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ANALYSE |
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Les contrefaçons centuriques et l’Edit de Nantes (1598) |
Une chose est de montrer qu’une édition des Centuries est antidatée, une autre de fixer sa véritable date de fabrication et c’est désormais ce nouveau chantier qu’il convient d’ouvrir, du fait que désormais la mise en évidence des contrefaçons commence à être chose acquise, sauf chez quelques combattants d’arrière garde, avocats de causes perdues, vite noyés quand il faut savoir suivre ou conduire un raisonnement, qui attendent encore quelque deus ex machina qui viendra sauver la mise, apporter les preuves absolues que les dates indiquées sur les pages de titre sont les bonnes car autrement, n’est-ce pas où va-t-on, à qui se fier ? On peut toujours rêver.
Ce travail de datation des contrefaçons est d’ailleurs d’autant plus nécessaire qu’il ne peut que consolider l’ensemble de la reconstitution et ouvre ainsi de nouvelles perspectives de recherche, tant il est vrai qu’il ne faut jamais se reposer sur ses lauriers. Un tel travail est rendu d’autant plus délicat par le fait que nous ne disposons pas nécessairement de la totalité des contrefaçons d’origine mais seulement de rééditions de contrefaçons ou de vagues témoignages de l’existence d’éditions contrefaites non conservées.
Il conviendrait au demeurant de distinguer les vraies fausses éditions des éditions qui ne sont elles-mêmes que des contrefaçons de contrefaçons et non simplement des rééditions à l’identique de celles-ci. Nous ne prétendrons pas ici avoir mené à son terme ce nouveau chantier de (re)datation des contrefaçons mais faire le point et déterminer une méthodologie.
Et que dire de ceux qui nous disent que l’on n’a rien prouvé, argument purement dilatoire ? Pour eux, on se demande ce que prouver veut dire à part bien entendu le fait de retrouver une édition manquante dont il faudrait encore prouver qu’elle n’est pas fausse. Qu’ils nous donnent un exemple de ces fameuses preuves qui seraient tellement flagrantes qu’il n’y aurait même plus à raisonner pour les accepter, ce qui trahit un certain niveau intellectuel. Une telle candeur n’est pas de mise chez des chercheurs qui se respectent : on n’est pas au jardin d’enfants !
Datation des quatrains
Un des moyens à explorer de datation des éditions pourrait être, a priori, la question du terminus a quo de certains quatrains. Certes, l’entreprise n’est guère facilitée par le fait que nombre de quatrains relatent des événements et qu’il n’est pas toujours aisé de déterminer à quel (s) événement tel verset de tel quatrain renvoie, vu que ce que l’on croyait nouveau s’est déjà produit.
C’est pourquoi jusqu’à présent le nombre de quatrains qui ont pu être datés avec une certaine probabilité n’est pas très élevé, ce sont surtout des anagrammes, car en effet le recours à l’anagramme est révélateur, car il est généralement sinon toujours en prise sur l’actualité de la rédaction du quatrain. Un Robin (pour Biron) dans les sixains, un Nirazam (pour Mazarin) à la centurie VII, un Orge (pour Gabriel d’Orges, de Montgomery), ne trompent pas alors que des formulations plus vagues sont moins déterminantes, y compris le fameux quatrain sur la mort d’Henri II en tournoi qui n’a rien d’évident. Il faut partir à la chasse aux anagrammes mais il ne faut pas non plus en voir là où il n’y en a pas forcément. En tout état de cause, la seule mention d’un nom de ville n’est pas probante, vue la quantité considérable de noms de lieux qui figure dans les Centuries1, sauf si cela s’inscrit dans un propos polémique comme c’est le cas pour le quatrain de la Centurie IV.2
Nous donnerons ici un exemple de quatrain qui nous a paru assez transparent.3 Ce quatrain est le 42e de la Centurie VII et c’est là un emplacement propice pour les additions, comme on l’a noté à propos de Mazarin (cf. supra).
