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ANALYSE |
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Les trois canons centuriques et leur couplage exégétique |
Passée une période qui va jusque dans les années 1580, on peut constituer une typologie des éditions centuriques autour de trois modèles :
A - une famille d’éditions comportant sept centuries (I à VII) avec la préface à César, mais en fait six dans les éditions 1588 - 1589 (cf. infra)
B - une famille d’éditions comportant dix centuries (I à X) avec la préface à César et l’Epître à Henri II
C - une famille d’éditions comportant dix centuries plus les présages plus les sixains, avec trois Epîtres (à César, à Henri II, à Henri IV).
Avant cette décennie, il a du exister, vers 1568 - 1570, deux types d’éditions : celle comportant les centuries I à IV et celle comportant les centuries qui seront par la suite connues comme VIII à X, soit, si on les réunit - mais il ne semble pas que cela ait jamais été le cas sauf partiellement par les soins de Crespin, dans les Prophéties dédiées à la Puissance Divine (1572) une quatrième typologie comportant sept centuries (I-IV et VIII-X).
On montrera ici que chacune des trois familles susmentionnées (de A à C) a connu un certain appareil exégétique dont on citera les premières et parfois les seules occurrences :
- la première famille A a été commentée par le Petit Discours ou Commentaire sur les Centuries de maistre Michel Nostradamus, imprimées en l’année 1555, parue en 1620 (BNF, Ye 7380). D’inspiration anti-Guise, on y trouve notamment (p. 12) de nombreuses références à Tours : Cependant, le Duc de Mayenne (...) menace Tours en espérance de prendre le Roy (...) Ce que dit ainsi le dit Nostradamus Bien défendu le fait par excellence / Garde toy Tours de ta proche ruine (Centurie IV, 46).
- la deuxième famille B a été commentée par l’Eclaircissement des véritables Quatrains de Maistre Michel Nostradamus etc., 1656 (BNF, Ye 7376). Autre édition sous le titre d’Apologie pour Michel Nostradamus etc., 1657 (BNF, Ln 27 88554).
- la troisième famille C a été commentée par La Première Face du Janus François etc., Lyon, Héritiers de Pierre Roussin, 1594 (BNF, Res Ye 432) parue également sous le titre de Jani Gallici facie prior, etc., Ibidem (BNF, La20 6), autre édition en 1596, à Paris, sous le titre de Commentaires du Sr de Chavigny Beaunois sur les Centuries et prognostications de feu M. Michel de Nostradamus, chez G. Robinot d’une part et chez A. Du Brueil de l’autre (BNF Ye 7375).
Notre classement des commentaires est fondé sur un critère simple, à savoir les limites du matériel centurique utilisé.
Commençons par le cas le plus explicite, celui de l’Eclaircissement de 1656. Non seulement, l’éditeur n’utilise ni les sixains ni les quatrains des almanachs dans son commentaire mais il s’en explique dans Quels sont les véritables quatrains de l’auteur (p. 70) :
Du nombre des Quatrains de l’Auteur, il en faut premièrement retrancher tous ceux que l’on a imprimé, sur diverses années en forme d’almanachs : sçavoir est ceux que l’on trouve sur l’an 1555 & sur les années qui sont depuis l’an 1557 jusques à l’an 1566 (sic) où il mourut, parce qu’ils sont douteux et il rejette aussi les sixains : Il en faut absolument & sans aucun doute retrancher les sixains qui sont à la fin des Quatrains que le titre dit avoir esté présentez au Roy Henry IV etc. Ici l’éditeur s’en prend directement au type d’édition C lequel comporte effectivement les sixains après les quatrains. Le titre est parlant : il introduit l’idée de véritables quatrains, insinuant qu’il en existe qui ne le sont pas.
En ce qui concerne le Janus Gallicus, inversement, paru dès 1594, il n’est pas question des sixains non encore dévoilés, mais assurément l’éditeur se déclare favorable au commentaire des quatrains des almanachs et s’en explique assez confusément dans ses textes introductifs.1
En fait, on dira que la famille A s’est constituée, de facto, sur le rejet et l’exclusion des centuries canoniques VIII-X et de l’Epître à Henri II tandis que la famille B s’est constituée sur le rejet des quatrains des almanachs de MDN et sur le rejet de l’Epître à Henri IV suivie des sixains.
