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ANALYSE

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Signification du nombre de quatrains
des trois centuries “incomplètes” (IV, VI, VII)

par Jacques Halbronn

    Patrice Guinard, dans son étude consacrée au Testament de Nostradamus1 a cherché à montrer que les centuries incomplètes respectaient une certaine exigence numérique, notamment la centurie IV et la centurie VII. Dans cet ordre d’idée, nous proposerons notre propre grille numérique, sans attribuer d’ailleurs celle-ci à Michel de Nostredame lequel, à notre sens, est parfaitement étranger au processus centurique. Encore faut-il préciser que l’on doit impérativement distinguer un premier lot de centuries parues autour de 1568 et qui s’inscrivait dans une perspective posthume, à savoir la publication prétendue de papiers laissés par Michel de Nostredame. Au vrai, si les quatrains ainsi présentés sont aussi authentiques que les épîtres qui les introduisent et qui sont, elles, à coup sûr des contrefaçons, on peut raisonnablement douter de l’authenticité des dits quatrains. Mais, cela étant, il y avait là un projet qui s’inscrit dans une certaine logique qu’il convient de respecter et de restituer. Ce n’est pas le cas pour les centuries additionnelles qui, selon nous, ont fort bien pu, lors de leur rédaction initiale ne même pas s’inscrire dans la mouvance nostradamienne. Plaide en ce sens, leur composition atypique que l’on a cherché par la suite à dissimuler en en faisant des centuries au plein sens du terme, c’est à dire comprenant une centaine d’articles (quatrains ou sixains). On verra qu’il y a des indices pour nous faire penser que ces quatre centuries, hormis quelques articles de la IVe, furent mis en place au début des années Soixante-dix pour n’être intégrées qu’une dizaine d’années plus tard au sein d’une première édition à dix centuries de quatrains (cf. infra). Rappelons qu’un tel phénomène eut lieu au XVIIe siècle avec les sixains lesquels ne s’inscrivirent pas immédiatement dans le corpus, sinon on aurait eu droit des quatrains.2 De la même façon, il nous semble assez évident que l’on ne se serait pas embarrassé à produire une série de centuries incomplètes jurant avec les Centuries déjà en place s’il y avait eu intention de les adjoindre aux précédentes en un seul et même ensemble. Certes, on nous fera remarquer que le style de ces centuries ainsi rapportées est semblable à celui des centuries de départ mais chacun sait à quel point un tel argument fondé sur le style, la thématique, les sources, l’ancienneté du papier ou des caractères est dérisoire dans l’état actuel de la recherche nostradamologique, étant donné les facultés et les motivations imitatives de générations de faussaires de tout poil.

   Trois nombres retiendront notre attention3 :

Les 53 quatrains de la centurie IV.
Les 71 quatrains de la centurie VI.
Les 35 quatrains de la centurie VII.

   Revenons sur ces trois nombres avant de montrer ce qui les relie au sein d’une même structure numérique.

Le nombre 53

   Il s’agit donc comme chacun sait des 53 quatrains venant s’ajouter aux trois premières centuries, lesquelles ont du paraître sans cette addition dans un premier temps (correspondant à I-III), faisant pendant à un autre lot de 3 centuries (VIII-X).

   La structure numérique dont il va être question, aurait, selon nous, pu se mettre en place dans la phase suivante de formation du corpus centurique, sur la base de trois centuries volontairement, mais provisoirement, incomplètes : la IVe, la VIe et la VIIe, au cours d’une période relativement brève, si l’on s’appuie sur les éditions de Rouen, de Paris et d’Anvers, soit entre 1588 et 1590. Mais on peut raisonnablement admettre qu’un tel dispositif à dix centuries existait déjà en 1585, au témoignage d’Antoine du Verdier.

   On a cependant des indices de ce que Crespin connaissait des quatrains qui figureront dans la centurie IV (quatrains utilisés successivement 36, 6, 17, 11, 18, 21, 28, 34, 3, 1, 104, ce qui nous conduit à penser qu’il y avait eu une première addition de 39 quatrains à la IVe centurie avant de passer à une centurie IV à 53 quatrains. On notera d’ailleurs que les quatrains utilisés par Crespin ne dépassant pas le 36e. Il s’agirait d’une addition encore évoquée en 1588 :

   Les Prophéties de M. Michel Nostradamus (...) Revues & additionnées par l’Autheur pour l’an mil cinq cens soixante & un de trente-neuf articles à la dernière centurie.5

