|
||
---|---|---|
Accueil Biographie Ascendance Bibliographie Références Analyse |
Frontispices Gravures Actualité Recherche Club Ramkat |
|
|
ANALYSE |
40
Réponse aux observations parues dans le n° 26 du CURA
|
Sommaire :
1 - Un faux almanach de Nostradamus paru sous la Ligue
2 - Les fallacieux espoirs des nostradamologues à la solde des faussaires
3 - Le distinguo faux / contrefaçons dans le champ nostradamique
4 - Le Janus Gallicus et les éditions des Prophéties
5 - Du traitement raisonné de l’iconographie nostradamique
Un faux almanach de Nostradamus paru sous la Ligue |
Notre recherche nostradamologique - collaboration Halbronn - Van Berkel - a conduit récemment à disqualifier les Significations de l’Eclipse pour 1559. Ce point est important, car l’ouvrage renvoyait explicitement à la Centurie II. Mais le travail critique révélait à quel point les faussaires ne s’étaient pas concentrés sur les seules Centuries.
Le problème se pose à nouveau, à la suite de l’article de P. Guinard consacré à ce que lui -même appelle le faux almanach pour 15631 D’emblée P. Guinard affirme que l’ouvrage parut en 1562 (sic) alors qu’il n’en sait strictement rien, sauf à prendre à la lettre la présentation que donne R. Benazra, dans le RCN (p. 59) et qui relève d’une simple convention à ne pas prendre à la lettre. En apportant une telle précision à savoir 1562 et non 1563, on passe de la bibliographie à la biographie.
Il est pour le moins étonnant qu’un faux de cet acabit et dont chacun pouvait aisément se rendre compte, soit paru du vivant de Michel de Nostredame. Or, si le document est un faux, pourquoi faudrait-il prendre à ce point au sérieux la date de publication indiquée ou l’adresse du libraire ?
C’est que ce faux est une compilation et par conséquent - comme dans le cas Crespin - il attesterait de ce qui est paru auparavant.
Rappelons les conclusions de P. Guinard avant de les discuter :
Cette épître dédicatoire est un pastiche de la manière nostradamienne où se remarquent des emprunts à l’Excellent et Moult utile Opuscule, à l’Epître à César, voire même à l’Epître à Henri II, une preuve de plus de l’existence, avant 1568, de cette fameuse préface au roi de France, et ceci grâce... à notre faussaire. En effet, le faussaire, dans un style exécrable, en cherchant à détourner le sens de l’ouvrage authentique par des singeries qu’on dirait aujourd’hui bassement politiciennes, en atteste la valeur (et notamment de la lettre à Henry parue dans l’édition de Lyon en 1558, aujourd’hui perdue), sans se douter qu’un acharnement dirigé contre l’auteur des Prophéties pourrait naître quelques siècles plus tard chez certains esprits hostiles. Ainsi ces passages significatifs, d’autant plus que les expressions Roy des roys et naturel instinct n’apparaissent que dans les 3e éditions des Prophéties2 :
- Epître à Henry : son tres humble, tres-obeissant serviteur & subject, victoire & felicité
- Faux de 1563 : son humble et tres-obeissant serviteur, desire joye, salut & felicité
- Epître à Henry : apres avoir eu longuement cogité d’une temeraire audace ay prins mon addresse envers vostre majesté
- Faux de 1563 : m’a faict prendre l’audace vous vouloir consacrer
- Epître à Henry : composees plustost d’un naturel instinct, accompagné d’une fureur poëtique
- Faux de 1563 : la fureur effectrice par naturel instinct
- Vers IX.90 C : Au Roy des roys ayde de Pannonie
- Faux de 1563 : prions tous le Roy des Roys
On notera aussi l’image du frontispice, reprise de la première édition des Prophéties (Lyon, Macé Bonhomme, 1555), avec l’ajout d’une sixième planète dans la fenêtre en haut et à droite !
Cette démonstration nous évoque par certains aspects méthodologiques celle que produisit récemment R. Benazra concernant les enseignements que l’on pouvait tirer des Prophéties de Couillard, étude qui est précisément reprise dans ce même n° 26 du CURA et à laquelle nous avions répondu.
Revenons donc sur le faux almanach pour 1563. De quand date-t-il ? On notera pour commencer que l’on a connaissance d’un vrai almanach pour cette même année, paru à Avignon, chez Pierre Roux. Nous avions déjà signalé, nous semble-t-il, à P. Guinard les similitudes entre l’Epître dédicatoire du faux almanach pour 1563 et l’Epître à Henri II. Faut-il rappeler que même Ruzo auquel Guinard accorde quelque autorité connaissait l’existence d’une Epître au Roi, placée en tête des Présages Merveilleux pour 1557, et c’est d’ailleurs de sa collection que nous disposons d’une copie, très aimablement envoyée par sa veuve, il y a déjà quelques années. Et comment imaginer un instant que coup sur coup Michel de Nostredame aurait pu s’adresser au Roy en se référant à la même rencontre ? On voit bien que les faussaires supposent, dans tous les cas ici abordés, que l’on ne retrouvera pas l’original.
Il serait tout de même assez étonnant que notre travail consacré à Crespin ait pu inspirer les observations de P. Guinard. Certes, Crespin se considère-t-il comme le successeur de Michel de Nostredame et il témoigne d’ailleurs, en 1572, de la parution de l’Epître à Henri II datée de 1558 et non plus de 1556.3 Certes, le témoignage d’un faussaire peut-il être reçu, dans certains cas et Antoine Couillard, à sa façon, était également un faussaire, qui parodiait le style de Michel de Nostredame sans malheureusement produire un seul malheureux quatrain, ce qui est tout de même étonnant pour un imitateur si tant est que le modèle en eût comporté. Mais de là à croire dur comme fer que l’almanach pour 1563 fut bien publié à la date indiquée, c’est une toute autre affaire.
Selon nous, cet almanach est postérieur à la mort de Michel de Nostredame, tout comme les Significations de l’Eclipse supposées parues en 1558 et dont le contenu est marqué par la plus grande confusion comme nous l’avons montré. Il est évidemment postérieur à la date où la fausse Epître à Henri II fut publiée puisque précisément il s’en inspire. Quant à la référence à un morceau de verset du quatrain 90 de la Centurie IX, on nous permettra de trouver cela un peu léger, même si cela ne pose pas de problème en soi, cette centurie, sinon ce quatrain, étant attestés par Crespin, dès 1572, dans ses Prophéties dédiées à la Puissance Divine et à la Nation Française (ouvrage numérisé et accessible par internet sur le Site de la BNF Gallica) et qui est reproduit en fac-similé dans nos Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus (op. cit.).
La vignette utilisée pour l’almanach en question est à rapprocher de celle des éditons parisiennes parues sous la Ligue, dans les années 1588 - 1589, chez Pierre Ménier et chez la Veuve Nicolas Rosset - et non Roffet, comme on le lit le plus souvent. A noter qu’il y a des dizaines de Rosset dans l’annuaire téléphonique de Paris et pas un seul Roffet. Or, selon nous, c’est précisément à partir de ces éditions que furent composées les contrefaçons datées de 1555 et 1558 et comportant cette même vignette. Mais cette vignette elle-même est issue d’un document authentique, à savoir la Pronostication Nouvelle pour 1562, conservée à Munich et qui servit d’ailleurs de frontispice au RCN, à notre instigation. Or, cette fameuse Pronostication pour 1562 parut - vous l’aviez deviné, cher lecteur - chez la veuve Barbe Regnault. Il est étonnant que P. Guinard ne mentionne pas cette information. Mais nous avons montré dans une autre étude, qui fait pendant à celle-ci et concerne le travail d’E. Gruber (faisant également partie du dossier Nostradamus, CURA, 26), Les faux espoirs des nostradamologues à la solde des faussaires, que ce faux Almanach avait été fabriqué à partir de la Pronostication Nouvelle pour 1562, probablement parue chez la même libraire. On conçoit dès lors comment les choses se mirent en place : on réédita cette Pronostication en y plaçant des quatrains qui ne sont nullement ceux de l’almanach avignonnais pour 1563 ; on y ajouta l’Epître à François de Guise, oubliant simplement un détail, à savoir que cette vignette avait été utilisée pour une Pronostication et non pour un Almanach ! En fait, ce faux almanach est un mélange du genre Pronostication (par la forme des prédictions) et du genre Almanach (par les quatrains et le calendrier).
Pronostication nouvelle pour 1562 Faux almanach pour 1563
Seules en effet, à notre connaissance, comme le montre l’étude iconographique, les pronostications, et ce depuis celle pour 1555 dont traite une étude de Ruzo, dans le même n° 26 du CURA, comportent des vignettes représentant un personnage à sa table de travail. Jamais, au grand jamais les almanachs et inversement, on ne trouve jamais de quatrains français dans une Pronostication. Nous avions signalé à plusieurs reprises la nécessité d’une certaine rigueur dans ce domaine. Or, il est évident qu’une telle bévue iconographique n’aurait pu être commise en 1562 / 1563, elle ne peut être que le fait d’une période plus tardive, moins familière avec de tels détails.
On nous objectera que Ruzo semble au contraire démontrer que la Prognostication pour 1555 comportait des quatrains.4
En voici des extraits :
En 1554, les treize premiers quatrains de son oeuvre sont imprimés à Lyon, par Jean Brotot, en vue des pronostications pour 1555. Tous les exemplaires des pronostications et des almanachs de Nostradamus pour 1555 ont disparu, et seul est parvenu jusqu’à nous cet exemplaire que nous reproduisons. Il constitue une preuve de tout ce que nous venons d’exposer. L’analyse de ces cinquante-deux vers témoigne des difficultés qu’a dû vaincre le prophète pour remplir toutes les conditions qui l’orientaient obligatoirement vers un texte sibyllin, alchimique, astrologique, chronologique, cryptographique, mythologique, et mystique (…) Heureusement, et il nous faut encore répéter ce terme, l’exemplaire relatif à 1555 qu’avait eu sous les yeux Chavigny et dont il avait reproduit et commenté les vers, était un exemplaire de l’édition d’Avignon, dont nous reproduisons les quatorze quatrains. L’un d’entre eux, l’ épistre liminaire pour l’an 1555 n’apparaît pas dans l’édition de Lyon. Il s’agit d’un quatrain panégyrique à l’adresse du baron de la Garde, du comte de Tende et du sieur de Villars, gouverneurs de la Provence et du Languedoc. Les indications de Nostradamus nous autorisent à ne pas tenir compte dans son oeuvre des quatrains sur l’année, à l’exception du premier, de 1555, qui est le premier quatrain de sa première pronostication, et le premier de l’œuvre.
Cette affaire des quatrains de la Prognostication de 1555 nous semble finalement assez louche. Il compare des versions différentes des quatrains mais ne s’agirait-il pas des quatrains figurant dans le Recueil des Présages Prosaïques et ceux du Janus Gallicus ?
P. Guinard note à juste titre : Il est regrettable que Ruzo n’offre que les images de la version de Chavigny (ici : Janus, p. 62), et non celles de la Prognostication pour l’an M D L V dont il a reproduit le frontispice à la page 64 du numéro 97 des Cahiers Astrologiques.
Nous restons, pour notre part, très sceptique sur le fait que puisse exister une Prognostication pour 1555 comportant des quatrains et nous attendons l’occasion d’examiner cet ouvrage et sa composition matérielle, puisque Ruzo n’a pas jugé bon de fournir une reproduction en fac-similé des quatrains qui sont supposés s’y trouver, dont on ne connaît pour l’heure que la page de titre !
Quant à B. Chevignard, éditeur du RPP, il indique en note (p. 218) : Cette Prognostication nouvelle & portenteuse prédiction pour l’an MDLV est la première (sic) qui contienne des quatrains prophétiques comme s’il en connaissait d’autres. On notera que le texte du RPP relatif aux quatrains commentés (Chevignard, pp. 229 et seq) ne comporte pas les deux quatrains liminaires - dont celui qui figure dans la Vie de Nostradamus - et qui sont commentés dans le Janus Gallicus et que Chevignard reproduit (p. 113). Il semble bien que c’est sur cette base que Ruzo ait établi son propos comparatif et non sur un exemplaire complet de la Prognostication pour 1555 dont il semble finalement ne posséder que la page de titre.5 On se demande d’ailleurs si l’épître dédicatoire mentionnée à Joseph de Panisses et dont Ruzo - dont le témoignage nous semble ici pour le moins douteux - ne nous fournit pas le texte - et dont il a pu connaître l’existence d’après certaines sources - se situait en tête de la Prognostication ou en tête de l’Almanach.
Pour en revenir au faux almanach pour 1563, celui-ci ne fait qu’apporter de l’eau à notre moulin puisqu’il montre bien que l’on a fabriqué sous la Ligue des contrefaçons datées des années 1555 - 1563 et pas seulement en matière de Centuries, mais sur le double front des quatrains, tant ceux des Centuries que ceux des Almanachs. A l’appui de nos dires, la page de titre inconnue de P. Guinard6 de l’édition de la Veuve Nicolas Rosset (1588) et qui comporte une vignette, certes tronquée dans sa partie droite, mais qui semble exactement semblable à celle de l’almanach pour 1563 (conservée à la British Library et reproduite ici). D’ailleurs, à propos de la Veuve Barbe Regnault, on notera7 la parution également fort improbable, du moins à la date de 1560, d’une édition des Prophéties revues et additionnées par l’auteur pour l’an mil cinq cens soyxante & un de trente neuf articles à la dernière centurie, et qui serait paru chez nul autre que chez Barbe Regnault ! Or, c’est précisément cette référence à une addition pour 1560 de 39 articles qui figure sur les diverses éditions parisiennes et notamment chez celle de la veuve Nicolas Rosset. Le monde est petit !
On notera d’ailleurs que cette façon d’utiliser un almanach censé paru pour 1563 pour une période plus tardive, celle de la Ligue, explique pourquoi dans le Janus Gallicus on ne se privera pas, quelques années plus tard, de commenter certains quatrains des almanachs pour une autre époque que leur destination première.
Il ne suffit pas, en effet, de constater que les quatrains figurant dans ce faux almanach ont été pris de tel ou tel almanach authentique mais il conviendrait de s’interroger, tout de même, sur les raisons de la sélection de ces quatrains en particulier. C’est là que l’on voit le fossé qui sépare les bibliographes des historiens. Il est plus que probable que les quatrains figurant dans cet almanach sont fournis en tant que commentaire de certains événements et cela devait être totalement évident pour les lecteurs d’alors, sans qu’on ait besoin de leur mettre les points sur les i. C’était là une méthode exégétique que nous avons déjà signalée pour les éditions des Centuries parues à Paris, que de mettre ainsi en évidence les quatrains qui faisaient sens pour le parti catholique. On notera ainsi le dernier quatrain - souvent le plus significatif comme on peut l’observer pour les Centuries - celui pour décembre semble viser Henri III, qui allait être assassiné en 1589, lequel avait pris parti pour Henri de Navarre.
Quant à l’Epistre à François de Lorraine, on rappellera qu’à Paris, il n’était pas question de publier en 1588 l’Epitre à Henri II, d’inspiration protestante, pas plus d’ailleurs que les Centuries VIII - X, du moins pour certains quatrains annonçant la victoire du parti Vendôme, c’est-à-dire celui des Bourbons et la chute des Norlaris, c’est-à-dire l’anagramme des Lorrains et en fait des Guise, qui étaient de la maison de Lorraine.
En faisant s’adresser Michel de Nostredame à François de Lorraine, duc de Guise, en une épître non datée, précisons-le, on rétablissait l’équilibre en faveur des Catholiques, mais ce faisant on fabriquait une fausse Epître à Henri II, dont P. Guinard nous montre les emprunts. On voit donc que l’almanach pour 1563 est une pièce importante du dispositif et vient compléter les éditions tronqués elles aussi des Centuries et comportant comme l’almanach la fameuse vignette, constituant ainsi un diptyque que nous reproduisons ici.
