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ANALYSE

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Les différentes versions de la Centurie VII

par Jacques Halbronn

    Quel est le modus operandi des interprètes du corpus nostradamique ? On ne peut que constater sans disposer d’un exposé en bonne et due forme, en dehors de quelques observations sur le décryptage d’anagrammes. En fait, il est probable (cf. sur le mot épithalame, infra) que l’exégète fonctionne à partir de mots clefs et qu’il va rassembler les quatrains qui comportent le ou les mots clefs relatifs à un événement que l’on désire relier au dit corpus nostradamique et que l’on finit par conserver le quatrain le plus proche du dit événement à expliciter nostradamiquement.

   Les Archives Nationales (Paris) conservent un manuscrit1 qui n’est pas signalé par les bibliographies du corpus nostradamique, il s’agit du Nostradamus Glosé du dominicain Giffré de Rechac, dont seule une partie fut imprimée sous le nom d’Eclaircissement des Véritables Quatrains de Michel Nostradamus, 1656.2

Manuscrit de Giffré de Rechac

Manuscrit de Giffré de Rechac

    Ce commentaire des Centuries comporte un grand nombre de quatrains commentés ou non, avec mention de la Centurie et du Quatrain. Il faut y faire la part des erreurs de copie ainsi que de celles du Janus Gallicus dont le dit commentaire s’inspire.

   Nous porterons notre attention sur un cas assez troublant puisqu’il s’agit d’un quatrain signalé comme étant le VII.46 :

Vents chaut, conseil, pleurs & timidité
De nuict au lict assailly sans les armes
D’oppression grande calamité
L’epithalame converty pleurs & larmes

Extrait Giffré de Rechac

Quatrain (VII.46)
dans le Manuscrit de Giffré de Rechac

    Dans le Nostradamus glosé, on trouve un commentaire pour les quatrains 40, 41 et 42 de la Centurie VII, lesquels clôturent la Centurie VII, comme c’est le cas dans le canon centurique tel que nous le connaissons. Mais quid de ce quatrain 46 dont le contenu, nous précise R. Benazra à notre demande, correspond au quatrain de décembre de l’almanach pour 1561 ?3 En réalité, ce quatrain figure dans certaines éditions des Centuries, parues en 1588 - 1589 à Paris, chez plusieurs libraires mais les dits quatrains ont été exclus du canon précisément parce qu’ils se trouvaient déjà - du moins est-ce là la première explication à l’esprit - dans le dit almanach pour 1561.

   B. Chevignard4 a consacré une fiche à ce quatrain lequel figurerait dans les Présages de certaines éditions du XVIIe siècle et pas dans d’autres, où le quatrain de décembre 1561 ne figure pas, par exemple l’édition datée de 1605 ni dans l’édition d’Amsterdam, 1668, Waesberge & Vve du Feu Elizée Weyerstraet.5

   Comment Giffré de Rechac qui ne s’intéresse nullement aux Présages, à la différence du Janus Gallicus, a-t-il pu accorder au dit quatrain une quelconque place dans son corpus de quatrains à commenter ? Giffré de Rechac le relie au mariage en 1572, année de la Saint Barthélémy, entre Henri de Navarre, le futur Henri IV et Marguerite de Valois, fille du défunt roi Henri II.

   “Mariage d’Henry Prince de Navarre avec Marguerite de Valois, fille d’Henry Second à Paris, suyvi du Massacre de la St Barthélémy. 1572.”

   Or, si le quatrain lui était connu comme correspondant à l’an 1561, il n’aurait certainement pas, à la différence du Janus Gallicus, associé le dit quatrain à l’an 1572. Mais par ailleurs, le Janus Gallicus ne commente pas le dit quatrain. Bien qu’il s’intéresse de près au mariage en question mais en s’appuyant sur des Présages et non sur des quatrains centuriques6 :

Mai 1559
Par le despit nopces, épithalame
Par les trois parts Rouge, Razez partis
Au jeune noir remis par flamme l’arme
Au grand Neptune Ogmius convertis


Janvier 1562
Desir occult pour le Bon parviendra
Religion, paix, amour & concorde
L’épithalame du tout ne s’accordra
Les hauts qui bas & haut mis à la corde.

   Les commentaires du JG sont les suivants :

   Janvier 1562 :

   “Le Pape & les autres princes Chestiens n’appreuvent l’alliance & mariage de M. Marguerite soeur du Roy Charles avec le Roy de Navarre, voire tentent de l’empescher”

   Mai 1559 :

   1er commentaire (n° 244)

   “Le Roy s’affectionne audit mariage, le traite & conclud. ”

   2e commentaire (n° 249)

   “Le Roy se resoult de voir la fin de ce mariage contre l’advis des plus grands Catholics de son royaume & presque de tous les Ambassadeurs estrangers (...) Mariage accompli du jeune Roy de Navarre & de Madame Marguerite de Valois le 18. de ce mois. Le jeune Prince suit les pas & conseils du grand Neptune qu’est l’Admiral Chastillon”

   On notera que les trois quatrains en présence comporte le terme “épithalame” et cela en dit assez long sur les techniques exégétiques. Il n’en faut pas beaucoup plus pour qu’un quatrain fasse l’affaire. Pour Giffré de Rechac, il importe de trouver un quatrain centurique comportant le mot “Epithalame”. Si l’on consulte le Dictionnaire Nostradamus de Michel Dufresne7, on trouve une seule entrée pour “Epithalme” (p. 128), avec un renvoi à 7, 48.

   Quelle édition utilise Dufresne pour parvenir à une telle indication fort surprenante au premier abord ? On nous indique en sous titre “Définitions, fréquence et contextes des six mille mots contenus dans les Centuries (édition 1605) de Nostradamus”. Dufresne précise (p. XI, Avant -propos) qu’il choisit “de recourir à une copie de l’édition de 1605 reproduite intégralement par Elisabeth Bellecour, à l’intérieur d’un ouvrage ayant pour titre Nostradamus trahi, publié en 1981, chez Robert Laffont”. En réalité, l’édition reproduite dans le dit ouvrage n’est nullement celle de 1605. On s’en rend compte par l’absence du quatrain 100 de la Centurie VI, quatrain qui figure pourtant bel et bien dans l’édition 1605 :

Fille de l’Aure, asyle du mal sain
Où iusqu’au ciel se void l’amphithéâtre
Prodige veu, ton mal est fort prochain,
Seras captive & des fois plus de quatre.

   Ce quatrain semble bien concerner la ville d’Orange et son théâtre romain, comme la tradition exégétique l’indique, et sa suppression fut probablement le fait du camp protestant. En effet, Orange était un refuge pour les Réformés (cf. infra).

