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ANALYSE |
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Le décalage entre bibliographes et exégètes des Centuries
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La BNF a célébré en 2003 le cinquième centenaire de la naissance de Nostradamus par une table ronde intitulée Il y a 500 ans, Nostradamus, qui se tint dans le Grand Auditorium. Cette réunion a fait l’objet d’un enregistrement sur deux CD, hors commerce, que l’on peut aller écouter à la BNF (cote SDCR 5090). Participèrent à ce petit colloque animé par Jean Céard, auteur de la Préface au RCN de R. Benazra (Paris, 1990) Jean Dupèbe, Roger Prevost, Ivan Cloulas et une conservatrice de la Réserve de la BNF, Geneviève Guilleminot.
Le dit enregistrement que chacun peut consulter sur place et qui dure environ 2 heures 30 est assez révélateur du niveau de la recherche nostradamologique et ne nous a pas donné une impression bien différente de celle qui fut la nôtre lors des réunions de St Remy de Provence, début 2002 et de Salon de Provence en décembre 2003, à savoir un certain manque de rigueur scientifique propre à beaucoup de littéraires. En fait, rien de bien universitaire quant au niveau des interventions et des échanges et il s’agira de comprendre pourquoi un tel laisser-aller, une telle impréparation, un tel manque de concertation, et pour tout dire une certaine cacophonie, lesquels ne sauraient redorer l’image des sciences dites molles et des spécialités du Livre et du Texte.
Le cas de Geneviève Guilleminot, représentant la puissance invitante, nous a semblé assez remarquable avec son exposé intitulé la bibliographie impossible. Cette conservatrice a tenté de faire le point sur les éditions antidatées et plus spécifiquement sur celles portant une date entre 1555 et 1568. Comment allait-elle procéder et qu’allait-elle apporter à cette recherche essentielle pour les études nostradamologiques ? En ce qui concerne l’édition Macé Bonhomme 1555, rien à signaler, tout est normal, comme elle dit, elle est prête à accorder aux exemplaires un certificat d’authenticité. Pour les éditions datées de 1557, Geneviève Guilleminot fait les observations suivantes : Antoine du Rosne est plus un imprimeur, travaillant notamment pour un Benoist Rigaud, qu’un libraire ayant pignon sur rue, rien à voir donc en importance avec Macé Bonhomme. Pourquoi, peut-on se demander Nostradamus serait-il passé ainsi d’un Macé Bonhomme à un Antoine du Rosne pour publier une édition augmentée de ses Centuries ? Voilà qui fragilise quelque peu le scénario des éditions parues de son vivant. La conservatrice est formelle : il y a une édition piratée, celle de la Bibliothèque de Budapest dont la vignette nostradamique est inversée par rapport à l’édition conservée à Utrecht ainsi que par rapport à celle de la traduction de la Paraphrase de Galien. Elle nous explique que cette inversion de la vignette trahit la copie réalisée à partir d’un tirage et non à partir du moule. G. Guilleminot ne s’étonne pas du fait qu’une simple traduction justifie que l’on mette une vignette des Prognostications de Nostradamus sur la page de titre sans se demander si cette vignette à l’origine représente bien le dit Nostradamus. Nous penserions plutôt que c’est l’inverse qui s’est produit, à savoir que cette vignette représenterait Galien, l’auteur de l’ouvrage et no le traducteur. Il existe en effet une iconographie des savants dans certains calendriers allemands.1 Les libraires auraient emprunté cette vignette de Galien, dont Nostradamus était donc le traducteur, pour illustrer ses Prognostications en y ajoutant une frise zodiacale. Par la suite, on réutilisera l’adresse d’Antoine du Rosne et sa vignette de Galien pour les éditions antidatées à 1557 des Prophéties.
Elle nous explique que cette inversion de la vignette trahit la copie réalisée à partir d’un tirage et non à partir du moule. G. Guilleminot ne s’étonne pas du fait qu’une simple traduction justifie que l’on mette une vignette des Prognostications de Nostradamus sur la page de titre.