En ce qui concerne les dates d’apparition de ces trois familles, nous dirons que la famille A est apparue autour de 1588, tant par rejet que par ajout, que la famille B est apparue un peu plus tôt vers 1584 et que la famille C est apparue vers 1593. Elles ont chacune produit des faux antidatés conservés :
- La famille A a conduit au faux antidaté de 1557, chez Antoine du Rosne. (Bibl. De Budapest et de l’Université d’Utrecht)
- La famille B a conduit à un faux antidaté de 1568 chez Benoist Rigaud (nombreux exemplaires conservés, essentiellement d’abord parus chez des libraires lyonnais)
- La famille C a conduit également à un faux antidaté de 1568 chez Benoist Rigaud (nombreux exemplaires conservés du XVIIe siècle, essentiellement d’abord parus chez des libraires troyens).
On ne peut cependant les considérer, en tout cas sur certains points, comme n’ayant exercé aucune interférence les unes sur les autres, ne serait-ce que parce que la façon dont elles se croisent dans la succession des éditions mérite quelque réflexion.
On signalera d’abord le fait que des éditions manquent :
- pour la famille A, manque une édition de c1590 faisant l’interface entre l’édition d’Anvers et celle d’Antoine du Rosne 1557, à moins que l’édition 1557 en ait tenu lieu purement et simplement.
- pour la famille B, manque l’édition de 1584, à 1000 quatrains en dix centuries complètes (la miliade), datée de 1568, chez Benoist Rigaud. Elle comporte certaines anomalies que l’on retrouve dans la famille A, comme l’absence du quatrain 100 à la VIe centurie et la corruption du quatrain latin placé entre les centuries VI et VII. On relèvera l’appréciation de R. Benazra à ce sujet : Citons (dans le Janus Gallicus) ce quatrain (VI, 100) qui double, en quelque sorte, le célèbre quatrain latin, dans plusieurs éditions du début du XVIIe siècle jusqu’à nos jours. Les éditions lyonnaises de Benoist Rigaud (1568) ne l’ont pas inclus.2
- pour la famille C, manque l’édition de c1594, comportant dix centuries dont une centurie VII incomplète, avec les présages au complet (et bien entendu sans les sixains). Si l’édition Du Ruau ne comporte pas les anomalies de la famille B, elle est seule à comporter un quatrain 101, sous forme de cryptogramme, à la Centurie X.
Les éditions de la famille B qui parurent après 1594 et après le Janus Gallicus, ne tinrent pas compte de la première version de la famille C, mais elles ne reconstituèrent pas la centurie VII complète de l’édition perdue de 1584, tout en conservant l’Epître à Henri II annonçant une miliade de quatrains. Les éditions de la famille A ne dépassèrent apparemment pas le début du XVIIe siècle - on connaît une édition Pierre Mesnier non datée qui serait d’environ 1598. Toujours est-il qu’encore en 1620, on trouve, on l’a noté, un commentaire qui ne s’appuie que sur un choix de quatrains issus des centuries I à VII exclusivement, ce qui pourrait laisser supposer la continuation d’une certaine circulation de la famille A.
On pourrait donc parler de trois canons d’autant que récemment, en cette année 2003, les Editions Garnier-Flammarion ont publié une édition (de Petey-Girard) ne comportant que les sept premières centuries, excluant les Centuries VIII-X, pour la raison que celles-ci seraient posthumes.3 Il reste que le canon A reste très marginal dans l’histoire du centurisme. Se trouvent véritablement face à face les familles B et C, et la pomme principale de discorde semble être la question des quatrains des almanachs, connus sous le nom de Présages.