Edition E. Bellecour (1581)

Frontispice de l’édition E. Bellecour (1981)

Extrait Edition E. Bellecour (1581)      Extrait Edition E. Bellecour (1581)

Extrait de la centurie VII
Edition E. Bellecour (1981)

   Toujours est-il qu’aucune édition connue des Centuries ne comporte un quatrain VII 46 ou VII 48. Et pourtant, Giffré de Rechac en recourant au quatrain de décembre 1561 ferait-il une entorse à son rejet des Présages ? Mais pourquoi le JG n’a-t-il pas retenu le quatrain de décembre 1561 au même titre que celui de mai 1559 ou de janvier 1562. Ajoutons que plusieurs éditions des Présages (notamment celle datée de 1605 ou celle d’Amsterdam, 1668, précitée) ne comportent pas le Présage pour décembre 1561.

   En fait, M. Dufresne nous fournit, sans le vouloir, la clef de l’énigme. En effet, à la suite des 42 quatrains de la VII, on trouve, dans les éditions du XVIIIe siècle :

   “Autres quatrains tirez de 12 soubz la Centurie septiesme dont en ont esté rejectez 8 qui se sont trouvez es Centuries precedentes.”

   Mais les quatrains ainsi éliminés ne sont-ils pas précisément ceux appartenant à l’almanach pour 1561 ? Comment se fait-il, dès lors, que l’on puisse trouver dans ce supplément (“Autres Quatrains”) le Présage pour décembre 1561 ? Il s’agit en fait d’une erreur de recension et le quatrain pour décembre 1561 figure bel et bien à la fin de la dite addition. Voilà donc un quatrain des Présages qui a par accident statut de quatrain centurique, s’infiltrant ainsi dans le Nostradamus glosé.

   Récapitulons : le quatrain “Vent chaud, conseil pleurs, timidité etc” se trouve :

1 / Dans l’almanach pour 1561, au mois de décembre.
2 / Dans les éditions parisiennes de 1588-1589, avec la numérotation VII.83, dans la partie intitulée “Prophéties de M. Nostradamus adioustées nouvellement. Centurie septiesme.”
3 / Dans l’annexe à la Centurie VII en tant que quatrain 83 (“Autres Quatrains tirez de 12 etc”).
4 / Dans les Présages de nombre d’éditions du XVIIe siècle (“Présages tirez de ceux faicts par M. Nostradamus es années 1555 & suivantes iusques en 1567”)

   On le trouve traduit en anglais par Théophile Garencières à la fin de la VIIe Centurie (“Other Stanzas, taken out of twelve, under the seventh Century, out of which eight have been rejected because they were found on the foregoing Centuries”).

Hot wind, councels, tears, fearfulness
He’ shall be assaulted in his bed by night without Arms
From that oppression shall be raised a great calamity
The Epithalamium shall be converted into tears

   Mais Garencières considère que ces quatrains “additionnels” n’ont pas à être interprétés en raison de leur caractère douteux :

   “The reason why I have put no Annotations to these, as I have done to the rest, is because according to my judgment, and that of most Learned, they are spurious.”8

   Ce jugement est discutable : d’une part parce qu’il s’agit d’un quatrain rescapé qui appartient aux almanachs et de l’autre parce qu’il a vraisemblablement figuré dans des éditions des Centuries antérieures au XVIIe siècle et pas seulement celles de 1588 - 1589 (cf. infra).

   Pourquoi ce quatrain appartenant au lot des Présages a-t-il échappé à la purge dont ont été victimes les autres quatrains issus de l’almanach pour 1561 ? Est-ce une erreur ou bien ce quatrain était-il particulièrement de circonstance de l’avis de certains ? A priori, ce ne sont pas huit mais neuf quatrains qu’il eut fallu soustraire. Il nous apparaît que le quatrain de décembre ne figurant pas dans le Janus Gallicus9 ne fut point localisé comme appartenant aux Présages et c’est aussi pour cette raison qu’il ne figure pas dans les Présages figurant dans l’édition datée de 1605.

   On aurait pu considérer que l’on ait voulu éviter un double emploi avec la mention du quatrain de décembre au sein de l’annexe à la Centurie VII ? D’autres éditions n’ont pas un tel scrupule et par conséquent le quatrain considéré y figure à deux reprises, à savoir dans l’annexe de la VII et dans les Présages pour 1561. Par ailleurs, l’édition Chevillot ne comporte pas les Présages, à l’exception de ce quatrain pour décembre 1561 qui n’est pas identifié comme tel, étant passé à travers les mailles du filet. Notons cependant que pour reprendre ces quatrains de l’almanach pour 1561, encore fallait-il en disposer et l’on peut se demander si l’on ne s’est pas servi pour ce faire du Recueil des Présages Prosaïques qui en fournissait la matière. Cette mouture de la Centurie VII a pu donc fort bien être l’oeuvre de quelqu’un ayant eu accès à cet ouvrage - à commencer par Jean Aimé de Chavigny - dont il semble bien qu’il n’ait guère circulé, puisque par la suite on ne sera pas en mesure de fournir une édition compléte des dits Présages et que l’on devra se contenter de ceux commentés dans le Janus Gallicus lequel puise également, à l’évidence, dans le dit Recueil, quant à sa connaissance des quatrains des almanachs.

   Pour en revenir à cette étrange numérotation qu’est VII.46, le mystère s’explique si, comme semble l’avoir fait M Dufresne, on compte les quatrains de l’annexe dans la continuité, à savoir en poursuivant le comptage au delà de 42. Si on prend l’édition datée de 1605, du fait que l’annexe à la VII comporte 4 quatrains, on parvient en ajoutant 4 à 42 à 46 et dans ce cas on peut, en effet, désigner le dernier quatrain comme étant VII 46. En revanche, dans l’édition Chevillot qui comporte 5 quatrains en annexe de la VII - le quatrain numéroté LXXXII est en sus - le quatrain (LXXXIII) qui nous intéresse, placé en dernière position, pourrait être numéroté 47 . Mais existe-t-il des éditions qui comportent une telle mention ou bien s’agit-il uniquement de commodités d’exégètes ?

   B. Chevignard fait remarquer qu’en ce qui concerne ce qui fut initialement le quatrain de décembre 1561, l’ordre des versets a parfois été modifié. C’est ainsi que dans l’almanach, on a :

L’épithalame converty pleurs & larmes
Ventz, chauld conseil, pleurs & timidité

   Chevignard cite (p. 149) le dit quatrain dans l’édition des Centuries Barbe Regnault (1561). En réalité, on ne dispose pas d’une telle édition dont cependant on peut considérer qu’elle a probablement existé10, ce qui ne signifie nullement qu’elle ne soit pas un faux antidaté. On sait que les éditions de la Ligue, déjà signalées, la mentionnent volontiers et se présentent comme en reprenant la teneur :

   “Revues & additionnées par l’auteur pour l’an mil cinq cens soyxante & un, de trente-neuf articles à la dernière Centurie.”