   Par “dernière centurie” il faudrait donc entendre ici la IIIe centurie et non point on le propose généralement la VIe. L’incongru, c’est que cette édition à 3 centuries augmentées de 39 quatrains, bien entendu antérieure à une édition à 3 centuries et à 53 quatrains, du type Macé Bonhomme devrait en principe être antérieure à l’édition Antoine du Rosne à sept centuries. Mais tout s’explique quand on admet que cette addition de 39 articles à la IV a été réalisée peu après 1568, en tout cas avant 1572, quand sont parus les deux volets de 3 centuries alors que les éditions 1557 sont parues sous la Ligue. Mais pourquoi, dans ce cas, rappelle-t-on dans les éditions parisiennes de 1588 cette addition de 39 articles ? C’est que ces éditions de 1557 n’ont pas été réalisées à partir des éditions parisiennes mais à partir d’éditions rouennaise ou anversoise (cf. infra) lesquelles ignoraient tout apparemment de l’affaire de l’addition pour 1561 à la IIIe centurie. Nous avons déjà souligné le manque de concertation entre les libraires et il n’est d’ailleurs que de comparer productions parisiennes et productions rouennaises pour se rendre compte qu’elles différent sensiblement, notamment à la VI et à la VIIe centurie, pour ne pas parler de l’existence de quelques quatrains constituant une VIIIe centurie dans les éditions parisiennes, et ce sans aucun rapport avec la VIIIe centurie du second volet. Il n’empêche que c’est grâce aux éditions parisiennes que le nombre 71 a pu être mis en évidence comme une division de la VI sur le même modèle que la division de la IV. Est-ce à dire que dès 1570 environ, la fiction d’une parution des Centuries du vivant de Nostradamus s’était répandue ? Nous pensons bien plutôt que l’on restait dans le scénario des publications posthumes réalisées à partir de travaux correspondant aux épîtres datées de 1555 et 1558, la troisième étape étant 1561, selon une progression de raison 3 : 55 - 58 - 61. Par la suite, des fausses éditions paraîtront se présentant comme parues réellement en 1555 (I-IV Macé Bonhomme), 1557 (I-VII Antoine du Rosne), 1558 (VIII-X)6, et 1561 (I-III + quatrains de la IV Barbe Regnault), le problème étant que l’édition Macé Bonhomme 1555 comporte déjà 53 quatrains à la IV et que l’édition Antoine du Rosne comporte déjà 40 (Budapest) ou 42 quatrains (Utrecht), selon les versions, à la VII, alors qu’elles sont censées précéder l’édition de 1560-1561 !

   En 1570, si l’on s’en tient à la formule d’une addition “à la dernière centurie”, il faudrait d’ailleurs supposer que le premier volet comportait ce qu’on appellera par la suite les centuries VIII-X et le second volet les centuries I-III dans la mesure où ce n’est qu’à la suite de la IIIe centurie que l’on a placé de nouveaux éléments et non à la suite de la Xe centurie. La “dernière” centurie - selon la formule utilisée dans les éditions parisiennes de la Ligue - devait donc avoir été, à l’époque, ce qu’on appellera par la suite la IIIe. Le premier volet devait être annoncé par une Epître à Henri II, sensiblement différente de celle “à la miliade”, on le conçoit aisément.7 Il semble logique que l’ensemble ait été introduit par une épître au Roi, à tout seigneur, tout honneur et d’ailleurs l’édition d’Amsterdam 1668 ne comporte en tête de l’ensemble centurique que la dite épître. Une telle présentation permettrait de renoncer à la thèse de centuries qui se seraient intercalées ; en réalité, elles se seraient ajouté au second volet. Ce n’est que lorsque le second volet deviendra le premier du fait de l’évacuation du premier et que lorsque le premier volet réapparaîtra en tant que second que l’on aboutira à une telle anomalie d’une impression d’addition par le milieu et non par la fin. Sous la Ligue, l’épître au Roi ayant été évacuée, ce fut la Préface à César qui se retrouva en tête d’un ensemble centurique réduit à sept centuries.

   Si on laisse de côté des éditions visiblement antidatées à 1555, 1557, 1558, 1561 et 1568, on ne peut s’appuyer que sur les éditions susmentionnées de la fin des années 1580.

   Les éditions rouennaises nous intéresseront au premier chef en ce qu’on y trouve le seul exemplaire d’une édition à quatre centuries et qui plus est portant cette mention en son titre, en 1588 :

   Les grandes et merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus divisées en quatre Centuries.8

   Comme le signale R. Benazra, dans son étude sur le complot face à la critique (Espace Nostradamus), le dernier quatrain de la IVe et dernière centurie de la dite édition rouennaise à 4 centuries est numéroté 53, bien qu’y manquent certains quatrains, dont le 46e auquel nous avons consacré en son temps quelque attention. L’absence de ce quatrain menaçant pour le camp réformé, du fait de la référence à Tours, pourrait laisser entendre que cette édition n’émanait pas de la Ligue. Il n’est pas pour autant nécessaire de considérer que le quatrain fut ajouté par la suite et qu’il visait nécessairement dès le départ les Réformés mais il fut probablement interprété en ce sens, ce qui était l’essentiel et donc jugé indésirable à un moment donné. En tout état de cause, cette centurie à 53 quatrains devait avoir comporté l’intégralité de ses 53 quatrains dans l’édition à 10 centuries, étant entendu que l’existence de dix centuries n’impliquait pas pour autant que toutes fussent complètes.

   Toujours est-il que cette centurie IV fut complétée par une addition en bonne et due forme et cette fois on y trouvait bien tous les quatrains, ce qui pourrait impliquer un revirement politique en faveur de la Ligue, à la suite de la mort d’Henri III, en 1589, ce qui faisait d’Henri de Navarre le nouveau roi de France.

   En 1589, parut donc toujours à Rouen une édition qu’on ne connaît que par un exemplaire (collection Ruzo) dont manquent les dernières pages :

   Les Grandes et merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus dont il en y a trois cens qui n’ont encores jamais esté imprimées

   On sait en tout cas que la centurie VI était probablement à 100 quatrains ou à 99 quatrains, si l’on en croit les moutures suivantes. Là encore, on notera que le quatrain 100 de la VI qui disparaît dans nombre d’éditions, y compris dans les éditions d’Anvers et de Cahors, toutes deux datées de 1590, fait référence à un événement déplaisant pour les Protestants, visant cette fois une autre ville importante pour eux, à savoir Orange. On ajoutera que les lieux d’édition indiqués ne sont pas nécessairement authentiques. On ne voit pas en effet pourquoi à Anvers, ville contrôlée par les Espagnols, on aurait eu des scrupules à publier le dit quatrain 100.