On retiendra les deux premiers versets :
Deux de poison saisiz nouveau venuz
Dans la cuisine du grand Prince verser
On sait que ce quatrain figure dans une des éditions datées de 1557, celle qui est conservée à la Bibliothèque d’Utrecht (Pays Bas) et dans les éditions datées de 1568.4
Pourquoi donc nous parle-t-on de poison et de cuisine, soit un registre alimentaire ou du moins buccal ? Or, en 1599, une rumeur avait circulé relative à l’empoisonnement de Gabrielle d’Estrées (1577 - 1599) que le roi souhaitait épouser5, et qui était notamment la mère d’enfants légitimés dont César, duc de Vendôme, Marguerite de Valois (la reine Margot) qui avait épousé en 1572, à la veille de la Saint Barthélémy, Henri de Navarre, ayant été répudiée (1599) et le mariage florentin avec Marie de Médicis se profilant à l’horizon (1600), affaire impliquant donc trois femmes. A cette répudiation, semble avoir fait écho une édition des Prophéties, due au libraire parisien Pierre Ménier6, à la fin de la Centurie VI. Or, selon Philippe Renouard7, dans son étude sur les libraires parisiens, l’adresse figurant sur la page de titre correspondrait à la période d’activité autour de 1598 (Pierre Ménier, portier de la porte Sainct Victor) :
La déchassée au règne tournera.
Ce verset et ce quatrain ne figurent pas dans l’édition de 1568, éditée par M. Chomarat8, alors qu’en revanche, le quatrain sur le poison s’y trouve, ce qui nous conduit à penser que l’édition datée de 1568 daterait en réalité des toutes dernières années du XVIe siècle, soit trente ans plus tard. Or, cette période qui fait suite à la parution des éditions du Janus Gallicus (1594 à Lyon, 1596 à Paris, sous un autre titre9), vit paraître de nombreuses éditions lyonnaises non datées des Centuries.10
Nous avons signalé ailleurs que l’édit conciliateur de Nantes (1598) sur la tolérance religieuse avait pu favoriser le rassemblement des diverses Centuries, tant d’inspiration catholique que réformée puisque le roi protestant, héritier des Valois, par sa conversion au catholicisme (Paris vaut bien une messe) avait su réunifier la France. Un tel esprit de conciliation était déjà patent dans le Janus Gallicus.11
Ainsi, selon nous, les éditions à dix centuries de 155712 et 1568 dateraient de cette fin de siècle. Il semble qu’il faille distinguer l’édition, conservée à Budapest, datée de 1557, chez Antoine du Rosne, comportant 40 quatrains et antérieure à cette période liée aux femmes d’Henri IV, de l’édition conservée à Utrecht à 42 quatrains, qui a servi aux contrefaçons conservées datées de 1568. Le fait que cette édition soit datée antérieurement, de quelques mois, à l’édition à 40 quatrains en dit long sur une certaine approximation dans le travail des faussaires.
Il en est autrement de l’édition datée de 1555 à 53 quatrains à la IVe Centurie et qui date probablement de la fin des années 1580, alors que les centuries V - VI - VII sont en voie de rédaction et vont s’adjoindre à ce premier lot. En gros, les quinze dernières années du XVIe siècle - à partir de 1584, date du début de la crise dynastique quand Henri de Navarre se trouve en situation de dauphin - pèseront d’un poids considérable et, au vrai, on ne connaît aucune édition authentique antérieure à cette époque. Il semble, au témoignage d’Antoine Du Verdier13 - le troisième Antoine avec Couillard et Crespin - que soit parue alors, chez Benoist Rigaud, une édition à 10 Centuries de quatrains, dont nous ignorons le contenu exact, ni quels textes en prose elle comportait, encore que l’on puisse supposer qu’y figurait une Epître à Henri II sensiblement augmentée puisque la date de 1585 y figure en bonne place, ce qui laisserait entendre une origine réformée de la dite édition, qui n’aurait eu, de ce fait, qu’une circulation limitée ou aurait été censurée. Ce serait donc à cette date (vers 1584) que les Centuries V - VII seraient apparues puis par la suite, il faudra attendre une quinzaine d’années pour qu’une nouvelle édition à dix Centuries reparaisse.