   Il est fait ainsi explicitement référence à l’auteur, c’est à dire à Michel Nostradamus, ce qui vient entériner la thèse de Centuries parues du vivant du dit auteur. Parmi les 39 articles, il est probable que l’on ait inséré les quatrains de l’almanach pour 1561, puisque précisément l’ouvrage en question concernait la dite année 1561. On peut également raisonnablement supposer que cette addition fut sensiblement antérieure aux éditions parisiennes de la Ligue lesquelles ne correspondent plus vraiment à leur sous-titre, puisque la centurie VII ne comporte pas 39 articles ou quatrains. Ce décalage est plutôt encourageant en ce qu’il montre qu’un tel titre n’a pas été élaboré à la fin des années 1580. Mais ces Présages n’auraient-ils pu faire partie de la Centurie VII sous sa forme initiale à 39 articles et exclus lors de l’intégration au sein de la Centurie VI de 29 quatrains ? Mais dans ce cas pourquoi figurent-ils dans des éditions où la Centurie VI n’a que 71 quatrains ?

Edition Pierre Ménier (1589)

Frontispice de l’édition Pierre Ménier (1589)

Quatrain (VII.71), Edition Pierre Ménier (1589)

Fin de la centurie VI
de l’édition Pierre Ménier (1589)

    On notera dans les éditions parisiennes de la Ligue que la centurie VI s’arrête au quatrain 71 et que les 29 quatrains restant qui se trouvent dans le canon en sont absents, soit au delà du quatrain :

Quand on viendra le grand Roy parenter
Avant qu’il ait du tout l’âme rendue
Celuy qui moins le viendra lamenter
Par Lyons, d’Aigles, croix, couronne vendue

   Puis on saute à la VIIe Centurie, non sans cependant reprendre avec le quatrain 72 et ainsi de suite jusqu’à 84. On peut penser que ces quatrains de la VII, dont on a dit qu’ils incluaient plusieurs quatrains de l’almanach pour 1561 sont les rescapés de l’addition à 39 articles susmentionnée.

   Dès 1590, l’édition d’Anvers, St Jaure, se rapproche de la version qui sera celle du canon centurique, mais rien ne prouve que les quatrains manquants à la VI et à la VIIe Centurie ne sont pas de nouvelles adjonctions. Ce n’est peut-être d’ailleurs pas par hasard que la VIIe centurie de l’édition St Jaure ne comporte encore que 35 articles, numérotés de 1 à 35, et sans les quatrains de l’almanach pour 1561.

Edition Anvers (1590)

Frontispice de l’édition Anvers (1590)

Quatrain (VII.35), Edition Anvers (1590)

Fin de la centurie VII
de l’édition Anvers (1590)

    Il nous semble ainsi envisageable de considérer les éditions parisiennes comme plus proches d’éditions antérieures que ne le serait l’édition anversoise, plus proche du canon nostradamique, lequel canon, au demeurant, n’en conserve pas moins des éléments des dites éditions parisiennes, sous la forme d’annexes aux Centuries VII et VIII, puisque les dites éditions comportaient quelques quatrains d’une Centurie VIII, lesquels quatrains ne seront pas intégrés dans la Centurie VIII sinon en marge ; encore faut-il préciser qu’au XVIIIe siècle, les dites annexes n’auront plus droit de cité, ce qui expliquerait leur absence dans l’édition antidatée Benoist Rigaud 1568. Qu’est ce au demeurant que cette Centurie VIII laquelle ne comprend d’ailleurs que 6 quatrains et qui n’a rien à voir avec l’autre Centurie VIII à 100 quatrains, introduite par l’Epître à Henri II ? Certes, les éditions parisiennes ne tiennent aucun compte de la dite Epître et des trois cents quatrains qui l’accompagnent. L’idée de susbtitution non pas de verset ou de quatrain mais de Centurie semble avoir fait son chemin et finalement généré à terme une double légitimité conduisant au syncrétisme du canon centurique où les différentes moutures cohabiteront un temps avant que l’on ne bascule vers une vision monolithique, éliminant les annexes, dans la logique, en quelque sorte de la Révocation de l’Edit de Nantes, en 1685, refusant une France duelle, sur le plan religieux.

   En tout cas, s’il y a une Centurie VIII numérotée de 1 à 6, il pouvait aussi bien exister une Centurie VI numérotée de 1 à 71. Le cas de cette Centurie VIII incomplète montre bien qu’à la fin des années 1580, le mot Centurie signifie moins 100 quatrains qu’ensemble de prophéties tout comme les 58 sixains figureront par la suite en tant que Centurie XI. Signalons par ailleurs que l’on trouve aussi, par extension, le terme centurie comme synonyme de quatrain, dans le contexte nostradamique.

   Le quatrain VII 46 selon la formulation du Nostradamus glosé ne nous intéresse pas tant par le fait qu’il correspond au mois de décembre 1561 mais bien plutôt en ce qu’il fait partie intégrante de l’édition Barbe Regnault 1560, et vraisemblablement de la première édition à 10 Centuries parue, selon nous, au début des années 1580.

   Autrement dit, le quatrain VII.46 selon la formulation du Nostradamus glosé ne nous intéresserait pas tant par le fait qu’il correspond au mois de décembre 1561 mais bien plutôt en ce qu’il faisait partie intégrante de l’édition Barbe Regnault, 1560 et vraisemblablement de la première édition à 10 Centuries parue, selon nous, au début des années 1580.

   Si on lit plus attentivement la formule de l’annexe à la VIIe Centurie, telle qu’elle figure dans nombre d’éditions du XVIIe siècle, on remarquera la formule “12 (quatrains) soubz la Centurie septiesme dont en ont esté rejectez 8 qui sont trouvez es Centuries precedentes.” Qu’est ce à dire ? Une telle présentation ne saurait correspondre en effet à la présence de certains quatrains dans l’almanach pour 1561, puisque l’on nous parle ici de Centuries. Or la Centurie VII est bien, nous semble-t-il, celle qui correspond à l’addition de 39 articles.

   Reconnaissons que, concernant cette “addition” à la VIIe Centurie, des expressions comme “Prophéties de M. Nostradamus adioustées nouvellement” ou “quatrains (...) rejectez (...) qui se sont trouvez es Centuries précédentes” ont de quoi nous interpeller et ce d’autant que d’un côté on nous parle de quelque chose qui a été “ajouté” et de l’autre de quelque chose qui a été “rejeté” et qui se trouvait là auparavant. Il semble bien que nous soyons là en présence de ce qu’on appelle généralement une solution de continuité, au demeurant assez maladroite. Et, pour notre part, nous avons depuis longtemps pensé que les Centuries parues sous la Ligue constituaient un enjeu stratégique de toute première importance pour la compréhension de l’histoire, de la genèse, des Centuries.