Qui était donc ce François de Lorraine, duc de Guise ? Il mourut précisément en 1563, assassiné par un Protestant, donc l’année de l’almanach. Ce n’est autre que le père d’Henri le Balafré, duc de Guise qui fut assassiné en 1588, à Blois, sur ordre d’Henri III. Ce texte supposé paru en 1562 à la veille du meurtre du dédicataire fait pendant à l’Epître figurant en tête des Significations de l’Eclipse de 1559, supposée parue à la veille de la mort en tournoi d’Henri II. On trouvera certainement quelque annonce d’une telle mort d’un Guise dans le dit Almanach mais restons en là pour l’heure. On ajoutera que les années 1560 - 1561 où l’on a voulu qu’une édition des Centuries soit parue sont précisément celles qui précédèrent la mort de François de Guise, proche du jeune roi François II, à la mort d’Henri II.8
P. Guinard nous rappelle, dans son étude iconographique déjà mentionnée, les dix Centuries signalées par Du Verdier, en 1584, dans sa Bibliothèque, comme parues en 1568 chez Benoist Rigaud, mais le contenu de la dite édition était certainement fort différent de celui de celles qui ont été conservées et portant la date de 1568, précisément par référence à une première édition perdue, et qui ne comportent pas dix centuries pleine et nullement la miliade de quatrains annoncée dans l’Epître à Henri II, dont P. Guinard aurait souhaité que l’Almanach pour 1563 attestât l’authenticité et l’antériorité.9 Apparemment, P. Guinard refuse de tenir compte du fait, qui lui est pourtant bien connu, que Crespin ne recourt nullement, dans sa compilation, aux centuries V, VI et VII, supposées figurer dans les dites éditions de 1568.
Quant à la date de ces fausses éditions datées de 1568, l’étude iconographique nous montre qu’il faut aller voir dans les dernières années du XVIe siècle puisque là encore il y a un parallèle saisissant à faire entre les vignettes des éditions Héritiers Rigaud (Collection Harry Price, Université de Londres), non datées et absentes de son inventaire iconographique - bien que reproduites sur ce Site - ce qui nous conduit à penser qu’il n’a pas assimilé nos différents travaux qui y sont parus, au cours du premier semestre 2003 - et les vignettes utilisées pour illustrer les éditions datées de 1568, notamment celles du reprint paru à l’initiative de M. Chomarat (2000). Mais on peut toujours soutenir évidemment que ces éditions de la fin du XVIe siècle, tant celles de Paris que celles de Lyon n’ont fait que reproduire les éditions des années 1555 - 1568. C’est pourquoi, contrairement à ce que l’on pouvait croire, le combat décisif concerne les publications non centuriques attribuées à Michel de Nostredame, dont le rôle de complément stratégique avait été jusque là sous-estimé. Il est ainsi probable que les fausses Significations de l’Eclipse de 1559 furent réalisées à partir de la Pronostication nouvelle pour 1558, conservée à La Haye : même vignette, même libraire parisien, Guillaume Le Noir, ces deux textes étant reproduits à la fin de l’édition des Présages de Nostradamus de B. Chevignard (Paris, Seuil, 1999, pp. 419 et 445).
Pronostication pour l'an 1558 Significations de l'Eclipse
On notera que le Recueil de Présages Prosaïques, consacré essentiellement aux almanachs et prognostications, ne comporte aucun élément iconographique ni mention de libraire : il s’agit selon nous des brouillons de Michel de Nostredame, avant publication, qui ne sont nullement le fait de Jean Aimé de Chavigny qui s’est contenté de commentaires sur les marges dans le manuscrit daté de 1589. Il devait donc exister parallèlement une collection des publications imprimées qui servit à la besogne des faussaires.
Jacques Halbronn
Paris, le 16 juillet 2003
Les fallacieux espoirs des nostradamologues à la solde des faussaires |
Il semble que l’article de R. Benazra concernant la Préface à César ait suscité bien des fausses espérances et il est tout à fait significatif que notre réponse à cet article, dans les 48 heures10, n’ait apparemment pas été prise en compte voire même publiée dans le n° 26 du CURA consacré à Nostradamus, ce qui aboutit à ce que tout un lot de textes paraisse, tous dans le même sens, sans aucun droit à la réplique avant on ne sait combien de temps. On appréciera le procédé qui s’apparente à la politique de l’autruche ! Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
Le vrai problème est de savoir ce que Michel de Nostredame entendait par Vaticinations Perpétuelles. On veut nous faire croire que cela signifiait les quatrains des Centuries tels qu’ils figurent dans le canon nostradamique. On a certes probablement raison de souligner que ces Prophéties dont il est question ne sauraient être assimilées à des prognostications annuelles, au sens où on l’entend généralement, à savoir des publications qui ne valent que pour un an encore que la formule nouvelles prophéties & prognostications, puisse concerner d’une part les almanachs avec leurs quatrains, bien réels ceux-là, et de l’autre les prognostications.
Nous avions déjà abordé le problème dans l’ouvrage édité par R. Benazra lui-même.11 Mais si l’on observe le fonctionnement des Prophéties Perpétuelles, dont il est au demeurant largement question dans une étude consacrée à Moult, parue sur le Site du CURA, et qui comporte précisément un développement sur Nostradamus, on notera que pour chaque année, est proposé un oracle particulier. Donc, aucun problème, les Vaticinations Perpétuelles sont des prophéties datées et annuelles mais bien distinctes de la production annuelle, le mot annuel signifiant aussi bien ce qui paraît chaque année que ce qui vaut pour chaque année. Cette question des Prophéties Perpétuelles, notamment chez Gruber12, apparaît comme un point aveugle : on en parle sans savoir de quoi il s’agit avec le vain espoir que cela pourrait être les Centuries. C’est ainsi que cette mention de l’année 3797 fait certainement référence à un passage du corps de l’ouvrage comme c’est souvent le cas d’une Préface. Or, dans les Centuries, on ne nous parle pas de ce nombre, c’est bien fâcheux !
Et ce n’est pas parce que René Prévost n’a pas su reconnaître l’existence d’une Préface à César que cela change quoi que ce soit car pour notre part nous avions admis très vite, tout en précisant que cela n’impliquait pas la présence des Centuries à sa suite et nous avions signalé13 des variantes entre le texte de Couillard et celui de la dite Préface. En revanche, Prévost a raison de montrer que certains quatrains des Centuries concernent des événements postérieurs aux années 1555 - 1557. Et ce n’est pas parce qu’il n’apprécie pas à sa juste valeur le témoignage de Couillard que cela y change quoi que ce soit. On peut mal défendre une bonne thèse. De là à conclure que Michel de Nostredame était bien prophète puisque ses quatrains seraient parus (?) avant les événements, il n’y a qu’un pas que certains n’hésitent pas un peu vite à franchir.
Elmar Gruber parle désormais sérieusement de preuve beyond doubt concernant la parution des premières Centuries avant le texte de Couillard. De qui se moque-t-on ? On veut nous faire oublier que Couillard ne cite aucun quatrain, n’en pastiche aucun et on voudrait que le mot carme recouvrît nécessairement celui de quatrain. Voilà carrément des méthodes de faussaire ! Dès lors qu’on est dans le champ prophétique, on produit d’une façon ou d’une autre des carmes obscurs et nul ne conteste que Michel de Nostredame n’ait pratiqué cet art, sous diverses formes. Remarquons tout de même que dans un almanach comme celui pour 1555, il y avait 14 quatrains, soit plus d’une centaine de versets obscurs, en l’occurrence 112, et il reste à déterminer combien d’almanachs de notre auteur étaient alors parus avec des quatrains avec douze (soit 96 versets) ou treize (soit 104 versets) quatrains, soit chaque fois autour d’une centaine. Le traitement que fera un Crespin des quatrains vient éventuellement confirmer une telle thèse, lui qui les dépècera à sa guise en mélangeant les versets de plusieurs quatrains dans les adresses de ses Prophéties à la Puissance Divine et à la Nation françaisew (1572), reproduites dans nos Documents Inexploités.
Une autre possibilité est que cela vise les oracles placés au sein même du calendrier, dans l’almanach, ce qui fait en gros 365 textes pour 365 jours, ce qui correspondrait à cette formule trois ou quatre cents carmes. En témoigne l’almanach pour 1559 de la Lambeth Library (Londres) :
There be also added to this Almanack the Ides and Nonas wyth the interpretation of the authour thereof in short and mysticall sentences what things shall happen upon every daye in the same.
Almanach anglais pour 1559
et le passage des short and mysticall sentences
La présentation anglaise semble ainsi insister sur ce qui singularise l’oeuvre, la présence de petits oracles au jour le jour, dans les colonnes mêmes du calendrier qui accueillent traditionnellement les phases de la Lune comme c’est encore le cas de nos jours pour le calendrier des postes. Chaque mois comporte deux pages numérotées identiquement, l’une fournit les saints et l’autre les oracles. En effet, les almanachs de MDN disposèrent longtemps d’un calendrier agrémenté, ce qui constituait en fait la raison de leur réputation, de quatrains entrelardés mais aussi de lapidaires observations journalières. En revanche, les almanachs pour les années 1565 et 1566 ne comportent plus systématiquement un texte quotidien, mais c’était bien après les Prophéties de Couillard.
Almanach anglais pour Février 1559
Oracles à gauche et saints à droite
On ne voit d’ailleurs pas ce qui aurait empêché Couillard ou un autre de parler de quatrains voire de centuries, étant donné qu’un Guillaume de La Perrière en avait produit.14 D’ailleurs, il est fort probable que la vraie Préface à César n’ait été connue qu’au travers de ce qu’en dit Couillard et que les faussaires se soient inspiré de certaines allusions à leur idée, notamment quant au nombre de Centuries à placer à sa suite. Au demeurant, quand bien même le mot quatrain figurerait en toutes lettres chez Couillard, cela n’y changerait pas grand chose, le problème étant avant tout non pas de montrer que Michel de Nostredame n’aurait rien publié (!) mais que les éditions censées parues à l’époque sont des faux. En fait, on se contente un peu vite d’indices frelatés comme P. Guinard, dans le même numéro 26 avec ses observations sur l’Almanach pour 1563, auxquelles nous avons immédiatement répliqué15 tendant à prouver que l’Epître à Henri II, sous sa forme centurique, était connue dès 1562.
Après avoir abordé les positions de Prévost, E. Gruber en vient aux nôtres et nous reproche de laisser entendre que la Préface à César serait parue toute seule. On signalera d’abord que les Significations de l’Eclipse de 1559 se présentent sous la forme d’une Epître et que comme nous ignorons l’importance de ce texte disparu, il est un peu facile d’ironiser sur la Préface telle qu’elle apparaîtra ultérieurement en tête de certaines centuries. En tout état de cause, on ne voit pas d’inconvénient à ce que ce texte ait introduit, sous une forme ou sous une autre, soit un almanach avec des quatrains, soit des Prophéties Perpétuelles, qui étaient soit annoncées, soit situées à la suite. Rappelons qu’en ce qui concerne la production de MDN pour 1555, on reste quelque peu dans le flou du fait des informations douteuses fournies par Daniel Ruzo16 avec sa Pronostication à quatrains.17 Gruber nous dit que rien ne prouve que cette Préface soit parue isolément (no evidence whatsoever) mais précisément, si Couillard parle de ce texte et que celui-ci n’introduisait pas de Centuries, c’est bien qu’il exista sous une autre forme ! Par ailleurs, nous avons montré que le texte de Couillard différait sensiblement sur certains points de la Préface à César et qu’il comportait des passages plus cohérents que dans la dite Préface centurique. Quant à Videl, il propose une traduction d’un passage (possum non au lieu de non possum) qui ne colle pas vraiment avec la Préface telle qu’on la connaît.18 Mais, demanderons-nous, n’est-ce pas précisément ce qui s’est passé avec l’Epître à Henri II placée en tête des Présages Merveilleux pour 1557 ? Et est-ce que cette première Epître gêne en quoi que ce soit un P. Guinard pour affirmer19 l’authenticité de l’autre Epître à Henri II, placée en tête d’un lot de Centuries, première épître dont il ne prend même pas la peine de mentionner l’existence alors que nous l’avons reproduite dans nos Documents Inexploités, ô combien ?
Il semble que Gruber, malgré l’intérêt qu’il porte à nos recherches, ce dont témoigne amplement son étude parue dans CURA 26, ne parvienne pas toujours à suivre notre argumentation :
Halbronn concedes at least that there might have existed unknown editions from the years 1555, 1557 and 1560, but those still extant today bearing these publication-dates, allegedly contain quatrains composed during the time of the League and must therefore be regarded as antedated.
Or, d’une part, nous n’acceptons pas que des éditions des Centuries aient pu exister du vivant de MDN, elles ont été présentées comme posthumes et datent vraisemblablement de 1568, de l’autre, nous pensons que les éditions parues sous la Ligue ont été tronquées. La production des années 1580 concerne essentiellement les centuries V, VI et VII.20 En revanche, nous pensons effectivement que les éditions existantes datées de 1568 remplacent d’autres éditions également datées de 1568, celles parues au lendemain de la mort de MDN, mais qui ne constituaient pas nécessairement un seul et même ensemble, et celle parue vers 1584 en un seul volume de dix centuries pleines.
Gruber pose la question suivante :
If the adherents of the League were in possession of fragments of the Prophéties, to which they added propaganda material of their own, and disseminated them subsequently among the people in antedated issues, one has to pose the question why they should have done it in such a useless way. Before Jacques Halbronn produced his study, no one had ever recognized the handwriting of the League in the specific quatrains. What value has propaganda, if its meaning cannot be communicated ?
Que personne avant nous n’ait soulevé un tel problème n’est pas un argument ; c’est là faire montre d’une singulière ignorance des méthodes du prophétisme. Autour d’un texte pouvait fort bien se développer une rumeur qui conduisait les lecteurs à aller voir tel ou tel passage. Ce fut notamment le cas sous la Révolution Française où le public se précipita pour aller voir des exemplaires du Mirabilis Liber dans les bibliothèques sans parler de l’existence de clefs, comme dans le cas des Sixains et dont nous avons montré qu’elles avaient disparu des éditions des Centuries.21 Est-ce que Gruber croit sérieusement que l’on aurait publié autant d’éditions des Centuries, en 1588 - 89, chez tout un ensemble de libraires si le public n’y avait pas trouvé son compte et n’avait pas compris ce qu’on voulait lui faire comprendre ? Il semble qu’il faille abandonner une fois pour toutes que les libraires aient pu publier des quatrains de Nostradamus comme on l’aurait fait pour quelque oeuvre littéraire. Les Centuries ne paraissent jamais en dehors d’un certain contexte qui leur donne tout leur sens, par le seul rapprochement de tel texte avec telle situation politique. Nous avons montré dans notre étude sur Lichtenberger et la tradition prophétique (Site du CURA) le lien entre certains passages - dans les éditions du Mirabilis Liber, d’ailleurs certaines antidatées - et les périodes de régence successive que la France a connues.22
Puis, suit un autre argument également assez subtil. Si les éditions des Centuries avaient eu une dimension polémique, on aurait pu s’amuser à les faire paraître dans le camp adverse mais il oublie ce faisant de nous expliquer pourquoi les Centuries VIII - X ainsi que l’Epître à Henri II ne figurent pas dans les éditions parisiennes de 1588 - 89 :
If the known early editions of the Prophéties were really antedated in order to serve propagandistic purposes as he describes them, why did the forgers only falsify the date of publication and not the place of publication as well ?