   On peut raisonnablement penser que cette édition rouennaise de 1589 correspond à l’édition Antoine du Rosne 1557 qui en serait la copie antidatée. En effet, on trouve dans la dite édition 1557 (Bib Budapest) la même maladresse au titre : “dont il en y a au lieu de dont il y en a.”

   Il nous faut prendre en considération les éditions parisiennes pour saisir la genèse de la centurie VI, laquelle s’aligne sur celle de la centurie IV, à savoir que les choses se firent en deux temps : les dites éditions parisiennes ne comportent à la VIe centurie que 71 quatrains et semblent donc correspondre à un état antérieur à celui de l’édition rouennaise de 1589.

   Ce nombre 71, selon nous, a toute son importance dans le système additionnel en cours. Comme pour le nombre 54, il va être recouvert par la suite. Il est attesté par toutes les éditions parisiennes datées de 1588 et 1589.

   Un troisième nombre est à considérer, qui figure dans l’édition d’Anvers mais peut-être déjà dans celle de Rouen, dont on ignore ce qui constituait sa VIIe centurie. Il est probable selon nous que l’on y trouvait 35 quatrains comme dans celle d’Anvers. Mais il est possible que le nombre ait pu être de 40, à la VII, comme dans l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest. Cette fois, contrairement à l’édition rouennaise à 4 centuries, le dernier quatrain n’est pas numéroté 40. Le nombre de 40 quatrains ne serait alors qu’une addition - non pertinente structurellement - aux 35 quatrains initiaux de la centurie VII, tout comme on connaît une édition parisienne comportant quelques quatrains supplémentaires rajoutés après le quatrain 71.

   En ce qui concerne la genèse de la centurie VII, nous pensons qu’un scénario probable aurait consisté à ce que le contenu de cette centurie ait basculé vers la VIe centurie de façon à parvenir à 100 quatrains.9 Toujours est-il que dans les éditions parisiennes, cette centurie ne consiste qu’en quatrains issus de l’almanach pour 1561, la centurie VI étant à 71 quatrains.

   Mais, sur la base de la grille que nous mettons ici en évidence, il semble bien que la centurie VII ait du comporter à l’origine 35 quatrains, à l’image de l’édition d’Anvers qui, selon nous, fait référence, en l’absence de données concernant l’édition de Rouen 1589.

   Abordons donc la série des trois nombres 53, 71 et 35. On notera que chacun de ces nombres totalise 8 : 5+ 3, 7 + 1, 3+ 5, et qu’en outre 53 est l’inverse de 35. En plus, ces trois nombres se suivent avec un écart de 18, nombre qui donne le chiffre 9 comme total : 35 et 18 font 53 et 53 et 18 font 71. Est-ce là le fait du hasard ?

   Ajoutons que la série complète dont ces trois nombres sont issus est la suivante :

      17- 35 - 53 - 71 - 89 - 107
avec le nombre 17 au départ qui lui aussi totalise 8 et qui est l’inverse de 71.

   Au de là, on passe à un total de 9 :

      135 - 153 - 171 - 189 - 207.

   Puis encore au de là à un total de 10 c’est à dire de 1 :

      235 - 253 - 271 - 289 - 307

   Puis plus loin encore de 11, c’est à dire de 2 et ainsi de suite :

      335 - 353 - 371 - 389 - 407

   Un tel dispositif s’apparente aux carrés magiques. La série en question n’est pas ordinaire. C’est ainsi que si l’on considère les six premiers nombres, on trouve un circuit de permutations qu’on ne trouve pas fréquemment dans d’autres séries : 35 et 53 , 17 et 71 voire 1(0)7.

   Nous avons par ailleurs pu observer les combinatoires suivantes :

53 + 35 = 88 (soit 89 - 1)
35 + 17 = 52 (soit 53 - 1)
71 + 35 = 106 (soit 107 - 1)
53 + 17 = 70 (soit 71 - 1)

   Si notre clef est la bonne - et si tant est qu’il y ait une clef - on pourrait considérer que sur cette base là que le dispositif des centuries additionnelles ou médianes a été conçu pour ensuite se corrompre. Le problème de P. Guinard, c’est qu’il ait tenté d’une part de justifier un nombre de quatrains qui n’était pas le bon et d’autre part qu’il ait cherché comme base de travail le testament de Nostradamus. Autrement dit, le présent travail n’a été rendu possible que par une mise à jour du profil des centuries VI et VII. Une fois dégagé le bon profil pour VI et VII, le rapprochement avec le nombre propre à la centurie IV conduisait à faire ressortir la série 35-53-71. Le blocage qui empêcha si longtemps une telle émergence fut notamment du à la volonté chez nombre de nostradamologues de ne pas prendre au sérieux le nombre 35 qui ne nous a été conservé que dans l’édition anversoise (Bibl. Arsenal, Paris, et Harry Price Library, à l’Université de Londres) ni le nombre 71 pourtant récurrent dans toutes les éditions parisiennes de la Ligue datées de 1588 et 1589. Dès lors que l’on se privait de ces deux nombres, sans percevoir leur consonance avec les 53 quatrains de la IV, rien ne pouvait se faire de sérieux, notamment sur la base d’une centurie VII à 40 quatrains, dont P. Guinard, note qu’elle introduit un rapport 13 avec la centurie IV à 53 quatrains (53 - 40). Par ailleurs, il ne s’agit nullement de présenter un Nostradamus annonçant le profil des éditions des Centuries qui allaient se succéder mais bien d’un programme d’un seul tenant et se mettant en place en une seule fois. Or, la polarisation sur la seule édition Macé Bonhomme à 53 quatrains, perçue comme un état premier des Centuries ne permettait d’aborder correctement la question. En outre, l’absence dans les éditions Antoine du Rosne 1557 d’aucune marque de centurie incomplète à la VIe centurie ne pouvait faire apparaître le troisième terme de la série, à savoir 71. C’est dire l’importance cruciale des éditions 1588 - 1590 pour l’étude de la structure numérique des Centuries.