   Certes, ces Centuries parisiennes de la Ligue sont certainement, elles-mêmes, purgées d’un certain nombre de quatrains puisque la Centurie VI y est largement incomplète tout comme la Centurie VII. Mais dans ce dernier cas, on n’y retrouve rien de celle qui figure dans le canon nostradamique : pas un seul quatrain, hormis dans la partie additionnelle laquelle finira par être totalement évacuée dans les éditions Pierre et Benoist Rigaud respectivement (anti) datées de 1566 et 1568 et selon nous produites au XVIIIe siècle. Le problème, c’est que l’on ne sait pas si les quatrains qui ne figurent plus dans le derniers tiers de la VI et qui figurent en 1590 dans l’édition anversoise sont les mêmes mais on peut encore admettre, non sans quelque réserve, ce point, ce n’est pas ici le plus important. Focalisons-nous plutôt sur la Centurie VII.

   Si l’on admet que la Centurie VII avait au départ un statut additionnel à la VIe et “dernière” centurie, comme semble l’indiquer la formule déjà mentionnée, et si l’on admet qu’il s’agit d’un faux attribué à Nostradamus et dont il serait prétendument l’auteur, parue “pour l’an mil cinq cens soixante & un”, on peut fort bien admettre que pour fabriquer ce faux, on se soit servi de quatrains de l’almanach pour 1561. A ce propos, un tel usage des Présages bien au delà de la date en question annonce la pratique du Janus Gallicus qui consiste à recycler les Présages pour des périodes plus tardives. Or, même si l’on ne nous dit pas explicitement que ces quatrains sont issus du dit almanach, ils ne se présentent pas moins comme contemporains de celui-ci et on aurait pu tout à fait choisir des quatrains d’une autre année (1562, 1563 ?) et dater le faux également de cette autre année, mais peut-être les quatrains pour 1561 faisaient-ils particulièrement sens pour la période où le faux fut mis en lumière.

   Rappelons en effet l’usage des Présages dans le Janus Gallicus dont nous pensons d’ailleurs que les commentaires, très nombreux à s’appuyer sur des Présages et non des quatrains des Centuries pourraient être contemporains de ce faux “pour 1561”, paru bien des années plus tard, ce qui rendait bien peu probable toute confrontation avec un almanach pour 1561 entre temps devenu introuvable, sauf pour les initiés, ayant accès à des documents conservés comme dans le cas du Recueil des Présages Prosaïques.11

   Le Janus Gallicus est en effet fortement marqué par un certain traitement des quatrains des almanachs qui fera long feu et disparaîtra à peu près totalement dès le XVIIe siècle alors que les sixains, pour leur part, y connaîtront une fortune remarquable mais qui ne se confirmera pas aux XIXe et XXe siècles. Il semble bien que pour le JG, la priorité soit accordée aux Présages puisque lorsqu’il est fait appel à un quatrain de centurie (n° 134, p. 123), on peut lire à propos d’un certain événement dont on veut rendre compte :

“De quoy je ne trouve rien aux Présages de l’Auteur”

   Signalons ainsi les périodes censées correspondre aux quatrains de l’almanach pour 1561 dans le JG :

Sur l’an 1561, pour 1561.
Juillet 1561, pour septembre 1561
Mars 1561, pour 1562
Avril 1561, pour 1562
Octobre 1561, pour avril 1563
Avril 1561 (à nouveau), pour mars 1564
Juin 1561, pour octobre 1568
Juillet 1561, pour Août 1573
Mai 1561, pour janvier 1589
Aout 1561, pour février 1589

   Cette interaction entre Présages et quatrains centuriques si marquée dans le Janus Gallicus sera suivie par une évacuation des dits Présages du canon centurique tel qu’on peut l’observer dans l’édition Benoist Rigaud datée de 1568 qui n’en comporte plus aucun, pas même celui de décembre 1561, présent pourtant dans une grande partie des éditions du XVIIe siècle, en annexe de la VIIe Centurie. De même, les éditions Antoine du Rosne antidatée à 1557, comportant sept centuries ne comportent pas la dite annexe in fine.

   Ces éditions datées de 1557 et de 1568 sont très proches pour les centuries VI et VII de l’édition F. De St Jaure, Anvers, 1590, c’est à dire qu’elles ne comprennent à la VIIe Centurie absolument aucun élément de l’almanach pour 1561.

   Or, si l’on admet que l’origine même de la Centurie VII s’articulait autour de Présages de l’almanach pour 1561, on ne peut que conclure que la Centurie VII de l’édition St Jaure constitue une mouture expurgée et donc forcément plus tardive.

   On aurait donc une première version de la Centurie VII dont on n’aurait conservé que quelques quatrains dans les éditions 1588 - 1589, sur les 39 existants initialement et une seconde version à 35 puis à 40 quatrains et plus, ne comportant plus ce noyau de Présages issus de l’almanach pour 1561.

   Le fait d’avoir conservé en annexe, dans nombre d’éditions des Centuries du XVIIe siècle tant les Présages pour 1561 que les quatrains exclus de l’édition de 1590, présages exclus, sauf celui pour décembre 1561, témoigne, tout de même, d’une volonté de préserver certains éléments qui ne seront évacués que plus tard et qui appartiennent à un état antérieur des Centuries. Nous y voyons là la preuve que les Centuries étaient perçues alors comme un corpus en mouvement, un work in progress, contrairement à l’image que veulent en donner les nostradamologues à commencer par le dominicain Giffré de Rechac qui soutenait, dans l’Eclaircissement de 1656, que tout était déjà élaboré et fixé dès 1555. D’où la formule assez étonnante, quand on y pense : “quatrains (...) rejectez (..) qui se sont trouvez es Centuries précédentes” et qui signifie que l’on s’autorisait ouvertement à élaguer les Centuries.

   Le lecteur découvrant une telle mention qu’on finira par lui épargner au XVIIIe siècle ne recevait pas d’autre explication : on ne lui disait même pas que les quatrains en question appartenaient à l’almanach pour 1561 ! Ce n’est que bien plus tard que ce point sera éclairci. Que comprenait-il donc sinon que certains quatrains n’avaient plus droit de cité, ce qui était un aveu et tout un programme ?

   Qu’on y songe : on signale au lecteur que certains quatrains ne sont pas inclus stricto sensu dans la Centurie VII et que parmi ces quatrains additionnels, certains ne sont même pas jugés digne d’être repris et qu’il vaut mieux que l’on ne sache même pas de quoi il s’agit, tout en lui précisant que cet ensemble de quatrains figurait en bonne place dans les centuries précédentes. Mais que signifie la formule “Centuries précédentes“ ” ? Comme on ne sait pas de quels quatrains il s’agit, le lecteur peut toujours penser que les quatrains supprimés se trouvent bel et bien déjà dans les précédentes Centuries et comment pourrait-il prouver le contraire puisque il ne sait pas de quels quatrains il s’agit ?

