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ANALYSE

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Pour une relecture du Recueil des Présages Prosaïques

par Jacques Halbronn

    Nous pensons qu’il est dans l’intérêt des nostradamologues de faire mieux connaissance avec les almanachs qui furent publiés du vivant de Michel de Nostredame. Il est d'ailleurs remarquable qu'on ne puisse trouver qu'un seul fac-similé d’un almanach de cet auteur1 ; B. Chevignard, notamment, n’a pas jugé bon d’en reproduire un en fac-similé dans son édition des Présages (Paris, Ed. Du Seuil, 1999).

   Il importe certes de distinguer almanachs et prognostications et autres publications annuelles ou pluri-annuelles. Ces textes sont généralement l’occasion, les uns comme les autres d’épîtres plus ou moins amples dédiées aux personnages les plus divers en importance, familiers ou Grands. Selon nous, les deux épîtres qui figurent dans les éditions à dix centuries ont été empruntées à ce corpus de dédicaces.2

   Les almanachs ont à l’évidence des liens plus directs avec les Centuries, dans la mesure où ils comportent des quatrains, à partir de l’almanach pour 1555 dont l’original n’a pas été conservé alors que la pro(g)nostication pour 1555 l’a été. On en peut trouver la reproduction de la page de titre de l’édition lyonnaise, parue chez Jean Brotot3, et d’ailleurs les pages de titre des contrefaçons de 1555 et 1557, supposées parues à Lyon chez Macé Bonhomme ou Antoine du Rosne, comportent des vignettes caractéristiques de ces publications annuelles. On peut d’ailleurs se demander si la Paraphrase de Galien sus l’exortation de Menodote etc, traduite de latin en françois par Michel Nostradamus4, parue chez Antoine du Rosne et qui comporte étrangement une telle vignette n’est pas une contrefaçon, accompagnant les fausses éditions des Centuries censées parues chez ce libraire.

   Mais revenons aux almanachs et constatons que les quatrains mensuels y font l’objet de commentaires dans le cadre même des dits almanachs. Prenons le cas de l’almanach pour 1557, Paris, Jacques Kerver, dédié à Catherine de Médicis5, en date du 13 janvier 1556.6 D’ailleurs le titre complet est le suivant : Item la déclaration Lunaire de chacun moys, présageant les choses advenir en ladite Année. Déclaration ici signifie explication, commentaire.

   Pierre Brind’amour7 a été le premier à publier son point de vue à propos du Recueil des Présages Prosaïques :

   “L’ouvrage est une suite d’extraits nostradamiens en prose portant chacun un numéro d’ordre (...) Ce document avec ses milliers d’extraits (…) sera l’une de nos principales sources pour l’étude de Nostradamus.”

Recueil des Présages Prosaïques

Frontispice du Recueil des Présages Prosaïques

   Est-on parvenu, dix ans plus tard, avec les travaux notamment de Bernard Chevignard (1999) et plus récemment d’Elmar Gruber8, à identifier le contenu du Recueil ? Au vrai, quand on examine de près l’édition, parue partiellement - on ignore le sort de la suite, comme d’ailleurs pour la Bibliographie Nostradamus de Chomarat-Laroche, Baden-Baden, V. Koerner, 1989 - que B. Chevignard a réalisée9, on est un peu perplexe.

   A le lire, il semblerait que le Recueil des Présages Prosaïques reprenne le contenu des publications annuelles de Michel de Nostredame, mais en est-il vraiment ainsi ? D’abord Chevignard signale que l’on ne dispose pas de certains exemplaires d’origine que le RPP aurait compilés, notamment pour ce qui est des almanachs, donc comment pourrait-on s’en assurer sinon en ce qui concerne les quatrains ? L’intitulé complet de l’édition Chevignard est le suivant : Présages en vers 1555 - 1567. Présages en prose 1550 - 1559. Les Présages en vers, ce sont les quatrains sortis de leur contexte. Quant aux Présages en prose, on y trouve aussi les quatrains mais pour la seule période 1550 - 1559 et ces quatrains sont suivis de développements en prose. Or, selon une règle bien établie, ces quatrains ne figurent pas dans les Pronostications, mais s’agit-il pour autant d’une reproduction des Almanachs qui les comportent ?

