisons : Il n’y a personne qui blasonne l’Astrologie, sinon toy, qui la farçant de sorcerie (sic) & superstition pour mieux colorer ton ignorance & la rendre admirable au monde, fais que la (lire cette) science soit odieuse aux bons esprits & poison aux simples entendements enyvrez de tes bourdes songées à plaisir. Ce serait plutôt là propos d’un astrologue orthodoxe.
Il nous faut donc relire le passage cité par G. Morisse et nous demander s’il n’exige pas une autre grille d’approche que celle exposée plus haut.
Nous veut inventer une nouvelle astrologie forgée en sa furye bacchanale & non limphatique (comme il dit)
Il est clair que Videl rejette cette nouvelle astrologie et qu’il ne faut pas placer de négation par rapport à furye bacchanale car c’est bien à cette astrologie bacchanale qu’il s’en prend. Videl se serait-il tant excité s’il avait eu sous les yeux la formule de la Préface centurique non par baccante fureur ne par lymphatique mouvement mais par astronomiques assertions ? Nous ne le pensons pas. Ce qui nous amène à penser que le texte centurique n’est pas conforme à celui de l’original commenté par Couillard et Videl, qu’il a été en quelque sorte astrologisé par la suite.
En fait, aussi bien Couillard que Videl montrent à quel point Nostradamus n’est pas un astrologue orthodoxe dans sa façon de travailler alors que la Préface centurique en fait un astrologue plus conforme à la doxa astrologique, ce qu’il était peut-être d’ailleurs devenu par la suite, dans les dernières années de sa vie, ce qui n’empêche pas d’ailleurs la dite Préface, sur la fin, de comporter la formule suivante :
Viens asture entendre mon filz que je trouve par mes revolutions qui sont accordantes à révélée inspiration
Tout nous conduit ainsi à penser que nous avons affaire, dans la Préface centurique à César, en son début, à une interpolation en contradiction avec la fin du même texte :
Non par bacchante fureur (...) mais par astronomiques assertions
Nous voudrions également signaler que les formules nouvelle astrologie mais aussi nouvelles prophéties ne nous semblent pas avoir été explicitées au regard des éditions connues. Il est possible que cela se réfère à un passage voire à un titre qui n’auraient pas été conservés, à moins qu’il ne s’agisse de ces Pronostications nouvelles (1557, 1558) voire de quelque Almanach Nouveau (titre attesté pour 1562). Il semble, en tout cas, qu’après 1562, les épithètes nouveau ou nouvelle n’aient plus été de mise dans la production nostradamique.
Jacques Halbronn
Paris, le 19 février 2005
Notes
1 Cf. Déclaration des abus ignorances et séditions de Michel Nostradamus, Avignon, Pierre Roux & Jan Tramblay, 1558. Retour
2 Cf. Feux croisés sur Nostradamus au XVIe siècle, Colloque Divination et controverse religieuse en France au XVIe siècle, Cahiers V. L. Saulnier, 35, 1987, p. 107. Retour
3 Cf. Cahiers Michel Nostradamus, n° 2, février 1984, p. 18. Retour
4 Cf. Nostradamus et l’astrologie. Dossier, 1991. Retour
5 Cf. la liste complète des intervenants in Cahiers Michel Nostradamus, n° 3, février 1985, p. 30. Retour
6 Cf. Prophecies or Prognostications of Michael Nostradamus, Londres, 1672. Retour
7 Cf. Les vrayes centuries et prophéties de Maistre Michel Nostradamus, Lyon, s. d. Retour
8 Cf. Contreditzs, fol. 3v et 4r. Retour
9 Cf. Livre de l’Etat et mutation des temps, reprint Gutenberg 1981, avec intr. de J. P. Brach. Retour
10 Cf. Feux croisés, op. cit., p. 105. Retour
11 Paris, Impr. Simon Calvarin, 1558, reprint in Cahiers Michel Nostradamus, n° 5-6, 1987-1988. Retour
12 Cf. Buget, Etudes sur Nostradamus - Oeuvres et adversaires - Bulletin du Bibliophile, 1861, p. 254. Retour
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