   En réalité, on ment à notre lecteur puisqu’il se trouve que l’on sait désormais quels étaient les quatrains ainsi supprimés - appartenant à l’almanach pour 1561 - et que l’on peut constater qu’ils ne figurent pas dans les Centuries précédentes. Mais le lecteur, pour s’en rendre compte aurait du mettre la main sur une éditions parisiennes de la Ligue, des années 1588 - 1589. Or, quand cette addition est adjointe à la VII, on est bien loin de ces années là et qui pourrait faire le recoupement ? Le plus étrange est que les nostradamologues actuels, dans leur très grande majorité, tout en disposant de toutes les informations nécessaires, en mesure d’effectuer tous les recoupements, n’en tirent pas les conclusions qui s’imposent et affirment que les éditions datées de 1557 et de 1568, tout en comportant la version seconde de la centurie VII seraient antérieures aux éditions de 1588 - 1589 comportant la version première de la dite Centurie !

   Mais pourquoi a-t-on évacué précisément - à l’exception du Présage pour décembre 1561 - un certain nombre de quatrains appartenant à l’almanach pour 1561 ? On peut penser que l’initiative est venue de certains nostradamistes se rendant compte que ces quatrains appartenaient au dit almanach pour 1561. En quoi cela les gênait-il ? Il nous semble que cette présence trahissait le caractère de contrefaçon de la première Centurie VII, fabriquée en partie avec des quatrains d’almanachs. Comment, en effet, Nostradamus, aurait-il pu publier simultanément les mêmes quatrains dans son almanach et dans une addition à ses Centuries ?

   Or, la parution des Présages, dans certaines éditions des Centuries, aurait fait ressortir une telle anomalie, une telle redondance. On notera, en effet, que les éditions comportant l’addition expurgée à la VII sont le plus souvent accompagnées des Présages.

   Malheureusement, pour ces censeurs, la série 1561 des Présages s’arrêtait au mois d’Octobre, ce qui ne permit pas d’évincer le quatrain pour décembre 1561, ce qui ne pouvait à terme que permettre de trouver le pot aux roses. Rappelons que cette liste incomplète est constituée des présages pour 1561 commentés dans le Janus Gallicus. On n’y trouve pas les Présages pour janvier, février, septembre, novembre, ou décembre de la dite année.

   Qui plus est, R. Benazra signale12 la présence dans les éditions parisiennes de 1588 - 1589 du quatrain de septembre 1561 lequel n’a pas davantage été supprimé de l’annexe à la VIIe centurie et ce, pensons-nous, pour les mêmes raisons que pour celui de décembre 1561, à savoir qu’il ne figurait ni dans le Janus Gallicus ni dans les Présages tels que figurant dans les éditions des Centuries. On comprend mal la formule de Benazra : “Nous ignorons pourquoi (ces quatrains) furent supprimés de l’almanach imprimé par Barbe Regnault et intégrés dans l’édition 1561 des Centuries”. En effet, l’almanach pour 1561 comporte les dits quatrains et ne parut pas chez Barbe Regnault, libraire qui aurait publié une édition des Centuries, précisément augmentée d’une première version de la Centurie VII, comportant des quatrains de l’almanach pour 1561. Mais rappelons-le, si Barbe Regnault publia la première version de la Centurie VII en 1560, comment la seconde version aurait-elle pu paraître en 1557 ?

   R. Benazra note à juste titre13 qu’en réalité, ce sont bien tous les quatrains figurant dans la Centurie VII des éditions 1588 - 1589 qui sont issus de l’almanach pour 1561 et que ceux qui furent épargnés, avec un ordre parfois modifié des versets, dans certains cas - ce qui rendait leur identification plus difficile - sont ceux qui n’avaient pas été Daniel Ruzo “transcrits par Chavigny”.

   On nous fera remarquer qu’il est tout de même étrange que les seuls quatrains qui aient subsisté de la Centurie VII première version soient ceux de l’almanach pour 1561 alors qu’il devait y avoir 39 quatrains dont on ignore le sort. Il est possible que la Centurie VII première version n’ait jamais comporté que 13 quatrains, ceux de l’almanach. L’expression “39 articles” pourrait fort bien ne pas avoir figuré initialement pour désigner la dite addition. On notera que les éditions de 1588 - 1589 comportent cette mention de 39 articles tout en ne présentant pour la centurie VII qu’un nombre bien plus restreint de quatrains. Mais est-ce que le terme article est bien identique à celui de quatrains ?

   On observera que la Centurie VI, dans les dites éditions, ne comporte que 71 quatrains. Est-on certain qu’elle en ait jamais comporté davantage sinon précisément par le moyen d’une addition appelée Centurie VII ? Rappelons que la Centurie VII de ces éditions comporte des quatrains numérotés non pas à partir de I mais à la suite de la série de 71 quatrains, soit jusqu’à 83. En revanche, dans l’édition d’Anvers, la nouvelle Centurie VII commencera à 1 - jusqu’à 35 - et fera suite à une Centurie VI complétée (à 99). Or, pour passer de 71 à 100 et constituer une centurie complète, il faut ajouter 29 quatrains. Est-ce que 39 articles n’est pas la corruption de 29 articles ou tout simplement une erreur de calcul ? On ajoutera que par la suite se produisirent des additions à la VIe Centurie, comme dans le cas de l’édition non datée du libraire parisien Pierre Ménier. Des quatrains numérotés 72, 73, 74 ont été intercalés avant la centurie VII ce qui fait qu’il y a ainsi des quatrains avec la même numérotation : un quatrain 74 de la VI et un quatrain 74 de la VII ! Ajoutons que ces quatrains ajoutés figurent dans l’édition anversoise avec la même numérotation, constituant ainsi l’amorce d’un achèvement de la VI. Il est possible que ces quatrains additionnels soient le résidu d’une ancienne Centurie VII, laquelle, on l’a dit, servira à parachever la VI. Il doit en effet exister une source commune aux mêmes quatrains figurant dans l’édition St Jaure et dans l’édition Ménier que l’on date vers 1598 mais qui ne semble nullement inspirée par l’édition anversoise dont elle ne reprend nullement la Centurie VII, s’en tenant aux quatrains de l’almanach pour 1561 comme toutes les éditions parisiennes de l’époque. Ajoutons qu’il y a une iconographie spécifique à la Centurie VI : dans au moins deux éditions on trouve à la suite du quatrain 71 des vignettes différentes (Pierre Ménier, 1589, et aussi une édition conservée à la Bibl. Munic. d’Angers), ce qui permet à la centurie VII de commencer en haut de page. Il est possible qu’initialement, il y ait eu à cet endroit le début de la Centurie VII, première mouture, ce qui permettait de garder la mise en page de la fin de la VI.

Edition Pierre Ménier (S. d.)

Frontispice de l’édition Pierre Ménier (S. d.)

Quatrain (VII.71), Edition Pierre Ménier (S. d.)

Fin de la centurie VI et début de la centurie VII
de l’édition Pierre Ménier (S. d.)