   Prenons l’Almanach pour 1557, paru à Paris, chez J. Kerver, et dont nous avons reproduit la page de titre et l’épître introductive à Catherine de Médicis10, on trouve chaque quatrain associé avec le calendrier du mois et suivi d’un bref commentaire mais cela ne correspond pas exactement avec ce que l’on trouve dans le RPP, restitué par Chevignard, ni d’ailleurs dans le manuscrit lui-même, conservé à la Bibliothèque de Lyon-La Part Dieu.

   Mettons en parallèle, par exemple, le traitement des mois dans l’Almanach pour l’an 1557, le plus ancien qui nous soit conservé, et dans le RPP.11 Chevignard fournit une note concernant le développement “Des présages de l’an 1557” : “L’almanach pour l’An 1557 offre de nouveau des quatrains prophétiques etc.”. On est donc persuadé que l’on a bien affaire ici au dit Almanach. Le n° 172, qui figure à la suite du quatrain pour le mois de janvier 1557 semble devoir nous l’assurer définitivement : “Les autres adventures par figures dressées à longues révolutions sont plus amplement manifestées en noz Présages qu’avons dédiez au très Chrestien Roy.” Il s’agit bien entendu d’un renvoi aux Présages Merveilleux que Chavigny d’ailleurs ne fournit que partiellement et dont Chevignard ne possède pas de reproduction.12 Or, force est de constater que ce passage renvoyant aux Présages ne figure ni dans l’Almanach ni dans la Grande Prognostication pour 1557, laquelle ne comporte pas de quatrains. Notons que dans l’Almanach pour 1557, on trouve chaque mois, avec ses brefs oracles quotidiens, comportant un quatrain et un commentaire, mais ce commentaire diffère assez sensiblement de celui figurant dans le RPP ! Et cela Chevignard ne nous le signale pas - et pas davantage Gruber, d’ailleurs, nous semble-t-il, soit qu’il n’ait pu le vérifier, soit qu’il ait juger bon de laisser ce point en suspens.

   Autrement dit, le RPP s’il comporte le texte des pronostications ne comporte pas fidèlement celui des almanachs, d’ailleurs souvent assez peu substantiel. Il ne suffit pas qu’un ensemble se présente avec des quatrains mensuels suivis de commentaires pour que l’on ait affaire, ipso facto, à un almanach ! Il s’agit donc d’autre chose et qui semble bien être de la plume de Michel de Nostredame selon le passage que nous avons cité.13

   Il semble que les almanachs ainsi reproduits dans le RPP correspondraient à une autre mouture que celle parue. Il ne saurait en effet s’agir d’un autre ouvrage, tant les recoupements sont multiples. Il ne semble pas non plus qu’il s’agisse d’une contrefaçon, car ce renvoi aux Présages est à rapprocher du passage où il est reconnu qu’on ne les a pas conservés : “D’un autre Présage sur la mesme année qui ne se trouve point, dédié à la Majesté du Roy Tres Chrestien etc.”14 On imagine mal une interpolation à ce propos mais bien plutôt une suppression lors de la parution de l’Almanach pour 1557. On notera d’ailleurs que ce renvoi est attesté par ailleurs dans les autres Epîtres aux publications pour cette même année :

   Epître à Catherine, reine de France : “Par les présages & par le présent almanach est amplement déclarée la constitution de la présente année.”

   Epître au Roy de Navarre : “l’almanach avec les prédictions que j’ay consacré au plus grand des Roys.”

   Tout se passe donc comme si la référence aux Présages Merveilleux, dans le corps de l’almanach pour 1557, aurait été jugée inutile.

   Il s’agit d’ailleurs de la fin de la page consacrée au mois de janvier et le libraire se sera cru obligé de commencer un nouveau mois à la page suivante, même si, par la suite, il renoncera à ce principe. Il semble en tout cas qu’il fallait supprimer quelques lignes pour que tout puisse tenir et on aura donc, in extremis, supprimé le passage suivant correspondant au n° 172 de la numérotation figurant dans le manuscrit du RPP :

171 (maintenu) : “On ne croira plus si légèrement ceux qui ne demandent que tueries, séditions, noises & querelles pour l’aerarium Royal tarir.”

172 (supprimé) : “Les autres adventures par figures dressées à longues révolutions sont plus amplement manifestées en noz Présages qu’avons dediez au tres Chrestien Roy.”

173 (maintenu, en haut de la page suivante) : quatrain de février etc.

