ESPACE NOSTRADAMUS

Lune
Portrait de Nostradamus
Accueil
Biographie
Ascendance
Bibliographie
Références
Analyse
Frontispices
Gravures Actualité
Recherche
Club
Ramkat
Lune




ANALYSE

51

De la date du “Brief Discours
sur la vie de Michel de Nostredame”

par Jacques Halbronn

    En dehors des éditions douteuses des Centuries datées de 1568, en quoi consista la production nostradamique dans les années qui suivirent la mort de MDN survenue en 1566 ? Si l’on parcourt les inventaires bibliographiques les plus récents, ceux de Chomarat-Laroche (1989) et de R. Benazra (1990), on est frappé par le fait que de nombreuses publications sont signées Mi. de Nostradamus ou Michel Nostradamus le Jeune, et qu’elles appartiennent à un genre particulier de la littérature astrologique auquel on n’associe pas généralement l’oeuvre de MDN.

   Il y a là un certain paradoxe : voilà des gens qui revendiquent le nom de Nostradamus - comme le fera également un Antoine Crespin1 - et qui se lancent dans un type de prédictions qui ne correspondrait nullement à l’image de leur modèle.

   De quoi s’agit-il ? De prédictions couvrant plusieurs années de suite2 et qui dépassent donc le cadre de la prognostication annuelle. L’acquisition de tels ouvrages fait donc un long usage, on peut les conserver d’une année sur l’autre, tout en disposant pour chaque année d’une description spécifique qui tranche avec l’année précédente et l’année suivante. On est donc très loin de la représentation habituelle d’un MDN livrant chaque année ses commentaires astrologiques sur les mois à venir, procédé qui lui permettait, au demeurant, de multiplier les dédicaces, comme dans le cas des publications pour l’an 1557.3

   Il est vrai qu’un Janus Gallicus (1594), notamment, ne paraît pas faire référence, dans son inventaire (“Brief Discours sur la Vie de Michel de Nostredame”), à une telle production en prose, laquelle ne figure point dans le RPP qui rassemble, semble-t-il - il est vrai - les seules publications annuelles. Personne, cependant, ne saurait contester que les imitateurs nostradamiques de tous poils ne se soient exercé à la pratique de ce genre qui s’apparente aux Prophéties Perpétuelles4 et cela vaut aussi pour les éditions italiennes, lesquelles ne comportent aucune traduction des quatrains des almanachs, ce qui conduit à relativiser, tout de même, l’impact des dits quatrains.

   Il est étonnant, comme on l’a déjà signalé ailleurs, que les éditions datées de 1605 des Centuries, ainsi que celles qui sont, sur le même modèle (du Ruau), antidatées à 1568, aient repris en frontispice le portrait qui figure en 1568 sur les Prédictions pour vingt ans continuant d’an en an jusques en l’an mil cinq cens quatre vintz (sic) troys etc , Rouen5, par Mi. de Nostradamus le Jeune, dédiées au duc d’Alençon, dernier fils d’Henri II et “dauphin” à partir de 1574, à la mort de Charles IX. Ce texte commence avec les prédictions pour l’an 1564, donc du vivant de MDN.

   Le principe d’une telle production est d’associer chaque année avec une planète, selon un ordre qui est celui des planètes, telles qu’elles sont distribuées dans les jours de la semaine (Soleil, Lune, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus, Saturne) encore que, pour on ne sait quelle raison, de temps à autre, une de ces planètes est sautée. Précisons d’ailleurs que les années correspondant à la même planète ne comportent pas pour autant la même description.

   Or, selon nous, MDN aurait bel et bien pratiqué ce genre et nous avons déjà recueilli un certain nombre de références, tant dans les Prophéties (1556) d’Antoine Couillard que dans l’épître de MDN à Antoine de Bourbon (Prognostication pour 1557). Mais dans ce cas, pourquoi un tel silence à ce propos ?

   Nous pensons qu’un tel ouvrage était susceptible de davantage impressionner les esprits que les publications annuelles, dont les pronostics étaient nécessairement à très court terme. Un pronostic fourni plusieurs années à l’avance est susceptible de marquer davantage les esprits.

   Si l’on compare plusieurs de ces documents visant plusieurs années d’affilée, on constate des variantes pour les mêmes années et il semble bien qu’il y ait eu des interpolations, qu’elles aient été antidatées ou qu’elles se présentent comme concernant le futur. Il n’est d’ailleurs pas aisé de savoir de quand datent ces publications car la première année étudiée n’est pas un critère infaillible. C’est dire que l’on peut tout à fait retoucher de tels textes.