On nous objectera que l’on trouve déjà cette vignette en 1555 et ce à deux reprises :
- dans la Prognostication pour 1555 (Collection Ruzo) mais nous avons montré, dans une autre étude, qu’il s’agissait là d’un faux.
- dans l’édition Macé Bonhomme des Prophéties, Lyon, 1555, dont nous avons montré qu’il s’agissait également d’une édition antidatée.
G. Guilleminot ne note pas non plus que le contenu des deux éditions est différent, non seulement quant au mois figurant à la fin, mais aussi en ce qui concerne les centuries VI et VII sans parler du recours aux majuscules pour certains mots qui n’est pas non plus le même. En fait, tout cela n’aurait pas d’incidence, à l’entendre, sur la date de parution, à savoir 1557 puisque les deux éditions seraient bien parues à cette date. Le fait que la Centurie IV dans ces éditions se présente d’un seul tenant alors qu’en 1588 elle est encore subdivisée n’est évidemment pas pris en considération dans son audit, qui n’a rien à envier à celui proposé par Patrice Guinard (DIAP Nostradamus, Site Cura.free.fr) et elle ne semble pas avoir tenu compte de la compilation de Crespin (1572) dont les Centuries V, VI, VII sont étrangement exclues.2 Il ne semble pas non plus qu’elle ait pris connaissance de notre catalogue d’une exposition tenue, à l’aimable invitation d’Antoine Coron, directeur de la Réserve de la BNF, il y a tout juste dix ans, et intitulée Astrologie et Prophétie. Merveilles sans image On y trouve un chapitre (IX) intitulé Nostradamus astrologue et prophète (pp. 43 et seq) ; dans un Prélude à l’exposition, dédié à Jean Céard, nous écrivions alors (p.7) : Quant aux Centuries, il semble désormais exclus de les considérer comme étant l’oeuvre de Michel de Nostredame (1503 - 1566) ce qui ne serait finalement le cas que des trois premières. Les sept centuries suivantes ne furent publiées qu’après sa mort; si bien que nous avons indiqué, à propos de cette oeuvre composite : Michel de Nostredame et pseudo-Nostradamus.
G. Guilleminot ne saurait envisager le cas d’éditions non conservées puisque échappant à toute analyse matérielle - ce qui est le domaine où elle souhaite se cantonner - ce qui limite les dégâts étant donné que toutes les éditons se présentant comme parues du vivant sont des faux et même pas des contrefaçons comme les éditons datées de 1566 ou 1568 et qui correspondent à des éditions ayant réellement existé mais avec un contenu sensiblement autre. En fait, on se demande quels sont les outils dont la conservatrice dispose pour porter un jugement : les motifs ornementaux, les vignettes ? Tout cela peut s’imiter !
G. Guilleminot fait bien sûr sienne la thèse déjà bien ancienne sur les éditions Pierre Rigaud, 1566 en montrant que certains bandeaux sont proches d’autres éditions datées du début du XVIIIe siècle, elle cite à l’appui une édition du Don Quichotte de Cervantes de 1713. En fait, la clef de sa remise en question ne tient qu’à un point, à savoir le fait que Pierre Rigaud n’exerça point avant 1597. Mais dès lors que les faussaires ne commettent pas de bévues aussi grossières, on n’y voit que du feu, ce qui laisse un peu trop de marge, ce qui explique qu’aucune contrefaçon n’ait été détectée depuis des lustres, si l’on met à part nos propres travaux. C’est ainsi que les éditions Benoist Rigaud 1568 trouvent grâce aux yeux de la conservatrice, à l’exception, certes, de celle comportant un anagramme de Mazarin à la VIIe Centurie, probablement parce qu’une telle précision lui semble, à juste titre, suspecte. Mais précisément, de telles précisions étonnantes ne sont pas rares. Mais ici G. Guilleminot sort de son domaine en passant à une critique interne qu’elle ne fait qu’effleurer. En fait, il nous apparaît que la conservatrice pourrait tout au plus signaler des aberrations énormes mais passerait à côté d’un faux ou d’une contrefaçon habilement réalisés. Il nous semble notamment que la comparaison entre les éditions est tout à fait nécessaire car elle permet de montrer à quand certaines, antidatées, remontent comme nous l’avons fait pour cette édition Benoist Rigaud 1568, qu’elle tient quitte, dont G. Guilleminot ne réalise pas à quel point elle ressemble aux éditions troyennes du XVIIe siècle, dans le détail de sa mise en page.