    Pourquoi, en effet, les éditions 1588 - 1589 auraient-elles une centurie VI à 71 quatrains seulement, comme c’est le cas ? Il nous semble qu’elles ne font que maintenir l’état antérieur des éditions centuriques tel qu’il devait exister alors. L’idée d’une addition à la “dernière centurie” pourrait laisser entendre que cette dernière centurie n’était pas d’entrée de jeu “complète”. Que l’on ait fini par appeler la dite addition “centurie septiesme” a du correspondre à la volonté de parachever un ensemble de dix centuries.

   Résumons ainsi notre raisonnement :

- Existence d’une centurie VI à 71 quatrains suivie d’une addition A à 39 quatrains.
- Maintien de la centurie VI à 71 quatrains, changement du contenu de l’addition B, à 12 quatrains repris de l’almanach pour 1561 (Centurie VII).
- Intégration de l’addition A au sein de la centurie VI, désormais à 100 quatrains.
- Suppression de l’addition B et remplacement par une addition C à 35 puis à 40 quatrains.

   Mais, il est fort possible que certains processus soient parallèles et non successifs et il serait préférable de recourir à des embranchements :

   Première branche :

- Existence d’une centurie VI à 71 quatrains suivie d’une addition A à 39 quatrains.
- Intégration de l’addition A au sein de la centurie VI.
- Remplacement de l’addition A par une addition C à 35 puis 40 quatrains.
- Maintien de cette structure au sein du canon centurique.

   Seconde branche :

- Existence d’une centurie VI à 71 quatrains suivie d’une addition A à 39 quatrains.
- Maintien de la centurie VI à 71 quatrains et remplacement de l’addition A par une addition B à 12 quatrains.
- Maintien de l’addition B réduite à 4 de ses quatrains en tant qu’annexe de la Centurie canonique VII et accessoirement au sein des Présages, en raison de l’origine des dits quatrains issus de l’almanach pour 1561, sur la base du Janus Gallicus.

   Il y a là deux processus qui cohabitent mais qui ne débouchent pas l’un sur l’autre mais finissent par se jouxter et cohabiter.

   Une inconnue pèse sur notre étude, elle concerne le contenu exact de l’édition non conservée supposée parue chez Barbe Regnault, en 1560 : appartient-elle à la branche I ou à la branche II ou si l’on préfère, quel est le contenu de sa Centurie VII ? On peut, certes, avec R. Benazra14 supposer qu’elle est identique aux éditions parisiennes de 1588 - 1589, ce qui la rattacherait à la seconde branche, selon notre formulation, avec les quatrains de l’almanach pour 1561 pour tout potage. Mais pourquoi, dans ce cas, annoncer, au titre, 39 articles à la dernière Centurie quand il n’y a que 12 quatrains ? On peut tout aussi bien supposer que cet intitulé a été emprunté par la seconde branche à la première et que le dit intitulé soit commun aux deux, avec des contenus différents. Pour notre part et jusqu’à nouvel ordre, nous pensons que l’édition Barbe Regnault, dont on ne doit pas oublier qu’il s’agit d’un faux antidaté pour 1560, comportait 39 quatrains et non 12. Visiblement, on aura voulu éliminer, sur la seconde branche, les quatrains en question, jugés indésirables et les remplacer par ceux de l’almanach pour 1561, soit avec les quatrains de l’époque où la dite édition Barbe Regnault était supposée être parue, tout en voulant donner le change, de là le maintien du titre.

   Ainsi, l’on peut dire que les quatrains de la VII n’ont pas été remplacés par simple caprice mais bien parce qu’ils gênaient certains et vraisemblablement les gens de la Ligue puisque ce sont eux qui les ont évacués. En revanche, l’édition anversoise semble avoir maintenu les dits quatrains, peut-être au prix de quelques retouches; on ne peut que faire des hypothèses puisque l’on ne dispose pas d’une édition non suspecte des Centuries avec la Centurie VII sous sa forme première. Cette édition anversoise, non seulement, aurait maintenu la Centurie VII peu ou prou selon la première mouture mais aurait en outre “enrichi” celle-ci par une nouvelle addition de quatrains, constituant la Centurie VII canonique. Le problème qui se pose est le suivant : pourquoi la politique éditoriale parisienne différa-t-elle, à ce point, à la fin des années 1580 à Paris et à Anvers, fief espagnol et catholique, donc soutenant la Ligue ? Mais que dire du quatrain VI.83, qui apparaît précisément traiter des affaires belges ?

Celuy qu’aura tant d’honneurs & caresses
A son entrée de la Gaule Belgique
Un temps après sera tant de rudesses
Et sera contre à la fleur tant bellique

   Le quatrain 85 de la VIe centurie comporte un verset qui semble se référer au pape Urbain VII, dont le règne bien éphémère se situe précisément en 1590, année de parution de l’édition anversoise : “le jour du sacre Urban“, lequel pape ne régna que 13 jours. L’édition anversoise serait de toute façon postérieure à son décès survenu le 27 septembre 1590, ce qui apporterait la preuve que la fin de la Centurie VI aurait été, ne serai-ce que ponctuellement, retouchée. En tout état de cause, la présence de la référence à Urbain VII dans des éditions datées de 1557 ou 1568 semble bien confirmer leur caractère de contrefaçon.

