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ANALYSE

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La question des Centuries incomplètes

par Jacques Halbronn

   Concernant l'inauthenticité des quatre centuries contenues dans l'édition 1555 des Prophéties, nous pouvons verser au dossier un élément qui n’avait pas encore été relevé jusqu’à présent, ce sont les déclarations d’Antoine Couillard, dans son pamphlet de 1560. En effet, ses Contredits aux Prophéties de Nostradamus sont divisées en quatre parties (qu’il appelle « particules » dans sa Dédicace). Après avoir parodié les Prophéties de Michel Nostradamus en 1556, avec notamment un pastiche de la Lettre à César, il récidive, nous affirmant par ailleurs qu’il s’agit de « mon petit labeur par moy composé dès lan mil cinq cens cinquante cinq, & non encore mis en lumière pour la malice du Temps » (Rappelons que Nostradamus avait écrit : « ce petit labeur ... par l’injustice du temps ») : nul doute que Couillard fait allusion, dans son imitation, aux quatre centuries parues en 1555. Déjà, à la fin des Prophéties du seigneur du Pavillon Lez Lorris (folio G4r), il nous avait affirmé qu’il avait composé ces « quatre livres », afin de « destruire » les « diableures prophéties » de celui qu’il n’a nommé qu’une seule fois dans cet opuscule : « nostre maistre Nostradamus grand philosophe & prophète » (folio D4v).

Robert Benazra

   Dans le domaine nostradamique, il est prudent d’avancer pas à pas et ne pas faire dire à un texte plus qu’il ne dit. Si on nous parle de quatre “livres” de Michel de Nostredame, il ne s’agit pas nécessairement, pour autant, de Centuries de quatrains. Si l’on nous parle d’une édition à 1000 quatrains datée de 1568, cela n’implique pas que cette édition soit véritablement parue en 1568. Et il ne s’agit pas non plus de nous faire dire plus que ce que nous exprimons.

   Or, P. Guinard écrit :

   « Dans son texte Jean Dorat et la “miliade” de quatrains (voir édition 19, Juin 2002 du C.U.R.A., repris ici dans Jean Dorat et la “miliade” de quatrains), Halbronn admet finalement l'existence d'une édition à 1000 quatrains, dès 1568. Puis, dans son nouveau texte, Réflexions sur les méthodes de travail des nostradamologues (voir édition 22, Septembre 2002 du C.U.R.A.), Halbronn transforme totalement son dispositif, en réponse aux critiques que nous avions formulées, ce qui donne :

      1. Sixte Denyse. Edition à 3 centuries pleines (non retrouvée) vers 1569.
      2. Barbe Regnault. Edition à 39 quatrains à la IVe Centurie (non retrouvée) vers 1570.
      3. Benoist Rigaud. Edition à 1000 quatrains (non retrouvée) vers 1580.
      4. Macé Bonhomme. Edition à 53 quatrains à la IVe Centurie. Addition à l'édition de Barbe Regnault vers 1588. Datée de 1555. »

   Notre texte véritable :
Jean Dorat et la “miliade” de quatrains
(en réponse aux documents signalés par Patrice Guinard)

   En réponse aux observations de P. Guinard, nous lui donnons acte que probablement entre 1572 (date de parution des Prophéties dédiées à la Puissance Divine) et 1585 (date de parution de la Bibliothèque de Du Verdier) parut une édition à 10 centuries, se présentant comme étant l'oeuvre du libraire lyonnais Benoît Rigaud avec la date de 1568. En effet, nous avons signalé dans notre thèse d'Etat un almanach, non signé Nostradamus mais d'un de ses “disciples" comportant le quatrain 78 de la Centurie IV et paru en 1581. C'est la première attestation connue pour des quatrains appartenant à un groupe de Centuries ignoré de Crespin, à savoir la seconde moitié de la Centurie IV, les centuries V, VI et VII. Le texte de Du Verdier qui est le premier connu à faire référence à une édition à dix centuries vient confirmer l'émergence de ce lot de quatrains à cette même époque.

   Pierre Brind’amour, en 1996, chez Droz, à Genève - travail paru peu après sa mort - a publié une édition à 353 quatrains des Centuries, datée de 1555 et se présentant comme parue à Lyon chez Macé Bonhomme. Une telle édition, de par son contenu même, pouvait-elle prétendre à être la “première édition» ou bien s’agissait-il d’une édition augmentée ?