On a récemment réédité (par les soins de M. Chomarat, en 2000) une édition de la famille B mais non de la famille C dont nous avons montré (cf. supra) qu’elle était à plus d’un titre moins corrompue. On a également réédité l’édition de la famille A (également par les soins de M. Chomarat). Il convient de s’interroger sur ces deux fac-similé :
Le reprint daté de 1568 ne comporte donc pas les quatrains des almanachs et ne s’accorde pas avec le Janus Gallicus pour les raisons que l’on a exposées. Il ne comporte pas non plus les sixains qui firent l’objet d’une exégèse importante, notamment au XVIIe siècle, notamment chez le réformé J. Massard.4
Le reprint daté de 1557 ne comporte pas les centuries VIII-X ni l'Epître à Henri II. IL accrédite la thèse d’une édition du vivant de MDN, ce qui est une caractéristique essentielle de la famille A. Ce document ne permet pas de suivre les exégèses du Janus Gallicus ou de l’Eclaircissement.
Mais revenons au reprint Benoist Rigaud 1568. Il diffère sensiblement de l’édition perdue de c1584 à mille quatrains en dix centuries. Il comporte à la place de la centurie VII une série de quatrains ou articles, introduits vers 1588.5 Il nous semble, somme toute, que la famille C est plus proche de l’édition de 1584, moins abîmée, bien qu’elle aussi ne comporte pas l’ancienne centurie VII. Quant à la présence des présages et des sixains, c’est un plus évident pour suivre l’histoire de l'exégèse nostradamique.
Si l’on comprend le rejet des Centuries VIII-X et de l’Epitre à Henri II, dans la famille A, pour des raisons politico-religieuses, le rejet des quatrains des almanachs par la famille B mérite réflexion. Il est possible que ces Présages n’aient pas été accessibles lors de l’élaboration de l’édition B à 1000 quatrains. En revanche, le reprint, lui, correspond à une édition plus tardive, contemporaine de la mise en circulation des Présages, dans le cadre de la famille C. Pourquoi, dans ce cas, ne pas les avoir inclus, en sautant sur l’occasion d’adjoindre un élément essentiel de la production de MDN, de son vivant ? Par fidélité pour l’édition perdue de c1584 ? Pour des raisons politico-religieuses ? Ou bien parce que ces quatrains étaient douteux, comme le notera l’Eclaircissement de 1656 ? Il est possible que l’on ait suspecté à l’époque l’authenticité des Présages, alors que l’on ne disposait pas des almanachs d’origine ? Serait-ce l’expression d’une forme de rejet du Janus Gallicus ? Le moins que l’on puisse dire, en tout cas, c’est que ceux qui favorisèrent les éditions de la famille B ne recherchèrent nullement une synergie avec le Janus Gallicus et ce, sans, pour autant, proposer une alternative, au niveau exégétique. Il nous semble que le Janus Gallicus, du moins durant les premières années du règne d’Henri IV, était porteur d’une ligne exégétique qui déplaisait à certains6 et que l’on ne souhaitait pas encourager sa lecture, d’où la production d’éditions sans les présages issus du RPP, recueil associé au JG.
Il faudra attendre 1656 pour qu’une telle présentation soit lancée dans le commerce mais malheureusement très incomplètement puisque seule l’étude du règne d’Henri II paraîtra, outre cependant quelques commentaires sur l’époque de la publication. Ce sont donc les éditions troyennes qui étaient les mieux adaptées pour utiliser le Janus Gallicus puis, par la suite, les travaux de Guynaud, Massard ou Le Roux, qui se référaient explicitement à la famille C. Autrement dit, l’édition 1568 reprintée ne joua aucun rôle en tant que support exégétique. Pourquoi donc ce reprint ? Pour une raison très simple, c’est qu’il ne comportait aucun anachronisme apparent trop grossier, du moins au niveau d’une recherche nostradamologique désormais obsolète, et surtout pas d’Epître à Henri IV, décalée en 1568. Fort bien, à condition, bien entendu, de dater correctement la dite édition et de ne pas laisser entendre, ne serait-ce qu’un instant, qu’il pourrait s’agir d’une édition bel et bien parue en 1568 ! A condition de la situer plus tardivement que le Janus Gallicus et de noter le décalage avec cette somme exégétique, à condition donc de la situer diachroniquement et synchroniquement dans l’ensemble des éditions centuriques. Ce qui n’a pas été le cas.