Gruber semble confondre, par inadvertance, deux choses, ce qui confirme sa difficulté à suivre de près notre argumentation, peut-être en raison de la langue : d’une part il y eut des éditions datées de 1588 - 1589 et d’autre part des éditions antidatées supposées parues à Lyon, chez des libraires actifs dans les années 1550 et qui, elles, pouvaient fort bien avoir circulé dans le camp ennemi.
Puis Gruber passe à la question des publications annuelles sans avoir pris connaissance, évidemment, de notre dernier texte, paru ultérieurement, Un faux almanach sous la Ligue, mais en se référant à ce que nous avions dit dans nos Documents Inexploités :
There is no discussion (!) among scholars about the publication dates of the almanacs and prognostications of Nostradamus, since it makes no sense to antedate this kind of literature, except if a publisher would like to produce unsaleable dead stock. These booklets were meant to be out prior to the year their predictions were aiming at. The same applies to the counterfeit almanacs. It would only make sense to publish these at the right time. If they were antedated, no one would take notice of a product, which is already outdated, because it "predicts" events of a year by now in the past (...) Halbronn, oddly enough, is also prepared to include fake almanacs and prognostications among the heap of antedated works under the "Nostradamus plot". He does so, for example, in respect to the Significations de l'Eclipse of 1559, which he thinks was indeed written after the death of Nostradamus. Why would an impostor include in it the intention of Nostradamus of publishing a future apology with a detailed response to his opponents, when at that time it must have been known that he had never written such an apology ? (…) What to make of a booklet on the effects of a lunar eclipse in 1559, distributed more than a decade after its occurrence ? Who would ever buy this book and which publisher would be so foolish as to print such an obsolete work ? (...) Halbronn also feels constrained to regard the fake 1563 Barbe Regnault almanac as yet another antedated edition, making part of the Nostradamus scheme.
Une fois, encore, Gruber ne semble pas vraiment au fait des pratiques propres à la littérature prophétique23 et d’ailleurs cela concerne tout aussi bien la présence des épîtres placées en tête des Centuries et qui sont, elles aussi, selon le raisonnement même de Gruber, sans intérêt puisque d’une date dépassée. Bien au contraire, comme nous le soulignons dans Un faux almanach de Nostradamus sous la Ligue, le recours à de faux almanachs ou à de fausses épîtres dûment datés fait partie intégrante de l’arsenal du faussaire et cela vaut également pour le faux almanach pour 1565 que Gruber analyse, à la fin de son étude comme devant être un coup de grâce. Gruber a évidemment besoin de se convaincre et de nous convaincre que tout ce qui n’est pas Centurie, même s’il s’agit d’un faux, est forcément correctement daté, ce qui est quand même lancer le bouchon un peu loin. Gruber nous explique longuement l’inanité qu’il y aurait à publier vingt ans après un faux almanach de Nostradamus ou de fausses Significations de l’Eclipse de 1559. Il ne nous semble pas que l’on puisse le suivre dans cette tentative de sanctuarisation de plusieurs faux nostradamiques non centuriques. Comme il le souligne justement, comme par hasard, ces faux viennent tous corroborer le canon centurique et nous dirons même qu’ils n’ont été fabriqués que dans ce but à moins que Gruber nous explique pourquoi on aurait pris la peine de les produire ! Et le cas des Significations est emblématique en ce qu’il va même jusqu’à mentionner la seconde centurie. Ouf, on a eu chaud ! Voilà des faux bien commodes !
Que dire de cet argument étrange qui montre que Gruber fait vraiment flèche de tout bois :
Another detail pointing to the fact that fake and pirated almanacs were not antedated can be deduced from the fake almanac from Barbe Regnault for 1563. Besides quatrain C 3.34 on the frontispiece, all quatrains in the text come from the almanacs of 1555, 1557, and 1562. If it were a later antedated fake, the forgers might have also used quatrains from later works, but no, all were published prior to this date.
Voilà donc E. Gruber qui cherche à exploiter le fait que les faussaires n’ont pas commis l’erreur de citer des quatrains postérieurs à 1563. Il semble que c’était là le b a ba du manuel du petit faussaire. A ce titre, le fait que cet almanach pour 1563 soit adressé à François de Guise et non à son fils assassiné en 1588, serait une preuve qu’il est bien de cette époque. C’était bien la moindre des choses même si par ailleurs ils sont tombés dans d’autres pièges, il est vrai moins grossiers et qui exigeaient d’autres connaissances que de ne pas se tromper dans les dates de parution, nous voulons parler de cette interpolation de données malencontreusement, pour eux, fausses de l’Eclipsium à côté d’une autre étude de la même éclipse sur d’autres bases. Ce qui est quand même étonnant, c’est que Gruber ne lâche rien, il n’admet pas la moindre contrefaçon ayant eu pour but de renforcer le crédit des Centuries. Parfois, même un innocent commet des faux pour que son dossier soit plus solide. Comme E. Gruber nous paraîtrait plus crédible s’il avait au moins le courage de reconnaître que les Significations de l’Eclipse sont un faux - ce qui n’aurait pas, contrairement à ce qu’il imagine, affaibli ses positions, mais non, il ne veut céder sur strictement rien. Même les faux sont correctement datés ! Ben voyons ! Il faut reconnaître que cette affaire des faux dont la date est sacrée nous apparaît comme un chef d’oeuvre de mauvaise foi.
Il semble que, pour P. Guinard, cela ne fasse pas problème que le faux Almanach pour 1563 prétende être paru chez Barbe Regnault, libraire qui avait pignon sur rue, à l’époque, quand on sait à quel point la production des almanachs était surveillée et les privilèges d’édition stricts. Il semble bien qu’un tel scénario n’ait pu exister que bien plus tard.
E. Gruber veut nous prouver que le faux almanach pour 1563 est bien paru à cette date et il corrige pour ce faire l’étude de R. Benazra (RCN, p. 62) consacrée à Jean de Marconville, auteur d’un Recueil mémorable des cas merveilleux advenuz de nos ans etc, ouvrage non daté et sans mention de lieu et a fortiori de libraire. Gruber constate que l’almanach pour 1563 auquel il est fait référence n’est pas le vrai mais le faux. Excellente observation !
Aussi ilz ont escrit & pronostiqué, que c'est an present 1563 sera bien difficile à passer, pource qu'il sera plein de diversitez & adversitez : & un d'entre eulx a bien osé escrire qu'il y aura, non seulement mutation & changement de temps & d'estatz, mais aussi de religion. The note in the margin reads : Nostradamus en la prediction de May. But his quote comes from the fake almanac of Barbe Regnault, where we read in the predictions of May : ...temps diuers & fort variable, plusieurs & diuerses mutations tant de temps que d'estats & de religion. Again here we have the direct irrefutable proof of a contemporary reader that the fake almanac of Barbe Regnault for 1563 was published and distributed at the latest in the very year 1563 and hence is certainly not an antedated edition.
Passage de la pronostication pour 1563, cité par Marconville,
repris ici dans le faux almanach pour 1563
En réalité, nous pensons que l’explication se situe ailleurs : Barbe Regnault aurait bien publié à Paris une Prognostication nouvelle pour 1563 mais il ne comportait nullement une Epître à François de Guise.24 Nous avons retrouvé, dans les riches collections de notre Bibliotheca Astrologica, la trace de cet almanach du fait d’une traduction italienne, conservée à la Bibliothèque Marciana, Venise, et qui, elle ne comporte pas la dite Epître. Or, généralement l’épître française des textes de MDN est rendue en italien. Il s’agit du Pronostico et Lunario de l’Eccelentiss. Filosofo, medico et astrologo M. Michele Nostrodamo (sic) calculato nella citta di Salon de Craux in Provenza, sopra l’Anno MDLXIII, tradotto fidelmente della lingua Francese nella italiana & con diligentia corretto etc, Padoue, nella Stampa del Griffo, 1563.
Pronostication italienne pour l'an 1563
La traduction italienne est fidèle au texte français tel que conservé dans le faux Almanach pour 1563 mais sans quatrain, comme il sied à une pronostication, et il n’y a donc rien d’extraordinaire à ce que Jean de Marconville ait pu se référer à la Pronostication pour 1563, quand il parle de Nostradamus en la prédiction de May, ce qui ne renvoie nullement à un almanach. Signalons que M. Chomarat25 signale un Pronosticon del anno 1563, Bologne, A. Benaccio.26 Il va de soi que les faussaires n’allaient pas se fatiguer à réécrire intégralement un tel texte assez technique, ils avaient donc inévitablement besoin de recycler un texte existant et d’y procéder aux interpolations nécessaires, en l’occurrence la fameuse Epître à François de Guise. On rappellera que dans de tels textes, seuls quelques éléments interpellent le lecteur, le reste n’étant que du remplissage. Et ces éléments ne sont pas soulignés, cela serait suspect, c’est au lecteur de les découvrir, selon des codes, des consignes. Il s’agit là d’une exégèse consistant à sélectionner les quatrains pour la circonstance du moment, ce qui dispense de tout commentaire. Le problème, c’est que la date qui figure sur le faux n’est pas celle de ce moment-là et qu’il revient à l’historien de la fixer, en envisageant parfois plusieurs hypothèses. Ceux qui ne tablent que sur la date indiquée ne veulent eux qu’une seule hypothèse, ce qui leur permet de se mettre au moins d’accord entre eux, celle qui leur est imposée par les faussaires.
Version italienne
du passage cité par Marconville
On comprend, à la lumière de notre mise au point concernant le faux almanach pour 1563 la complexité de la recherche nostradamologique, la nécessité de disposer d’un maximum de documents et de ne tirer aucune conclusion qui dépasse le champ des documents ainsi utilisés. Quand nous disons que Couillard témoigne de l’existence d’une Epître à César, ni plus ni moins, dont il restitue quelques éléments, et que cela ne préjuge pas de ce que celle-ci introduise des Centuries, nous observons la même prudence et ceux qui veulent que cela signifie davantage que cela ne sauraient se contenter de déclarer que rien ne prouve qu’il n’y ait pas eu aussi ceci ou cela.
Il nous semble bien pouvoir poser cette règle : à savoir que le faux ne paraît pas au même moment que son modèle authentique mais avec un certain décalage dans le temps, pour ne pas se retrouver nez à nez avec celui-ci.
Quant à l’intéressante découverte du faux almanach - ce n’est pas nous qui le disons - pour 1565, il ne fait que confirmer le rôle centurique de tout un ensemble de faux et il n’est besoin que de se pencher pour ramasser des quatrains à pleins paniers. Et encore une fois, du fait de l’existence d’un vrai almanach de MDN pour 1565, on peut de toute façon exclure qu’il soit paru en même temps. Et là, il ne s’agit plus de supposer l’existence de vrais almanachs pour 1563 ou 1565 puisqu’ils ont été conservés, malheureusement pour les faussaires et ceux qui sont à leur solde. Même si on découvrait une Préface à César en tête d’un autre texte que les Centuries, certains n’hésiteraient pas, pour autant, à déclarer que cela ne prouve pas que la fausse Epître est parue au même moment ! D’ailleurs sont-ils gênés par l’existence de l’Epître à Henri II en tête des Présages Merveilleux pour 1557, pour affirmer la parution juste après de la fausse Epître au Roi ? Ils vont encore plus loin puisque, dans ce cas, ils considèrent que les deux épîtres sont authentiques. Il semble bien qu’il y ait là chez nos adversaires une grave faille méthodologique et épistémologique concernant la fonction et la production de faux. Leur argument ultime est de demander : à quoi peut servir un faux antidaté qui circulerait à une autre date que celle qui y est mentionnée ? On a l’impression que c’est bien là leur postulat de départ et que celui-ci ébranlé, tout le bel édifice chronologique27 s’écroule. Pour eux, il est évident qu’il n’y aura pas de public pour acheter vingt ans après un almanach pour 1563, mais cela vaudrait aussi pour une édition Macé Bonhomme, datée sur sa couverture de 1555. Eh bien si ! Dans le domaine du prophétisme, il semble bien - et on est bien placé pour le savoir encore de nos jours ! - qu’un tel lectorat existe puisqu’il s’agit de montrer que MDN avait bien prévu, longtemps à l’avance ceci ou cela. Nos adversaires n’ont pas compris que l’essence même de la littérature prophétique était l’antidatage !28 Ce n’est pas la date de parution qui importe alors mais le fait que l’ouvrage parle du présent voire du futur et si on peut modifier le contenu ou la présentation du document pour aider le lecteur à établir un rapprochement, on ne s’en prive pas. L’argument de Gruber confond terminus a quo et terminus ad quem ! Rappelons aussi un principe que nous qualifierons de mimétique, généralement suivi par les faussaires : faire du faux avec du vrai, faire du neuf avec du vieux, récupérer autant que faire se peut des choses du passé, utiliser des sources anciennes pour fabriquer de nouveaux textes ou compléter ceux déjà existants. C’est toute une cuisine, avec ses recettes ! C’est de la brocante avec ses trucs pour faire vieillir artificiellement des objets qui viennent de sortir et qui se vendent d’autant mieux qu’ils ont des lettres (fausses) de noblesse.
Comme par hasard, comme le note Gruber, ce Thibaut Bessault qui publie l’ autre almanach pour 1565, était ni plus ni moins que le gendre de Barbe Regnault, dont le nom fut utilisé pour fabriquer le faux almanach pour 1563. C’est dommage : la preuve eut été plus recevable s’il s’était agi, précisément, d’un libraire sans rapport avec la dite veuve. Il nous semble, en tout état de cause29 avoir montré que toutes les éditions des Centuries parues sous la Ligue portaient référence à une édition à 39 articles30 ajoutés à la dernière centurie attribuée à Barbe Regnault. CQFD. Revenons sur ce point essentiel, car il porte un coup fatal à l’usage pervers que l’on fait ici des faux almanachs :
Reprenons ce qu’en dit Benazra (RCN, p. 44) qui précise que la dédicace est adressée A très Illustre, Héroïque & Magnanime Seigneur, Monseigneur le Duc d’Operta, grand Gouverneur de la Mer du Levant. Ce faux se trouverait dans la Collection Ruzo. Qu’on ne vienne pas nous expliquer que le dédicataire a bien existé à l’époque pour nous prouver que cette édition des Centuries est authentique et non antidatée ! Nous ne sommes pas entre enfants de chœur !
D’ailleurs, il est probable que cette invention de 1560, avec ses 39 articles à la fin, visait à justifier la mise en circulation d’une centurie incomplète.
En fait, on est un peu comme à Waterloo : ceux que l’on croyait pouvoir sauver la mise vous enfoncent encore plus : le faisceau de faux almanach reconnus comme tels par tout le monde plus le cas des Significations constitue un ensemble poursuivant un seul et même but : crédibiliser les éditions centuriques antidatées et démontrer que les dix Centuries parurent bien du vivant de MDN. Le cas Thiébault, d’une génération après celle de Barbe Regnault, est intéressant - c’est le chaînon manquant - en ce qu’il montre une filiation sur plusieurs générations de libraires parisiens qui nous conduit en pleine période de la Ligue. Il n’est pourtant pas compliqué de comprendre que ce qui fait tout l’intérêt d’un faux, c’est d’abord qu’il est antidaté !!!
A lire Gruber, on a un peu l’impression d’une sorte de forteresse vide et d’une sorte de bluff qui aurait consisté à mettre derrière les créneaux quelques pantins pour donner le change et pour dissuader l’adversaire de poursuivre son siège. Il suffit de voir comment Gruber balaie d’un geste de la main l’argument Crespin qui nous semble absolument crucial en mettant en avant de faux almanachs antidatés. On ne va quand même nous reprocher que l’ouvrage de Crespin aurait été fabriqué par ceux qui voulaient prouver que les Centuries V - VII n’étaient pas parues à l’époque. Ne mélangeons pas les torchons et les serviettes ! Tout comme on admirera la capacité de Gruber à ignorer un autre argument majeur qui est celui des centuries incomplètes alors que la fausse Epître à Henri II, remanié expressément dans ce but, annonce une miliade (de quatrains).
