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ANALYSE

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Les escrocs du nostradamisme

par Jacques Halbronn

    Depuis un certain temps, nous nous sommes efforcé de démontrer le caractère fictif des documents nostradamiques considérés comme les plus importants par des amateurs de Centuries plus ou moins éclairés. Et nous avons rencontré beaucoup d’incrédulité de la part de ceux que, précisément, nous jugions par trop crédules.

   Au fond, ce dialogue de sourds entre nous et tant de chercheurs1 est du à l’ignorance du monde et des méthodes des escrocs lesquels agissent en toute impunité et à l’insu de tous.

   Il nous apparaît que la fréquentation de personnes se rapprochant peu ou prou du profil de l’escroc ne peut être que d’une grande aide pour découvrir ici et là des manifestations et des exemples insoupçonnés d’escroquerie. Optimalement, il importe de se mettre dans la peau de l’escroc pour pouvoir déjouer ses manoeuvres, c’est-à-dire qu’il faut payer de sa personne et aller sur le terrain. C’est ce que nous avons appelé la consciencialité.2

   Cela signifie qu’il faut passer de l’autre côté de la barrière, comme tout bon ethnologue, c’est-à-dire de fréquenter tel ou tel milieu, en devenir “membre”. Il apparaît ainsi que des notions comme le plagiat, la contrefaçon, l’erreur, l’emprunt, le syncrétisme, le lapsus, n’ont pas encore été - et ce malgré les travaux d’un Sigmund Freud - exploitées comme elles l’auraient du.

   Or, les récents travaux sur la génétique ont montré que celle-ci n’expliquait pas grand chose : “Le génome de l’homme n’est pas vraiment si différent de celui de la mouche. Voilà une surprise qui semble montrer que l’immense différence entre l’homme et la mouche tient à autre chose qu’à un déterminisme génétique simple (...) Nous sommes obligés de reconnaître aujourd’hui que nous sommes responsables du fondement des normes, que ce fondement ne nous est pas “donné” ou imposé par une nécessité supérieure.”3

   Autrement dit, la génétique nous renverrait à un état quasi commun entre l’homme et la mouche qui ne prendrait pas en compte ce qui s’est construit par la suite et qui n’en est pas moins une forme d’auto-déterminisme, qui peut obéir à des lois tout à fait nouvelles, résultat d’une pratique prolongée sur des générations et à l’échelle d’une société pleinement impliquée.

   Pour en revenir au phénomène Nostradamus, on ne peut davantage réduire la production de quatrains prophétiques au seul personnage bien identifié de Michel de Nostredame, tout comme l’Evangile ne se résume pas à la vie de Jésus.

   Les faussaires font partie de notre Histoire et il convient à la fois de reconnaître leur rôle et de circonscrire le modèle d’origine. Ne pas leur accorder l’importance qu’ils méritent aboutit à n’apprécier ni la part des faussaires, ni celle de celui dans la peau duquel ils se sont, en quelque sorte glissés, double injustice donc.

   Car on admettra que lorsqu’une escroquerie prend certaines proportions, elle devient sinon respectable du moins objet d’étude approfondie, quelle que soit la nécessaire discrétion qui s’impose ; il faut sortir les faussaires de l’ombre.

   Mais comme nous l’avons souligné, il importe de se mettre dans la peau des faussaires tout comme ceux-ci se sont mis dans la peau de leur modèle / victime. Or, cette double tâche est rarement menée à bien. Les dernières publications sur Nostradamus (chez GF Flammarion et Gallimard, Printemps 2003) sont révélatrices d’une certaine inexpérience et probablement d’une certaine résistance en la matière.