En effet, l’exposé de G. Guilleminot était encadré de ceux de Roger Prevost et d’Ivan Cloulas, ce qui était assez incongru. C’est ainsi que R. Prevost, qui avait participé à une table ronde sur Nostradamus en décembre 2000 à Paris, lors du colloque Frontières de l’Astrologie, organisé par le MAU et le CURA - et dont nous avons l’enregistrement sur DVD - avait expliqué juste avant le dit exposé de G. Guilleminot, que tel quatrain 97 de la Ve centurie concernait la conjuration d’Amboise de 1560.
Le nay difforme par horreur suffoqué
Dans la Cité du grand Roy habitable etc.
Or, Prevost en disant cela n’avait, semble-t-il aucune intention de laisser entendre que Nostradamus avait prévu cet événement qui eut lieu pendant le bref règne de François II. Mais alors comment ce quatrain traitant de 1560 pourrait-il se trouver déjà dans les éditions datées de 1557 ? Prevost reprochera d’ailleurs à P. Brind’amour d’avoir négligé les rapprochements avec des événements dont Nostradamus avait été le contemporain. C’est que le chercheur québécois, qui participa en 1991 à un Colloque en Histoire de l’astrologie, à Paris, organisé par la Bibliotheca Astrologica, avait pressenti le piège et rejeta a priori, mais à quel prix au niveau de la valeur de son décodage ? tout ce qui pouvait mettre en cause l’authenticité de l’édition Macé Bonhomme 1555 dont il publiera en 1996 une édition critique. Même le quatrain I, 35 souvent interprété comme annonçant la blessure mortelle d’Henri II lors d’un tournoi est interprété de façon non compromettante pour la chronologie des premières éditions (cf. pp. 99 - 100). Il convient de signaler les travaux de Liberty E. LeVert, parus dès 1980 et qui ne négligent pas de recourir au contexte historique pour dater la rédaction de certains quatrains et donc de certaines éditions3, lesquels firent l’objet d’une étude de Frances Yates, dans le Literary Supplement du Times du 14 mars 1980.4 Même si LeVert ne fait, pour sa part, que décaler de quelques années certaines dates, il n’en remet pas moins, ipso facto, en question l’authenticité des éditions disponibles datées des années 1550.
G. Guilleminot ne jugea pas de prendre en compte un tel type d’objection concernant ce décalage entre bibliographes et exégètes. On se demande comment elle réagit aux propos d’Ivan Cloulas qui s’exprima juste après elle pour montrer combien les quatrains de Nostradamus reflétaient les événements de son temps et il n’est pas non plus certain que I. Cloulas ait eu pleinement conscience que son propos cassait complètement la position adoptée par la conservatrice de la Réserve. Cloulas s’intéressa particulièrement à la bataille de St Quentin de 1557, dont plusieurs quatrains traitent selon lui. Il cite I, 19 Le sang troyen vexé par les Espaignes (...) Chef fuict, caché aux mares dans les saignes ou II, 2 La teste blue fera la teste blanche (...) Mort à l’anthene, grand pendu sur la branche. Ce serait, selon Cloulas, l’affrontement entre le jeune Emmanuel de Savoie et le vieux Anne de Montmorency ainsi que la pendaison d’Anne du Bourg.. Cloulas voit encore la bataille de St Quentin dans IV, 8, où le nom même de la ville figure et dans IV, 9 qui nous parle de la blessure de Montmorency (D’un coup de flèche sera blessé aux cuisses). Or, comment tous ces quatrains parus en 1555, selon G. Guilleminot pourraient avoir si précisément annoncé par le menu tout ce qui eut lieu à St Quentin. Autrement dit, tous ces gens n’avaient pas accordé leurs violons mais en plus ne semblaient même pas conscients de se contredire les uns les autres et personne dans le public ne releva un tel décalage, lors des prises de parole qui suivirent. Quant à Jean Céard, lequel dirigea pendant plus de dix ans notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France, qui animait et avait agencé le débat, il ne semble pas avoir pris garde au problème. Mais Céard avait reconnu en introduisant le débat que l’on n’avait guère de traces de la parution des Centuries du vivant de Nostradamus et que Couillard ne s’en était pris, en 1556, qu’à la seule Préface à César et pas aux quatrains. Prévost d’ailleurs, pour sa part, n’exclura nullement que l’édition de 1555 ait été sinon antidatée du moins que celle qui nous est parvenue ait été retouchée.