Il nous semble qu’à partir du XVIIIe siècle, la production d’une édition antidatée de 1566, chez Pierre Rigaud ait contribué à valoriser le courant de la famille B, sans les Présages. On parlera de famille B bis. Les grandes sommes exégétiques du XIXe siècle s’appuieront sur ce faux (notamment Torné-Chavigny et Anatole Le Pelletier, avec ses Oracles), ce qui confirme le couplage édition des Centuries / commentaires en deux volets distincts mais néanmoins inséparables. Cela n’empêcha pas d’ailleurs la reproduction de certains almanachs - comportant des quatrains - à partir du XIXe siècle, comme celui pour 1563 (Avignon). Mais le fait est que l'exégèse nostradamique ne recourut plus guère aux Présages, à partir desquels, pourtant, avaient probablement été établis, dont s’étaient inspiré les quatrains des Centuries. On retrouve là un schéma qui fait penser à celui qui oppose Ancien et Nouveau Testaments. Les Présages étaient l’Ancien Testament, l’ancien prophétisme. La famille C combinait les deux Testaments tandis que la famille B ne diffusait que le Nouveau, ce qui conduisait à différentes formes du canon centurique. Curieusement, l'édition troyenne comportant les deux volets apparaît aux yeux des nostradamologues comme plus tardive alors que son contenu, du moins pour ce qui concerne les Présages, est le plus ancien. Cela tient probablement à la présence des sixains qui ont fait l’objet d’un anathème, notamment dans l’Eclaircissement de 1656. Or, selon la logique programmatique qui marque les différentes épîtres et discours, l’oeuvre nostradamique était censée se dévoiler, de façon posthume et par étapes. On a accepté d’intégrer les Centuries V-VII dans les années 1580 lesquelles figurent bizarrement dans les éditions de la famille B datées de 1568, mais le seul fait d’avoir joint une épître en date de 1605, fidèle pourtant à la thèse de l’exhumation progressive, au lieu d’une épître antidatée ou retouchée aura indisposé divers chercheurs vis à vis des sixains.
Ainsi ces auteurs reprennent-ils les méthodes de l’Eclaircissement de 1656. A la suite de la dénonciation par des bibliographes zélés des dites éditions de 15667, on se replia sur les éditions de la famille B antidatées à 1568 et qui avaient probablement servi à la production des éditions 1566. On y trouve exactement les mêmes configurations pour les centuries VI (à 99 quatrains plus le Legis Cantio) et VII (à 42 quatrains). Curieusement, ce scandale des dites éditions 1566 eut une portée limitée et ne conduisit pas à réexaminer l’ensemble des éditions antérieures par leur datation à la fin des années 1560, si semblables aux éditons plus tardives, ce qui pouvait s’expliquer soit par le respect des premières éditions par les plus récentes, selon certains, soit pour des raisons inverses, selon nous, à savoir la fabrication d’éditions antidatées.
En conclusion, il nous semble que la politique éditoriale du corpus centurique devrait être la suivante : faute de disposer d’éditions - inexistantes - parues du vivant de MDN, et faute de disposer d’éditions parues avant le Janus Gallicus, sauf dans le cas de la famille A, avec cinq centuries pleines plus une centurie VI dont une partie se prolonge bizarrement en tant que centurie VII, plus une centurie VIII à six quatrains, tout cela pour dissimuler la suppression de la centurie VII initiale avant qu’on ne trouve une solution avec les 39 articles - les éditions B et C ayant disparu - on ne dispose que d’éditions antidatées post JG - il nous faut donc nous appuyer sur les éditions postérieures au JG et dont il est le commentaire partiel. Et de préférence, il faut porter notre choix, au niveau de la recherche nostradamologique, sur l’ensemble à la fois le plus vaste et le moins corrompu (absence du quatrain 100 à la VI, par exemple, quatrain latin truffé de coquilles, etc.), ce qui nous renvoie au modèle troyen Du Ruau, soit à la famille C, parfaitement en phase avec le JG et la plupart des exégètes du XVIIe et du début du XVIIIe siècles et ce d’autant que la famille C englobe la famille B et donc peut tout à fait servir, en tout état de cause, pour aborder des textes conçus pour la famille B, alors que la réciproque n’est pas vraie. La famille C correspond au projet nostradamique en 12 livres, elle est le résultat de l’activité de générations de nostradamistes depuis Michel de Nostredame lui-même par ses quatrains d’almanachs et partiellement par ses épîtres, sensiblement retouchées, jusqu’aux initiatives du début du XVIIe siècle, à la fin du règne d’Henri IV et sous la Régence de Marie de Médicis, aux côtés de Concini, soit en gros trois quarts de siècle. Enfin, les travaux de B. Chevignard8 ne peuvent que renforcer le pôle C, à la fois du fait qu’ils revalorisent les quatrains des almanachs et accordent toute son importance au phénomène Chevigny / Chavigny.