   Or, le travail de ces faussaires nous semble tout de même assez admirable, dans son genre et ce d’autant que c’est bien le corpus ainsi constitué et qui ne doit guère à Michel de Nostredame, qui a connu la carrière exégétique et prophétique que l’on sait. Si, en effet, les Centuries ont quelque vertu, quelle qu’elle soit, on la doit bel et bien aux faussaires lesquels ont su assumer une certaine dimension prophétique puisque tel était leur projet : constituer ce qu’ils appelèrent des Prophéties, ils se prirent donc au jeu, avec un certain bonheur, reconnaissons-le et le fait de ne pas accorder cette fortune à Michel de Nostredame en personne ne contribue nullement à minimiser la portée d’une telle production mimétique de la part des faussaires alors que les quatrains des almanachs sont d’une veine poétique sinon prophétique assez médiocre, au point qu’on n’y recourt plus guère depuis le Janus Gallicus de 1594, voilà plus de quatre siècles. Au demeurant, le cinquième centenaire de la naissance de Michel de Nostredame ne devrait-il pas être l’occasion, par excellence, de rendre à César ce qui est à César ?

   Faut-il souligner, à ce propos, que chacun aborde le dit corpus nostradamique et pseudo-nostradamique avec un certain bagage acquis par ailleurs ? Jusqu’à présent, l’on n’avait guère présenté le dit corpus comme relevant de l’escroquerie, donc il n’avait pas été appréhendé comme tel.

   Une fois la “clef” escroquerie admise et exploitée, on dispose là d’un précieux fil d’Ariane et il suffit de tirer le fil pour qu’une toute nouvelle chronologie se mette en place. Certes, les belles âmes qui refusent la thèse de l’escroquerie sentent bien que le seul fait de parler de malversations pourrait relever de la paranoïa; elles ne souhaitent pas entrer dans une telle logique et pour cela elles sont prêtes à payer un prix exorbitant, sur le plan épistémologique. C'est qu’en effet la thèse / grille tournant autour de l’escroquerie pose un certain problème épistémologique car ce n’est pas un genre noble. Il importe donc de réhabiliter l’escroquerie, quand elle est ingénieuse, comme une expression majeure de l’activité humaine voire du génie de l’Homme.

   Parler des aléas de l’escroquerie ne signifie en effet nullement qu’il n’y a rien à comprendre et que c’est “n’importe quoi”, et d’abord parce que les retombées en sont considérables. Pour nous, bien au contraire, il est essentiel de s’attacher à saisir la logique qui sous-tend de tels procédés.

   Force est de constater que les historiens contribuent à consacrer le travail des escrocs, comme le leur reprochait, à la fin du XVIIe siècle, un Pierre Bayle, dans ses Pensées sur la Comète, les accusant de propager les superstitions. Comment ne pas comprendre que la science historique se déconsidère en se faisant complice d’escroqueries, notamment d’ordre chronologique ? La façon dont certains historiens des Centuries emboîtent le pas aux itinéraires truqués des faussaires est édifiante et pose un problème épistémologique au regard de l’Histoire des textes, en particulier et qui dépasse considérablement le seul champ nostradamique. Car si les dits historiens, universitaires patentés, comme ceux qui furent chargés de publier des ouvrages en l’honneur du cinquième centenaire de la naissance de Michel de Nostredame, avaient d’autres pratiques en dehors de ce champ, celles-ci s’y manifesteraient, ce qui prouve bien qu’ils n’ont pas été formés en conséquence. Certes, le domaine du prophétisme est singulièrement vulnérable aux manipulations chronologiques4, mais quelque part, il pourrait jouer un rôle pilote pour d’autres corpus. Ce n’est probablement pas par hasard que notre travail sur Nostradamus s’inscrivit au sein d’un ensemble plus vaste.5

   Quelle est en l'occurrence, la méthodologie de tels faussaires ? Non contents de publier de nouvelles éditions, ceux-ci prirent la peine de produire des éditions supposées être du temps de Michel de Nostredame. Que se serait-il passé si cela n’avait pas été le cas ? Nous n’aurions aucune édition datée de 1555 ou de 1557 voire de 1568, encore que ces faux ont pu contribuer à chasser les “vraies” éditions, non pas celles dues au Mage de Salon et qui n’ont jamais existé, mais celles parues dans les années qui suivirent immédiatement son décès (1566) et qui elles-mêmes étaient antidatées. En fait, les faux que nous connaissons sont des faux de faux ! Ce sont de fausses éditions de fausses éditions. Et c’est précisément, cette escroquerie redoublée qui aura égaré bien des chercheurs car on croit volontiers qu’un faux est fabriqué à partir d’un vrai alors qu’il peut y avoir un processus d'enchaînement, un cercle vicieux, une fuite en avant. La contrefaçon de la contrefaçon est chose redoutable !

