ESPACE NOSTRADAMUS

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ANALYSE

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Procédés compilatoires
dans la littérature pseudo-nostradamique

par Jacques Halbronn

    Il conviendrait de s’interroger sur la raison d’être des sources propres aux Centuries et aux Epîtres “centuriques” (à César et à Henri II). L’enjeu se situe, en effet, au delà de l’identification de certains emprunts ou de certains plagiats.

   Nous invitons les chercheurs à se poser la question suivante : est-ce que Michel de Nostredame a pu récupérer divers matériaux pour réaliser son oeuvre ou bien une telle démarche caractériserait-elle plutôt ses imitateurs ?

   En ce qui concerne le recours assez systématique, dans certaines Centuries, à des guides de voyages / pélerinages, il s’agit de déterminer si un tel procédé pouvait sérieusement être celui choisi par notre auteur et quelles auraient été alors ses motivations.

   On peut aussi poser le problème à l’envers : est-ce que des faussaires n’auraient pas été tentés de pratiquer de la sorte ? Car ce qui caractérise le faux prophétique, c’est bien de fabriquer du prophétique à peu de frais et en référence à ce qui existe déjà sur le marché. En effet, le faux n’est pas gratuit, il consiste à mettre en orbite quelque formule de circonstance au sein d’un ensemble à caractère vaticinatoire, ce qui implique une stratégie de remplissage, qui va dresser le décor.

   Si on prend le cas de la prophétie des papes du pseudo Saint Malachie (fin XVIe siècle), on trouve un tel recours à des Histoires de la papauté aux fins de fournir au texte une certaine ancienneté chronologique.1

   Bref, le faux se nourrit d’emprunts plus ou moins lourds et on se demandera si le fait, par exemple, que la Préface à César puise largement, comme l’a rappelé Pierre Brind’amour, dans le Compendium du Dominicain Jérôme Savonarole (1452 - 1498) fait sens dans l’hypothèse que son auteur serait bien Michel de Nostredame. Nous emploierons “MDN” ou “non MDN” pour désigner ce qui peut ou ne peut pas être attribué à l’homme qui vécut de 1503 à 1566 et dont on fête en cette année 2003, le cinq centième anniversaire de la naissance, ce qui est quand même l’occasion de faire la part de ce qui lui revient et de ce qui lui est abusivement attribué.

   Considérant les doutes que nous avons exprimés, dans d’autres textes2 sur l’authenticité de cette Préface, du moins sous la forme sous laquelle elle nous est parvenue3, il faut bien reconnaître que les travaux de l’abbé Torné Chavigny, au milieu du XIXe siècle, sur les sources de certains textes nostradamiques4 ne peuvent qu’apporter de l’eau à notre moulin. D’ailleurs, Torné lui-même concluait, en tête de sa réédition en fac similé, qu’un tel procédé qu’il attribuait - à tort - à MDN trahissait de sa part une certaine désinvolture à l’endroit de l’astrologie.

   De même, lorsque Crespin compile des quantités de quatrains, à partir de ceux parus de son temps - et on sait que ce choix ne concerne pas, pour les raisons que l’on imagine, plusieurs Centuries - c’est bien comme faussaire qu’il procède, sauf que dans ce cas il ne les met pas sur le compte de MDN, à ce détail près que lui-même se présente sous le nom de Nostradamus !

   Nous avons insisté sur l’existence d’ateliers de faussaires, bien achalandés, disposant d’une riche documentation, condition préalable à toute entreprise de ce type. Un recueil de textes prophétiques - une anthologie - comme l’est le Mirabilis Liber5 est un excellent outil de travail pour ceux qui souhaitent mener à bien leur projet de contrefaçon.

   Le paradoxe est le suivant, c’est qu’en fait chaque fois que l’on met en évidence des sources pour les oeuvres de MDN, on ne peut que renforcer la thèse “non MDN” ! C’est en effet ignorer la différence majeure entre l’auteur et le faussaire que de traiter légèrement de la signification de tels emprunts, souvent massifs.

   Certes, on ne peut exclure que MDN ait exploité certaines sources. C’est ainsi que lorsque Pierre Brind’amour ou Roger Prévost nous signalent que tel quatrain est inspiré de tel événement plus ou moins ancien, on peut se dire, dans un premier temps “pourquoi pas ?”. En effet, on est en droit de penser que MDN a voulu projeter sur le futur ce qui eut déjà lieu dans le passé, c’est une méthode qui se conçoit mais qui, dans notre perspective, ne laisse quand même de nous interpeller. Où passe donc la frontière entre le vraisemblable et l’invraisemblable en la matière ? C’est bien là ce qui sera demandé à l’avenir des nostradamologues, au XXIe siècle : séparer le bon grain de l’ivraie, ce qui est plus facile à dire qu’à faire.

   Ce qui nous paraît extrêmement probable, en tout cas, c’est qu’il y a eu des faussaires et que ces faussaires ont usé de certains procédés compilatoires, en recyclant toute une littérature prophétique, mais aussi divers documents à caractère géographique ou historique, produisant ainsi un prophétisme de synthèse, consistant à généraliser et à systématiser certaines méthodes artisanales, propres aux oeuvres originales. Nous avons ainsi montré que les quatrains des almanachs comportaient des éléments géographiques qui auraient été sensiblement amplifiés dans certaines Centuries. Il n’y a pas de fumée sans feu.