   En définitive, nos observations viennent heureusement confirmer notre thèse principale concernant la genèse des centuries10, à savoir dans un premier temps, deux volets de 3 centuries pleines, puis dans un deuxième temps, un dispositif dont on vient, pensons-nous, de préciser la structure, à savoir :

   Une centurie IV à 39 quatrains passant ensuite à 53 quatrains, ensuite complétée (à 100) On ne saurait envisager la parution isolée d’une centurie à 53 quatrains à la IV en dehors du schéma plus global incluant les centuries suivantes, le tout constituant un système sous -tendu par la progression arithmétique que nous avons mise en évidence. Autrement dit, une édition à 53 quatrains à la IV ne saurait être antérieure au début des années 1580.

   Une centurie V à 100 quatrains, au lie des 17 quatrains prévus logiquement dans le système :

IV / 53 quatrains
V / 100 quatrains
VI / 71 quatrains
VII / 35 quatrains

   On n’a pas trace d’une centurie V à 17 quatrains à la différence des nombres propres aux trois autres centuries, IV, VI et VII. Pourquoi donc une centurie complète au milieu d’un ensemble de trois centuries incomplètes ? Nous pensons qu’une centurie pleine ne compte pas et que seules les centuries incomplètes sont numériquement porteuses d’information. Or si l’on prend les premiers chiffres de chacun de ces nombres, constitués exclusivement de chiffres impairs, on obtient : dans l’ordre 573 - 5 pour 53 (IV), 7 pour 71 (VI) et 3 pour 35 (VII), qu’il nous semble pouvoir lire 1573 comme cela est attesté à maintes reprises dans le corpus centurique mais dans ce cas, le contenu même des quatrains importerait moins que leur nombre et on aurait bien affaire à ce que nous avons appelé du remplissage, il fallait faire “du” quatrain à la chaîne, en tout plus de 250 quatrains supplémentaires. On a affaire à un chronogramme, ce qui se présente fréquemment sous forme versifiée.11 Le procédé utilisé n’est pas sans évoquer le principe de l’abaque, du boulier, chaque centurie étant divisé entre quatrains actifs, ceux qui figurent, et passifs, ceux qui ne figurent pas.12 Dans nombre de cas, les chiffres romains au sein d’une phrase constituent une date. Quant au recours aux acrostiches, un des plus connu est celui du nom des notes de musique obtenu à partir de la première syllabe des versets d’un poème latin.

   Cela dit, le contenu de certains quatrains n’était certainement pas indifférent et relevait d’une attente d’un destin impérial pour le duc d’Anjou. Mais qui aurait pu, même à la fin des années 1570 prévoir que le précédent roi de Pologne, Sigismond II Auguste Jagellon, disparaîtrait en 1572 à 52 ans ? Il faut donc bien que la mise en place de ce cryptogramme ait fait de peu suite à sa mort, tout comme certaines prophéties des papes sont directement liées à une nouvelle élection.

   Signalons ce texte de Crespin, dans la Prognostication générale pour l’année 1575, Rouen, jouxte la copie imprimée à Lyon par Jean Huguetan (Bibl. Mazarine), texte littéralement truffé d’éléments centuriques à l’instar des Prophéties dédiées à la Puissance Divine de 1572, qui montre que le prophétisme nostradamique s’était bel et bien focalisé sur Henri III, au début de son règne. C’est une Epître “Au Roy de France et de Pologne”, envoyée de Venise, “le dernier jour du mois de Juillet 1573 pour l’an 1575 & plus oultre”, Venise où Henri avait séjourné en revenant de Pologne. Cette Prognostication, conservée à la Mazarine, qui n’est signalée ni dans le RCN de R. Benazra, ni dans la Bibliographie Nostradamus de Chomarat & Laroche reprend systématiquement en une longue tirade des dizaines de versets centuriques enfilés à la suite les uns des autres (issus des centuries II.69, X.9, IX.41, III.47, III.68, II.10, I.16, X.86, III.93, X.65) procédant de façon bien plus flagrante encore que dans la compilation de 1572. On notera une fois de plus l’absence des Centuries additionnelles (IV-VII), dont nous avons dit qu’elles n’avaient pas immédiatement été intégrées dans le corpus centurique.

   “Par là nous disons qu’il devoit venir un devant que soit passé l’An 1583 qui se dira Roy sur tous les Rois despuis l’arbre sec iusques au sommet de la terre, lequel Gouvernement, Empire, & Monarchie luy seront envoyez de Dieu celeste auquel nul ne pourra résister (...) Henry troisiesme de ce nom, je te prédis Roy de Pologne & de Gaule & des Romains.” On peut d’ailleurs se demander si le choix du prénom Henri n’a pas été influencé par une certaine propagande politique, rappelons que le duc d’Anjou ne porta pas à la naissance le prénom d’Henri, qui était celui de son père, mais celui d’Alexandre. On trouve en effet l’anagramme de Chiren dans certains quatrains centuriques (IX, 41). Initialement, la formule devait viser Henri II ; au témoignage de Videl (Déclaration), Nostradamus l’employait, mais ce n’était pas dans les Centuries, bien entendu : “Quand tu dis en tes almanachz le grand chyren, pour dire henry etc.”