   C’est assurément la double compétence de bibliographe et d’historien qui nous aura permis de dénoncer enfin une escroquerie trop longtemps restée impunie mais là encore le fait que le texte étudié ait vocation, prétention affichée, à se situer dans le registre du prophétisme n’a pas peu contribuer à égarer les esprits.

   En effet, les signes “rouges” d’alarme n’ont pas été pris au sérieux puisque les anachronismes pouvaient être mis sur le compte de la vertu prophétisante. Il fallait d’emblée refuser, dénier aux auteurs du corpus nostradamique toute qualité à prédire, ce qui d’ailleurs peut s’assimiler, en soi, à une forme d’escroquerie. C’est donc ce niveau supplémentaire d’escroquerie qui s’ajoutant à ceux déjà décrits conduisit à une certaine impuissance de la part de nombre de chercheurs un peu niais.

   Faut-il souligner, ainsi, la désinvolture de certains d’entre eux, ne se préoccupant point de recueillir des témoignages des contemporains qui eussent permis certains recoupements et se fiant à la seule généalogie officielle des Centuries ? Encore que de tels témoignages puissent faire l’objet de suspicions6, les contrefaçons ayant pu être effectuées précisément, en s’appuyant sur ceux-ci; là encore le terrain est miné. De là, à souhaiter que le chercheur adéquat soit aussi “tordu” que les faussaires, il n’y a qu’un pas.

   Avec quelle facilité ces faussaires des XVIe - XVIIe siècles, dont ce n’était probablement pas l’intention, sont-ils parvenus à manipuler et à tromper la vigilance de générations d'exégètes et de bibliographes de Nostradamus, jusqu’à l’aube du XXIe siècle !

   Autant de considérations qui ne prennent pas position quant à la valeur prophétique du corpus nostradamique. Il n’est nullement indispensable, en effet, de refuser, dans une apologétique mal venue, l’idée même de contrefaçon pour que le dit corpus soit reconnu au regard de sa brillante carrière. La question des origines immaculées, c’est-à-dire sans tâche, n’est vraiment plus de mise et il faudrait voir dans ce besoin d’un corpus immaculé une marque chrétienne, celle de l’Immaculée conception. Foin d’un Nostradamus immaculé et sans péché originel ! Trop longtemps, en effet, les historiens ont cru que l’Histoire - ce qu’on appelle volontiers la “Nouvelle Histoire” - n’avait de légitimité que si elle s’appuyait sur des sciences indiscutables. Il est peut être temps que les historiens comprennent que l’Histoire génère ses propres déterminations et forge - dans tous les sens du terme : forgery en anglais signifie contrefaçon - de nouvelles réalités qui ne peuvent être défaites tant elles se sont ancrées dans la psyché collective.

Jacques Halbronn
Paris, le 25 avril 2003

Notes

1 Cf. les publications du cinquième centenaire qui ignorent souverainement nos mises en garde. Retour

2 Cf. la rubrique Judaica sur le Site Ramkat.free.fr. Retour

3 Interview de Dominique Lecourt, Libération, 26 - 27 avril 2003, p.37. Retour

4 Cf. notre étude “Le texte prophétique. Discours de la méthode”, Littérature et prophétie, revue Babel, 4, 1999. Retour

5 Cf. Le texte prophétique en France, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2002. Retour

6 Cf. nos Documents inexploités sur le phénomène Nostradamu, Feyzin, Ramkat, 2002. Retour



 

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