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ANALYSE |
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Epîtres et épitaphes
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Les épîtres nostradamiques ont une fonction annonciatrice, programmatique, ce qui explique qu’elle aient fait l’objet de maintes retouches, qu’elles aient été déplacées d’une oeuvre à une autre et qu’elles apparaissent ou disparaissent, d’une édition à une autre.
Le cas le plus remarquable est certainement celui de l’Epître à Henri II, dont il a été produit au moins quatre moutures différentes, de celle figurant en tête des Présages Merveilleux pour 1557 jusqu’à l’épître centurique telle que figurant dans le canon nostradamique, c’est-à-dire durant la phase génétique du canon nostradamique qui précède sa phase exégétique. A cela, il faut ajouter l’Epître à François de Guise, en tête du faux almanach pour 1563, paru sous la Ligue et qui est un avatar de l’Epître à Henri II, comme l’a montré à la suite de P. Brind’amour, P. Guinard.1
Il est clair que le fait que les épîtres soient rédigées en prose leur confère un statut bien différent de celui des centuries de quatrains et que le lecteur y cherche prioritairement un enseignement avant de se lancer dans le dédale des quatrains.
On peut d’ailleurs penser que la dite Epître n’aura pas été suffisamment retouchée et qu’il s’agit là d’une faille dans le système de la seconde génération de faussaires, ceux de la seconde ère centurique, celle des centuries incomplètes.
On abordera successivement le cas de la première version centurique de l'Epître au Roi puis celui de la version qui a fait défaut.
La première version centurique, directement issue de l'Epître des Présages Merveilleux est d’emblée remarquable en ce qu’elle annonce un autre texte que celui qu’elle était censée annoncer - ce qui est également le cas de figure de la Préface à César : cet exemple justifie au demeurant notre hypothèse concernant le fait que la Préface à César, elle non plus, n’annonçait pas initialement un lot de Centuries.
La différence par rapport à l’Epître du canon, que nous retiendrons de cette Epître non conservée, est qu’elle n’annonçait évidemment pas une miliade de quatrains, puisque comme en témoigne Crespin, on n’en connaissait alors que sept (I-IV et VIII-X). Très vraisemblablement, cette première épître royale centurique n’était suivie que de trois centuries et ne pouvait donc annoncer plus de 700 quatrains, si on inclut les 400 quatrains annoncés par la nouvelle Préface à César. Ce n’est qu’après 1572, date du témoignage de Crespin, dans les Prophéties dédiées à la Puissance divine, terminus a quo et 1585, où une édition de 1568 à dix centuries est signalée qu’un nouvel état de l’Epître à Henri II annonçant 1000 quatrains apparaît.
En ce qui concerne la version qui fait défaut, il s’agit d’un version qui ne semble avoir jamais existé mais dont la rédaction aurait été logique, à savoir une nouvelle mouture de l’Epître au Roi mais n’annonçant plus mille quatrains puisque l’on sait pertinemment qu’il n’y en a pas mille mais recourant à une formule plus vague, faute de quoi cela donne l’impression d’un habit trop large. Signalons que l’Epître à Henri II ne figure pas dans les éditions ligueuses de 1588 - 1589 qui ne comportent d’ailleurs pas les centuries VIII-X.
Ainsi, l’Epître à Henri II nous renseigne sur ce qu’elle annonce et ce qu’elle annonce n’est pas nécessairement ce que l’on trouve à sa suite ou dans le contexte dans lequel elle s’inscrit. On voit donc tout ce que l’on peut apprendre d’une Epître quand on peut observer un tel décalage. C’est au demeurant vrai pour la Préface à César, autre épître annonciatrice et programmatique qui renvoie à autre chose qu’aux Centuries mais à des Prophéties Perpétuelles et qui n’a pas été retouchée, en conséquence, par les faussaires. On remarquera donc l’imperfection de leur travail et il est d’autant plus étonnant, qu’en ce début du XXIe siècle, on en soit encore, du moins chez certains, à refuser d’admettre un tel décalage / découplage entre épîtres et corps du texte. Insistons sur ce point : les faussaires ne sont pas infaillibles, il y a chez eux de la négligence et on l’a vu ailleurs à propos des Significations de l’Eclipse de 1559.
On notera que dans le Recueil des Présages Prosaïques, il n’est fait mention, sauf dans le cas rarissime de l’Epître au Roi en tête des Présages Merveilleux, d’aucune épître dédicatoire, ce qui montre bien que ces textes ont été rédigés avant une telle attribution et non après, comme on l’affirme généralement. Regrettons au passage qu’on ne dispose pas du second tome (après 1559) des Présages de Nostradamus, de B. Chevignard, si tant est que celui-ci soit prêt, car la lecture du manuscrit est des plus pénibles.