En réalité, toutes les éditions conservées datent au plus tôt de 1588 et sont d’ailleurs toutes marquées par la période 1588 - 89, notamment en ce qui concerne le contenu des centuries IV et VII. Ces centuries furent alors censurées et l’édition Macé Bonhomme 1555 atteste de ce processus, en ne se retrouvant plus qu’à 53 quatrains à la IV. Mais le contenu des Centuries est instable : nous avons montré que certains des 53 premiers quatrains de la IV, selon la version canonique, dataient de la période de la Ligue.9 Quant à la Centurie VII, elle fut remplacée par 39 articles qui figurent au moins en partie dans le canon nostradamique, toutes familles confondues. Et c’est sous cette forme qu’elle donna naissance aux éditions Antoine du Rosne, à 40 et 42 quatrains. Il y eut probablement par la suite une tentative de combler les effets de la censure par un apport nouveau, ce furent au XVIIe siècle, les sixains réduits à 5810, ce qui donnait un total de 100 unités. Mais la greffe ne semble pas avoir pris et ces 58 sixains, en seconde noces, en quelque sorte, furent utilisés pour constituer le diptyque des centuries XI-XII, au prix d’une limitation des Présages à 141. Autant dire que le contenu initial des Centuries IV et VII nous est très imparfaitement connu et ne correspond en tout cas pas exactement - c’est le moins qu’on puisse dire - à celui des éditions antidatées de 1557 et 1568. Mais que dire de la Centurie VI laquelle, dans les éditions de la Ligue, était très incomplète et dont il est peu probable qu’elle ait retrouvé son contenu initial (celui de 1584) dans les éditions des familles B et C : dans les éditions de 1588, la VI arrive à 83 quatrains, même en lui annexant un prolongement paru en tant que Centurie VII. Il semble bien que la Centurie VII telle que nous la connaissons ne soit apparue qu’ultérieurement, comme en témoigne l’édition d’Anvers (1590), déjà mieux étoffée ; on pourrait en quelque sorte désigner la nouvelle centurie VII, contenue dans les éditions des familles A et B antidatées, comme anversoise. Visiblement, les éditions de la famille B ont fait disparaître toute trace de replâtrage : on a éliminé la mention d’une addition aux 53 premiers quatrains de la IV mais on a aussi, probablement, éliminé la mention des quatre quatrains figurant dans la centurie VI-VIbis-VII des éditions de la Ligue ; or, une telle mention figure dans les éditions de la famille C : Autres quatrains tirez de la 12 soubz la Centurie septiesme dont en ont esté rejectez 8 qui se sont trouvées es Centuries précédentes. Il s’agit d’une allusion au fait que cette centurie VII des éditions parisiennes de 1588 - 89 a été replacée dans le cadre de la centurie VI, à l’exception de 4 quatrains qui étaient probablement en surnombre, lors du replâtrage final.11
Ce qui frappe en réalité, ce ne sont pas tant les différences mais bien les similitudes : les centuries dans les cas A, B, C se recoupent presque parfaitement et ce, en dépit de tant de vicissitudes. Cela nous semble finalement suspect ou plutôt c’est là le signe d’une concertation entre les différents éditeurs, ce qui va d’autant plus à l’encontre de la vraisemblance des éditions datées de 1555 à 1568. On devrait également s’étonner de voir que certains quatrains de l’almanach pour 1561 qui avaient un temps, comme le note R. Benazra, figuré dans les éditions parisiennes de 1588 - 1589, aient été identifiés comme tels, au lendemain même de cette époque : Onze (sic) des douze quatrains de la VIIe centurie ont donc été empruntés (...) à l’almanach pour 1561. L’éditeur des éditions troyennes a certainement retrouvé huit de ces quatrains dans ceux commentés par Chavigny dans sa Première Face du Janus François (1594) puis réduisit à quatre les quatrains qu’il imprima à la suite de la centurie VII avec le sous-titre Autres quatrains tirez de 12 