   Nous avons ainsi pu comparer l’édition de Rouen, susmentionnée, avec une édition troyenne, inspirée en son titre des traductions françaises de Leovitius (cf. TPF), intitulée Prédictions des choses plus mémorables qui sont à advenir depuis cette présente année (sic) jusques à l’An mil cinq cens quatre vingt cinq (...) Lesquelles ont esté en grande diligence mise (sic) en lumière par M. Michel de Nostradamus le Jeune, Troyes, Cl. Garnier dict Saupiquet.6 Il est intéressant de noter que dès cette époque, la ville de Troyes en Champagne était concernée par la production nostradamique comme elle le sera au siècle suivant (P. Chevillot, P. Du Ruau).

   Les deux ouvrages, celui de Rouen, daté de 1568 et celui de Troyes, non daté, sont supposées être identiques. Or, il n’en est rien ; celui de Troyes, qui ne débute qu’en 1572, l’année de la Saint Barthélémy, étant sensiblement plus polémique que celui de Rouen, encore que l’on retrouve, du moins partiellement, à peu près les mêmes descriptions pour les mêmes années, mais sans l’Epître au Duc d’Alençon. En revanche, une édition parisienne, chez Nicolas du Mont, datée de 1572 comporte une Préface au dit Duc : Présages pour treize ans continuant d’an en an jusques à celuy de mil cinq cens quatre vingts trois etc.7 Le libraire de cet ouvrage se plaint des contrefaçons réalisées “sous le nom & crédit de Nostradamus”8, ce qui vient bien confirmer que s’il y a des imitateurs, il faut bien un modèle et que celui-ci a bien du exister : selon nous, la Préface à César introduisait un tel ouvrage qui, on l’a vu, pouvait comporter une Epître comme celle au duc d’Alençon. On trouve, d’ailleurs, dans la dite Préface à son fils l’annonce de “Vaticinations Perpétuelles”, ce qui nous semble bien être le cas de ces prévisions associées à un cycle de sept planètes, selon des périodes beaucoup plus brèves que dans le système trithémien qui attribue 354 ans à chaque élément du septénaire. On serait ainsi en présence de l’ouvrage le plus imité de MDN et celui qui aurait finalement été occulté par ceux qui prétendaient connaître son oeuvre.

   On donnera quelques échantillons de la production troyenne, laquelle commence en 1572 et s’orne d’un portrait de Nostradamus le Jeune, en page de garde (avec une mention latine qui disparaîtra dans les éditions des Centuries) sous lequel se peut lire le premier quatrain de la première centurie (sans indication de classement) ce qui constitue en fait l’attestation la plus ancienne de ce quatrain :

Estant assis de nuit secret estude
Seul reposé sus la selle d’aerain
Flambe exigue sortant de solitude
Fait prosperer qui n’est à croire vain.

   Forme apparemment plus correcte et plus répandue que celle qui figure dans l’édition Macé Bonhome (Bibl. Albi) où l’on lit “Seul repousé sus la selle d’aerain”. P. Brind’amour, dans son étude sur cette édition datée de 1555, ne signale pas la variante “reposé”.

   Il semble bien que cette édition ait été antidatée, d’une part parce qu’elle commence par le pronostic de l’an 1572 et d’autre part parce qu’elle semble avoir été écrite post eventum :

   “Sera descouverte une grandissime trahison (...) Plusieurs des Chefz conspirateurs seront surprins (...) qui ne pourront eschaper quelque requeste qu’ilz puissent faire, seront mis à mort (...) sans nul mercy.”

   Il conviendrait de dater ce texte au plus tard de 1574 dans la mesure où il est antérieur à la mort de Charles IX auquel une prophétie (de Magdebourg), en annexe, semble consacré : “Du sang de Charles CAESAR & des Roys de France sortira un Empereur nommé Charles, icelui dominera par toute l’Europe”. Il faut rapprocher ce texte du Livre Merveilleux dont certaines éditions visent le même Charles IX.9