   Signalons que la forme en trois chiffres au lieu de quatre pour désigner une année est attestée dans le groupe des quatre centuries ajoutées :

      VI,2 : En l’an cinq cens octante plus & moins. On attendra le siecle bien estrange / En l’an sept cens & trois cieux en tesmoings / Que plusieurs regnes un à cinq feront change.

   Où l’on lit 1580 et 1703.

   On trouve également dans les centuries concernées ce qui nous semble être une allusion à la Pologne, pays catholique mais de langue slave :

      V,26 : La gent esclave par un heur martial / Viendra, haut degré tant eslevée / Changeront prince etc.

      V,50 : L’an que les frères du lys seront en aage / L’un d’eux tiendra la grande Romanie etc.

      V,51 : La gent de Dace, d’Angleterre & Polonne / Et de Boesme feront nouvelle ligue / Pour passer outre d’Hercules la colonne etc.

      VI,70 : Au chef du monde le grand Chyren sera.

   L’anagramme d’Henri renvoie ici selon nous à Henri III.

   Dans le Janus Gallicus, l’élection de Pologne est largement commentée aux numéros 267 et 268 (à propos de II, 11 et du présage pour mars 1558, pp. 214 - 216) “C’est le dit Henry III élevé iusqu’au regne des Polonois & Allemans (...) De tel honneur & exaltation avoit parlé notre Auteur vint (vingt) ans auparavant, ayant trouvé ce que s’ensuit dans ses Présages sur 1555 etc.”

   On conviendra que le cryptogramme est des plus simples : tant de quatrains dans une centurie font ressortir un nombre dont on prend le premier chiffre. A partir du moment où les centuries sont d’inégale longueur, on pouvait se douter qu’il y avait message, ce qui n’aurait pu être le cas si elles avaient été toutes égales et le nombre de 4 centuries coïncide avec les éléments constitutifs d’une date. Le drapeau des Etats Unis d’Amérique, sur lequel chaque étoile correspond à un Etat, ou du moins où le nombre d’étoiles équivaut à celui du nombre des Etats de l’Union nous semble constituer une sorte de cryptogramme, ce qui impliquait d’ajouter une étoile chaque fois que l’Union s’augmentait d’un Etat.

   Si l’on étudie les ouvrages consacrés aux carrés magiques, on observe que les 4 nombres : 17; 71, 53 et 35 forment un carré de 7 nombres de côté avec le 17 et le 71 se faisant face comme le 53 et le 35. On notera l’absence du 89 dans les carrés considérés.13

   Notons aussi que 53 + 35 = 17 + 71 = 88, ce qui donne le 16, qui vient rejoindre le 17 et le 18.

   Certes, d’autres nombres auraient tout aussi bien pu faire l’affaire tels 54, 72 et 36 au lieu de 54, 71 et 35. On aurait probablement mieux perçu le rapport 36 à 72 mais en revanche, il n’y a pas de réversibilité entre 54 et 36 comme il en existe un entre 53 et 35. Tout cela importe finalement assez peu, l’important étant que l’on sache décrypter le dispositif. Or, force est de constater que celui-ci ne pouvait guère évoluer du fait que l’on ne peut ajouter tant de quatrains pour changer la date alors qu’il est plus facile de retoucher un quatrain comme on l’a vu à la fin de la Xe centurie.

   On peut bien entendu approfondir l’aspect numérique du dispositif14 : c’est ainsi que l’écart entre IV et V est égal à l’écart entre 71 et 35 soit 36. (89 - 53= 71 - 35). Rappelons l’inversion 53 et 35 pour la première et la quatrième centuries du dispositif additionnel, les quatrains des deux centuries du milieu du dispositif comportent une suite de chiffres 7-8-9-1, le 1 étant le recommencement de la série des 9 chiffres.

   Une centurie VI à 71 quatrains, ensuite complétée en deux temps : 74 puis 100 quatrains, puis 99. Notons que les 3 quatrains ajoutés figureront dans le canon centurique et se trouvent déjà dans les éditions de Rouen (1589) et d’Anvers (1590) en ce qu’ils ont servi à parachever la centurie VI à 100 quatrains, parachèvement qui figure dans les éditions Antoine du Rosne 1557. On a la preuve de ce stade intermédiaire à 74 centuries dans l’édition non datée Pierre Ménier portier de la porte Sainct Victor (Bib. Mazarine, Res 30314 et photocopie 30314 bis) alors que le même libraire parisien avait publié en 1589 une édition des Centuries ne comportant alors que 71 quatrains à la VI. (BNF, Res 1789), ce qui montre que le parachèvement ne se fit pas sur la base de la série initiale 53-100-71-35 mais à partir d’un certain nombre d’additions intervenues notamment à la centurie VI. Quant à la centurie VII, elle fut augmentée de 35 à 40 et 42 quatrains comme en témoignent les éditions Antoine du Rosne et complétée bien plus tard par une série de (58) sixains, à partir de la base 42.

   Une centurie VII à 35 quatrains, ensuite complétée à 40, puis 42 puis probablement une addition de 58 sixains.