   Les récentes observations de Patrice Guinard, autour du testament de Michel de Nostredame, à la suite de Daniel Ruzo, sur la signification du nombre 353 (cf. n° 22 du site CURA) mais aussi sur le nombre de quatrains de la centurie VII exigent de notre part une mise au point concernant le problème des quatrains additionnels, car ce type d’approche structuraliste bascule assez vite vers la numérologie et le pythagorisme, prétendant ainsi faire abstraction, d’un revers de main, tel un Deus ex Machina, de tous les points que nous avons soulevés au cours de nos divers ouvrages (Le texte prophétique en France, Documents Inédits sur le phénomène Nostradamus, Nostradamus devant la critique, Le bilan des nostradamologues)

   P. Guinard, curieusement, avait rappelé, indirectement, que l’édition de 1568 telle que signalée par Du Verdier, dans sa Bibliothèque (1585), comportait 1000 quatrains dans une édition Benoist Rigaud de 1568, ce qui ne l’empêche nullement d’en revenir à une édition disponible mais controuvée comportant un nombre inférieur de quatrains.

   P. Guinard néglige également de signaler à ses lecteurs - sinon de prendre en compte - la mention d’une édition comportant une addition de 39 “articles” qui est le seul document pouvant, en son titre, avoir un rapport avec l’idée de quatrains additionnels.

   C’est pourtant sous ce titre que paraissent en 1588 et 1589 toutes les éditions parisiennes des Centuries, chez Charles Roger, chez Pierre Ménier, comme chez la veuve Nicolas Rosset, à savoir : « Reveues & additionnées par l’auteur pour l’an mil cinq cens soyxante & un de trente-neuf articles à la dernière Centurie ».

   Ce chiffre de 39 ne correspond, en nombre de quatrains, ni au 53 de la centurie IV, complétée par la suite, ni au 40 ou au 42 de la centurie VII. Or, nous avons la faiblesse de considérer que l’on a du passer par un ensemble de 39 quatrains avant d’atteindre 53, 40 ou 42. Au demeurant le chiffre 39 se décompose en 3 x 13, le 13 étant un chiffre essentiel pour Michel de Nostredame, aux dires même de P. Guinard.

   Cela dit, cette addition concerne-t-elle la IVe ou la VIIe Centurie ? Précisons d’abord le sens de la formule « Reveues & additionnées par l’auteur pour l’an mil cinq cens soyxante & un de trente-neuf articles à la dernière Centurie ». S’agit-il de 39 quatrains ajoutés aux quatrains déjà existants de la “dernière Centurie” ou bien s’agit-il d’une addition de 39 quatrains s’ajoutant aux cent quatrains de la “dernière Centurie” ?

   Dans le premier cas, cela signifierait qu’il y avait à un certain stade une centurie incomplète à laquelle on aurait ajouté 39 quatrains, mais combien la dite centurie aurait initialement comporté de quatrains ? Et pour aboutir à un total de combien de quatrains ? Il semble bien que la seconde hypothèse soit préférable et qu’il s’agit d’un ensemble de quatrains additionnels ne constituant pas au départ une Centurie et n’en ayant pas le statut - si le terme article peut être considéré comme équivalent - ce qui semble être le cas si l’on se fie aux éditions de 1588 / 1589 qui n’offrent pas d’alternative quant à leur contenu en quatrains.

   Tout se passe donc comme si, à un certain stade de la formation des Centuries, on ait préféré ajouter des quatrains sans constituer pour autant une Centurie à part entière, peut être parce que l’on avait quelque scrupule à le faire. Puis, à un stade supplémentaire, ces quatrains additionnels auraient fini par constituer une quatrième Centurie comme l’atteste l’édition de Rouen de 1588 :

   Les Grandes et merveilleuses Prédictions de M. Michel Nostradamus divisées en quarte (sic) Centuries.

   Cette édition comporte de fait 53 quatrains à la quatrième Centurie, encore que certains quatrains aient été sautés. Il reste que le dernier quatrain de la IVe Centurie porte bien le numéro 53. Il s’agit donc d’une édition du même type que l’édition Macé Bonhomme, datée de 1555, laquelle, cependant, ne signale pas en son titre qu’elle comporte 4 Centuries.