soubz la centurie septiesme.... Curieuse représentation des choses, à notre avis, que d’imaginer que le JG ait pu servir partiellement à constituer une édition des Présages, car si l’éditeur pouvait compléter, cela signifie qu’il avait toute la collection des quatrains des almanachs, tout comme d’ailleurs les faussaires ! Le choix de l’almanach pour 1561 (conservé partiellement à la Bibliothèque Sainte Geneviève, Paris) n’était pas indifférent puisque les éditions parisiennes prétendaient comporter un texte que MDN aurait rédigé précisément pour cette année là : Les Prophéties (...) reveues & additionnées par l’Auteur, pour l’an mil cinq cens soyxante & un, de trente-neuf articles à la dernière Centurie, c’est-à-dire la VIIe.
En réalité, il nous semble que l’élimination des quatrains d’almanachs dans la centurie VII, léguée par la Ligue, fut rendue seulement possible par l’éditeur de la première mouture disparue des éditions de la famille C, qui disposait de la documentation nécessaire, dans le RPP.
Notons cependant une erreur non signalée par B. Chevignard12, ni par Catherine Amadou qui a publié une étude sur le dit almanach pour 1561 mais sans signaler son utilisation sous la Ligue13 : sur les quatre quatrains de la VII qui étaient censés ne pas figurer dans l’almanach pour 1561, il en est un qui s’y trouve bel et bien, c’est celui du mois de septembre :
L’Occident libre les isles Britanniques etc.
Les faussaires ont repris les quatrains des mois de cet almanach dans l’ordre, de février à octobre. Ils ont inversé les versets pour le quatrain de février et pour celui d’octobre plaçant chaque fois C et D à la place de A et B. Ils ont ajouté à ces neuf quatrains (et non huit, ni onze comme le signale R. Benazra) un quatrain en tête et deux quatrains à la fin, dans les positions les plus en vue. En tout, cette centurie VII comporte 12 quatrains, à l’instar d’un almanach et remplace provisoirement l’ancienne centurie VII et annonce la nouvelle centurie VII à base de 39 articles (dont la mouture la plus proche, qui ait été conservée, est celle parue chez F. De Saint Jaure, à Anvers, 1590 (Bibl. de l’Arsenal, Paris). Etrangement, elle se présente comme issue de la Centurie VI, par sa numérotation qui ne débute qu’avec le quatrain 72 (non numéroté, d’ailleurs, mais les autres qui suivent le sont), la centurie VI étant interrompue après le quatrain 71, le reste de la Centurie étant en fait probablement perdu, sous sa mouture initiale (c1584) et remplacé ultérieurement (c1590) par d’autres quatrains, comme en témoigne l’édition anversoise susmentionnée.
Il nous semble que cette refonte de l’Almanach pour l’an 1561 ait trait au Duc de Guise et à son assassinat à Blois (1588), du à un stratagème :
Le Ier quatrain est comme suit, le Roi et le Duc étant mentionnés :
Roy trouvera ce qu’il désiroit tant
Quand le Prélat sera reprins à tort
Responce au Duc le rendra content
Qui dans Milan mettra plusieurs à mort
Quant aux deux derniers quatrains (numérotés dans les éditions 82 et 83), il comportent les versets suivants assez révélateurs :
La stratagème simulte sera rare
La mort en voye rebelle par contrée
Par le retour du voyage Barbare
Exalteront la protestante (le camp réformé) entrée
Et le dernier quatrain évoque la lâche exécution du duc par les sbires du roi :
De nuict au lict assailly sans les armes
On notera que certains des quatrains (février et septembre) de l’almanach pour 1561 utilisés ne figurent pas dans les éditions troyennes des Présages dont nous avons dit ailleurs que la série avait été élaguée pour pouvoir se combiner avec les 58 sixains. Cette affaire des emprunts à l’almanach pour 1561 montre bien que la collection des almanachs était alors disponible et rappelons que le manuscrit du Recueil des Présages Prosaïques qui comporte celle-ci avec les quatrains était daté de 1589.