Jean Dupèbe insistera, pour sa part, sur les penchants vers la Réforme de Nostradamus tels qu’ils apparaissent notamment dans la correspondance qu’il édita en 1983 (Lettres Inédites, Genève). Or, dans les Centuries, relèvera Prévost, on a plutôt l’impression d’un texte fortement voué au parti catholique. On aurait pu conclure que c’était là un indice montrant que Michel de Nostredame n’était précisément pas l’auteur des Centuries.
Sur une matière aussi délicate, il nous semble que les intervenants ne firent pas toujours preuve de la prudence souhaitée. C’est ainsi que systématiquement, tout ce qui était dans les Centuries se voyait mis sur le compte de Nostradamus. Il nous eut semblé plus sage de ne pas trop se prononcer sur l’identité de l’auteur de tous ces quatrains, toutes centuries confondues. Cela éviterait de chercher vainement une unité de style ou d’inspiration dans un ensemble centurique, visiblement fort hétérogène et hétéroclite, malgré la permanence du mode quatrains qui en est l’image de marque.
Le débat, en fait, achoppa bel et bien sur la question du contenu des quatrains. Pourquoi Nostradamus, puisque l’on voulut à tout prix poser une telle paternité comme un postulat, aurait-il pris la peine de mettre en quatrains des événements déjà révolus ? Prevost ne relie-t-il pas divers quatrains à l’époque des Croisades, comme ce fameux quatrain I, 35 qui traiterait en réalité non pas de la mort du roi de France mais de la prise de Constantinople par les Croisés en 1204 ou comme le quatrain sur 1999 et la fameuse éclipse qu’il faudrait lire comme relatif à la prise de Jérusalem par les mêmes Croisés en 1099.
On serait donc en face d’un dilemme : soit les Centuries nous parlent du temps de Nostradamus et cela couvre une période qui va bien au delà des années 1555 - 1558 (date de l’Epître à Henri II et donc a priori des centuries annoncées qui lui font suite) et on a bien affaire à des éditions antidatées, soit les Centuries nous parlent d’événements bien antérieurs, ce qui ne pouvait asseoir la réputation de prophète du dit Michel de Nostredame. On a donc du mal à comprendre ce qui a pu faire le succès des Centuries, du vivant de Nostradamus à moins évidemment d’admettre que l’on y avait effectivement annoncé et ce dès 1555 la défaite de Saint Quentin et idem pour 1557 concernant la conjuration d’Amboise. A vouloir resituer les Centuries dans le contexte du temps de Nostradamus on aboutit paradoxalement à les en exclure ! Telle est la dure loi des études consacrées aux textes prophétiques.