   Est-ce que le processus de parachèvement des dites centuries était prévu dans le système d’origine ? Cela n’est nullement certain et il convient donc de considérer le passage vers 10 centuries de 100 quatrains comme une troisième étape, qui est celle de la miliade signalée par une mouture tardive de l’Epître à Henri II, la seule qui nous soit parvenue en dehors de celle figurant en tête des Présages Merveilleux pour 1557, à moins de considérer aussi celle figurant dans l’édition Antoine Bessson.

   Les Centuries incomplètes constitueraient donc un cryptogramme de par leur nombre de quatrains et qui renverrait à 1573. Or, à la fin de la centurie X, existe dans nombre d’éditions du XVIIe siècle un quatrain de ce type, dont on a recensé des variantes successives.15

   Edition datée de 1605 :

Quand le fourchu sera soustenu de deux paux
Avec six demy corps & six sizeaux ouvers
Le très puissant Seigneur héritier des crapaux
Alors subiuguera sous soy tout l’univers.

   (adiousté depuis l’impression de 1568)
C’est l’année 1660 qui est ici indiquée.

   Mais on connaît une version plus ancienne signalée par S. Dupleix et citée dans l’Eclaircissement des véritables quatrains de Michel Nostradamus (1656), renvoyant cette fois à 1593, soit vingt ans seulement après 1573 :

Lors qu’un fourchu appuyé sur deux paux
Et l’arc tendu & neuf ciseaux ouverts
Trois paux suyvis, le grand Roy des crapaux
Ses ennemis mettra ius à l’envers.

   Et qui correspond à l’année où Henri IV abjura la religion réformée.

   R. Benazra signale même une variante qui viserait 157016 :

Quand un fourchu assis dessus deux paux
Suivront cinq cors & sept ciseaux ouverts
Lors on verra le grand Roy des Crapaux
Donter chacun & régir l’univers.

   On rappellera la légende selon laquelle Nostradamus aurait été convoqué au château de Chaumont / Loire et aurait annoncé la durée du règne des fils de Catherine de Médicis par autant de tours effectués sur un cercle, pour chacun.

   Les études nostradamiques peuvent donc découper le corpus nostradamique en trois phases :

      1 - Une phase datant de 1568 à deux volets de 300 quatrains. On n’a pas d’édition appartenant à cette période et dont Crespin a fait une compilation parue en 1572. Lors de cette première phase se présentant comme posthume, si l’on admet que les deux épîtres au Roi et à César aient été présentes l’une et l’autre, alors que diversement datées, cela renforcerait l’idée d’un rassemblement en une seule fois de documents rédigés à divers moments mais restés jusque là inédits. En voulant par la suite étaler au cours de la vie de MDN la parution de ces pièces, on commet, selon nous, un contresens par rapport à la politique éditoriale ayant présidé au lancement du projet centurique à la mort de MDN et pas avant.

      2 - Une phase datant du début des années 1580 avec un troisième volet venant se placer à la suite du premier et constitué de trois centuries incomplètes à 35, 53 et 71 quatrains et d’une centurie complète, la Ve, constituant une septième centurie à 100 quatrains. Soit un ensemble de dix centuries de quatrains avec un ordre différent de celui que nous connaissons dans les éditions des XVIIe et XVIIIe siècles :

      Centurie I à 100 quatrains (précédée de l’Epître
à Henri II) = centurie VIII du canon (avec l’Epître au Roi)
      Centurie II à 100 quatrains = centurie IX
      Centurie III à 100 quatrains = centurie X
      Centurie IV à 100 quatrains (précédée de l’Epître
à César) = centurie I (-avec la Préface au fils)
      Centurie V à 100 quatrains = centurie II
      Centurie VI à 100 quatrains = centurie III
      Centurie VII à 53 quatrains = centurie IV
      Centurie VIII à 100 quatrains = centurie V
      Centurie IX à 71 quatrains = centurie VI
      Centurie X à 35 quatrains = centurie VII

   Les éditions parisiennes et rouennaises nous aident à reconstituer cette étape ainsi que les éditions Macé Bonhomme à 353 quatrains, mais on ne dispose pas de l’édition signalée en 1585 par Du Verdier.

      3 - Une phase de parachèvement - pour employer une expression de l’Epître à Henri II, conduisant à un ensemble de 1000 quatrains et s’étalant de 1589 - 1590 aux années 1610 - 1620. Déjà en 1594, dans le Janus Gallicus, on nous présente le corpus (“Brief Discours sur la vie de Michel de Nostredame”) comme constitué de 9 centuries pleines et d’une centurie incomplète, la VII, à laquelle viennent s’ajouter deux autres centuries XI et XII - lesquelles “ont longtemps tenu prison & tiennent encore pour la malice du temps. Enfin nous leur ouvrirons la porte” - dont on ne connaît quelques quatrains que par le commentaire qui en est donné par la suite. On dispose également des pseudo éditions Antoine du Rosne 1557 pour nous donner une configuration de la dite phase : centurie VI à 100 quatrains et centurie VII à 40 / 42 quatrains, étape précédant l’addition des sixains et la rédaction de la dernière mouture “à la miliade” de l’Epître à Henri II. Par la suite, la centurie VII restera à 42 quatrains, le dernier parachèvement n’ayant pas tenu, comme on le sait et les sixains ayant été placés dans un troisième volet, introduits par une Epître à Henri IV, pour disparaître dans les éditions Benoît et Pierre Rigaud fabriquées au XVIIIe siècle.