   Or, Benazra (RCN, p.11) signale une édition censée parue, en 1555, à Avignon, chez Pierre Roux et dont l’intitulé est plus proche de celui de l’édition rouennaise de Raphaël du Petit Val que ne l’est l’édition Macé Bonhomme : « Les Merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus, divisées en quatre Centuries etc »

   Dès lors, on peut se demander si l’édition Macé Bonhomme, intitulée fort brièvement Les Prophéties de M. Michel Nostradamus, ne serait pas dérivée des éditions portant clairement la mention de 4 Centuries.

   Il semble que l’idée de Centuries introduites par une Préface à César et s’achevant sur une Centurie incomplète se soit imposée. Cela expliquerait pourquoi quand on voulut ajouter de nouveaux quatrains à la quatrième, on fut contraint de ménager une dernière centurie incomplète, ce qui sera le cas de la Centurie VII dont les 40 quatrains sont bien proches des 39 articles.

   D’où un lot d’éditions à 7 centuries, à commencer par une édition rouennaise, du même Raphaël du Petit Val, en 1589 : Les Grandes et Merveilleuses Prédictions de M. Michel Nostradamus dont il en (sic) y a trois cens qui n’ont encores jamais esté imprimées.

   Cette fois le nombre de Centuries ni d’articles additionnels n’est plus précisé. Mais ce ne sera pas le cas des éditions parisiennes qui conserveront la mention de 39 articles tout en comportant des Centuries additionnelles.

   Or, à l’intérieur des éditions parisiennes, figure la mention après le quatrain 53 : « Prophéties de M. Nostradamus adioustées outre les précédentes impressions. Centurie quatre ». En d’autres termes, les 40 quatrains de la Centurie VII seraient dérivés des quatrains de la Centurie IV, une addition faisant le relais avec une autre, de façon à englober 300 quatrains supplémentaires. C’est précisément la mention de ces 300 quatrains qui démontre que l’on a voulu maintenir une même configuration finale avec une addition de 39 articles. Sinon, on aurait constitué un ensemble de 600 quatrains et il ne serait pas question d’une septième centurie.

   Par la suite, de telles considérations sur une addition terminale comme marque d’authenticité des Centuries seront abandonnées pour constituer une édition “à la miliade” selon l’expression de l’Epître centurique à Henri II.

   Reste l’épineuse question de l’ordre dans lequel ces différentes moutures se seraient succédé. Probablement, une première fausse édition datée de 1556 (Sixte Denyse) à trois centuries. Puis, une édition comportant 39 quatrains supplémentaires à la Centurie IV. Puis une édition à 53 quatrains supplémentaires à la dite Centurie.

   Ensuite, nous passons à un autre groupe de trois Centuries introduit par une Epître à Henri II.

   La marque de cette dualité est préservée dans les éditions datées de 1568.

   A ce stade là, autour de 1570, nous avons deux groupes de Centuries, un de 353 quatrains introduit par une Epître à César et un de 300 quatrains introduit par la dite Epître au Roi. Mais ces deux groupes ont pu circuler séparément. Puis à la fin des années 1570, on ajoutera 300 quatrains au groupe “César”, ce qui donnera six centuries et une addition de quatrains.

   Enfin, au début des années 1580, on parvient à dix centuries pleines, en joignant les deux groupes de Centuries, “César” et “Henri”, dans une édition censée parue chez Benoist Rigaud en 1568, ce qui pouvait déjà avoir été le cas de la présentation pour l’édition à sept centuries. C’est alors que l’épître au roi va comporter la mention “miliade”.

   Par la suite, au lieu de se référer à cette dernière édition, dont seul le second volet “Henri” aurait été conservé, on ne s’appuiera que sur un premier volet “César” incomplet pour la Centurie VII, correspondant à une édition plus ancienne, d’où une inadéquation entre la mention “miliade” et le contenu du premier volet.

   Sous la Ligue, on notera que les éditions parisiennes, rouennaises ou anversoise, ne comportent pas le second volet “Henri”, ni les centuries qui l’accompagnent. Les moutures qui font alors référence sont celle à 353 quatrains et celle à 640 quatrains, qui donneront lieu aux contrefaçons “1555”, en raison de la date de l’Epître à César et “1557”.

   Lorsque paraissent les éditions rouennaises, Rouen est une ville contrôlée par la Ligue et on conçoit qu’on puisse s’adresser, sur un ton menaçant, à Tours, ville contrôlée par les Protestants. En effet, le 21 juillet 1588, Henri III a signé l’édit d’Union par lequel il s’engage à ne pas reconnaître Henri de Navarre comme successeur, ce qui va à l’encontre de ses engagements antérieurs. Quant à Anvers, c’est une ville alors espagnole et les Espagnols soutiennent les Guises, leaders du camp catholique.