Almanach pour 1557 (janvier)    Almanach pour 1557 (février)

Almanach pour l'an 1557
(Présages de janvier et février)

Almanach pour 1557 (janvier)

Almanach pour 1557 (février)

Recueil des Présages Prosaïques
(Edition Chevignard, 1999)

   Au demeurant, des points communs apparaissent dans le traitement des deux Epîtres, à César et à Henri II : dans les deux cas, les faussaires auront choisi des textes qui se référaient à des publications dont il suffisait de changer la nature : dans son Epître à César, Michel de Nostredame annonce une “Déclaration” concernant les quatrains de l’an 1555, dans l’autre, il annonce au roi qu’il introduit des Présages : “prendre la licentieuse audace vous consacrer les présaiges de l’an mil cinq cens cinquante & sept.”

   Ces deux approches, liées, chez les “légataires spirituels”, plus ou moins auto proclamés, de Michel de Nostredame, à des stratégies différentes concernant l’amplification des quatrains, soit exégétique, soit matérielle (production de nouveaux quatrains) auraient convergé, dans le Janus Gallicus, lequel commente à la fois quatrains mensuels et quatrains centuriques, encore que le RPP - manuscrit qui se présente comme devant être édité par Chavigny - ne comporte - pas plus d’ailleurs que la Correspondance, conservée à l’instar du RPP, éditée par J. Dupèbe (Ed Droz, 1983) - la moindre référence aux Centuries, ce qui nous conduit à penser qu’il s’agit d’un ouvrage compilé très tôt, avant même la production des dites Centuries et non pas dans les années 1580 - 1590 comme semble le laisser entendre Chevignard, lequel pourtant insiste sur le fait que Chevigny, qui aurait fréquenté Michel de Nostredame à la fin de la vie de ce dernier, et Chavigny sont une seule et même personne.

   Selon nous, en effet, le RPP est très ancien, il a atterri dans les mains de Jean Aimé de Chavigny qui en a tenu compte dans le J. G. et qui se préparait à le publier, sans se rendre compte des incompatibilités et des incongruités que cela impliquait : tels sont les aléas du syncrétisme qui consiste à rassembler tout ce qui se ressemble, dans le même sac, y compris des auteurs dont les noms se ressemblent (Chevigny et Chavigny) ou l’imitateur et l’imité. Ce Jean Aimé de Chavigny ne nous semble guère en tout cas au fait des enjeux exégétiques liés au corpus nostradamique, il se comporte comme un candide qui arrive après la bataille, rien à voir vraisemblablement avec le Jean de Chevigny, certainement plus au fait de ce qui s’était tramé à la mort de Michel de Nostredame et qui avait d’ailleurs pris parti, comme il ressort de sa Préface à l’Androgyn de Dorat, en 1570, pour la production de nouvelles Centuries.15

   “duquel j’ay encores rière (par devers moi) moy toutes les oeuvres tant en oraison, prose que tournée, que bien tost ie mettray en lumière (...) C’est le quatrain quarante-cinquième de sa seconde Centurie, où il est dit ainsi etc.”

   En tout état de cause, cette façon qu’a le JG de commenter les quatrains des almanachs pour des périodes se situant bien au delà de leur date d’échéance nous semble assez hétérodoxe et guère respectueuse de la démarche d’astrologue d’un Michel de Nostredame pour qui les configurations astrales sont liées à une chronologie précise et nullement transposable.

   Nous interpréterons désormais ce passage ainsi : Jean de Chevigny s’appuie sur l’existence d’un certain corpus conservé et il l’amalgame délibérément avec les Centuries, dont certaines viennent de paraître pour la première fois, de façon posthume.16

   Dans l’Epître centurique à César, Michel de Nostredame, déclare avoir vérifié le bien fondé de ses quatrains. Il s’agit là probablement d’une interpolation (1) visant à justifier l’existence des Centuries17, et qui d’ailleurs ne s’articule pas très bien avec la formule finale, selon nous plus authentique (2) :

   1 - “Combien que de long temps par plusieurs fois j’aye prédict longtemps auparavant ce que depuis est advenu etc. (...) j’ay composé livres de prophéties contenant chacun cent quatrains astronomiques de prophéties etc.”

   2 - “Espérant toy déclarer une chacune prophétie des quatrains icy mis.”