Que dire ainsi de cet argument d’ingénieux de chez ingénieux, élaboré par Elmar Gruber ?
Halbronn has no problem in putting aside the known editions of 1555, 1557 and 1568 as antedated, but underpins this very conviction by relying on editions from 1588 to 1589, or on the works of Antoine Crespin from 1570 onwards. He does not doubt that all of these books were published in these very years. What gives him the security to stigmatize the first group of editions as antedated and the latter as correctly dated ? What if these works were themselves antedated and actually pertaining to even a later time of publication ? If there are so many counterfeit and antedated editions, it would not seem improbable that the printings of 1588 and 1589 would be themselves part of this gigantic game of fabricating prophecies in the name of Nostradamus and the bubble of the beautiful hypothesis would burst as quickly as it was inflated.
Très drôle ! On veut nous montrer ainsi qu’il est bien préférable d’accepter les dates sinon c’est le chaos. Il est certain cependant, qu’il y a beaucoup plus de raisons à produire des faux datant du vivant de MDN que pour des périodes ultérieures : cela coule de source. Et ça marche ! La preuve. Regardez où on est encore en 2003 ! Quant aux éditions datées de 1588 - 89, tant parisiennes que rouennaises, et les faux antidatés ou non datés qui en dérivent, elles ont plutôt un effet négatif sur l’image des Centuries qu’autre chose. Rappelons que selon nous, les années 1580 furent à la fois le moment où les Centuries atteignirent la miliade et celles où elles se disloquèrent.31
Passons enfin au dernier plat servi par E. Gruber et qui concerne le Recueil des Présages Prosaïques.
It is obvious that Chavigny meant to produce a collection of excerpts only from the almanacs and prognostications and entitled it accordingly as covering the prophetic works of the author, the largest portions of which were in prose as opposed to the centuries, which were exclusively written in verse. The fact that a considerable number of the almanacs and prognostications also contained quatrains which of course were included by Chavigny in the Recueil, does certainly not mean that he should have included the quatrains from the centuries as well. Nonetheless it is certainly not the case that the Recueil "ne fait aucune référence aux centuries", as Halbronn argues.
Eclaircissons aussitôt un malentendu : quand nous parlons du RPP, nous ne faisons pas allusion aux notes marginales ajoutées par la suite mais au corps de l’ouvrage. D’ailleurs, en 1589, on voit mal en quoi ce serait un scoop qu’un commentateur se réfère aux Centuries ! E. Gruber, partant sur cette fausse piste, s’échine à nous montrer que l’auteur du Janus Gallicus connaissait les centuries. Mais Gruber a quand même un doute.
I assume that Halbronn would now maintain that the marginal notes have been inserted at a later stage, but I am afraid there is no proof either for the assertion that the Recueil was finished by 1570, or that the marginal notes were written down at a much later time than the main body of the Recueil was.
C’est l’occasion de revenir sur le cas du RPP, auquel nous avons consacré une nouvelle version dont Gruber ne pouvait avoir connaissance au moment de la rédaction de son essai. Nous avons montré que le RPP, pour sa partie centrale, n’était pas constitué d’extraits mais était un brouillon probablement du à MDN lui-même et nous en avons apporté la preuve en montrant qu’un passage renvoyant aux Présages Merveilleux avait sauté dans l’almanach pour 1557 qui était censé le comporter, ce que n’a pas relevé B. Chevignard32, et on peut donc à juste titre exclure les notes marginales du dit Recueil et les considérer comme des additions au RPP et non comme le RPP lui-même. Nice try, Dr Gruber !
A entendre nos adversaires, il faudrait que l’on disposât de l’intégralité du puzzle nostradamien pour qu’ils se rendent à nos arguments, ce qui montre précisément une certaine incapacité à suivre une argumentation. Oui, si toutes les pièces étaient rassemblées, alors, oui, peut-être concéderaient-ils qu’il y a bien des faux et qui plus est des faux antidatés, ce qui est presque un pléonasme, puisqu’un faux est la copie décalée de quelque chose qui l’a précédé, sinon ce n’est pas un faux. Ah ! Si on avait la première Epître à César (c 1555), ah, si on avait les vraies premières éditions des Centuries pleines (c 1568) dont s’est servi Crespin. Ah, si on avait la vraie première édition à dix centuries pleines(c 1584), alors, oui, n’est-ce pas, peut-être, on reconnaîtrait qu’on s’était laissé berner par les faussaires. Mais comment saurait-on si ces fameux documents ne sont pas des faux puisque précisément les faux connus visaient à prendre la place des vrais ? Science sans conscience n’est que ruine de l’âme : on ne fait pas l’économie des recoupements et des raisonnements et, décidément, on ne peut se contenter de relever la date qui figure sur l’étiquette puisque plusieurs produits portent la même date et que l’un d’eux, au moins, est un faux. Mais lequel ?
En fait, on a l’impression que certains s’identifient, assez vainement, avec les dits faussaires, en jouant au chat et à la souris. Il faut désormais sauver la mise de ces faussaires comme s’y efforce un Peter Lemesurier dans Dating the Editions of the "Prophéties" : A Chronolinguistic Approach (CURA. 26), à propos des éditions antidatées de 1557 mais cet auteur ne semble pas avoir pris connaissance de nos études parues sur ce Site, et ne s’arrête que sur celles parues, il y a déjà un an, sur le Site du CURA.33
Lemesurier, commentant nos travaux, reconnaît que a further omission of VI.100 : the "pirates" may simply have thought this too "academic" for their intended audience and so, not having today’s almost ‘religious’ approach to Nostradamus, did not hesitate to leave out what was in any case not a prophecy.
Il aurait quand même pu aussi se demander pourquoi un des exemplaires datés de 1557 comporte l’avertissement en latin sous la version corrompu du Legis cantio - Brind’amour a montré qu’il s’agissait là d’une version corrompue de Legis cautio - alors que l’autre ne le comporte pas. Bien que Lemesurier cite Petrus Crinitus et sa De honesta disciplina of 1504, dont le texte latin est issu.34
Or, ce type de problème est caractéristique de la fin du XVIe siècle. Lemesurier veut se persuader que l’on ne peut pas matériellement imiter l’ancien, il veut ignorer que le matériel de l’imprimeur se transmet, se conserve, surtout au sein d’une entreprise de librairie qui se survit sur des générations. Il est assez paradoxal de voir ce type de doute à reproduire, à imiter, de la part de nos contemporains qui savent pertinemment qu’il existe toutes sortes de moyens de produire des faux, comme s’ils voulaient préserver le XVIe siècle d’une telle tare ou d’une telle tentation, car c’est bien la société où vécut MDN qui est ici en cause.
Lemesurier accorde un certain intérêt à nos observations orthographiques qui sont une piste qui ne se suffit nullement par elle-même, en une période où l’orthographe n’est pas fixée, mais qui peut tout au plus venir corroborer d’autres analyses, mais il oublie de mentionner le problème autrement important de l’usage de mots en majuscules dans les Centuries et qui permet de faire certains rapprochements utiles.35 Quant à la question des sources de MDN, qui passionne Lemesurier, nous pensons qu’il serait plus sage qu’il parlât des sources du corpus nostradamique, cela daterait moins son travail. Songeons enfin à la contribution36 de De Luca qui semble ne pas comprendre que le propre des imitateurs est de reprendre les thèmes, le style, de ceux qu’ils imitent. En mettant en évidence ces points de convergence, cet auteur ne fait que signaler le travail des faussaires, lui qui croit, au contraire, qu’il prouve ainsi l’authenticité et l’unicité de l’ensemble centurique, ignorant apparemment l’incidence du syncrétisme dans la constitution d’un canon. Le fait que l’on retrouve dans les faux des éléments appartenant qui à telle Epître, qui à telle Centurie ne saurait surprendre, c’est la règle du jeu de toute imitation. Croit-on que si l’Epître à François de Guise n’était pas un faux, on y retrouverait des passages de l’Epître à Henri II et que MDN s’auto-plagierait ?
Que conclure de cette attaque en règle qui caractérise le n° 26 du CURA, de juillet 2003, sans laisser la parole aux auteurs mis ainsi en cause ? Nous dirons que c’est un peu le chant du cygne, non sans quelque panache, il faut l’avouer, ce sont les dernières cartouches d’une approche angélique qui refuse toute idée de manipulation, de contrefaçon du canon nostradamique, à part peut-être les sixains qui ne sont plus en odeur de sainteté. La bataille qui a eu lieu concernait les textes non centuriques et on ne peut pas dire qu’elle nous prit au dépourvu avec notamment le cas des Significations de l’Eclipse de 1559 auquel nous avions consacré peu avant la parution du n° 26 du CURA une étude assez fouillée, avec l’aide de Théo Van Berkel. Ce qui est étonnant, c’est qu’alors que les faussaires avaient forgé de faux almanachs pour renforcer leur logistique, il ait fallu autant de temps pour apprécier leur travail. Mais le paradoxe, c’est que ce soient des nostradamologues du début du XXIe siècle, quatre siècles plus tard environ, qui soient les victimes consentantes d’un tel subterfuge et qu’ils donnent ainsi des verges pour se faire fouetter ! Il y a là une extraordinaire bombe à retardement qu’il convenait de désamorcer.
Terminons sur un constat consternant : aucun des auteurs qui nous interpellent ne se réfère à notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France, formation et fortune, à laquelle pourtant nous nous sommes fréquemment référé, comme si nos publications plus tardives leur suffisaient (?). Dans de nombreux cas, nous ne pouvons fournir que des conclusions ou des compléments, ce qui ne dispense aucunement qui veut faire le bilan de notre travail d’accéder impérativement à notre travail principal.
Il leur sera certes bientôt loisible de l’étudier car elle devrait être mise en ligne, très prochainement, sur le Site Ramkat, du moins pour ce qui est du volume III. Mais rien ne les empêchait de prendre connaissance de la thèse tant sur papier, auprès de l’atelier national de reproduction des thèses (ANRT), à Lille, que sur microfiches, dans toutes les bibliothèques universitaires de France. On trouvera donc tout à fait surréaliste de lire Halbronn n’a pas prouvé que, Halbronn n’a pas expliqué que. Quel universitaire digne de ce nom se permettrait de porter un jugement sur la recherche d’un auteur sans avoir étudié son magnum opus et s’il n’a pu le faire ne le reconnaisse pas ? L’ère de l’Internet serait-elle celle du travail bâclé, d’offensives mal préparées ?
Jacques Halbronn
Paris, le 18 juillet 2003
Le distinguo faux / contrefaçons
dans le champ nostradamique |
Les récents débats autour de la question des faux almanachs que certains ont tenté d’instrumentaliser au profit d’un centurisme qui aurait déjà été en action du vivant de Michel de Nostredame, suivant en cela docilement, les indications figurant aimablement sur les pages de titre, nous conduisent à quelques précisions méthodologiques et épistémologiques sur la question des supercheries littéraires, dans la ligne des deux ouvrages parus aux Ed. Ramkat, en 2002, sous les noms de code Prophetica Judaica (Aleph et Beth), à savoir les Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus et Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle.
Il importe de distinguer notamment faux et contrefaçons : le faux est un document qui est attribué à quelqu’un sans rapport direct avec un texte dont ce quelqu’un serait l’auteur alors que la contrefaçon est l’imitation de la production du dit auteur voire un texte retouché du dit auteur. La date indiquée sur un faux peut correspondre à la réalité tandis que la date d’une contrefaçon est sensiblement plus tardive, dans la mesure même où elle dépend d’un texte effectivement paru, ne pouvant donc qu’être décalée par rapport à lui. En outre, la contrefaçon de par sa similitude avec son modèle risque plus facilement d’être dénoncée que le faux qui ne court guère un tel risque puisque rien de semblable n’avait jusqu’à sa parution existé.
Dans le cas de l’almanach pour 1563, censé paru chez Barbe Regnault (Bibl. Municipale de Lille), dont il a beaucoup été question dans le n° 26 du CURA et auquel nous avons déjà consacré pas mal de développements, de quoi s’agit-il ?
Il ne s’agit pas d’un faux mais d’une contrefaçon. Si nous n’avions pas pu montrer que l’auteur de ce document avait repris une prognostication pour 1563, dont il nous reste la traduction italienne, parue à Padoue (Bibliothèque Marciana (St Marc), Venise), aurait-on pu parler d’un faux ? D’une certaine façon et dans ce cas, on aurait pu imaginer que cet almanach, fabriqué de toutes pièces, serait bien paru à la date indiquée. En revanche, si Nostradamus n’avait jamais fait d’almanachs et notamment n’en avait pas fait pour 1563, il se serait agi d’un faux caractérisé et difficile à identifier puisque l’on n’aurait pu le confronter avec son modèle authentique inexistant.
Or, si l’almanach parisien pour 1563 était paru à cette date, il aurait été confronté avec l’almanach paru à Avignon, chez Pierre Roux, avec de tout autres quatrains. En étant la combinaison d’un almanach et d’une pronostication - y compris au niveau iconographique - l’almanach parisien pour 1563 courrait donc un double risque de se voir très vite dénoncé. C’est pourquoi, sans entrer dans d’autres considérations, l’hypothèse d’une parution d’un tel almanach à cette date nous apparaît comme des plus improbables car nous avons affaire à une contrefaçon et non à un faux.
Le problème se posera pour les Protocoles des Sages de Sion37 S’agissait-il d’un faux, sans aucun lien avec un document authentique ou bien d’une contrefaçon reprenant des éléments effectivement parus ? Nous avons opté pour la thèse de la contrefaçon alors que de nombreux historiens de la question préfèrent parler d’un faux, n’ayant strictement rien à voir avec les activités de certains mouvements juifs sionistes. En outre, nous avons montré que les Protocoles s’inspiraient d’un texte antimaçonnique retouché.38 On voit que dans certains cas, il y a un certain enjeu à classer un document sous le label faux ou sous le label contrefaçon.
Pour en revenir au champ nostradamique, nous avons le plus souvent affaire à des contrefaçons impliquant des retouches plus ou moins considérables et dont la date de fabrication est sensiblement postérieure par rapport aux modèles utilisés de façon à ce que la probabilité d’une confrontation soit minime. En outre, la vie de telles contrefaçons n’est pas censée être considérable dans la mesure où il s’agit là d’une pièce de circonstance, à consommation plus ou moins immédiate, ce qui ne laisse guère le temps à la supercherie d’être éventée, ne serait-ce que parce que le document d’origine n’est guère facile à retrouver, étant, en quelque sorte, devenu le privilège du faussaire, qui, lui, en dispose pour mener à bien son travail.
On en arrive à un certain nombre de paradoxes : alors que les vrais almanachs de MDN ne comportent aucune similitude avec les quatrains des Centuries, les contrefaçons, pour leur part, en offrent, comme dans le cas du faux almanach pour 1565 dont E. Gruber reproduit des pages dans l’étude (CURA, 26) à laquelle nous avons répondu. C’est ce qu’on appelle être plus royaliste que le roi ou encore cela montrerait que les cordonniers sont les plus mal chaussés, puisque MDN n’est pas fichu de puiser dans ses Centuries, censées être parues en 1555, 1557 et 1560 (pour l’édition non conservée ou en tout cas non accessible pour l’heure, comportant une addition 39 articles, chez Barbe Regnault) pour agrémenter les quatrains de ses almanachs. MDN ne semble pas, jusqu’à nouvel ordre, s’imiter lui-même.