   Il est hautement probable qu’un certain nombre de quatrains d’origine ait été remplacé pour s’ajuster avec les enjeux politiques de la période de la Ligue, comme nous l’avons montré pour le quatrain “Tours” de la Centurie IV. Car, il ne faudrait pas imaginer que l’on se soit contenté de rééditer, à l’identique, les Centuries, on en aura profité pour les remanier ou pour les élaguer, quand certains quatrains ne correspondaient pas aux intérêts du camp ligueur qui se les était appropriés. De fait, les Centuries exclues VIII - X se présentent comme favorables au camp protestant, ce qui explique qu’elles n’aient pas eu droit de cité à Paris, contrôlé par la Ligue jusqu’à ce que le réformé Henri de Navarre (Henri IV) ait considéré que “Paris valait bien une messe”. Comment, dès lors, attribuerait-on au même homme, Michel de Nostredame des centuries aux orientations politico-religieuses aussi opposées ?

   En tout état de cause, P. Guinard veut nous faire croire que Michel de Nostredame aurait prévu, dans son testament, le sort des contrefaçons successives qui lui seraient par la suite attribuées, puisque les nombres aléatoires concernant les centuries IV et VII auraient été annoncés dès 1566. C’est en effet beaucoup plus remarquable que le fait d’avoir simplement décrit après coup des éditions déjà parues.

   En réalité, le seul nombre additionnel pertinent nous semble bien être 39, les autres nombres n’étant que des additions à l’addition avant de basculer vers une Centurie IV à 100 quatrains. Mais cela n’exclut pas que les faussaires se soient servi du testament de Michel de Nostredame pour réaliser leurs travaux, et ce en en respectant éventuellement certains principes numériques. Insistons sur ce point : trouver de la cohérence entre les textes n’est pas démontrer de l’authenticité, trouver du prophétique non plus.

Le témoignage des Contredits de Couillard

   En 1560, paraissaient les Contredicts du Seigneur Du Pavillon (...) Aux faulses & abusifves prophéties de Nostradamus, Paris, Charles L’Angelier (BNF V 21815). Il y est question d’une division quadripartite qui, comme nous le suggère Robert Benazra, dans un e-mail, pourrait renvoyer à un ensemble de quatre Centuries. Or, ne pourrait-il, bien plutôt, s’agir d’une réaction à la toute récente parution, en cette même année, d’une édition augmentée de quatre livres de “prophéties”, ce qui ne signifie nullement qu’il s’agisse de quatrains ? Le terme “article”, indiqué, au titre à propos de la quatrième centurie (ici, ensemble de cent unités), pourrait ici signifier tout autre chose que quatrain.

   Ce serait à partir du témoignage de Couillard dans les Contredicts que l’on aurait élaboré une édition à quatre Centuries et ce au lendemain de la mort de Michel de Nostredame, survenue en 1566.

La Centurie IV et les événements de Tours

   Un autre problème lié à la Centurie IV est relatif à la ville de Tours. Ce quatrain, le 46e de cette Centurie - “Garde toy Tours de ta proche ruine” - est en quelque sorte l’inverse de celui de Varennes puisqu’il s’agit de montrer que ce quatrain est relatif à des événements postérieurs aux éditions de 1555 et de 1557 qui le comportent puisqu’il s’agit d’un quatrain appartenant au lot de 353 quatrains.

   P. Guinard nous rappelle obligeamment que Tours fut une ville souvent menacée dans les années 1560 - 1580. Mais dans tous les cas de figure qu’il signale les événements la concernant sont postérieurs aux années 1555 - 1557. P. Guinard cite ainsi Bossuet, « toujours zélé à faire montre d'anti-astrologisme », en 1560, « le roi [François II] résolut de passer à Tours, pour rassurer cette ville, suspecte par le grand nombre d'hérétiques qui y étoient. Ce fut là, et environ dans le même temps, qu'on leur donna le nom de Huguenots. » (Bossuet, « Abrégé de l'histoire de France », in Oeuvres complètes, tome XXIV, Paris, Louis Vivès, 1857, p. 566).