   Une question reste posée : pourquoi circula-t-il une édition à quatre centuries ? Il s’agit selon nous d’un artefact. L’édition à “10 centuries de quatrains”, pour reprendre la formule de Du Verdier, comprenait bien l’ensemble du système. Il semble que par la suite, le système se soit décomposé avec l’abandon des trois dernières centuries, complètement absentes à Rouen, Paris et Anvers, le repli sur sept centuries et éventuellement sur quatre centuries. Autrement dit, selon nous, les éditions à 4 centuries seraient de toute façon tronquées par rapport à l’ensemble de dix et de sept centuries. Et c’est de cette époque de la Ligue que datent les éditions Macé Bonhomme 1555.

   La période de la Ligue se caractérise en effet par un processus d’évacuation, d’élagage du corpus des “Dix Centuries de quatrains” alors que par la suite , on basculera, tout au contraire, vers un processus de parachèvement du dit corpus, soit deux mouvements en sens inverse et qui égarèrent tant de nostradamologues. Il serait bon d’ailleurs de tracer une courbe non pas du nombre d’éditions comme l’ont fait M. Chomarat et R. Benazra , avec sa “Courbe de distribution des éditions des Prophéties”17 qui ne fait plus guère référence du fait des éditions antidatées non redatées mais du nombre de quatrains ou de sixains figurant dans les éditions disponibles, année par année. On aurait ainsi une courbe de type sinusoïdale avec à partir de 1568, 600 quatrains, puis vers 1585, 859 quatrains (soit 600 + 53+ 100+ 71 + 35) puis vers 1590, 940 / 942 quatrains puis vers 1620, 1000 quatrains et plus encore dans les éditions comportant les Présages et les additions aux Centuries VII et VIII et les quatrains des Centuries XI et XII. Enfin, au XVIIIe siècle, la courbe va décliner avec l’abandon des sixains, des présages, des additions aux Centuries VII-VIII et des centuries XI-XII et la fausse édition Pierre Rigaud 1566 correspond à cette dépression qui fait repasser le corpus centurique au dessous de la barre des 1000 quatrains ou plus généralement des 1000 “articles” pour employer la formule figurant au titre des éditions parisiennes de la Ligue, à savoir autour de 942 quatrains comme vers 1590. On a donc une courbe avec deux pics (1585 et 1630) suivis de deux dépressions (fin XVIe siècle et XVIIIe siècle).

   Entre le cryptage et la contrefaçon, il y a certainement des points communs dans la mesure où il appartient au chercheur de “casser” le code ou de dénoncer le faux. Le cryptage, qui peut parfois se réduire à un anagramme, apparaît comme une activité plus légitime que la contrefaçon mais dans les deux cas c’est un défi à la perspicacité du lecteur; à sa faculté à effectuer des recoupements. Les deux activités peuvent tout à fait aller de pair : on peut fabriquer un faux quatrain et le crypter, c’est le cas du quatrain comportant, sous la Fronde, à la fin de la VIIe centurie, la forme Nirazam pour Mazarin; dans ce cas, le cryptage peut constituer un gage d’authenticité d’une prophétie qui, si elle était donnée “en clair” serait considérée comme suspecte. Mais dans d’autres cas, notamment avec les sixains, le cryptage a plutôt l’effet inverse de celui qui était désiré - on pense à Robin pour Biron, décapité en 1602, au sixième sixain “Quand de Robin la traîtreuse entreprise” - car cela semble trop précis, malgré l’anagramme, pour ne pas avoir été réalisé après coup. Cet anagramme un peu trop heureux a contribué à déconsidérer les sixains aux yeux des nostradamologues encore que les dits sixains aient été fort prisés par les exégètes du XVIIe siècle, ce qui donne une idée de leur naïveté et de leur crédulité, à une époque où la prophétie était appréhendée comme une chose certes rare, exceptionnelle, mais possible. C’est cette rareté même qui rend réticents ceux auxquels on accorde qu’il peut y avoir du prophétique dans les Centuries, quand bien même ne seraient-elles pas dues à Michel de Nostredame.

   On peut se demander si les quatrains des Centuries ne sont pas cryptés. En tout cas, il n’est pas du tout improbable qu’il existe des clefs comme nous l’avons montré pour les sixains.18 Au demeurant, le XVIe siècle était familier de tels processus, comme l’attestent un abbé Trithème, dans sa Stenographia, ou un Blaise de Vigenère, en son Traité des Chiffres. Le quatrain apparaissait d’ailleurs comme propre à constituer un cryptogramme.19 Rabelais avait notamment introduit un tel quatrain dans le Tiers Livre (chapitre 47).