Cela dit, certains rapprochements sont possibles entre quatrains d’almanachs et quatrains des centuries39, ce qui est de bonne guerre quand on veut réaliser des contrefaçons. On nous objectera que peut-être, c’est justement MDN qui s’autoplagie, recyclant ses quatrains des Centuries pour produire des quatrains d’almanachs (appelés Présages, dans les éditions troyennes de Pierre Du Ruau). Comment départager les deux hypothèses ? C’est un cas de figure classique qu’une telle situation où l’on ne sait plus qui copie qui : est-ce l’auteur qui se copie lui-même ou est-ce le faussaire qui s’inspire des publications de l’auteur, ce qu’il est évidemment conduit, peu ou prou, à faire ? Plagiat ou auto-plagiat, that is the question. Pour notre part, nous pensons que l’autoplagiat reste assez rare et nous n’imaginons pas MDN recyclant ses quatrains, en les retouchant parfois légèrement, pour produire des Centuries. Cependant, si l’on admet que MDN ait pu garder inédits certains textes - comme l’atteste d’ailleurs le Recueil des Présages Prosaïques (cf. notre étude) - il n’est pas impossible que les dits textes ayant pu servir, dans une proportion relativement faible, pour l’édition prétendument posthume des Centuries, cela n’autorise un tel rapprochement. L’autoplagiat de textes inédits constitue une variante particulière, sensiblement plus répandue que lorsque cela concerne des textes déjà parus.
On notera la différence entre le faux almanach pour 1563 qui se sert des quatrains de certains almanachs alors que le faux almanach pour 1565 se sert carrément de quatrains des Centuries. Le premier faussaire dispose des rarissimes collections d’almanachs de MDN alors que le second peut se contenter d’une édition des Centuries, tout venant. Mais dans les deux cas, nous avons la vignette d’une Prognostication - la même d’ailleurs que celle de la Prognostication pour 1562 - au service d’un Almanach et comportant un quatrain en couverture. On peut dire cependant que le second travail est plus grossier que le premier et surtout qu’il risquait plus facilement d’être détecté par tout lecteur des Centuries mais, dans l’urgence, on ne prend plus certaines précautions et on ne peut se charger du même matériel d’édition.
On notera que ce n’est certainement pas par hasard que le quatrain de décembre - à l’instar de celui du même mois pour le faux almanach pour 1563 - concerne le Roi.
Mars & le sceptre se trouvera conioinct,
Dessouz cancer calamiteuse guerre
Et peu apres le Roy aux princes ioinct,
Sera long temps pacifiant la terre.
Quatrain réalisé, comme le note E. Gruber, à partir de la Centurie VI, 24 :
Mars & le sceptre se trouvera conioinct,
Dessoubs Cancer calamiteuse guerre:
Un peu apres sera nouveau Roy oingt,
Qui par long temps pacifiera la terre.
A l’évidence, nous avons là un choix de quatrains centuriques portés ainsi à la connaissance du public, ce qui est plus accessible que de devoir se procurer l’ensemble des Centuries. Mais Gruber n’a pas noté que ces quatrains de référence n’appartiennent pas aux Centuries VIII à X, lesquelles étaient exclues des éditions de la Ligue : II, 28 pour juillet, I, 59 pour Août, I, 23 pour septembre, V, 87 pour octobre, I, 36 pour novembre, VI, 24 pour décembre. La présence de quatrains issus de VIII - X nous eut davantage impressionné.
En ce qui concerne les diverses éditions des Centuries qui ont été conservées, il faudrait parler pour les premières de faux puisque MDN n’a pas produit ce type d’ouvrage. Mais par la suite, les éditions retouchées de ces faux peuvent être qualifiées de contrefaçons, plus précisément de contrefaçons de faux. Au demeurant, produire de faux almanachs pouvait mieux se justifier que de produire des Centuries puisque dans ce cas il ne s’agissait que de contrefaçons, MDN étant coutumier d’une telle production. On notera que le succès durable des éditions antidatées des Centuries, supposées publiées du vivant de MDN, tient précisément au fait qu’il n’existe pas du tout d’éditions authentiques, ce qui empêche toute confrontation.entre l’original et sa copie peu ou prou retouchée. Le faux est en cela plus difficile à démontrer que la contrefaçon laquelle repose sur un document qui peut réapparaître tôt ou tard, ne serait-ce que par le biais d’une traduction ou d’un témoignage d’époque.
Le recyclage d’épîtres parues dans d’autres contextes, comme celle à César et à Henri II sont à mi-chemin entre le faux et la contrefaçon. Les épîtres authentiques existent mais hors du cadre centurique. Ce genre intermédiaire semble particulièrement déroutant. L’inverse est également possible : une fausse épître mais une prognostication ayant existé, comme dans le cas du faux almanach pour 1563. En fait, le statut d’un document peut évoluer, au fur et à mesure des recherches bibliographiques et tel document que l’on croyait un faux n’est en fait qu’une contrefaçon, une fois la source identifiée.
Concluons avec un problème posé par Gruber dans son étude et que nous n’avons pas encore examiné dans notre Réponse aux textes du CURA 26. Il s’agit du cas des deux éditions de la Prognostication pour 1562. Selon Gruber, l’édition parisienne Barbe Regnault de la dite Prognostication serait ce que nous avons ici désigné comme une contrefaçon d’une édition lyonnaise :
The Regnault version is a counterfeit edition based on the volume issued by Volant & Brotot. Possibly the pirate printers in the print-shop of Barbe Regnault composed from hearing, while someone read the text from the Volant & Brotot almanac out loud, and copied to hurriedly, by using the original Volant & Brotot version. By doing so maybe the reader jumped over some lines, so the quatrain got lost.
Et on aurait ainsi égaré, par mégarde, un quatrain centurique, point évidemment central du débat actuel. La version lyonnaise de l’Epître introductive à Jean de Vauzelles est : ...comme quand i en mis : Lors que un oeil en France regnera. Et quant le grain de Bloys son amy tuera, [...] en infiny autres passages. Cela m'a causé une si grande amitié entre nous deux... , alors que la version Barbe Regnault est la suivante : ...comme quand i'eu mis, Lors Cela m'a causé vne si grande amitié entre nous Deux...
Mais en quoi ce pronostic est-il important ? Gruber ne nous en dit rien. Il semble que cela ait un rapport avec le même François de Guise auquel est dédié le faux almanach pour 1563. On lit en effet dans le Janus Gallicus (1594) à propos de ce quatrain (p. 68, n° 51) le commentaire suivant pour 1560 :
A / L’oeil est significatif des Rois & Princes es hieroglyphiques.
B / Trouble d’Amboise, à l’occasion duquel François de Lorraine Duc de Guise est déclairé Lieutenant general du Roy au dit Amboise & par tout le Royaume.
C / Le troisième vers n’est de ceste année, ni le quatrième.
Ces deux derniers versets sont associés à la mort du dit duc en 1563 (J.G., p. 122, n° 134) :
L’Admiral chargé de la mort du Duc de Guise
On voudrait donc que MDN se fût soucié du destin du duc de Guise, de son apogée en 1560 et de sa mort en 1563 et qu’il lui ait ainsi consacré les Epîtres placées en tête de la Prognostication pour 1562 et de l’Almanach pour 1563. Mais bien plus, il eut fallu qu’il publia le dit quatrain avant la dite Epître à Jean de Vauzelles, datée en latin du 18 avril 1561 (XVIII Aprilis 1561 pro anno 1562) qui le comporte. On notera que la dite Epître, de façon assez surprenante n’est pas datée avec précision (l’an mil cinq cens soixante 2) dans la Prognostication censée parue chez Barbe Regnault, ce qui confirme son caractère de contrefaçon par rapport à l’édition lyonnaise dont on ne possède au demeurant qu’une copie manuscrite.
On rappellera que sous la Ligue, les Guise sont à nouveau sur le devant de la scène et que c’est à Blois précisément que l’autre duc de Guise, Henri, sera assassiné, lors des Etats Généraux de Blois. Le Janus Gallicus commente (p. 252, n° 317) ainsi cette autre mort par le quatrain III, 51, soit tout à côté du III, 55 :
Paris conjure un grand murtre (sic) commettre
Blois le fera venir à plein effect
Commentaire du J.G. (pour l’année 1588) :
Conjurations précédentes exécutées à la face des Estats Assemblez à Bloys en Décembre
C’est dire que le mot Blois est très sensible sous la Ligue, et suffit à évoquer l’odieux assassinat, commis sur ordre d’Henri III, lui-même voué peu après à un tel sort, du duc de Guise. On notera en passant que si Norlaris est l’anagramme centurique de Lorraine et renvoie aux Guises, on trouve dans l’almanach pour 1562 une autre forme, Lorvarin :
Par le légat du terrestre & marin (...) Estre à l’escoute tacite Lorvarin (Octobre)
Il est étonnnant que MDN ait utilisé alternativement Lorvarin en 1561 et Norlaris (dans les Centuries VIII - X).
Il nous semble, dès lors, que la Prognostication pour 1562, censée parue à Lyon, comportant la même vignette, apparemment, que celle censée parue à Paris, serait une contrefaçon d’une authentique édition non retrouvée, et bien entendu aussi celle de Paris, ne comportant même plus le dit quatrain, pourtant si déterminant pour la réalisation en question, si l’on admet la thèse d’une omission par inadvertance. A moins de considérer une autre hypothèse, à savoir l’oubli de l’interpolation.
On observera d’abord que MDN ne fait nullement référence à des Centuries, comme le montre le texte reproduit dans l’article de Gruber. Bien plus, on y mentionne explicitement d’autres références :
Que je n’ay jamais sceu si bien deguiser mes Almanachs ou Prognostications souz motz couverts & obscurs que ne les ayez descouvers & entenduz incontinent aussi bien que moy comme quand j’eus mis, Lors Cela m’a causé etc.
La lecture de l’Epître dans l’exemplaire Barbe Regnault est infiniment plus révélatrice : on voit en effet qu’il y a un vide, on aura supprimé un texte cité par MDN et qui vraisemblablement appartient au corpus qu’il mentionne, celui des almanachs - s’il s’agit d’un quatrain, ou des prognostications. Le fait que MDN cite conjointement les deux types d’ouvrages ne permet pas d’être sûr que le passage sauté est issu d’un quatrain de ses almanachs.
Il semble bien, pour reprendre la formule de Gruber qu’il y a eu là une erreur de commise mais pas celle que celui-ci imagine. Tout se passe comme si, ayant sous la main le document authentique à contrefaire, le texte d’origine à remplacer étant barré, on eut oublié d’interpoler le quatrain en question qui devait figurer sur une pièce annexe. Il y aurait donc eu deux équipes de faussaires travaillant ainsi en parallèle, pour que les deux exemplaires censés parus en deux lieux distincts, Lyon (chez Volant et Brotot) et Paris, puissent différer tout de même sur quelques points, ce qui fait penser aux deux éditions des Centuries, datées de 1557 et comportant, elles aussi, des variantes, sans parler des diverses moutures de l’édition Macé Bonhomme 1555.40 On notera aussi les variantes entre les différentes éditions parisiennes de 1588 - 1589. Mais nous avons là un cas plus remarquable avec un projet de contrefaçon s’articulant sur deux villes, ce qui n’est pas vraiment étonnant quand on sait que la plupart des almanachs et prognostications de MDN paraissaient effectivement dans l’une et dans l’autre, bien que, par une sorte de fatalité, l’on ait surtout conservé les éditions parisiennes sauf pour les dernières années.41
On notera que si dans l’exemplaire lyonnais, le nom de Jean de Vauzelles figure en toutes lettres, dans l’exemplaire parisien, en revanche, il est sauté, seul le jeu de mots sur son nom subsistant : chevalier d’un vrai zele.42 On peut s’interroger sur le sens de cette autre omission et se demander si le nom du destinataire, dans le texte authentique, n’était pas autre et qu’une fois de plus l’équipe chargé du dossier parisien n’aurait pas su effectuer les ajouts prévus.
Une fois de plus, on ne peut que relever les bévues des faussaires et on est étonné de voir avec quel parti pris E. Gruber refuse de se rendre à l’évidence : on aura tout simplement voulu faire croire au lecteur que le quatrain en question appartenait aux almanachs et non aux Centuries, de façon à rester aussi près que possible de l’original ainsi charcuté. Il eut été plus simple de changer la formule almanachs ou Prognostications en centuries, mais les faussaires n’ont pas franchi ce pas. Il est infiniment probable qu’il ait existé une authentique Prognostication pour 1562, non conservée, à la différence de l’Almanach nouveau pour 1562, dédié au Pape Pie IV43, paru à Paris, chez Guillaume Le Noir & Jehan Bonfons. Il en existe d’ailleurs une traduction anglaise : An Almanach for the yere MDLXII made by maister Michael Nostrodamus (sic) Doctour (sic) of phisike, of Salon of Craux, in Provance.44 Regrettons encore que le second volume des Présages en prose n’ait pu à ce jour être publié par les soins de B. Chevignard, à partir du manuscrit du Recueil des Présages Prosaïques. Mais, on rappellera que le RPP ne comporte pas les dédicaces, et donc qu’il se peut qu’on ne connaisse jamais la formule heureuse signalée par MDN à son fidèle lecteur, en quelque sorte son exégète secret, dont on ne connaît finalement peut-être même pas le nom. Peut être MDN se targuait-il, en avril 1561, date de l’Epître, d’avoir annoncé la mort inopinée du jeune roi François II, au demeurant très lié aux Guises, survenue à la fin de 156045, pronostic figurant, avons-nous montré, en nous servant du RPP - en sa partie restée inédite - dans l’almanach pour 1560, par ailleurs non conservé, dont les ambassadeurs vénitiens lui accordèrent le bénéfice et dont on a souvent voulu faire croire que cela renvoyait à un quatrain centurique (X, 39).
Si la Prognostication pour 1562 parue chez Barbe Regnault est un faux, elle ne saurait avoir inspiré l’Almanach pour 1563. Il convient donc de considérer que ces deux ouvrages sont issus d’une autre source probablement disparue et comportant ce type de vignette, attesté notamment, pour ne pas citer de contrefaçons, par les prognostications pour 1557 et 1558.
En ce qui concerne la Prognostication pour 1555, nous avons émis des doutes sur l’authenticité de cet ouvrage qui comporterait, selon Ruzo, des quatrains, phénomène tout à fait inhabituel pour une Prognostication de MDN. Etant donné que l’année 1555 est importante pour la représentation nostradamique, en raison de la date de la Préface à César, on peut fort bien imaginer qu’elle ait pu inspirer une contrefaçon, recourant aux divers documents disponibles.
On voit qu’entre almanachs, prognostications et centuries, existe un certain manège et parfois que l’on assiste à des tours de passe-passe des uns vers les autres, selon la loi des vases communicants. Terminons sur cette réflexion : certains s’imaginent que de nouveaux documents peuvent renforcer leur camp, celui d’un MDN centuriste, mais il est à craindre que cela ne vienne le fragiliser encore davantage.
Jacques Halbronn
Paris, le 23 juillet 2003
Le Janus Gallicus et les éditions des Prophéties |
Le Janus Gallicus est constitué pour l’essentiel du commentaire d’un certain nombre de quatrains, tant issus des almanachs que des Centuries attribués à Michel Nostradamus. Toutefois, on peut raisonnablement penser qu’un tel commentaire ne faisait sens qu’en référence à un recueil de ces divers textes, dans la mesure même où le dit commentaire ne pouvait prétendre en restituer la totalité, tel n’étant pas, au demeurant, sa fonction.