Quoi donc de surprenant à ce que les épîtres centuriques aient été maintes fois remaniées au fil de l’évolution du corpus centurique ?2 Evidemment, si l’on nie que ce corpus ait évolué, on niera aussi que les épîtres aient été transformées.
On rappellera que si l’Epître à Henri II, dans sa version centurique, a toujours précédé trois centuries, en revanche, la Préface à César a d’abord introduit quatre centuries puis sept sans parler de formules intermédiaires avec des centuries incomplètes.
Par ailleurs, le fait qu’initialement ces épîtres ne concernaient pas les Centuries mais d’autres textes de MDN est tout à fait significatif du transfert qui s’est opéré des productions annuelles vers l’ensemble centurique, à commencer par les quatrains des almanachs lesquels n’ont d’ailleurs pas disparu de certains éditions des Prophéties.
Quelque part, on est gêné par la coexistence de deux épîtres centuriques, celle à César et celle à Henri II. Il semble que l’on ait affaire à deux projets séparés et réunis ultérieurement. La dualité entre ces deux textes a d’ailleurs été relevée et s’est manifestée, ne serait-ce que sous la Ligue. A certains moments, les deux textes ont cohabité avec les centuries qui les accompagnaient et à d’autres ils s’excluaient.
S’il avait existé un seul et unique projet, point n’aurait été nécessaire de recourir à deux fausses épîtres ou en tout cas à des épîtres remaniées et placées dans un cadre nouveau, faisant dire à MDN des choses qu’il n’a jamais dites.
De quand datent les deux fausses épîtres incluses dans le canon centurique ? En ce qui concerne l’Epître à Henri II, nous sommes aidés par la mention des années 1585 et 1606. On ne connaît pas d’édition ne comportant que la mention 1585 mais elle a du exister3 et elle date peut-être de 1568 car à cette date la grande conjonction des années 1560 était déjà passée (vers 1564) et on avait donc en ligne de mire une conjonction Jupiter-Saturne devant se produire vingt ans plus tard. Ajoutons que la première édition centurique à Henri II a du comporter 1547 au lieu de 1557.4
En ce qui concerne la Préface à César, nous avons moins de repère internes ; on fera remarquer qu’en dehors du témoignage de Couillard pour la première occurrence de la préface, dans un contexte non centurique, nous n’avons pas de référence ultérieure à la préface sous sa forme centurique, alors que Crespin témoigne en 1572 qu’il avait connaissance de l’Epître centurique au roi, datée de 1558 et non plus de 1556 comme celle située en tête des Présages Merveilleux. Le seul témoignage de l’existence de cette Préface centurique à César se trouve… dans l’Epître à Henri II : Dedans l’Epistre que ses ans passez ay dédiée à mon fils César Nostradamus etc.. On notera le terme Epître employé et non celui de Préface pour désigner le texte adressé à César et de fait, nous pensons qu’initialement il s’agissait d’une Epître incluant des éléments prophétiques plutôt que suivie de ceux-ci. On ne sait pas exactement comment il faut comprendre la formule ses ans passez ; il nous semble que cela signifie ces années passées.
Est-ce qu’un tel renvoi peut dater de 1568, lors de la première édition des Centuries VIII-X ? Il est possible qu’en se référant à la Préface à César accompagnée de Centuries, on ait cherché à légitimer l’existence d’un second lot de Centuries. Dans ce cas la Préface à César serait elle-même reparue, sous sa forme centurique, peu auparavant, également vers 1568 et dans ce cas, l'Epître centurique au Roi daterait-elle, des années 1569 - 1570. Les faussaires se donnent la main.
On peut d’ailleurs se demander comment se présenta la toute première parution posthume des Centuries I à IV, au lendemain de la mort de MDN. Est-ce qu’il ne fut pas fait allusion à la dite mort ? Autant, dans les éditions supposées parues du vivant de MDN, une telle référence eut été déplacée, autant, pour des Centuries supposées retrouvées dans ses papiers, comme ce fut, semble-t-il l’argument, il nous semble que la mention du récent décès de MDN se serait imposée. D’ailleurs, la fausse édition de 1566, chez P. Rigaud (sic), ne procède pas autrement puisqu’elle reproduit la pierre tombale. On peut aussi se demander si divers éléments biographiques ne figurèrent pas avec l’ébauche d’une Vie de Nostradamus, laquelle figurera au XVIIe siècle en tête de nombre d’éditions des Prophéties.5 Or, force est de constater que les exemplaires des éditions des Centuries qui ont été conservées, à part le cas de l’édition 1566, ne comportent rien de la sorte. On aurait donc eu, dans la première édition posthume à 4 centuries outre la Préface à César, un développement biographique à moins que celui-ci n’ait accompagné l’Epître au Roi. On notera d’ailleurs à ce sujet comme il est étrange qu’un volume de Centuries dédié au Roi ne le mentionne pas sur sa page de titre, comme ce fut au demeurant le cas pour les Présages Merveilleux. En 1603, chez S. Moreau, à Paris, paraîtra une Nouvelle Prophétie de M. Michel Nostradamus qui n’ont jamais esté veues, n’y imprimées que en ceste présente année. Dédié au Roy6 et comprenant la dite Epître, et on peut se demander si tel ne fut pas, en effet, le premier intitulé du volume comportant ce qui allait être désigné par la suite comme les centuries VIII-X.