En fait, les éditions Rigaud seraient bel et bien tributaires de la dite édition couplée avec le Janus Gallicus, tout en refusant de mentionner les autres quatrains tirez de 12 soubz la centurie septiesme, à la différence de la famille C, de façon à présenter un ensemble mieux poli. Et cela vaut aussi pour les éditions Antoine du Rosne 1557 qui seraient elles aussi tributaires de la famille C pour l’élimination des quatrains de l’almanach pour 1561. Oui, décidément, il semble bien qu’il y ait trop de ressemblances entre ces différents canons A, B et C : une source commune existe, précisément cette édition disparue à laquelle se référait le Janus Gallicus. Les éditions A et B ne doivent leur aspect particulier d’ancienneté qu’à la suppression de la référence à la centurie VII des éditions B de 1588 - 89, référence qui existait dans les éditions C dont elles s’étaient servi, réussissant à s’en démarquer par un tel procédé.
S’il fallait classer les chercheurs, on dirait que la grande majorité est de tendance AB, c’est-à-dire acceptent l’existence de l’édition A à 7 centuries datée de 1557, telle qu’elle est conservée, et considèrent comme authentique l’édition à 10 centuries, datée de 1568, dès lors qu’elle ne comporte pas les sixains. Mais on a vu que certains rejettent du canon les centuries VIII-X. En ce qui nous concerne, nous serions de tendance BC, si par là on entend que nous n’acceptons comme authentiques aucune des éditions datées de 1555, 1557, 1560 / 61 ou 1568, en considérant cependant qu’ont du exister de vraies éditions posthumes, au lendemain de la mort de MDN, concernant sept centuries mais pas celles de l’édition 1557, ainsi que vers 1584, à dix centuries pleines, datées de 1568 mais pas celles conservées et portant cette date. Ce qui nous importe, en fait, c’est de respecter le projet nostradamique, dans toute son ampleur, sa dimension posthume évidente et la tradition qui en émane - jusqu’aux sixains compris - sans pour autant faire de concession concernant la date réelle de production des diverses éditions existantes ni l’impasse sur les éditions manquantes. Les études nostradamiques ont tout à gagner à se situer dans une optique qui ménage tant les exigences texto-critiques que socio-historiques.
Jacques Halbronn
Paris, le 7 août 2003
Notes
1 Cf. notre étude sur le Janus Gallicus, volet IV de notre Réponse aux études parues sur le CURA, 26. Retour
2 Cf. RCN, p. 135. Retour
3 Cf. notre étude de cette édition dans nos observations sur les publications du cinquième centenaire de la naissance de MDN. Retour
4 Cf. le TPF. Retour
5 Cf. notre étude les années 1580, d’une ère centurique à l’autre. Retour
6 Cf. notre analyse dans le TPF. Retour
7 Cf. R. Benazra, RCN, pp. 295 - 300. Retour
8 Cf. Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, 1999. Retour
9 Cf. notre étude Les prophéties et la Ligue, Colloque Prophètes et prophéties, Cahiers V-L. Saulnier, Paris, ENS, 1998. Retour
10 Leur nombre initial, selon l’Eclaircissement (p. 73) aurait été de 132. Retour
11 Cf. R. Benazra, RCN, pp. 120 - 121. Retour
12 Cf. Présages de Nostradamus, Paris, Ed. Seuil, 1999, p. 148. Retour
13 Cf. R. Amadou, dossier, L’astrologie de Nostradamus, Poissy, ARRC, 1992. Retour
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