   Pour déterminer la date de rédaction du commentaire des quatrains que constitue, en pratique, l’almanach, il conviendrait d’analyser le contenu du dit commentaire des quatrains, à partir de l’apparition des dits quatrains, avec l’almanach pour 1555, et d’y cerner les enjeux18, sous réserve évidemment d’interpolations tardives. Il faudrait aussi comparer ces commentaires avec ceux qui figurent dans le JG pour les mêmes quatrains. Il est clair que si les commentaires ne visaient que l’année où les quatrains sont parus, ils n’offriraient, a priori, guère d’intérêt pour la prévision concernant des périodes plus tardives. Au fond, tout se passe comme si l’on avait trouvé ce brouillon de commentaire des quatrains d’almanachs dans les papiers de Michel de Nostredame.

   Il semble d’ailleurs que pour 1555, il ait existé un almanach avec quatrains et un autre sans quatrain19, ce qui s’expliquerait par le fait que c’est en cette année que la nouvelle formule avec quatrains fut lancée. (“D’un autre présage sur la mesme année”). D’ailleurs, pour l’an 1556, on ne dispose que d’un commentaire sans quatrains : il est possible que les deux formules aient encore cohabité à moins, puisque l’on n’a pas les quatrains de cette année là, que la formule avec quatrains ait été suspendue. Ce n’est donc qu’à partir de 1557 que la formule avec quatrains aurait définitivement supplanté celle sans quatrains.

   En conclusion, il conviendrait d’exiger des nostradamologues plus de rigueur : nous avons déjà constaté que ceux-ci tendaient à apporter plus de confusion que de clarté à la compréhension du phénomène Nostradamus. L’importance mal appréciée accordée aux éditions de 1555 et 1557, dont on sait qu’elle affecte les biographies de l’auteur20, en est un témoignage mais la façon dont B. Chevignard a conçu son travail d’édition des Présages, sans comparaison systématique avec les imprimés disponibles, relève à l’inverse moins d’un manque de documentation que de méthode - puisque il est patent que Chevignard eut en main la reproduction de l’Almanach pour 1557 :

   “Malheureusement, écrit le chercheur bourguignon, Jean-Aimé de Chavigny a retranché des “extraits” de son Recueil la plupart des références astrologiques, de même qu’il n’a généralement pas retenu les considérations météorologiques ou médicales, comme le montre par exemple le passage suivant de l’Almanach pour l’An 1557 etc.”21

   Nous ne suivrons pas Chevignard, dans cette voie et d’ailleurs nous pensons que Chavigny n’est nullement responsable des décalages entre le manuscrit et l’almanach édité par le libraire parisien. Curieusement, le “verset” 172 pouvait difficilement passer inaperçu, puisqu’il est accompagné d’une note marginale, qui, elle, pourrait être de Chavigny : “Autres présages sur ceste année non venus à notre notice.”22 Bien plus, Chevignard consacre une note à ce verset en renvoyant aux Présages Merveilleux : “Chavigny ne pourra donner de cet opuscule que les citations qu’en fait l’auteur du Monstre d’Abus etc.”, sans vérifier si le verset 172 figure ou non dans l’Almanach pour 1557. Autrement dit, Chevignard est convaincu que l’on a supprimé du RPP des passages du dit almanach alors que c’est l’almanach qui, sur certains points, ne comporte plus certains passages du manuscrit. La note de Chavigny montre d’ailleurs à quel point il est étranger au texte qu’il commente puisqu’il y est question de références à un texte qu’il ne connaît pas !

   P. Brind’amour, quant à lui, à propos du RPP, en parlant vaguement d’ “extraits” avait laissé entendre qu’il s’agissait d’une compilation et nullement d’un brouillon d’un seul tenant et voulu comme tel. Rien à voir avec la compilation d’un Crespin dans les Prophéties à la nation française et à la puissance divine (1572).23

   La comparaison entre le manuscrit de l’almanach et l’almanach sous sa forme définitive est certainement précieuse pour mieux comprendre le processus de fabrication. Il est possible que la phase finale de rédaction n’ait pas été le fait de Michel de Nostredame, ce qui expliquerait le sentiment, au demeurant erroné, de B. Chevignard à propos de coupures que le manuscrit aurait opérées par rapport à l’imprimé. C’est peut être bien plutôt Michel de Nostredame qui ne goûtait pas certains développements et les faisait en quelque sorte sous-traiter par quelque secrétaire.

   En conclusion, nous pensons que le RPP comporte bel et bien une mouture inédite du texte des almanachs, non conforme à ce qui fut imprimé et il s’agit très probablement d’un texte authentique attribuable à Michel de Nostredame. Il eut été heureux que Chevignard complétât précisément par la reproduction des almanachs conservés, encore eut-il fallu qu’il comprît qu’ils différaient de ceux présents dans le Recueil des Présages Prosaïques.