   Au vrai, on ne devrait pas être trop surpris de trouver des centuries incomplètes puisque, en tout état de cause, c’est bien le cas de la centurie VII dans le canon centurique mais aussi celui des Centuries XI et XII, dont un certain nombre de quatrains, assez peu nombreux d’ailleurs, sont commentés dans le Janus Gallicus et reproduits en annexe de nombre d’éditions du XVIIe siècle, sans parler de l’appellation de Centurie XI - sans rapport, au demeurant, avec la centurie XI à laquelle se réfère le Janus Gallicus, notamment à la fin du “Brief Discours sur la vie de Michel de Nostredame” - laquelle appellation s’appliquera, dans certaines des dites éditions, aux 58 sixains. Que par la suite les quatrains de la centurie VII aient été en partie au moins utilisés pour compléter la centurie VI n’a non plus rien d’étonnant et a pu d’ailleurs se produire pour la Centurie IV dont les 53 quatrains furent par la suite “complétés” par 47 autres. D’une certaine façon, le fait qu’une centurie soit incomplète pouvait apparaître comme un signe d’authenticité ou de dévoilement progressif sinon la marque de quatrains devant rester secrets. On sait que les 58 sixains ont pu, au départ, avoir été choisis au sein d’un ensemble plus vaste - Giffré de Rechac parle de 132 sizains (sic) in Eclaircissement, op. cit. p. 73 - en vue de compléter une centurie VII à 42 quatrains.15 On a là affaire à un système de rallonges et d’avenants successifs. On notera en passant que la numérotation des quatrains de la VII dans l’édition 1590 n’est pas la même que celle du canon, lequel comporte des quatrains additionnels, notamment ceux intercalés, au début, entre le IIe et le IIIe de la dite édition 1590, ce qui nécessairement conduit à un décalage d’entrée de jeu ; c’est ainsi que le quatrain 20 de l’édition anversoise correspond au quatrain 25 du canon centurique. Il nous semble qu’il s’agit bien plutôt d’interpolations du fait des éditions ultérieures plutôt que de suppressions du fait de la dite édition St Jaure. En tout état de cause, nous pensons que la Centurie VII n’atteignit les 40 quatrains que dans l’édition dont se sert le Janus Gallicus de 1594 où la numérotation des quatrains de la VII commentés coïncide déjà avec le canon (ex. n° 45 Cent. 7 Quat. 17, p. 64 et n° 279 Cent. 7 Quat. 35, p. 224) Observons que la dite Centurie n’est représentée dans le Janus Gallicus que par ces deux quatrains, c’est dire que ce ne saurait être à partir du Janus Gallicus qu’une édition complète aurait pu être reconstituée. On en revient à un problème déjà débattu lors de précédentes études, à savoir l’identification de l’édition que commente le Janus Gallicus et qui devait comporter les Présages, des quatrains relevant des Centuries XI et XII et une Centurie VII à 40 quatrains, et dont on n’a pas trace sinon au travers du commentaire en question et dont les éditions du XVIIe siècle, notamment celle datée de 1605 dériverait. Il semble qu’il doive s’agir d’une édition parue entre 1590 et 1594, édition d’autant plus importante qu’elle est probablement la matrice des éditions canoniques et qu’elle a suscité un commentaire déterminant pour l’avenir de l’exégèsenostradamique. Cette édition ne comportait pas les Présages car si elle les avait comportés, les éditions du XVIIe siècle n’auraient pas dépendu de ceux commentés par JG comme ce fut le cas, à moins évidemment que cette édition avec Présages ait été rapidement perdue. Le paradoxe est que pour l’année 1561, les éditions des Centuries avec Présages comportèrent également, sans le savoir, les Présages manquants, réunis dans l’annexe à la VIIe Centurie, ce qui permettra notamment à B. Chevignard16 de les comparer avec ceux des almanachs conservés. Il est possible que le Janus Gallicus se soit appuyé sur le Recueil des Présages Prosaïques - étant donné que Jean-Aimé de Chavigny est l’éditeur - au sens anglais du terme - des deux ensembles - soit sous la forme manuscrite que nous connaissons.

   Selon notre thèse, l’addition annoncée de 39 (sic) articles concernerait le parachèvement de la “dernière” Centurie, la sixième. On n’a certes pas conservé d’édition comportant mention explicite de cette addition sinon par le titre qui a été maintenu et qui la signale dans des éditions qui l’ont paradoxalement supprimée. Cette addition de 29 quatrains aurait en revanche été gardée dans l’édition anversoise mais, cette fois sans que cela soit signalé au titre. Cette politique de gommage des marques additionnelles est typique, puisque l’édition anversoise ne signale pas davantage l’addition à la IVe Centurie, pas plus que l’édition 1557 ne le fait pour les additions à la IV et à la VIe centuries.

   Ainsi, selon nous, les éditions 1588 - 1589 auraient supprimé l’addition à la VIe Centurie de 29 quatrains et l’auraient remplacé par une addition de 12 quatrains issus de l’almanach pour 1561, ce qui justifiait la mention au titre de l’année 1561 mais sans signaler expressément que la dite addition était reprise du dit almanach. Il y aurait donc bien eu tentative de substituer à l’addition de 29 quatrains à la VI une série de 12 quatrains, sous le nom de VIIe Centurie qui était peut être déjà le terme utilisé pour désigner la dite addition de 29 quatrains. L’édition anversoise aurait donc usé d’un subterfuge : elle aurait intégré la première version de la VII constituée par les 29 quatrains de la VI au sein de la Centurie VI, ce qui dégageait un espace pour une nouvelle série de quatrains constituant une nouvelle Centurie VII, celle qui allait s’imposer canoniquement, tout en maintenant, par la suite, en annexes, la version de la VII telle que figurant dans les éditions parisiennes. Au bout du compte, dans les éditions du XVIIe siècle, les trois versions de la Centurie VII allaient cohabiter et se suivre :

   Version n° 1 de la VII à 29 quatrains placée à la fin de la Centurie VI et se présentant comme partie de la VI.

   Version n° 3 de la VII à 35 - 40 - 42 quatrains, figurant sous le titre de Centurie VII (ex. Anvers 1590).

   Version n° 2 de la VII à 4 quatrains figurant en annexe de la version n° 3 (ex. édition datée de 1605) et issue de la Centurie VII des éditions parisiennes de 1588 - 1589 à 12 quatrains.

   Quid de l’édition à la miliade à dix centuries signalée par Du Verdier dans sa Bibliothèque de 1584 ? Nous pensons qu’elle comportait les Centuries I à VII, la VI n’ayant que 71 quatrains et la VII à 29 quatrains qui deviendrait ultérieurement la fin de la VIe canonique avec de nouveaux quatrains pour la VII, puis les Centuries VIII à X. A moins que la Centurie VII n’ait effectivement eu ses 39 quatrains ou articles et que l’on n’en ait gardé que 29 pour clôturer la Centurie VI. Dix quatrains auraient alors été supprimés de la version n° 1 de la VII à moins que ceux-ci n’aient constitué le noyau de départ de la version n° 3 de la VII, auxquels on aurait ajouté 25 quatrains dans l’édition anversoise pour parvenir par la suite à un total de 40 puis 42 quatrains. Ce qui nous fait penser que l’édition anversoise de la VIIe Centurie fait référence tient au fait qu’elle renvoie à la fin, c’est-à-dire à la suite du quatrain 35 à une édition de 1555 et que ce renvoi ne figure plus dans les autres éditions. On voit mal comment un tel renvoi érudit aurait pu être ajouté à des éditions ne le comportant pas; il est bien plus probable que l’on ait par la suite jugé bon de supprimer une telle information.

   Pour en revenir à l’édition Barbe Regnault supposée parue en 1560 - 1561, de quand daterait-elle réellement ? Il semble bien que ce faux, que l’on ne localise plus à l’heure actuelle dans une bibliothèque mais signalé par Brunet, ait été fabriqué parallèlement aux éditions parisiennes de la Ligue qui en font mention en leur titre. Elle devait être identique en son contenu à ces éditions avec 71 quatrains à la VI, et 12 quatrains à la VII, tirés de l’almanach pour 1561. Son existence est incompatible, au demeurant, avec la contrefaçon Antoine du Rosne 1557 laquelle est très proche de l’édition anversoise mais comporte 40 et 42 quatrains - selon que l’on disposé de l’exemplaire de la Bibliothèque de Budapest ou de celui de celle d’Utrecht. Chacune de ces versions 1560 et 1557 comporte une autre expression de la Centurie VII. Rappelons que la Centurie VII, au XVIIe siècle connaîtra des additions, les unes comportant l’anagramme relatif à Mazarin, les autres comportant notamment un quatrain (43) aux deux licornes et un autre (44) se référant aux Bourbons (un bour sera fort bon) ; comme dans l’édition Lyon Claude de La Rivière, 1651, conservée à la British Library (cote 475 k 20).