   La question qui se pose est la suivante : quid des événements contemporains de Michel de Nostredame, mort en 1566, mais postérieurs aux années 1555 - 1557, dates où les sept premières centuries seraient parues ? Le problème se pose aussi pour le quatrain censé avoir annoncé la mort d’Henri II en 1559.

   Il existe en effet quatre cas de figure :

      1. Les événements antérieurs à la parution des Centuries et qui auraient été traduits en quatrains.

      2. Les événements postérieurs aux éditions de 1555 et 1557 mais antérieurs au décès de Michel de Nostredame.

      3. Les événements correspondant au dernier tiers du XVIe siècle, au cours duquel des imitateurs ont pu sévir et interférer avec le contenu du canon centurique.

      4. Les événements des siècles suivants.

   Les cas 2 et 3 sont certainement les plus intéressants et jusqu’à présent les moins étudiés en comparaison avec les cas 1 et 4. Le quatrain de Tours de la Centurie IV appartient à coup sûr au cas n° 2.

   Evidemment, si l’on pose comme principe que Michel de Nostredame était prophète, on ne peut que se féliciter qu’il ait prévu certains événements confirmés de son vivant, prédictions qui auraient fait sa gloire. Sinon, on est conduit à le prendre lui-même pour un faussaire ou la victime de faussaires.

   Nous savons que le quatrain 46 de la Centurie IV manque dans l’édition rouennaise en quatre centuries de 1588 mais figure dans l’édition Macé Bonhomme datée de 1555. On peut penser soit que les quatrains sautés dans la Centurie IV l’ont été par inadvertance ou au contraire pour des raisons politiques. Si l’on admet que le quatrain de Tours est défavorable aux Réformés, on peut supposer qu’une édition dépourvue du dit quatrain appartiendrait au camp de ces derniers, quoique l’on puisse se demander pourquoi il n’aurait pu être remplacé. Si la dite édition rouennaise de 1588 - si tant est que la mention de la ville soit correcte - ne dispose pas de ce quatrain, les éditions parisiennes de 1588 / 1589 le comportent ; or elles sont ligueuses et ce quatrain fait leur affaire. A contrario, on l’a déjà souligné, les dites éditions parisiennes ignorent souverainement - pour les raisons exposées - les centuries VIII à X truffées de quatrains pro-huguenots ainsi que l'Epître à Henri II.

   Au niveau méthodologique, observons que nous ne pouvons pour aborder un tel corpus faire l’économie ni de la question des contrefaçons, ni de celle des éditions non conservées mais dont l’intitulé a été retenu. Vouloir ne travailler qu’avec les éditions conservées et ce sans se soucier du travail des faussaires nous semble une fausse solution, conférant à bon compte et un peu facilement un sentiment de rigueur.

   On voudrait marginaliser les éditions parisiennes, parues chez trois libraires différents parce qu’elles se référent à une addition de 39 articles, on voudrait minimiser la mention d’une édition Barbe Regnault datée de 1560 comportant également cette référence et que nous sommes le premier à considérer comme un faux antidaté. En réalité, ces éditions de 1588 / 1589 ne font que reprendre des éditions plus anciennes, datant vraisemblablement de la fin des années 1570 - et ne comportant, elles, que 39 quatrains à la IVe centurie - du moins dans leur présentation, car des changements de quatrains sont certainement intervenus entre temps. Elles sont, en tout état de cause, antérieures à la contrefaçon à mille quatrains attestée en 1585 par Du Verdier et antidatée pour 1568 et qui en constitue l’aboutissement. Nous sommes ici dans une galerie des glaces et on a vite fait de se cogner aux faux semblants et aux trompe l’œil !

   C’est ainsi que P. Guinard nous fait dire dans sa “Réponse” à mes “allégations” (n° 22) que nous admettrions l’existence d’une édition des Centuries parue en 1568, dans notre article sur Dorat alors que nous nous contentons de noter que la contrefaçon ainsi datée serait antérieure à 1585 et non pas à 1588, soit un décalage de trois ans par rapport à ce que j’avais écrit auparavant.

   Concluons en soulignant le fait que le grand art est de faire du faux avec du vrai. Les faussaires n’inventent pas tout, loin de là, ils disposent d’un certain nombre de repères qui expliquent qu’il ait fallu tant de temps pour débrouiller l'écheveau des éditions controuvées.

Jacques Halbronn
Paris, le 18 janvier 2003

 

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