   Le RPP est à rapprocher de la Correspondance de cet auteur, éditée par Jean Dupèbe.24 Le fait que celle-ci ait été conservée nous explique que l’on ait pu vouloir également maintenir un corpus des “brouillons” des almanachs - avec leurs quatrains - et d’autres publications annuelles de Michel de Nostredame et l’on ne peut que constater, de façon plus aiguë, l’absence très probable d’un recueil comportant les Centuries et que l’on aura voulu adjoindre aux deux autres corpus. Cependant, on ne saurait exclure que l’on n’ait retrouvé également des quatrains à caractère historique commentant les “carmes” des Vaticinations Perpétuelles et que ce seraient ces quatrains qui auraient servi de noyau à la rédaction de certaines Centuries. La formule de la Préface à César, déjà citée “espérant toy déclarer une chacune prophétie des quatrains icy mis” devrait être restituée ainsi : “espérant toy déclarer une chacune prophétie des carmes icy mis.”

   C’est donc probablement dans le RPP que le texte authentique des quatrains d’almanachs figure, bien plus que dans les ouvrages imprimés. En d’autres termes, le manuscrit, ici, prévaut, selon nous, sur l’imprimé et le précède, c’est l’imprimé qui reproduit le manuscrit et non pas l’inverse. Cette affaire nous rappelle un débat qui eut lieu, et qui nous avait impliqué ainsi que R. Amadou, voilà quelques années, autour d’une Epître de Michel de Nostredame adressée en 1561 au pape Pie IV, dont on possédait copie en fac-similé d’un manuscrit qui était à confronter avec un imprimé, à savoir l’épître en tête de l’Almanach nouveau pour 1562, Paris, Guillaume Le Noir, conservé à Bruxelles.25

   On terminera par une observation du même ordre concernant le travail réalisé par Robert Benazra concernant la reconstitution de la Préface à César à partir d’extraits de textes d’Antoine Couillard en particulier.26 Il existe, en effet, des variantes sur lesquelles Benazra passe un peu vite et qui présentent justement selon nous un certain intérêt en ce qu’elles soulignent le fait que l’édition Macé Bonhomme de 1555 diffère quelque peu de la reproduction fournie par les “témoins”. Voici quelques échantillons significatifs :

   Cas I

-Lettre à César :
“m’a faict mettre mon long temps par continuelles vigilations nocturnes referer par escript, toy delaisser memoire, apres la corporelle extinction de ton progeniteur, au commun profit des humains” (fol. A2r)
-Prophéties de Couillard :
“je declare cy apres mes assertions & predictions congneues par revolutions continuelles vigilations nocturnes & revelations inspirées” (fol. E2r)

   On notera la disparition du mot “révolution” dans la Lettre à César, telle qu’elle figure en tête d’un lot de Centuries.

   Cas II

- Lettre à César :
“Dieu le createur par les ministres de ses messagiers de feu en flamme missive vient à proposer aux sens exterieurs, mesmement à nos yeulx, les causes de future prediction significatrices du cas futur, qui se doibt à cellui qui presaige manifester.” (fol. B4r)
- Prophéties de Couillard :
“il n’est pas impossible à Dieu qui est tout puissant de nous proposer & par ses ministres ou messaigers, soit en feu ou flamme faire apparoir à noz sens exterieurs, les causes significatives du cas futur” (fol. E3v)

   Le texte de Couillard semble plus cohérent : “ministres ou messagiers” nous paraît plus acceptable que “ministres de ses messagiers”, ministres étant synonyme de messagers. De même, “feu ou flamme” fait plus sens que “feu en flamme”, là encore il s’agit de synonymes.

   Cas III

- Lettre à César :
“toutesfois aux aultres effectz subjectz pour la similitude de la cause du bon genius, celle challeur & puissance vaticinatrice s’approche de nous” (fol. A3v)
- Prophéties de Couillard :
“Je puis encore dire & asseurer, par pure & certaine chaleur de verité, & puissance vaticinatrice, qui s’est approchée de nous” (fol. G1v)

   On note la disparition de “vérité” dans la Préface.