Frontispice de l'édition des Prophéties
(Rouen, Jean-B. Besongne, 1710)
Il apparaît donc que toute la dimension posthume des premières apparitions des Centuries ait été gommée7, les éditions que nous connaissons ayant en quelque sorte refoulé cette dimension qui laissait entendre qu’elles n’étaient donc pas parues du vivant de Nostradamus.
Il y a eu à l’évidence un changement dans la politique éditoriale : on passa de la thèse posthume à la thèse de la parution du vivant de l’auteur et c’est cette dernière qui l’emporte de nos jours. La thèse posthume était moins pire, elle attribuait certes à MDN des textes dont il n’était pas l’auteur mais elle ne laissait pas entendre qu’il les avait publiées de son vivant et qu’il avait été réputé de ce fait, ce qui est une contre-vérité et il fallait, dès lors, fabriquer, dans la foulée, des documents accréditant cette thèse, de la plume même de MDN, ce qui fut fait avec les Significations de l’Eclipse de 1559 lesquelles parlent de la seconde centurie. On se retrouvait en outre avec un MDN se taisant sur la parution de ses Centuries dans sa correspondance et dans le Recueil des Présages Prosaïques (commentaires marginaux mis à part parce que plus tardifs).
Le texte placé en tête du Janus Gallicus pourrait d’ailleurs avoir repris un texte figurant dans la première édition des Centuries, laquelle, selon nous, se voulait posthume et il s’agirait donc d’un texte en prose complétant les deux épîtres et qui aurait été évacué de nombre d’éditions des Prophéties. Le texte en question se présente dans le JG sous le titre suivant : Brief Discours sur la vie de M. Michel de Nostredame, iadis conseillier et médecin ordinaire des rois Tres Chrestiens Henry II du nom, François II et Charles IX. Mais en haut des pages est indiqué Vie sommaire de l’auteur. Il comporte, bien que tronqué, la pierre tombale dont on a dit qu’elle figure dans l’édition 1566 et mentionne ces Cordeliers dont le nom est signalé dans la dite édition 1566. Un tel texte, à l’instar de l’Epître à Henri II, a été remanié et on ne le connaît que sous une forme retouchée non sans que l’on puisse tenter de deviner quelle put être la présentation initiale :
Entre autres enfantements de son esprit fécond (...) il a escrit XII Centuries de prédictions comprinses briévement par quatrains, que du mot Grec, il a intitulées Prophéties : dont trois se trouvent imparfaites, la VII, XI & XII. Ces deux dernières ont long temps tenu prison, enfin nous leur ouvrirons la porte.
On peut élaguer de ce texte comme pour un palimpseste, la référence aux Centuries imparfaites qui aurait été anachronique au lendemain de la mort de MDN, tout comme la mention de XII Centuries laquelle, au demeurant, ne s’imposera pas au niveau canonique. Il reste une formule qui nous semble avoir subsisté au travers de ces retouches, à savoir :
Entre autres enfantements de son esprit fécond (il y a des) Centuries de prédictions comprinses briévement par quatrains (...) intitulées Prophéties.
La formule nous semble en effet fort révélatrice : on nous parle de quelque chose d’inédit. Si MDN avait été déjà connu, de son vivant, pour ses Centuries, on n’aurait pas présenté les choses ainsi. Il s’agit de choses encore non publiées et qui ont longtemps tenu prison. Curieusement, le seul quatrain cité dans cette vie est issu des almanachs : D’esprit divin l’ame présage atteinte. En fait, ce n’est que tout à la fin de cette Vie, qu’il est question des Prophéties et bien entendu il n’y est nullement question d’éditions des Centuries parues du vivant de MDN. Ce dernier point est assez remarquable, pour un texte repris en 1594 et dont l’éditeur aurait pu en profiter pour trafiquer la biographie de MDN. Voilà qui nous semble conférer une certaine authenticité à ce texte, du moins sous réserve de certains ajouts probablement assez mineurs, et qui nous permet de le situer autour de 1568. Curieusement, aucune des éditions datées de 1568 ne le comporte ! Une telle présentation colle très mal avec une volonté de produire des éditions antidatées, parus du vivant de MDN. C’est dire à quel point le corpus de la littérature nostradamique est loin d’être cohérent. Une traduction allemande d’un texte non astrologique datant de 15728 semble avoir conservé la trace de cet élément biographique évacué dans les éditions de 1568 antidatées conservées et qui remplacent les éditions effectivement parues autour de 1568.