Le problème, c’est que l’on ignore tout d’un tel recueil qui aurait comporté, cette fois, sous une présentation systématique, les différents documents auxquels aurait recouru le Janus Gallicus. Est-ce, en effet, que les éditions recensées pour cette époque permettent un tel commentaire et qui concerne outre les quatrains des almanachs des éléments des Centuries XI et XII.
Cette impression est confirmée par la fin du texte intitulé Brief Discours sur la Vie de M. Michel de Nostredame etc et qui se situe au début du Janus Gallicus, juste après l’épître à Henri IV. Rappelons ce que rapporte le dit Discours :
Il a escrit XII Centuries de predictions comprinses brievement par quatrains (...) Dont trois se trouvent imparfaites, la VII, XI & XII. Ces deux dernières ont long temps tenu prison (...) Enfin nous leur ouvrirons la porte.
Juste avant, il se réfère, à propos de César de Nostredame, à un commentaire d’un quatrain de juillet 1559 où je renvoy le Lecteur.
Mais encore faudrait-il que le lecteur ait accès à ce quatrain de l’almanach pour 1559, depuis longtemps devenu introuvable, on l’imagine, en 1594 !
Tout nous laisse donc à penser que l’ensemble de quatrains, tant des almanachs que des Centuries, est bel et bien accessible et autrement qu’au travers du Janus Gallicus, quand bien même le dit Brief Discours, contenant ces propos, se trouverait placé au début de l’ensemble portant un tel titre.
La suite du même Brief Discours semble devoir nous confirmer en cette voie, si on l’analyse rigoureusement :
Nous avons de luy d’autres présages en prose, faits puis (depuis) l’an 1550 iusques à 67 qui, colligez par moy la plupart & rédigez en XII livres sont dignes d’estre recommandez à la postérité.
En fait, l’auteur du Brief Discours ou du moins de la version, probablement retouchée46, distingue deux ensembles :
Ceux-cy comprennent nostre histoire d’environ cent ans & tous nos troubles, guerres etc.
Il s’agit des autres présages en prose parus entre 1550 et 1567.
et
Ceux-là, scavoir les Centuries, s’estendent en beaucoup plus longs siecles, dont nous avons parlé plus amplement en un autre discours de la vie de mesme Auteur.
Comment se fait-il dans ce cas que le J.G. combine dans son commentaire quatrains des almanachs et quatrains des Centuries sans parler du fait que le J.G. ne recourt à aucun texte en prose, alors que l’objet affiché, en son titre, du dit J.G. est de contenir sommairement mes troubles, guerres civiles etc ? Il y a là - qu’on nous excuse de pinailler - une anomalie qui nous conduit à contester le lien entre le Brief Discours et le J.G. et ce n’est pas parce que le Brief Discours se place au début du J.G. qu’il est ipso facto en adéquation avec lui. On sait ce qu’il faut penser des juxtapositions de textes !
Résumons-nous.
Première question : où se trouve la fameuse édition des douze Centuries, complètes et incomplètes, à laquelle renvoie le B.D. ?
Deuxième question : est-ce que le B.D. fait référence explicitement au Recueil des Présages Prosaïques qu’il opposerait à celui des Centuries ?
Troisième question : où parle-t-on du Janus Gallicus dans le B.D. ?
Réponse à la question 1
Aucune des éditions de la famille des libraires lyonnais Rigaud (Benoist, Héritiers, Pierre) ne comporte quoi que ce soit qui ait à voir avec les Centuries XI et XII. Or, ce sont leurs éditions qui sont signalées dans les bibliographies comme les seules conservées pour les années 1590, pour ne parler que des éditions comportant au moins dix centuries, mise à part l’édition de Cahors qui ne comporte pas davantage ces fameuses Centuries XI et XII.
On nous objectera que le J.G. commente bel et bien certains quatrains des dites Centuries. En effet, si nous ne savions rien d’autre de ces Centuries XI et XII, bel et bien signalées es qualités dans le B.D. que ce que nous en dit le J.G., par quelques commentaire épars, on pourrait dire que l’affaire est classée. Or, il se trouve qu’il existe bien des éditions comportant les douze centuries, mais elles sont considérées comme datant du XVIIe siècle, ce sont les éditions datées de 1605 - et se référant à une édition Benoist Rigaud de 1568 mais ne correspondant pas, on l’a dit, à celles parues sous l’enseigne Rigaud dans la décennie 90 - et que l’on retrouve sous l’enseigne du libraire troyen Pierre du Ruau mais aussi chez celle de son confrère Pierre Chevillot, également oeuvrant dans la bonne ville de Troyes, en Champagne.47
Autrement dit, les éditions du XVIIe siècle, que nous venons d’évoquer correspondraient plutôt bien avec ce à quoi renvoie le B.D. : elles comportent les XII centuries. Mieux encore, les éditions modèle Du Ruau, à la différence du modèle Chevillot, comportent en plus les quatrains des almanachs dont le J.G. fera un usage intensif. Conclusion : le modèle Du Ruau (qui renvoie à une édition Benoist Rigaud 1568) comporte tout ce que le lecteur du J.G. doit savoir pour suivre l’exposé qui lui est proposé.48 A ce détail près qu’on y trouve également les sixains, qui constituent un supplément tardif.49
De là à conclure que le modèle Du Ruau est exactement contemporain voire quelque peu antérieur au commentaire qui s’y réfère, dans le J.G., reconnaissons que nous sommes assez tentés. Et pour une raison supplémentaire, c’est que le dit modèle comporte une version correcte du Legis Cautio, ce qui n’est ni le cas du modèle Chevillot, ni celui de l’exemplaire d’Utrecht de l’édition Antoine du Rosne 1557, où l’on trouve le Legis Cantio, quelle horreur ! Or, nous avons la faiblesse de croire, dans notre logique un peu simplette, qu’un texte corrompu est précédé d’un texte qui ne l’est pas et qu’un commentaire est précédé, un tant soit peu, du texte commenté.
Réponse à la question 2
Le B.D. fait-il référence au RPP ? Somme toute, oui. Il nous semble bien que le B.D. renvoie à deux ensembles : le centurique en 12 parties et le RPP en 12 parties également. Qu’est-il advenu des deux projets ? Le manuscrit du Recueil des Présages Prosaïques, désormais conservé à la Bibliothèque Municipale de Lyon, semble prévoir une édition grenobloise en 1589. Peut-être existe-t-elle d’ailleurs. Mais elle n’a pas été conservée sinon pour ce qui est des quatrains des almanachs encore appelés Présages, ce qui n’est peut être pas un hasard. Quant à l’autre projet de publier un ensemble de douze centuries, on sait qu’il correspond à ce qui paraîtra, dix ans plus tard (cf. supra) avec les quatrains des almanachs. On peut se demander si ces éditions du XVIIe siècle ne regroupent pas, grosso modo, les deux projets en un seul ensemble mais en ne conservant du RPP que ses quatrains. On nous objectera que le RPP, par son titre même, concerne des textes en prose mais l’on sait fort bien depuis que le manuscrit en est accessible50 que le RPP comporte bel et bien les quatrains des almanachs et qu’il constitue même une des principales sources de la connaissance que nous en avons51, à telle enseigne que les Présages qui figurent dans les éditions centuriques qui les comportent ont certainement emprunté au RPP.
Autrement dit le B.D. renvoie à deux ensembles qui ne semblent avoir été disponibles que dix ans plus tard, au minimum. Etrange situation pour un commentaire d’un ensemble non disponible ! Que l’on se mette à la place du lecteur qui ne peut même pas aller consulter les sources sur lesquelles s’appuie le dit commentaire. Ajoutons, cependant, que le B.D. n’annonce pas le commentaire en question mais qu’il le précède matériellement, de facto.
Réponse à la question 3
Où, demandera-t-on, annonce-t-on le commentaire des quatrains qui constitue l’essentiel du J.G. ? Il faut, pour ce faire, aller lire un texte (pp. 13 et seq) intitulé Au lecteur et qui fait immédiatement suite au B.D., dans ses versions française et latine. Ce texte comporte un quatrain de centurie, ce qui n’était pas le cas du B.D. qui comportait (p. 3) un quatrain d’almanach (pour 1555). On peut y lire in fine (pp. 20 et seq) :
Voyant doncques les escrits d’iceluy (MDN) estre entendus de bien peu de gens (...) J’en ay fait un amas & recueil (c’est nous qui soulignons) tiré de ses Centuries & autres qu’il avait faits sur chacun mois pendant dix ou (sic) douze années (...) & l’ay divisé en deux livres. Le premier contient l’histoire passée auquel j’ay mis nom La Première Face du Janus François & le second l’advenir qui portera titre de la Seconde Face (...) Mais nous différons ce dernier traité à un autre temps (…) & nous contentons présentement de mettre en avant la Première Face de Nostre Janus.
Le dit texte Au Lecteur / Ad Lectorem parle d’ environ trois cens cinquante quatrains en version bilingue, soit à peu près un tiers du corpus annoncé par le B.D.
Un point de méthode : les textes introductifs ne font pas stricto sensu partie du Janus Gallicus, même s’ils s’inscrivent matériellement sous la couverture d’un ouvrage portant ce nom. Il convient donc de distinguer le texte du J.G. et ses annexes introductives et autres. On connaît ce procédé qui consiste à conférer un titre à un recueil de pièces en privilégiant la première ou la principale.
Il nous revient de poser une nouvelle question : est-ce que le Brief Discours et l’avis au lecteur parlent de la même chose et relèvent d’une même inspiration ? A n’en pas douter, l’Avis au lecteur s’appuie sur ce que promet le B.D., à savoir un corpus de quatrains issus des Centuries ainsi que sur des Présages, issus du RPP, bref cet amas & recueil, selon l’expression de l’Avis. Le problème, on l’a dit, c’est que le commentaire du J.G. s’appuie sur des documents dont on ne connaît que des versions troyennes tardives, ce qui fait quand même un assez gros trou dans la chronologie des éditions des Centuries, à un endroit stratégique.
Il nous semble, au demeurant, que le B.D. a très bien pu figurer en tête de cette édition manquante pour laquelle il semble idéalement conçu si l’on se fie au contenu des éditions troyennes qui en dérivent.
Il est donc remarquable que cette édition en question nous soit finalement restituée à peu près intégralement grâce aux libraires troyens et grâce au Janus Gallicus / François qui a conservé le Brief Discours qui devait introduire la dite édition.
Nous envisageons pour notre part de rééditer cette édition manquante qui comporterait l’édition datée de 1605 renvoyant à l’édition Benoist Rigaud de 1568, elle-même non conservée dans son état initial, plus le Brief Discours sur la Vie de M. Michel Nostradamus. Car en tout état de cause, il s’agit là selon nous du meilleur ensemble canonique possible, vu l’état de la conservation du corpus nostradamique.Il semble souhaitable de publier une édition reconstituée plutôt qu’une des éditions conservées. Nous pensons notamment que certaines différences existent entre l’édition janussienne, perdue et l’édition Du Ruau. Outre la présence du B.D., les Présages devaient être supérieurs à 141, ce nombre n’ayant été obtenu qu’au prix de suppressions de certains quatrains d’almanachs et le quatrain 101 de la Xe Centurie était tourné autrement, à savoir qu’au lieu de renvoyer, sur la base de chiffres romains, à 1660, il renvoyait à 1593 :
Selon nous, la présentation initiale était la suivante :
Adiousté depuis l’impression de 1568
Lorsqu’un fourchu apuyé sur deux Paux (pal, pieu, a donné empaler)
Et l’arc tendu & neuf ciseaux ouverts
Trois paux suivis le grand Roi des Crapaux
Ses ennemis mettra jus à l’envers.52
Et elle est devenue, dans une tonalité plus ambitieuse, au début du XVIIe siècle, comme l’attestent les éditions troyennes de Du Ruau et de Chevillot :
Quand le fourchu sera soustenu de deux paux
Avec six demy corps & six sizeaux ouvers;
Le trespuissant seigneur, héritier des crapaux
Alors subjuguera, sous soy tout l’univers.
La question reste posée de savoir de quand date ce B.D. qui annonce allègrement 12 centuries et non pas une miliade de quatrains, organisées en dix centuries, comme le signale la Bibliothèque de Du Verdier (1585) à propos d’une édition également datée de 1568 et également parue à l’enseigne du même Benoist Rigaud.
Il semble que le B.D., sous la forme qui est la sienne, en tête du J.G., corresponde à la seconde ère centurique, qu’il s’agisse d’un texte programmatique, appartenant à la première ère centurique53 remanié tardivement après 1585 pour annoncer deux centuries supplémentaires, même si terriblement incomplètes plus la septième centurie, qui n’a plus désormais qu’une quarantaine de quatrains, pas forcément parmi ceux d’origine, d’ailleurs. A noter que dans l’édition Chevillot, la centurie XI est augmentée par le fait que les sixains sont appelés XIe Centurie, tout en conservant par ailleurs les bribes de la Centurie XI figurant dans le modèle Du Ruau, lequel ne recourt pas à ce procédé consistant à faire coller le contenu de l’édition avec un B.D. qui au demeurant n’y figure pas et qu’il faut aller chercher en tête du J.G. Comme si on avait supprimé, pour quelque raison, à un certain stade le dit B.D. figurant dans une précédente édition, non conservée.
Pourquoi les éditions Rigaud - on ne tient pas compte ici de celles qui émaneront par la suite des libraires troyens - ont-elles rejeté tant les Présages que les centuries XI et XII et qu’elles ne se sont pas impliquées dans l’intégration ultérieure des Sixains ?
La politique Rigaud qui conduisit à la mise en chantier de leur édition de 1568, dépourvue du B.D., des centuries XI et XII ainsi que des Présages - la seule considérée comme authentique par la plupart des bibliographes et des nostradamologues54 - est donc tout à fait décalée par rapport au J.G. qui lui y fait appel ou les comporte et sera suivi, logistiquement, par les libraires troyens, ce qui n’empêchera pas Pierre Rigaud de publier, en 1603, les Pléiades de ce Jean-Aimé de Chavigny, celui-là même qui réalisa le commentaire du Janus Gallicus (1594), ce qui semble indiquer que cette politique anti-Chavigny avait fait long feu. D’ailleurs, en 1650, le RCN signale (p. 217 et seq) une édition Pierre Rigaud sur le modèle Chevillot.55
C’est d’ailleurs peu après la publication des Pléiades, qui puisent dans le RPP, mais cette fois côté prose, que l’entreprise troyenne va prendre forme, quitte à proposer une édition Benoist Rigaud 1568, nettement plus chavignienne que celles proposées par les Rigaud eux-mêmes, un peu plus tôt.
Pourquoi les bibliographes ont-ils ainsi rejeté ces éditions Benoist Rigaud 1568 plus en phase avec le grand commentaire du J.G., créant ainsi un hiatus avec le dit J.G. ? Certes, ils n’ont pas voulu accepter les sixains et ont ainsi jeté le bébé avec l’eau du bain. Ils n’ont pas compris que la bonne édition était le modèle Centuries plus Présages plus Centuries XI - XII, débarrassée des Sixains. Ils n’ont pas voulu passer par une édition reconstituée et ont préféré prendre une édition existante mais combien défectueuse, privée du B.D. et des quatrains des almanachs. Entreprise au demeurant aberrante que de ne pas accepter les dits quatrains des almanachs dans une édition posthume qui serait parue au lendemain de la mort d’un auteur avant tout connu par les dits almanachs et ne comportant pas non plus de vie du dit auteur, laquelle ne réapparaîtra qu’à partir de 164956, puis dans les éditions hollandaises notamment. Cette édition rouennaise de 164957 est d’ailleurs très proche de l’édition Du Ruau, mais elle comporte en outre le B.D. - Vie de l’autheur - qui manque à l’édition troyenne. Ce serait donc cette édition là, publiée par trois libraires, Cailloué, Viret et Besongne, qui aurait finalement notre préférence comme base d’une édition critique, si elle n’avait évacué les Epîtres à César et à Henri II qui figurent chez les Troyens. En définitive, les éditions hollandaises nous apparaissent comme les plus complètes, un siècle après la mort de MDN. On y trouve absolument tout réuni58 ainsi qu’un commentaire faisant le point sur l’exégèse nostradamique. Les qualifier de tardives serait injuste, il semble au contraire qu’elles soient le compagnon, le pendant idéal du Janus Gallicus. Et en outre, elles comportent une variante 1547 au lieu de 1557 dans l’Epître à Henri II qui nous semble tout à fait pertinente.