Roger Prevost tenta d’expliquer une telle description de sources anciennes par une théorie cyclique, à savoir que décrire un passé éloigné reviendrait à décrire l’avenir, position propre à l’astrologie, souligne-t-il. Mais on voit bien que dans de nombreux cas, les Centuries parlent bel et bien du présent, de ce dont Nostradamus fut le contemporain. On a cependant quelque mal à faire coller chez Nostradamus une telle activité besogneuse d’historien ou du moins de versificateur de l’Histoire - aboutissant à une sorte de poésie historique - comme il y avait à l’époque une poésie scientifique - avec l’inspiration d’un prophète. Nous pensons bien plutôt que ce travail de recopiage fut le fait de gens qui devaient fabriquer du quatrain à la chaîne et qui, par ailleurs, n’hésitèrent pas à mettre en vers des itinéraires et des pèlerinages, voire des cartes de géographie. En réalité, il ne semble pas que les lecteurs aient perçu le caractère rétrospectif et compilatoire des quatrains ; ce sont les chercheurs qui, bien plus tard, mettront ce fait en évidence, de Chantal Liaroutzos à Roger Prevost, on comprend ainsi comment de faux quatrains prophétiques ont été manufacturés à bon compte, et qu’il y a là aussi quelque imposture. Le dilemme de la recherche nostradamologique, c’est que plus elle progresse dans l’étude des sources et des procédés et plus elle fait ressortir la nature véritable de l’entreprise, ce qui devrait conduire ipso facto à une certaine démystification. Le problème, c’est que trop nombreux encore sont les nostradamologues qui tentent désespérément de sauvegarder l’unité et l’intégrité, dans tous les sens du terme, de l’oeuvre nostradamique, au prix d’acrobaties de plus en plus pathétiques, et de fort mauvais aloi sur le plan du travail scientifique.
Curieusement, les intervenants ne tentèrent pas de montrer que Nostradamus avait prévu des événements ayant eu lieu après sa mort, ce qui n’aurait rien eu de bien extraordinaire car cela eut permis de comprendre que les Centuries avaient été composées après sa mort. Or, après sa mort, il était également aisé de lui faire relater des événements ayant eu lieu de son vivant. Nous avons déjà expliqué dans d’autres études (parues notamment sur Espace Nostradamus) le caractère prétendument posthume des Centuries, à savoir que l’on nous présente des textes supposés écrits en 1555 et 1558, si l’on s’en tient aux deux épîtres, mais parus seulement après sa mort. Ce qui explique que l’on y traite d’événements postérieurs à la rédaction des quatrains de façon à établir leur caractère prophétique. Il fallait pour cela que le public acceptât une telle présentation des choses qui impliquât qu’il n’y ait pas eu retouche des textes entre temps. Or, c’est apparemment ce que la plupart de ceux qui se sont penché sur la chronologie des Centuries se sont refusé à admettre, trahissant ainsi une méconnaissance des mentalités de l’époque, plus enclines à une certaine crédulité.
Un autre problème fut posé par Jean Céard, celui de restituer le texte original des Centuries, en profitant de leur caractère versifié obéissant à des règles strictes (nombre de pieds, notamment) quels qu’en fussent l’auteur et la date de parution, chacun reconnaissant sa corruption du à leur hermétisme à moins que cet hermétisme n’ait été le fait de leur corruption. Entreprise extrêmement délicate car on peut toujours restaurer un document selon tel ou tel principe, c’est d’ailleurs ce dont ne se sont pas privé certains exégètes, du Janus Gallicus à l’Eclaircissement des véritables quatrains et quelques autres. Quant à trancher entre les diverses éditions pour déterminer, selon certains critères formels, celles qui sont les plus anciennes parce que les moins corrompues, cela nous semble bien aléatoire. Le fait de retrouver certaines sources qui ont pu servir à la composition de quatrains nous semble encore la meilleure solution mais cela exclue précisément qu’il y ait pu avoir une véritable improvisation prophétique comme cela fut éventuellement le cas pour les Présages. En fait, c’est précisément en renonçant à la thèse d’une inspiration réellement prophétique que l’on pourra envisager de fonder les études nostradamologiques sur des bases solides et l’attachement à