Edition lyonnaise Claude La Rivière

Frontispice de l’édition lyonnaise Claude La Rivière

Quatrains (VII.43 & 44)

Quatrains (VII.43 & 44)
de l’édition lyonnaise Claude La Rivière

    Nous pensons ainsi avoir montré que la centurie VII telle qu’elle figure dans le canon centurique est extrêmement tardive, qu’elle est l’élément additionnel ultime du moins pour les dix premières Centuries. Cette centurie VII a occupé l’espace laissé vacant par le rattachement de 29 quatrains de la première Centurie VII à la Centurie VI. Même si on admet que cette Centurie a pu conserver une dizaine de quatrains laissés pour compte de la première Centurie VII, elle comporte une trentaine de quatrains qui ne sont certainement pas antérieurs à la fin des années 1580 et par conséquent toute édition des Centuries comportant la Centurie VII sous sa forme canonique ne saurait être datée d’une décennie antérieure aux dites années 1580.

   Terminons sur la question du quatrain 100 de la Centurie VI dont il est généralement convenu qu’il désigne la ville d’Orange, d’où le jeu de mots sur “aure”. Cette ville fut marquée dans son histoire par le protestantisme et Orange fut liée à la Hollande (famille des Orange-Nassau, qui est celle des souverains des Pays Bas).

   On lit dans le Janus Gallicus le commentaire suivant (n° 113) :

   Juin 1562 : “Sac & prise d’Aurange sur les Protestants par le Comte de Sommerive le 6 de juin. Il (Nostradamus) appelle Aurange poétiquement fille de l’Aure, pour ce qu’estant le lieu élevé sur le clin d’une montagne il est ordinairement agité des aures & vents. Et l’appelle asyle de l’Huguenot pour ce qu’icelle ville a retiré longtemps les fugitifs du pays. Ils nomment tel amphithéâtre le Cyr ayant de front un des beaux pans de muraille antique qui se puisse voir”. Dans le Nostradamus glosé, Giffré de Rechac intitule son commentaire “Saccagement de la ville d’Orange par le Comte de Sommerive - 1562- 6 May.”

   De quand date un tel quatrain (VI.100) et pourquoi fut-il supprimé de plusieurs éditions des Centuries ? Cette suppression, on l’a dit, semble avoir été au goût des Protestants plutôt que des Catholiques, vue la façon dont les Huguenots y sont désigné comme “asyle du mal sain”. Le fait que le quatrain annonce la chute prochaine de la ville nous conduit à penser qu’il est postérieur à 1562, date à laquelle la ville tomba et ne put plus servir de refuge aux Protestants. On peut aussi se demander si une telle prévision, aussi transparente - le Janus Gallicus ne signale pas le jeu de mots facile sur Aure et Orange (Aurange) mais Giffré de Rechac oui - ne parut pas trop belle pour être honnête.

   Si l’on reprend notre thèse, ce quatrain se trouvait initialement à la fin de la première Centurie VII et clôturait donc le premier volet de Centuries, probablement suivie de l’avertissement en latin (Legis cautio) Par la suite, cette Centurie étant intégrée au sein de la Centurie VI et perdant donc son statut de Centurie VII allait perdre sa position finale, rappelée précisément par la présence du dit avertissement initialement conclusif et que par inadvertance on ne reporta pas à la fin de la nouvelle Centurie VII. La suppression du quatrain 100 de la VI est probablement intervenue après son assimilation à la VI car si la dite suppression avait eu lieu plus tôt, on aurait eu une centurie VI à 100 quatrains, tant qu’à faire. Certaines éditions des Centuries ont conservé ce quatrain “Orange”, d’autres non comme c’est le cas des éditions Antoine du Rosne, 1557 qui ne le comportent pas, s’arrêtant donc bizarrement au quatrain 99 pour la VI, à l’instar de l’édition anversoise de 1590. Il nous semble que les éditions sans le quatrain en question sont favorables aux Protestants (notamment celle de Pierre Chevillot et à sa suite l’édition Benoist Rigaud, 1568 et Pierre Rigaud, 1566) et que celles qui le maintinrent sont d’obédience catholique (comme celle de Pierre Du Ruau) mais par la suite, la signification du dit quatrain, perdu dans la masse, n’était plus manifeste et les éditions hollandaises des années 1660 le comportent. Le Janus Gallicus, en 1594, a maintenu ce quatrain, comme l’a fait le dominicain Giffré de Rechac, mais il est assez patent à la lecture de cette somme exégétique - s’arrêtant en 1589 à la mort d’Henri III - qu’elle est marquée par un anti-protestantisme assez véhément, guère compensé par une Epître finale tardive à la louange d’Henri IV.

   On soulignera le fait que sous l’appellation de Centurie VII des textes divers se sont succédé tout comme sous celle de tel ou tel quatrain, sans oublier la question des variantes autour d’un même quatrain. Il conviendrait donc de découpler le signifiant numérique - telle centurie, tel quatrain - des mots qui lui sont associés.

Jacques Halbronn
Paris, le 6 janvier 2004

Notes

1 Dont une copie se trouve à la Bibliotheca Astrologica. Retour

2 Cf. Benazra, RCN, p.p. 231 et seq et Chomarat, Bibliographie Nostradamus, Baden-Baden, 1989, p. 130. Retour

3 Cf. les restes de cet almanach à la Réserve de la Bibliothèque Sainte Geneviève, reproduits dans le recueil de R. Amadou. Retour

4 Cf. Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, 1999, p. 149. Retour

5 Reproduite en fac simile dans l’édition Bélisane, Nice 1982, pp. XI et seq. Retour

6 Cf. JG n°s 244 et 249 “sur May 1559” et 243 “sur Janvier 1562”. Retour

7 Cf. Ed. JCL, Québec, 1989. Retour

8 Cf. The True Prophecies or Prognostications of Michael Nostradamus etc, Londres, 1672, p. 297, BNF, Bibliotheca Astrologica. Retour

9 Cf. RCN, p. 43. Retour

10 Cf. RCN, pp. 51 et seq. Retour

11 Cf. l’édition d’une partie du dit recueil conservée sous forme manuscrite par B. Chevignard, Présages de Nostradamus, op. cit. Retour

12 Cf. RCN, p. 119. Retour

13 Cf. RCN, p. 157. Retour

14 Cf. RCN, p. 52. Retour

15 Cf. nos Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, diffusion Priceminister, sur le Net. Retour

16 Cf. Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, 1999. Retour



 

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