C’est dire qu’il importe de se méfier de la chronologie figurant sur les pages de titre et ce non pas uniquement en raison des éditions antidatées mais également parce que parfois une édition tardive est susceptible de comporter des éléments non conservés dans des éditions qui leur sont antérieures et qui auront survécu dans des éditons plus tardives. Il y aurait donc une nouvelle chronologie des éditions à établir qui tiendrait compte de ces paramètres et qui s’établirait à partir du contenu et de la confrontation des documents.
On peut toutefois se demander si le fait de refuser de publier Présages et Centuries sous un seul et même volume - politique propre aux Rigaud des années 1590 - n’était pas du à une volonté de séparer ces deux ensembles, ce qui était d’ailleurs initialement le projet du B.D. avant qu’un amalgame ne finisse par s’imposer. S’agirait-il là d’un scrupule visant à ne pas mélanger le vrai et le faux, sous un seul et même volume, et qui n’étouffait pas l’auteur du J.G. dans son commentaire ? L’idée initiale du B.D. n’était-elle pas de constituer deux ensembles à la vocation bien distincte, alors que le J.G. les utilise pèle-mêle, faisant basculer les quatrains des almanachs vers les Centuries, du fait précisément qu’il s’agit dans les deux cas de quatrains. Les clivages ne manquent donc pas au sein du corpus centurique, entre deux groupes de Centuries, chacun introduit par une Epître, entre Centuries et almanachs etc.
Si l’on compare le J.G. avec les éditions des Centuries avec présages, sur le modèle Ruau, nous remarquons, dans les deux cas, l’usage de majuscules pour certains mots.59 Or, dans 90% des cas, les mots ainsi concernés sont les mêmes. Mais comme le J.G. ne constitue nullement une édition entière des quatrains centuriques et des Présages, la question qui se posait était de savoir si on trouvait d’autres mots à majuscules que ceux figurant dans le J.G., dans les éditions modèle Ruau. Or, c’est le cas pour II, 79 CHIREN, III, 85 LAUDE, III, 34 CHIREN, V, 23 DUUMVIRAT, VI, 23 RAPIS, VIII, 16 HIESON, VIII, 67 PAR, CAR, NERSAF, VIII, 97 VAR, IX, 30 PUOLA, IX, 41, CHYREN, IX, 64 RAYPOZ, IX, 45 MENDOSUS, IX, 50 MENSODUS (sic), X, 29 MANSOL, X, 40 LONOLE, X, 46 L’OR, X, 52 LAYE, année 1559 (présage 34) HENRIPOLIS, avril 1563 (présage 83) CHRIST, novembre 1567 (présage 141) DIEU.
La question des majuscules dans les deux ouvrages
Janus Gallicus à gauche et Edition Du Ruau (1605) à droite
Ce qui laisserait entendre que le J.G. a utilisé une édition de ce type pour établir son commentaire. On notera cependant que les mots en majuscules qui figurent dans l’édition Macé Bonhomme 1555, au début de la première centurie, ne se retrouvent pas dans le modèle Ruau.
Abordons à présent, à la lumière de ce qui vient d’être exposé, les observations d’E. Gruber (CURA. 26) concernant le RPP et ce que nous avons dit dans les Documents Inexploités (op. cit., p. 135).
Or, force est de constater que le dit Recueil ne fait aucune référence aux centuries ! Si celles-ci avaient été connues, à l’époque, il nous semble qu’elles n’auraient pas manqué de figurer parmi les oeuvres tant en oraison prose que tournée, au même titre que les quatrains des almanachs qui figurent, eux, bel et bien, au sein du Recueil des Présages Prosaïques, d’ailleurs assez mal nommé puisqu’il comporte des quatrains.
Nowhere in the Recueil does Chavigny state that his manuscript contains les oeuvres tant en oraison prose que tournée. This is a citation from the introductory letter to his l’androgyn, in which he announced the plan to publish both the prose and verse prophecies of Nostradamus. The part with the verse prophecies found its way to the printers and was distributed as the Janus François, the work on the prose prophecies remained as a manuscript in the Recueil. It is obvious that Chavigny meant to produce a collection of excerpts only from the almanacs and prognostications and entitled it accordingly as covering the prophetic works of the author, the largest portions of which were in prose as opposed to the centuries, which were exclusively written in verse. The fact that a considerable number of the almanacs and prognostications also contained quatrains which of course were included by Chavigny in the Recueil, does certainly not mean that he should have included the quatrains from the centuries as well.
Rappelons d’abord que le J.G. commente bel et bien tant les quatrains des Centuries que ceux des Almanachs, se conformant à un schéma qui ne correspond plus au distinguo du Brief Discours, texte programmatique dont il semble que Gruber n’ait pas su apprécier toute l’importance (nous lui avons consacré une étude dans le Texte Prophétique en France). Ensuite, on observera que les Présages se présentent comme la quintessence du RPP, dont on oublie désormais la dimension prosodique : Présages tirez de ceux faicts par M. Nostradamus, es années 1555 & suivantes iusques en 1567, formule utilisée dans les éditions centuriques comportant les quatrains des almanachs et qui doit être rapprochée de celle existant dans le B.D. : Nous avons de luy d’autres présages en prose, faits puis (depuis) l’an 1550 iusques à 67 qui, colligez par moy la plupart & rédigez en XII livres sont dignes d’estre recommandez à la postérité. On notera le passage de 1550 à 1555 qui tient au fait que les quatrains des almanachs ne commencent qu’en 1555 alors que les textes en prose auraient débuté dès 1550.60
Qu’entendait-on donc dans l’Epître à L’archer, signée Jean de Chevigny (et non Jean-Aimé de Chavigny), en tête de l’Endrogyn de Dorat61, par la formule :
Duquel j’ay encores riere moy toutes les oeuvres tant en oraison prose que tournee, que bien tost ie mettray en lumiere.
On observera la similitude entre cet extrait de l’Epître à L’archer et la fin du Brief Discours qui oppose bel et bien deux genres de documents dus à MDN :
Ceux-cy comprennent nostre histoire d’environ cent ans & tous nos troubles, guerres etc.
et
Ceux-là, scavoir les Centuries, s’estendent en beaucoup plus longs siecles, dont nous avons parlé plus amplement en un autre discours de la vie de mesme Auteur.
De quel autre discours, d’ailleurs, s’agit-il, nul ne le sait.
Nous sommes d’accord pour reconnaître que les quatrains des almanachs appartiennent de fait aux textes en prose, du fait du commentaire en prose dont ils font l’objet. Il est clair que le J.G. n’est pas programmatique et que c’est le Brief Discours qui l’est et qui introduit le J.G.
On peut dès lors se demander si l’on n’a pas amalgamé le texte programmatique de Jean de Chevigny daté du mois d’août 1570 avec une vie de MDN, ce qui aboutit à la version du B.D. figurant en tête du J.G. de 1594, constitué essentiellement du commentaire de Jean-Aimé de Chavigny, Beaunois, sur 350 quatrains issus indifféremment des Centuries et des Almanachs (sous la forme prise dans le RPP).
Il est en tout cas assez évident que Jean de Chevigny, dans son Epitre, oppose bien déjà deux types de documents et qu’il se situe dans une logique de publication posthume. La formule tournée ne vise que les Centuries et la formule prose inclut les quatrains des almanachs. Or, si les Centuries, à cette date étaient déjà parues, on ne voit pas l’intérêt qu’il y aurait à ce qu’il déclare les avoir rière lui. Il ne dit d’ailleurs pas de combien de Centuries il dispose mais il cite, à l’appui de ses dires, un quatrain de la seconde centurie prophetique comme s’il s’agissait là d’un échantillon, d’un avant goût, dont il ferait l’offrande au lecteur.
Curieusement, dans le cas Dorat, on a l’impression d’être dans la même situation qu’avec le Janus Gallicus, puisque celui-ci semble avoir proposé un commentaire - apparemment perdu - de quelques quatrains (carmes) des Centuries sans que celles-ci aient été disponibles :
Pource donc que luy mesme (Dorat) confesse qu’il a profité & allegue les carmes d’un Prophete qui fut Monsieur de Nostradame (...) je vous en ay bien voulu donner ce contentement. C’est le quatrain quarante-cinquieme de sa seconde Centurie etc.
Signalons à propos de la symbolique de l’Androgyn, dont E. Gruber considère qu’elle n’a rien à voir avec les guerres de religion62, le commentaire du Janus Gallicus (p. 192, n° 237) à propos du deuxième verset de ce quatrain :
C’est la journée S. Barthelemy sans doubte
On a donc une certaine impression de déjà vu, à un quart de siècle d’intervalle, sauf qu’entre temps, les Centuries sont bel et bien parues, du moins pour une partie d’entre elles. La thèse que Jean-Aimé de Chavigny soit un imposteur ne nous semble en tout cas pas devoir être abandonnée de si tôt.63
On se demandera donc s’il n’aura pas fallu attendre 1570 ou 1571 pour que paraissent sous une présentation systématique et complète des Centuries de quatrains, stricto sensu et si le Commentaire de Dorat, signalé, dans l’entrée à son nom, dans les Bibliothèques de La Croix Du Maine et de Du Verdier, ne daterait pas, pour sa part, de 1568, date qui aurait, par la suite, servi pour fixer leur parution. On ne peut d’ailleurs exclure que ce commentaire n’ait été en partie repris dans le Janus Gallicus.
Terminons par ce jugement de J. P. Laroche, co-auteur avec M. Chomarat, de la Bibliographie Nostradamus (Baden-Baden, 1989) - à la fin de son Catalogue du Fonds Michel Chomarat de la Bibliothèque Municipale de Lyon64 : après 1981, plusieurs chercheurs et universitaires décident de se regrouper à Lyon au sein des Amis de Michel Nostradamus afin de rétablir la vérité d’un texte aussi malmené, manipulé et détourné. A cet effet, ils publièrent en fac-similé de nombreux originaux dont les éditions considérées comme perdues, imprimées à Lyon en 1555, 1557 et 1568 et établirent des bibliographies critiques et chronologiques des différentes oeuvres de Nostradamus avec la localisation des exemplaires connus. Les événements de 1981 et ce retour de Nostradamus auront au moins eu le mérite de remettre totalement en cause l’exégèse qui, depuis des siècles interprétait les Prophéties d’après un texte sans cesse remanié, tronqué et parfois apocryphe. Mais où est donc la faille ? Il semble que cela ait tenu au fait que l’on n’ait pas compris que spéculations sur le futur et manipulations du passé allaient de pair et que les libraires étaient au coeur du système.
Jacques Halbronn
Paris, le 26 juillet 2003
Du traitement raisonné
de l’iconographie nostradamique |
Réponse à quelques questions posées par P. Guinard concernant nos conclusions.
Dans ses Remarques additives sur l’authenticité des premières éditions65, P. Guinard nous interpelle ainsi - ce qui peut sembler étrange pour un article qui se présente comme co-signé - mais faut-il se fier aux apparences ? : Terminons par quelques questions de bon sens, auxquelles Halbronn, j’en suis certain, aura la tentation de vouloir répondre.
P. G. : Dans quel but Nostradamus aurait-il publié une première préface, adressée en apparence à son fils César, séparée, sans quatrains prophétiques mais y faisant référence ?
Réponse : Nous considérons qu’une Epître dédiée à son fils a bien existé et qu’elle a servi à élaborer une nouvelle Epître sensiblement retouchée et annonçant ce qui n’existait pas dans l’original des quatrains prophétiques.
P. G. : Pourquoi les supposés faussaires auraient-ils fait paraître une édition supposée antidatée pour 1555, à 353 quatrains, si les véritables premières éditions n’eussent contenu que 39 quatrains à la quatrième centurie, d’après les éditions parisiennes, tronquées, parues à la fin des années 80 ?
Réponse : Non, les 39 quatrains concernent la 7e Centurie et non la 4e, les éditions des années 80, sauf dans le cas d’une seule et unique édition de Rouen conservée, publient des éditions à plus de quatre centuries. En revanche, la question vaut pour les éditions de 1557 qui comportent ce que les éditions à 39 quatrains supposées parues en 1560 étaient supposées ajouter. L’argument de P. Guinard suppose que les faussaires seraient solidaires les uns des autres, ce que nous n’avons jamais prétendu, surtout à des dizaines années d’écart. C’est précisément cette absence de concertation qui permet de les repérer ! Selon ce type de raisonnement, les deux éditions datées de 1557 supposées parues à quelques mois de distance doivent être bonnes, puisque sinon les faussaires n’auraient jamais commis certaines maladresses. Sauf si ces faussaires ont agi à des dates justement fort différentes et sans se soucier de ce qu’on avait fait avant eux et qui n’était plus en circulation. Car une chose est pour nous, aujourd’hui, d’avoir tous ces documents sur notre bureau, une autre la réalité historique !
Guinard écrit à ce sujet :
L’édition Roffet est peut-être la copie d’une édition Barbe Regnault parue à Paris en 1561, édition vraisemblablement piratée ou même antidatée, ne présentant que six centuries, fortement altérées, avec en guise de septième, un certain nombre de quatrains presque tous empruntés à l’Almanach pour 1561.66 Le sous-titre est significatif : Reveues & additionnées par l’Autheur (...) de trente neuf articles à la dernière Centurie.
On ne voit pas quels sont ces 39 quatrains ajoutés, mais on comprend la volonté de l’éditeur de brouiller les pistes, puisqu’effectivement la deuxième édition des Prophéties (1556 - 1557) ne comprenait que 40 quatrains à la septième centurie (ou encore 39 si l’on remplace le quatrain latin absent et renumérote les quatrains dans leur succession), et que cette édition ne comprend que 71 quatrains à la sixième centurie, qui additionnés aux 39 supposés ajoutés, donnerait un total de 100, à une retenue près !
P. G. : Pourquoi, comme le remarque Gruber dans son texte paru au CURA, le pauvre Chavigny, présumé auteur ou organisateur complaisant des quatrains, aurait-il remplacé par un astérisque l’expression Peste à l’église du vers I 52 C (à la page 254 de son Janus), si l’opportunité lui avait été donnée de les falsifier, ou même de les construire lui-même ?
Réponse : A notre connaissance, selon le témoignage de Crespin, datant de 1572, un certain nombre de Centuries étaient déjà parues, ce qui ne signifie pas, encore une fois, qu’elles soient restées par la suite dans leur état d’origine. On sait par ailleurs que si l’on compare la traduction latine des présages avec le texte français, le traducteur, quel qu’il soit, a pris d’extrêmes libertés, traduisant ainsi LOIN par LODOICUS, pour les besoins de son exégèse. Dans le cas présent, il semble qu’il s’agisse de l’effet d’une censure : Peste à l’église n’est pas une formule innocente. Nous renvoyons à l’imprimatur accordé par Faber, Docteur en théologie, en date du 21 juillet 1594, lequel figure en tête du Janus Gallicus, à la suite de Au lecteur bienveillant et qui comporte le mot rétractation.