Quid avant 1584 ? On voit toute l’importance, dès lors, du témoignage d’Antoine Crespin.14 Il est probable qu’au lendemain de la mort de Michel de Nostredame, des Prophéties sous forme de centuries, comportant des épîtres remaniées, recyclées de textes authentiques de Michel de Nostredame15, mais différentes de celles qui apparaîtront, vingt ans plus tard.16
Trois moments clef par conséquent dans la rédaction des fausses Prophéties de Michel de Nostredame, au XVIe siècle, dont on célèbre souvent bien maladroitement, en ce moment, le cinquième centenaire :
- années 1566 - 1572, Centuries I - II - III et VIII - IX - X. Début d’une Centurie IV (39 quatrains)
- années 1584 - 1590, Centuries I à X. On complète la centurie IV de 39 à 53 quatrains pour aboutir à une Centurie VII à 40 quatrains. Une seule édition, vraisemblablement, comporta les 10 centuries avec l’Epître au Roi. La plupart des éditions sont à 7 centuries, sans l’Epître au Roi.
- années 1598 - 1600, Centuries I à X. Editions à dix centuries.
Concluons sur le cas épineux de l’édition Macé Bonhomme à 353 quatrains, retrouvée à la Bibliothèque d’Albi par R. Benazra17, et dont une autre mouture a été retrouvée à la Oesterreichische Nationalbibliothek de Vienne.18
Il s’agit là à l’évidence d’une édition augmentée et qui l’aurait été, à observer les intitulés des éditions rouennaises (Bibliothèque de Daniel Ruzo) et parisiennes conservées, datées de 1588 - 1589 prétendument, vers 1560, à la mort de François II, ayant fait suite à celle de son père Henri II. Par mégarde, on n’en publia pas moins une édition datée de 1555 et comportant la dite addition, s’ajoutant aux Centuries I - III et qui initialement était supposée dater de 1560 ! La date de 1555 tient à la Préface à César.
En fait, tout se passe comme si avant de parvenir à une édition à dix centuries, il y aurait eu un échelon intermédiaire, comportant une addition de 39 articles et qui aurait été peu à peu augmentée. A un moment donné, on serait parvenu à 53 quatrains et la contrefaçon aurait été réalisée alors. Puis, par la suite, on aurait complété la Centurie IV pour parvenir à dix Centuries.
De quand donc daterait cette édition comportant une addition allant de 39 à 53 quatrains, embryon de la IVe Centurie et dont l’édition Macé Bonhomme à 353 quatrains témoigne ? Il semble que Crespin en ait déjà eu connaissance puisqu’il incorpora à ses Prophéties à la Puissance Divine certains versets de cette partie de la IVe centurie. Mais il est peu probable que cette nouvelle édition ait dépassé les 39 quatrains. Il faudra attendre le milieu des années 80 pour que l’on passe de 39 à 53 quatrains dans un premier temps avant de basculer vers un train de sept centuries auquel s’ajoutèrent les Centuries désormais numérotées VIII - X, ce qui n’était évidemment pas le cas antérieurement.
Il serait bien entendu souhaitable de retrouver parmi les quatrains ajoutés à la Centurie IV l’écho des enjeux politiques de l’époque et c’est précisément ce que nous avons fait.19 C’est précisément le cas du quatrain 46, se situant donc dans le supplément s’ajoutant aux 39 premiers articles de la Centurie IV : Garde toy Tours de ta proche ruine, et qui évoque la ville où Henri IV, face à la Ligue, avait installé sa capitale - un peu comme le fera Pétain à Vichy, en 1940, pour la zone libre - quatrain qui, bien évidemment, émanait du camp catholique, le facteur politico-religieux étant en la matière tout à fait incontournable. Mais la récolte n’est pas terminée, cela demande évidemment de connaître de très près la souvent petite Histoire de la France comme c’était le cas à propos des femmes d’Henri IV.