Nous avons signalé, dans notre étude biographique, que le texte de la pierre tombale9, tel qu’il figure dans le Janus Gallicus / Janus François, lequel comporte une partie française et une autre latine, était tronqué : outre quelques variantes stylistiques, on y a supprimé, dans les deux versions, le nom de la signataire : Anne Ponce Gemelle, souhaite à son époux la véritable félicité. Ce qui est clair, c’est que le texte biographique du JG dérive d’un texte antérieur disparu. Nous n’excluons pas que l’édition 1566 ne soit assez proche de l’édition d’origine, à part le fait que celle-ci ne comportait pas encore dix centuries. La mention Imprimées par les soins du Fr. Jean Vallier du Convent de Salon des Mineurs Conventuels de Saint François a pu figurer puis disparaître, pour quelque raison. La parution indiquée chez Pierre Rigaud pourrait en fait simplement signifier une réédition des Centuries / Prophéties d’abord parues chez Benoist Rigaud.
Edition des Prophéties Epitaphe de Michel Nostradamus
(Pierre Rigaud, 1566)
L’Epître à Henri IV, datée de 1605, est également dans une tonalité posthume, elle qui présente des textes recueillis des Mémoires de feu Maistre Michel Nostradamus, vivant Médecin du Roy Charles IX & l”un des plus excellens Astronomes qui furent jamais, intitulé inspiré de la pierre tombale (de tous estimé digne de tracer et rapporter aux humains selon l’influence des astres, etc.). On se demande pourquoi seul Charles IX - et non pas notamment Henri II dont il aurait annoncé la mort (?) - est ici mentionné ! Cette Epître, inspirée du ton des deux épîtres centuriques, introduit cette fois des sixains (recogneu que j’ay la vérité de plusieurs sixains advenus de point en point comme vous pourrez voir).
Au bout du compte, on est certes sidéré, en effet, par les volte faces, les bévues des faussaires de tous poils qui ont ainsi trituré le corpus centurique, textes en prose compris, mais on est encore bien plus estomaqué par le fait qu’en ce début du XXIe siècle, il y est encore des chercheurs qui ne veulent voir dans le corpus centurique qu’un ensemble d’un seul tenant, du à un seul et même auteur, publié sur une période fort brève; on se demande ce qui suscite une telle myopie intellectuelle, voire un tel aveuglement, entraînés en une sorte de suicide intellectuel collectif, qui a d’ailleurs quelque chose de sublime dans le grotesque.
Le cas des Centuries n’est, en effet, pas seulement remarquable par la fortune exégétique qui fut et reste la sienne et qui révèle la prégnance du néo-prophétisme, à partir de quatrains utilisés un peu n’importe comment et sans aucun mode d’emploi rigoureux, parallèlement au prophétisme biblique, vétéro et néo-testamentaire. Le cas des Centuries est aussi l’histoire emblématique d’une certaine faillite épistémologique, d’un certain acharnement dans l’erreur, de la part de certains chercheurs à restituer valablement le cours des choses. C’est dire que les Centuries sont la face obscure de l’intellect humain, rencontre de la supercherie littéraire persistante et se prolongeant impunément et d’un traitement brouillon du texte lui-même, très cavalier et désinvolte.
Autrement dit, Michel de Nostredame est doublement assassiné : les chercheurs se montrant, dans l’ensemble, impuissants à rétablir la vérité historique et les exégètes inaptes à établir une méthodologie cohérente, faisant du modèle des quatrains prophétiques lancé par MDN une véritable auberge espagnole.
Jacques Halbronn
Paris, le 21 juillet 2003
Notes
1 Cf. son étude sur CURA, 26. Retour
2 Cf. pour certaines variantes de la Préface à César, voir notre Texte Prophétique en France, à paraître sur Ramkat.free.fr. Retour
3 Cf. nos Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002. Retour
4 Cf. notre étude à ce sujet. Retour
5 Cf. notre contribution à la recherche biographique nostradamique. Retour
6 Bib. Arsenal, 8° S 14343. Retour
7 Cf. notre étude sur la fortune et la carrière posthumes des centuries. Retour
8 Cf. nos additions à notre Contribution à la recherche biographique, op. cit. Retour
9 Cf. Epitaphe du tombeau de M. Michel Nostradamus, à Salon, selon le document reproduit dans l’édition 1566. Retour
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