P. G. : Comment les prétendus faussaires s’y seraient-ils pris pour produire un millier de faux quatrains, en parfaite maîtrise et imitation de la poétique du prophète, si ce dernier lui-même n’en a produit aucun, hormis ceux apparus dans ses divers Almanachs ?
Réponse : Si précisément MDN n’a produit aucun quatrain, hormis ceux de ses almanachs - en n’incluant pas ceux de la Prognostication pour 1555 ! - on voit vraiment mal de quelle prétendue parfaite maîtrise (dixit Guinard), il peut s’agir de la part des prétendus faussaires. De toute façon, quel qu’en soit l’auteur, ou plutôt quels qu’en soient les auteurs, c’est un travail considérable et qui, en effet, s’est étalé dans le temps et entre plusieurs compilateurs et rédacteurs.
P. G. : Pourquoi enfin la production d’un tel travail par une supposée alliance insoupçonnée de faussaires ligueurs et réformés, alors que n’apparaissent de manière évidente dans les Centuries que quelques rares vers se rapportant à cette période (Henri III - Henri IV), pourtant proche et paradoxalement la plus riche, dans l’histoire politique française, en événements dramatiques relatifs à l’autorité royale ?
Réponse : On nous parle de rares vers se rapportant à telle ou telle époque. On va bientôt nous dire qu’il est davantage question dans les Centuries de la Révolution Française que de la Ligue ! Les Centuries comportent des strates successives : il y a les quatrains qui sont empruntés à des manuels d’histoire antique ou à des guides de voyage et qui constituent une sorte de fond qui s’est constitué dans les premières étapes de leur élaboration, en gros entre le milieu des années 1560 et le milieu des années 1580, ce qui aboutit à la miliade de quatrains. C’est l’ère que nous avons appelée des centuries pleines, c’est-à-dire qu’une centurie comporte 100 quatrains, pas un de plus, pas un de moins. Et puis à partir de là il y a eu d’une part des additions, de l’autre des suppressions. Le problème n’est pas qu’il n’y a pas eu de Centuries avant la période de la Ligue, le problème c’est qu’on ne les a pas conservées. P. Guinard fait probablement allusion à notre étude du quatrain IV, 46 : Garde toi Tours de ta proche ruine. En vérité, un seul quatrain de ce type suffirait à ébranler tout l’édifice pour celui qui connaît un tant soit peu l’histoire de la Ligue, mais on pourrait fournir bien d’autres éléments dans ce sens, que nous publierons prochainement. Quant aux quatrains qui auraient rapport avec le temps de MDN, ils n’ont rien de convaincant et notamment en ce qui concerne la mort d’Henri II.
On sait très bien, au demeurant, que sur la base du témoignage de Crespin nous ne mettons nullement en doute l’existence de centuries parues avant 1572. Les éditions datées de 1555, 1557 sont des faux, en tout état de cause, mais tout autant celles datées de 1568, si elles se prétendent comme vraiment parues en 1568, même s’il y a bien eu de premières éditions de certaines centuries à cette époque. Mais ce ne sont pas les éditions qui ont été conservées et qui portent la date de 1568.
En réalité, ces éditions Benoist Rigaud 1568, comme celle reprintée par M. Chomarat, se révèlent être postérieures aux éditions Pierre Rigaud ! Une étude approfondie des éditions, à paraître, le démontre : Pierre Rigaud a probablement fait fabriquer une telle édition Benoist Rigaud tout comme Pierre du Ruau a, de son côté, utilisé le nom de Benoist Rigaud et de l’année 1568. Tous les spécialistes, au début du XVIIe siècle, savaient pertinemment que la référence c’était Benoist Rigaud 1568. Et ils s’en sont donné à coeur joie en fait d’éditions antidatées ou non datées. P. Rigaud lui-même ne mettait pas de dates sur ses éditions, ce qui conduisit des faussaires à placer 1566 sur l’une d’elles. Et à propos d’édition antidatée, il faudrait compter aussi celle de 1605 qui n’est pas de 1605, contrairement à ce que semble le laisser entendre P. Guinard, parce que les sixains qu’elle comporte, ne datent pas de cette époque.67
En fait, si l’on considère la présentation de P. Guinard, elle est d’une ingénuité dont la plupart des nostradamologues ont fait désormais le deuil. L’ordre proposé par P. Guinard est totalement fantaisiste sauf pour les éditions parisiennes de la Ligue.
P. Guinard nous parle de bon sens, mais c’est justement tout le problème : quel est l’original et quelle est la copie ? Ce sont des choses qui s’apprennent. Prenons deux exemples : celui des deux éditions Antoine du Rosne de 1557 et celui des éditions Benoist 1568 et Pierre Rigaud non datée.
Dans le premier cas, on a une édition de septembre 1557 avec 42 quatrains à la VIIe centurie et un avertissement latin dont P. Brind’amour68 nous a montré qu’il était défectueux sous la forme Legis Cantio, alors que celui de l’édition datée de 1605 est correct, sous la forme Legis Cantio. Cette édition est suivie d’une autre édition de novembre qui ne comporte plus l’avertissement latin, ce qui, en tout état de cause, ne permet pas d’avoir une centurie VI à 100 quatrains, qui ne comporte plus que 40 quatrains, qui comporte en revanche des mots en majuscules qui ne figuraient absolument pas dans l’édition de septembre, qui numérote les quatrains en chiffres romains alors que celle de septembre les numérotait en chiffres arabes. Petit détail, l’édition de septembre qui n’a pas de mots en majuscules est précédée d’une édition 1555 qui, elle, avait des mots en majuscules. Qui ne comprend pas que ces trois éditions appartiennent à des époques différentes et que le fait de les placer les unes à la suite des autres est complètement artificiel. Le seul argument de P. Guinard, que nous avons déjà salué, est le suivant : mais comment les faussaires auraient-ils pu prendre de tels risques alors qu’ils auraient du pertinemment savoir ce que leurs collègues avaient fait ? Et si l’on ajoute la fausse édition qui a probablement été lancée, car l’occasion était trop belle, d’une édition à 39 articles, alors, oui, on comprend mal que des centuries également incomplètes mais apparemment antérieures aient déjà un supplément de quelques centuries : on serait ainsi passé, entre 1557 et 1560 de 42 à 40 puis de 40 à 39 quatrains à la VII alors que ces 39 quatrains n’auraient du voir le jour qu’en 1560 et d’ailleurs ne comportent-ils pas des quatrains de l’almanach pour 1561, c’est-à-dire d’autres quatrains, forcément, que ceux des éditions 1557, à la VIIe centurie. Mais non, rassurez-nous, les faussaires n’ont pas pu faire une chose pareille. Le problème, c’est que bien qu’ils aient fait une chose pareille, ça marche encore en 2003 ! A propos, sous la Ligue, toutes les éditions précisent à la IVe centurie qu’il y a une addition de quatrains au delà du 53e quatrain. En revanche, dans les éditions datées de 1557, on nous donne la centurie IV d’un seul tenant sans aucune mention d’addition, depuis 1555. Voilà bien une chronologie en folie !
Passons aux éditions Rigaud et considérons l’édition Benoist Rigaud 1568 (reprint Chomarat, 2000), le second volet et l’Epître à Henri II. Pas de différence entre le latin et le français, à la différence de toutes les éditions connues qui recourent à deux caractères différents, que ce soit les éditions 1555, 1557 ou l’édition Pierre Rigaud ou l’édition datée de 1605.69 A un détail près : si l’on regarde bien le texte de l’épître, dans l’édition Benoist Rigaud 1568, il y a quelques mots latins en italique70 : Bellis rubuit navalibus aequor. C’est-à-dire que sur des dizaines de ligne en latin, une demi-ligne est en italique. Et pourtant la distinction entre français et latin était marquée dans la Préface à César de la dite édition Benoist Rigaud 1568. C’est ce qu’on appelle une édition au rabais, carrément bâclée, dépareillée, et on dira même une édition SDF. Car si Pierre Rigaud a une adresse, reprise d’ailleurs dans les fausses éditions 1566, rue Mercière, au coing de rue Ferrandière, Benoist Rigaud n’y a pas droit ! C’est, a priori, d’autant plus frappant que les éditions de Benoist et de Pierre comportent les mêmes vignettes, tant pour le premier que pour le second. R. Benazra a établi un code commode de désignation des vignettes : les premières éditions Pierre Rigaud comportent pour les deux volets respectivement les vignettes A 27 et A 2371 et on retrouve les même vignettes dans l’exemplaire de la bibliothèque municipale de Grasse sous la cote Réserve 1259772, alors que le reprint Chomarat 2000 comporte les vignettes A 27 et A 24. Bien entendu, on peut toujours soutenir que Pierre Rigaud a repris les vignettes de Benoist Rigaud, mais nous pensons que c’est le processus inverse - si l’on peut dire étant donné que cette édition Benoist Rigaud est postérieure à la mort du libraire lyonnais - qui s’est produit. Or, avec les mêmes vignettes, dans un cas, chez Pierre, il y a l’adresse et dans l’autre il n’y a pas d’adresse comme si cette édition était plongée dans un autre espace-temps. Même les éditons parues sous la Ligue, tant à Rouen qu’à Paris, dans un climat autrement plus agitée qu’en 1568 portent l’adresse du libraire. En revanche, les éditions lyonnaises comme celle de Jean Poyet sont sans date - c’est vrai aussi pour un Pierre Marniolles, un Estienne Tantillon73 mais aussi sans adresse. Il semble que l’édition Benoist Rigaud relève d’une telle mode. Toutefois, un sondage concernant la production de Benoist Rigaud confirme qu’il ne faisait pas mentionner son adresse sur les ouvrages qu’il mettait en lumière. Il semble qu’il se soit agi d’une licence que les libraires lyonnais s’accordèrent souvent, un autre cas étant celui de Michel Jove.74 Dont acte.
Mais il faut bien le dire : les deux volets de l’édition Benoist Rigaud ne sont même pas assortis comme si cette édition s’adressait aux populations les moins favorisées, les plus crédules, les moins exigeantes : on bascule dans la bibliothèque bleue et la littérature de colportage. Ajoutons que cette édition 1568 a de nouveau les 42 quatrains à la VII qui avaient disparu dans l’édition Antoine du Rosne de novembre 1557, elle a à nouveau l’avertissement en latin qui ne s’y trouvait plus. Alors ce 100e quatrain, à la VI, l’a-t-on ajouté par rapport aux éditions 1557 et 1568 ou l’a-t-on supprimé voire censuré ? Enfin, comme on dit : Tout va très bien Madame la Marquise ! Puisqu’on vous le dit ! A propos, pour remettre les montres à l’heure, l’édition datée de 1605, si chère à Serge Hutin, comme le rappelle P. Guinard, elle a non seulement la bonne version du texte latin mais en plus un centième quatrain à la VI, en bon français, qui ne figure pas chez Pierre Rigaud, ni chez Benoist Rigaud. En conclusion, il nous semble avoir montré que pour prendre à la lettre les dates antérieures à 1588 qui peuvent figurer ici ou là, il faut avoir la foi chevillée au corps. Et puis, au delà des années 1588 - 90, on entre dans un nouveau noman’s land jusque dans les années 1650. C’est dire que vouloir constituer une bibliographie chronologique du corpus centurique nous semble un exercice singulièrement périlleux et casse-cou et qui exige d’autres compétences que celles de recopier des pages de titre et de les classer d’après les indication qui y figurent, c’est ce que l’on peut appeler ériger un désordre organisé. A moins de déclarer d’emblée que l’on se contente de classer les documents selon les dates mais que cela n’a pas plus de sens que de les classer par ordre alphabétique.
P. Guinard écrit toujours, dans cette même étude :
Il est vrai que le sous-titre donné aux éditions Antoine du Rhône de 1557, dont il en y à [sic] trois cents qui n’ont jamais esté imprimées, reste problématique. Benazra note que l’éditeur a simplement utilisé une formule lapidaire.75 Cependant, la différence de 14 ou de 11 quatrains, par rapport aux 300 quatrains inédits annoncés, pourrait trouver son explication dans le décryptage numérologique des éditions successives
On notera que la phrase complète est Prophéties (...) dont il en y a etc. Nous avons déjà noté, dans une autre étude, l’étrange similitude entre cette expression incorrecte dont il en y a là où les autres éditions ont dont il y en a avec l’édition rouennaise de 1589, des Grandes et merveilleuses prédictions chez Raphaël du Petit Val76, ce qui nous amène à penser que ces éditions de 1557, dont les deux exemplaires comportent cette même particularité, relèvent au plus tôt des années 1580. Le terme prédictions pourrait d’ailleurs mieux convenir que celui de prophéties, sous la forme plurielle. Car il s’agit bien de présenter 300 prophéties nouvelles, ce qui fait de chaque quatrain une prophétie. Cette façon de quantifier les prophéties nous paraît assez malvenue, comme si l’on avait combiné deux titres, d’un côté les Prophéties et de l’autre les Prédictions en un seul et même ensemble. En tout état de cause, s’il est question de 300 prédictions, selon la formule rouennaise, c’est bien évidemment par référence aux centuries, faites chacune de cent quatrains. On ne va pas additionner quelques quatrains de la IV et quelques quatrains de la VII pour arriver péniblement à un total approchant ! Et ce d’autant que selon nous, ce titre a d’abord du apparaître, donc quelque temps avant l’époque des éditions rouennaises de 1588 - 1589, alors que la IVe centurie était complète, aboutissant ainsi à sept centuries complètes.77
A ce propos, il conviendrait de réfléchir sur les informations que l’on peut tirer des intitulés des ouvrages du corpus centurique. Prenons le cas des éditions parues à Paris, sous la Ligue. Leur titre ne correspond pas ou plus à leur contenu. On ne trouve pas 39 articles s’ additionnant à la dernière centurie dans aucune de ces éditions parisiennes. De même, nous pensons que souvent le titre d’une édition est décalé par rapport à ce qu’on y trouve et peut nous renseigner sur le contenu initial des éditions ayant porté le dit titre. C’est ainsi que l’on pourra compléter le puzzle centurique à partir de telles empreintes. Lorsque l’on est passé d’une édition à 4 centuries - ce dont témoigne l’autre édition rouennaise, celle de 158878, le contenu ne correspondait déjà plus au contenant, la IVe centurie n’étant plus que constituée que de quelques dizaines de quatrains - à une édition à 7 centuries, à savoir avec les 3 centuries inconnues de Crespin et qui appartiennent au début des années 1580 - on a bien utilisé la formule impliquant l’ajout de 300 quatrains et cet événement éditorial a maintenu sa prégnance dans les éditions ultérieures, même après avoir subi diverses tribulations dont notamment le remplacement de la Centurie VII par 39 articles, à la suite de l’avertissement en latin, à la fin de la VIe Centurie, lequel clôturait les éditions ayant perdu la centurie VII, avertissement qui ne fut pas éliminé par la suite, parce que les 39 articles n’avaient pas au début statut de centurie, mais constituaient une annexe. Etre nostradamologue, c’est être un peu comme Cuvier, le fondateur de la paléontologie des vertébrés qui reconstituait, nous dit le Dictionnaire Larousse, le squelette des mammifères fossiles à partir de quelques os.
Mais puisque l’iconographie est au coeur de l’étude de P. Guinard, alimentée, comme il le précise, par les collections de la Bibliotheca Astrologica, consacrons encore quelques moments à la question des vignettes supposées représenter MDN. Il semble bien qu’à partir des vignettes des prognostications pour 1557 et 1558, on ait utilisé celles-ci, sans leur frise zodiacale, pour conférer un cachet nostradamique à un certain nombre de faux parmi les documents conservés :
- fausses éditions Macé Bonhomme 1555
- fausse Prognostication pour 1555