   Il faudrait peut être rapprocher ce type d’ouvrage valable sur des années de ce qu’en dit Le Roux, dans la Clef de Nostradamus (1710) : “Pour se débarrasser tout d’un coup de l’importunité de tant de gens (MDN) s’avisa de faire un petit livre intitulé : L’Almanach de Nostradamus où le peuple était averti de ce qui arriveroit de plus remarquable dans tous les mois de l’année. Il rencontroit si bien dans tout ce qu’il prédisait, que les Imprimeurs n’en pouvaient point assez faire, tant le débit en étoit grand. Ce bonheur qui auroit augmenté la réputation d’un autre, diminua extrêmement la sienne parce que les Imprimeurs & les libraires (...) Débitèrent par tout le Royaume une infinité de faux Almanachs qu’ils firent imprimer sous le nom de Nostradamus : si bien que ceux-ci ne répondant point aux évenements qu’on promettoit, il fut d’abord regardé comme un charlatan & un faussaire.” (p. 14) Il semble que Le Roux, en 1710, ne se fasse plus une juste idée du contenu de cet “Almanach” qui couvre non pas chaque mois mais chaque année. Pour notre part, nous pensons que ce ne sont pas ici les almanachs ou les prognostications annuels qui sont ici en ligne de mire. On aura confondu sous la formule “an après an” ou “d’an en an”, publications annuelles et publications ponctuelles mais perpétuelles pronostiquant sur une série d’années.

   Quand, dans le “Brief Discours”, il est question de “présages en prose, faits puis l’an 1550 iusques à 67”, on peut se demander s’il ne pouvait s’agir d’un de ces ouvrages couvrant plusieurs années plutôt que d’une collection de publications parues chaque année. La formulation du Brief Discours, à la lumière des documents que nous venons de signaler, nous semble quelque peu ambiguë. Cela dit, on pourrait inverser le propos et considérer que cette phrase aurait pu susciter, par erreur, des publications sur plusieurs années, ce qui montre bien que le “Brief Discours” a du être connu dès le lendemain de la mort de MDN, en 1566. C’est à partir du BD que la production posthume se serait constituée, se référant à des documents retrouvés dans la bibliothèque du défunt, comme on peut le lire au titre de l’édition rouennaise signalée et datée de 1568.

   Est-ce à dire pour autant que MDN n’aurait point réalisé des Prophéties Perpétuelles ? Nous pensons qu’il a du s’agir d’un ouvrage plus important que ces prédictions sur quelques années, comme l’indique le chiffre de 3797 qui figure dans la Préface à César et qui est attesté dans les Prophéties de Couillard. En tout état de cause, le texte de ces divers ouvrages se recoupe peu ou prou et relève d’une seule et même terminologie. L’ouvrage qu’introduisait la Préface d’origine à César s’apparenterait ainsi aux Prophéties Perpétuelles de Moult lesquelles furent adjointes, en 1866, par le libraire parisien Delarue, aux Centuries, dans la version troyenne de Chevillot.

   Comme nous l’avions indiqué10, le Brief Discours joua un rôle majeur pour les faussaires et dut figurer dans les premières éditions posthumes des Centuries, lesquelles furent peu après compilées par Crespin, dans les Prophéties dédiées à la Puissance Divine et à la Nation Française (1572). Ainsi, à partir de la lecture du Janus Gallicus, avons-nous montré, au cours de nos dernières études, l’existence de deux éditions des Centuries manquantes : celle, se présentant comme posthume, comportant le BD, vers 1568, et celle comportant les textes commentés par le dit JG, vers 1594. Les premières Centuries, en se référant à l’an 1727, confirmeraient, selon nous, l’influence de la formule “de 1550 à 1567”. On nous objectera peut-être que les textes que nous signalons ne recouvrent pas les années 1550 à 1567. Rien de plus logique à cela : à quoi eut servi de publier des prédictions déjà échues ? Il valait mieux produire un nouveau train de prédictions supposées laissées par MDN dans ses papiers.

Jacques Halbronn
Paris, le 13 août 2003

Notes

1 Cf. nos Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ramkat. Retour

2 Cf. Benazra, RCN, pp. 71 - 102. Retour

3 Cf. les trois épîtres reproduites dans nos Documents Inexploités, op. cit. Retour

4 Cf. notre étude “Indices de contrefaçon de la Préface à César”, volet II. Retour

5 Cf. BNF, Res pV 715 (1). Retour

6 Cf. BNF, Res.2563. Retour

7 Cf. Bibl. Ste Geneviève, Paris, Res. 1225 (p. 51). Retour

8 Cf. RCN, pp. 98 - 99. Retour

9 Cf. nos Documents Inexploités, op. cit. p. 113. Retour

10 Cf. notre étude “Indice de contrefaçon”, op. cit. Retour



 

Retour Analyse



Tous droits réservés © 2003 Jacques Halbronn