En tout état de cause, les quatrains se trouvant à la fin des centuries IV et VII sont les plus significatifs pour la datation car le lecteur avait son oeil attiré par ces Centuries incomplètes, la VIIe ayant finalement pris le relais de la IVe, dont elle est en quelque sorte la réplique. Le fait que la VII ne comporte que 40 ou 42 quatrains et non 53, est un indice supplémentaire pour considérer qu’il a bien existé une édition à 39 / 40 quatrains à la IVe Centurie. Il n’est pas au demeurant impossible que les centuries V - VII aient été réalisées sans que la Centurie IV ait été complétée à cent quatrains. Ce n’est qu’ensuite que l’on aurait profité de cette incomplétude pour ajouter des quatrains à la IV (passant de 39 / 40 à 100, en passant par le pallier de 53 qui donna naissance à l’édition Macé Bonhomme datée de 1555, alors que cela ne se produisit pas à la VII, sauf à considérer les 58 sixains qui viennent compléter les 42 quatrains de la VII et qui datent du siècle suivant.20
Travail certes complexe et quelque peu ardu que notre reconstitution chronologique dont les enjeux semblent avoir complètement échappé aux auteurs chargés de publier, chez Découverte Gallimard (2003) un Nostradamus. L’éternel retour.21
Jacques Halbronn
Paris, le 24 Avril 2003
Notes
1 Cf. C. Liaroutzos Les prophéties de Nostradamus. Suivez la guide, Réforme, Humanisme, Renaissance, 23, Lyon, 1986. Retour
2 Cf. Les prophéties et la Ligue, Colloque Prophètes et prophéties au XVIe siècle, Cahiers V-L. Saulnier, 15, 1998. Retour
3 Cf. notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, vol. IIII, p. 1183. Retour
4 Cf. l’édition publiée par M. Chomarat, Ed M. Chomarat, Roanne, 2000, p. 125. Retour
5 Cf. J. P. Desprat, Les bâtards d’Henri IV. L'épopée des Vendômes (1594 - 1727), Paris, Perrin, 1994, p. 88. Retour
6 Cf. Bibliothèque Mazarine, Res 30314. Retour
7 Cf. Imprimeurs et libraires parisiens du XVIe siècle, Paris, 1979. Retour
8 Cf. R. Benazra, RCN, Paris, Trédaniel, 1990, pp. 121 - 122, qui date cette édition de Ménier de 1588. Retour
9 Cf. R. Benazra, RCN, pp. 130 -143. Retour
10 Cf. R. Benazra, RCN, pp. 143 - 150. Voir M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, Baden-Baden, V. Koerner, 1989, pp. 86 - 89. Retour
11 Cf. J. Céard, Jean Aimé de Chavigny, premier commentateur de Nostradamus, in Scienze, credenze occulte, livelli di cultura, dir. P. Zambelli, Florence, Istituto Nazionale di Studi sul Rinascimento, 1982. Retour
12 Cf à ce sujet notre étude sur nos Recherches iconographiques. Retour
13 Cf. Bibliothèque, 1585. Retour
14 Cf. Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002. Retour
15 Epître à César attestée par Antoine Couillard, Epître au Roi, en tête des Présages Merveilleux pour 1557, reproduite en fac-similé dans les Documents inexploités. Retour
16 Cf. notre étude sur le texte figurant dans l’édition lyonnaise d’Antoine Besson, L’Epître à Henri II et les Saintes Ecritures, sur ce Site. Retour
17 Reprint par les Amis de Michel Nostradamus, Roanne, 1984. Retour
18 Cf. l’édition qu’en a faite P. Brind’amour, Genève, Droz, 1996. Retour
19 Cf. notre étude déjà citée, Les prophéties et la Ligue. Retour
20 Cf. notre étude in Documents Inexploités, op.cit. Retour
21 Cf. notre compte-rendu sur le Site Nostredame.chez.tiscali.fr. Retour
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