des éditions des Centuries parues du vivant de Nostradamus ou même composées par lui reste un obstacle épistémologique majeur à une telle entreprise. Le prophétisme de Michel de Nostredame fut pourtant bien réel mais il ne saurait être recherché dans des quatrains qui ne sont pas son oeuvre et que l’on a fait précéder d’une Epître à César qui l’est en partie mais sensiblement retouchée dans la version qui nous est parvenue. Prophétisme lié à la contemplation directe du ciel, sans même le truchement des tables planétaire, retour à une astronomie de position, sensible aux comètes, aux divers signes prémonitoires que l’on peut capter sur la voûte céleste en s’en imprégnant, ce qu’il expose dans le premier quatrain de la première Centurie qui est probablement de lui, avec sa flambe exiguë si mal comprise par P. Brind’amour. En tout état de cause, s’il y a une poétique propre à Michel de Nostredame, elle est d’abord à établir dans les quatrains des almanachs (ceux allant de 1557 à 1563, en particulier, pour ne prendre que les plus sûrs et les mieux attestés) dont ceux des Centuries ne sont qu’une imitation ironiquement vouée à une plus grande fortune. On comprend d’ailleurs pourquoi ces faux quatrains se prêtèrent à tant de commentaires au cours des siècles ; comme l’a dit Roger Prevost, cela tient au fait que les événements tendent à se répéter - si bien que le passé ne peut qu’annoncer le futur - que les lieux géographiques sont le théâtre des dits événements, comme le montre le cas Varennes sur lequel Prevost revint. Autrement dit, par un étrange concours de circonstance, la méthode des faussaires fit d’eux des apprentis sorciers, croyant simplement conférer une apparence de prophétie, avec les moyens du bord, ils ont généré sans le savoir et sans le vouloir une véritable matière prophétique, découvrant, empiriquement, quelque loi de l’Histoire dont il s’agirait d’apprécier toute la portée.
Précisons donc bien que notre propos n’a jamais été de montrer que les Centuries ne prophétisent pas mais qu’elles ne sont pas l’oeuvre de Michel de Nostredame si bien que ce n’est pas en montrant leur validité que l’on aura pour autant déterminé quel en était l’auteur. Au demeurant, le prophétisme de Michel de Nostredame, pour plus sincère, pour plus spontané, qu’il fut devait faire long feu et était à consommation immédiate, malgré les efforts exégétiques du Janus Gallicus pour placer les Présages aux côtés des quatrains centuriques. C’est que la substance historique des faux quatrains se révéla plus dense que celle des Présages. Autre paradoxe de la recherche nostradamologique que de devoir constater que le faux tombe parfois plus juste que le vrai, c’est le lot de certaines inventions et de certaines découvertes comme celle de l’Amérique par Christopohe Colomb, dont on sait qu’il était grand amateur de prophéties, quelques années avant la naissance de Michel de Nostredame.
Ainsi, face à cette table ronde constituée de seiziémistes, un malaise ne pouvait que s’installer entre la démarche logique de l’historien des textes consistant à montrer qu’un auteur exprime dans son oeuvre les événements de son temps et le fait que ce faisant le caractère antidaté des éditions ne pouvait que d’autant plus apparaître, sauf pour une Geneviève Guilleminot qui s’en tenait à une description matérielle dont on mesure l’insuffisance et qui voudrait faire l’économie de recoupements indispensables. Non, décidément, les historiens du livre semblent bien démunis face au travail des faussaires, usant de méthodes inadéquates et dépassées et peut-être pas seulement dans le champ nostradamique qui ne serait alors qu’un révélateur d’une incurie plus générale.
Jacques Halbronn
Paris, le 31 janvier 2004
Notes
1 Cf. notre étude sur le Kalendriers des Bergers, Site Cura.free.fr. Retour
2 Cf. Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed.Ramkat, 2002. Retour
3 Cf. The prophecies and enigmas of Nostradamus, Firebell Books, Glen Rock, New Jersey, p. 253. Retour
4 Repris in Ideas and Ideals in the Northern European Renaissance, Collected Essays, Vol. 3, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1984. Retour
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Tous droits réservés © 2004 Jacques Halbronn