   Cas IV

- Lettre à César :
“combien que, Abscondisti haec à sapientibus, & prudentibus, id est potentibus & regibus, & enucleasti ea exiguis & teuibus, & aux Prophetes” (fol. A3rv)
- Contredits (…) aux faulses & abusifves propheties de Nostradamus etc. par A. Couillard Du Pavillon (1560) :
“ce qui est escript en l’evangile sainct Matthieu unziesme chapitre je te rends graces que tu as caché ces choses aux sages & prudens, & les as revelé aux petits.” (fol. 19v)

   Il est étonnant que Couillard ait pu prendre la peine - quel zèle vraiment ! - de donner la référence à St Matthieu avec le chapitre concerné - il est vrai qu’il fournit la traduction française à moins qu’elle ne figure dans l’original - alors que la Préface ne précise même pas d’où vient le passage latin, qu’elle ne traduit pas. On peut penser que cette référence aux Evangiles figurait dans la Préface d’origine à César.

   On observera donc qu’il importe de déterminer lorsque deux textes sont très proches, lequel prévaut sur l’autre, en termes d’authenticité : pour nous le RPP qui est un manuscrit prévaut sur les imprimés et le témoignage des Prophéties de Couillard (1556) l’emporte sur la Préface à César telle qu’elle figure dans les éditions Macé Bonhomme des Centuries. Il conviendrait, d’ailleurs, également de s’interroger sur la valeur de la compilation de Crespin - les Prophéties à la puissance divine et à la nation française (1572) - par rapport aux éditions des Centuries supposées parues antérieurement à celle-ci.27

   Il semble, en tout cas, heureux que cette mise au point et celle concernant les Significations de l’Eclipse de 155928 aient justement lieu en cette année anniversaire 2003 dont l’objet devrait être, n’est-il pas vrai, de dégager le visage du vrai Nostradamus.

Jacques Halbronn
Paris, le 14 juillet 2003

Notes

1 Cf. Le fac-similé publié dans les Cahiers Michel Nostradamus, n° 5 - 6, 1987 - 1988. Retour

2 Cf. notamment notre étude sur le témoignage de Videl. Retour

3 Cf. Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002, p. 43. Retour

4 Cf. Bibl. Mazarine 29247 (3). Retour

5 Dédicace reproduite in Documents inexploités etc., op. cit. Retour

6 Copie à la Bibliotheca Astrologica, à partir de la collection Ruzo. Retour

7 Cf. Nostradamus, astrophile, Ottawa, 1993, p. 502. Retour

8 Cf. Nostradamus, sein Leben, sein Werk und die wahre Bedeutung seiner Prophezeiungen, Bern, Ed. Scherz, 2003. Retour

9 Cf. Présages de Nostradamus, Paris, Ed. Seuil, 1999. Retour

10 Cf. nos Documents inexploités, op. cit. Retour

11 Cf. Chevignard, Ed. Présages de Nostradamus, op. cit., pp. 120 - 121, 269 - 270. Retour

12 A partir de la collection Ruzo. Un exemplaire se trouve à la Bibliotheca Astrologica et nous avons reproduit dans Documents Inexploités, op. cit., l’intégralité de la dite Epître. Retour

13 “Les autres adventures par figures dressées à longues révolutions sont plus amplement manifestées en noz Présages qu’avons dédiez (il faut lire : “en mes présages que j’ai dédiés”) au très Chrestien Roy.” Retour

14 Cf Chevignard, Présages de Nostradamus, op. cit., p 283. Retour

15 Cf. Documents Inexploités, op. cit., p. 135. Retour

16 Cf. notre étude sur la carrière et le caractère posthume de Nostradamus. Retour

17 Cf. notre étude sur Nostradamus premier exégète des Centuries. Retour

18 Cf. Chevignard, Présages de Nostradamus, op. cit., pp. 229 - 376. Retour

19 Cf. Chevignard, Présages, op. cit. pp. 241 - 251. Retour

20 Cf. notre étude des éditions du cinquième centenaire de sa naissance. Retour

21 Cf. Présages de Nostradamus, op. cit., p. 71. Retour

22 Cf. Présages de Nostradamus, op. cit., p. 269. Retour

23 Voir nos Documents inexploités, op. cit. Retour

24 Cf. Lettres Inédites, Genève, Droz, 1983. Retour

25 Cf. notamment notre article “Une attaque réformée oubliée contre Nostradamus (1561) ” in Réforme, Humanisme, Renaissance, 1991. Retour

26 Cf. son étude “Les premiers garants de la publication des Centuries de Nostradamus”. Retour

27 Reproduites en fac-similé dans nos Documents inexploités, op. cit. Retour

28 Cf notre étude sur “la fortune des emprunts à Leovitius”. Retour



 

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