   Il nous semble d’ailleurs que la dimension chiffrée si nécessaire au propos astrologique pourrait éventuellement apparaître au niveau d’une lecture cryptée des quatrains encore qu’à notre avis il semble bien aléatoire de statuer sur ce point, sauf en matière d’anagrammes et de clefs concernant surtout des noms de personnages ; en tout état de cause, le décryptage porteur d’une année précise que nous proposons ici et qui n’avait jamais été formulé avant nous devait être familier du public des années 1570. Par la suite, le fait que les centuries aient été augmentées ou complétées rendait la mise en évidence d’un tel procédé bien incertaine avant précisément d’avoir restitué le profil initial du corpus nostradamique tant et si bien que nous sommes en droit de penser que notre travail de dégagement, au sens où on l’emploie pour des fouilles archéologiques, trouve sa pleine confirmation dans la réémergence, des siècles plus tard, du dit cryptogramme. Celui-ci devait être en fait bien transparent - 35 et 53 sont immédiatement perçus comme étant des objets inversés, ce qui saute aux yeux de par leur symétrie structurelle - quand il fut publié, sur le compte de centuries posthumes de Michel de Nostredame, néanmoins, le choix des nombres n’était pas sans malice en ce que la série numérique n’était pas ce qu’elle semblait être. En effet, si l’on demande quels sont les nombres qui continuent la série 53-71-35, on sera tenté de dire 17, puisque 53 est l’inverse de 35, pourquoi pas 17 qui est l’inverse de 71 ? Mais une fois cette seconde paire mise en place, quelle est la suite ? Il faut alors dépasser cette première impression et s’apercevoir que la véritable cohérence ne réside pas là dans le fait qu’il s’agit d’une progression arithmétique de raison 18 : 17-35-53-71 et dont le cinquième et dernier élément est 89 car au delà de 89, qui ne fait pas pendant à 98, lequel n’est séparé de lui que de 11 points, on passe à trois chiffres pour chaque nombre et la permutation ne peut plus se produire sauf à admettre 107 qui à nouveau permuterait avec 71. Derrière ce petit miracle / jeu numérique se dissimulait, selon nous, un certain enjeu politique pour les Valois, l’ironie du sort voulant que 1589 fût l’année de la mort d’Henri III.

   A l’heure où l’on s’aperçoit que l’Irak ne dispose pas des armes qu’on l’accusait de posséder, la comparaison avec le débat autour des Centuries nous semble relever du même ordre : on nous parle de quelque chose qui n’existe pas et on croit que l’on ne pourra jamais prouver que cela n’existe pas. Il y a trop d’indices, cependant, qui montrent que les Centuries n’ont pas été publiées du vivant de Michel de Nostredame, et cela vaut même pour les contrefaçons qui ne sont pas davantage parues alors. On sait aussi qu’à sa mort - mais pas avant - on a publié de fausses Centuries qu’il aurait rédigées et gardées par devers lui mais le fait que ces textes soient précédés d’Epîtres contrefaites justifie que l’on puisse douter de leur authenticité. En outre, si de fausses Centuries sont bien parues à la mort de Nostradamus, il n’y en avait pas dix mais seulement six dans un premier temps. Enfin, il apparaît que les plus anciennes éditions non antidatées - à 1555, 1557 ou 1568 - dont on dispose - à quatre et sept centuries - quant à elles, ne datent que de 1588. Quant à la plus ancienne édition à dix centuries qui ait été conservée, il faut attendre carrément le cours du XVIIe siècle.

Jacques Halbronn
Paris, le 24 janvier 2004

Notes

1 Cf. Cura.free.fr et D. Ruzo, Le Testament de Nostradamus, Monaco, Le Rocher, 1982. Retour

2 Cf. nos Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, diffusion Priceminister, sur le Web. Retour

3 Cf. notre étude sur la Centurie VII, sur Espace Nostradamus dont nous avons ici le prolongement. Retour

4 Cf. nos Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, diffusion Priceminister, par le Web. Retour

5 Cf. planche, RCN, p. X. Retour

6 Cf. RCN, p. 35 et M. Chomarat, “Un chaînon manquant dans l’oeuvre de Nostradamus; l’édition de 1558 des Prophéties” in Nostradamus traducteur traduit, Bruxelles, les Ed. Du Hasard, 2000. Retour

7 Cf. la version fournie dans l’édition Besson. Voir RCN, pp. 265 et seq. Retour

8 A Rouen, Raphaël du Petit Val. Collection Ruzo, RCN, p. 122 et planches, p. X. Retour

9 Cf. notre étude sur cette centurie, sur Espace Nostradamus. Retour

10 Cf. notre étude sur le “caractère trinitaire des centuries”, sur Espace Nostradamus. Retour

11 Cf. E. Kuhs, Buschstabendichtung. Zur gattungskonstituierenden Funktion von Buchstabenformationen in der französischen Literatur vom Mittelalter bis zum Ende des 19. Jahnhunderts, Heidelberg, Carl Winter, 1982, pp. 39 et seq. Retour

12 Cf. V. Foster-Hopper, La symbolique médiévale des nombres. Origines, signification & influence sur la pensée et l’expression, Paris, G. Monfot, 1995, p. 63. Retour

13 Cf. A. Margossian, De l’ordonnance des nombres dans les carrés magiques, Paris, A. Hermann, 1908, pp. 39 et 58, figure 63. Retour

14 Cf. sur d’autres dispositifs, nos Mathématiques Divinatoires, Paris, Trédaniel, 1983. Retour

15 Cf. E. Kuhs, Buschstabendichtung. Zur gattungskonstituierenden Funktion von Buchstabenformationen in der französischen Literatur vom Mittelalter bis zum Ende des 19. Jahnhunderts, Heidelberg, Carl Winter, 1982, pp. 45 - 46 et RCN, pp. 157 et seq. Retour

16 Cf. E. Tabourot, Les Bigarrures du Seigneur des Accords, Paris, J. Richer, 1586. Retour

17 Cf. RCN, p. 635. Retour

18 Cf. nos Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus. Retour

19 Cf. Léon Herrmann, L’utopien et le lanternois. Les pseudonymes et les cryptogrammes français de Thomas More et François Rabelais, Paris, Nizet, 1981, pp. 15 et 74. Retour



 

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