   Au niveau stylistique, il y a tout de même une sacrée différence entre le texte de quelqu’un qui n’imite pas et qui ne s’imite pas et celui de quelqu’un qui veut faire du simili Un tel. D’autant que le faussaire n’a pas forcément la culture prophétique de l’auteur ainsi en ligne de mire et qu’il sera tenté de prendre des raccourcis.

   Que l’on nous comprenne bien : un spécialiste d’une question pourra sans peine “pondre” un texte de dix pages inédites sur un sujet qu’il connaît bien. Un faussaire ne parviendra au même résultat quantitatif qu’en trichant, c’est-à-dire en récupérant un corpus préexistant.

   Affirmer que tel auteur a publié tel ouvrage en telle année, alors qu’il s’agit souvent d’une édition antidatée ou qu’il a utilisé telle ou telle source, alors qu’il s’agit là de procédés de faussaires, est un écueil qui s’offre à l’historien des textes prophétiques.

   Et ce d’autant plus que ce faussaire n’a pas pour objet de faire oeuvre durable. Peu lui importe même, à terme, que l’on dénonce son imposture, une fois sa mission accomplie. Le paradoxe, c’est que souvent cela ne se produit pas et que les lecteurs, mal éclairés, restent dupes indéfiniment, conférant ainsi une certaine patine, avec le temps qui passe, à ces forgeries, selon l’expression anglaise. Ce qui pose la question de savoir ce qui empêche que l’on détecte, à la longue, un faux prophétique.

   Comment imaginer en effet que tel texte prophétique ait pu échapper aux interpolations et aux manipulations et soit parvenu vierge, immaculé, intact, jusqu’à nous ? Il y aurait là chez le chercheur l’idée d’un angélisme qui ne serait pas de mise ! On en arrive à des postures proprement religieuses, à une sacralisation du texte canonique. Mais après tout, croire que tel texte est réellement prophétique relève également d’une pétition de principe. Un peu plus, un peu moins.

   L’idée que nous nous faisons de MDN n’est pas conforme à la mise en évidence de tels procédés. On nous reproche de vouloir priver MDN d’une partie de son oeuvre mais bien au contraire, nous voulons sauvegarder ce qui revient “à César” et surtout ne pas lu attribuer des pratiques douteuses de recopiage et de remplissage.

   Car si celles-ci sont inexcusables de la part d’un auteur de première main, nous sommes disposés à les excuser chez ses imitateurs qui sont pris dans un engrenage exigeant des solutions rapides, expéditives, pour les besoins de la cause. Ce qui n’est pas concevable chez un initiateur, l’est davantage de la part de ses épigones.

   Nous n’imaginons pas MDN compulsant, comme le suggère Chantal Liaroutzos, la Guide des Chemins de France. Car si MDN se veut astrologue et prophète et doit assurer un tel projet, ses imitateurs se contentent de faire du Nostradamus à peu de frais. Ce n’est pas le même métier ! Chantal Liaroutzos nous décrit, sans s’en rendre compte, les procédés des faussaires.

   Autrement dit, plus on clarifiera la question des sources et plus la question des imitations sera flagrante : pour faire du non-MDN, il faut aller recycler divers textes à la façon dont on se sert d’un dictionnaire des rimes ou des synonymes pour étoffer un propos6.

   A moins de supposer que MDN joue lui-même au faux prophète et que, pris au dépourvu, par une commande, il “bricole”, en mercenaire, à la chaîne, des quatrains. Mais ce serait oublier l’originalité précisément de cette présentation en quatrains qui caractérise son travail, du moins en tant que faiseur d’almanachs. Personne ne l’obligeait à choisir ce mode d’expression s’il ne se prêtait pas à son génie. En revanche, ses imitateurs n’avaient pas le choix, il fallait bien, eux, qu’ils fassent du Nostradamus !

   D’où, selon nous, cette inévitable caricature des quatrains des almanachs que furent les quatrains des Centuries, certains traits étant poussés à l'extrême pour pouvoir constituer un plan de travail, pour une équipe de faussaires versificateurs stipendiés.

   Quant aux deux épîtres centuriques, en prose, nous voyons bien que l’une reprend le Compendium de Savonarole, tout en en modifiant ou en infléchissant le sens et que l’autre remanie une ancienne épître de MDN à Henri II, placée en tête des Présages Merveilleux pour 1557. On imagine bien malaisément MDN ayant besoin de recopier textuellement des paragraphes entiers d’un ouvrage d’ailleurs fort connu et figurant notamment dans ce best seller que fut le Mirabilis Liber ! On l’imagine encore moins refondant une première épître au Roi pour la redater et lui faire dire à peu près la même chose, à si peu de distance, sauf que cette fois cela annoncerait une miliade de quatrains !

   Et puis, pour en revenir à Crespin, puisque l’on lui reconnaît unanimement à présent ce caractère d’imitateur, dans ses Prophéties dédiées à la Puissance Divine (1572), alors que l’on admette qu’il ne disposait pas uniquement de l’édition de 1555 à trois centuries et demie (53 quatrains) puisqu’il se sert aussi de quatrains des Centuries VIII à X. Il aurait fallu qu’il n’ait eu aucune connaissance des éditions de 1557 comportant les sept premières Centuries, alors que l’on ne connaît aucune édition des Centuries VIII à X - qui n’accompagnent un premier volet correspondant aux éditions à VI centuries et demie (40 / 42 quatrains) de 1557.

   Car, il faut bien admettre que ces imitateurs imitent, c’est-à-dire nous informent, même de façon décalée, sur les textes de référence. Tout comme les adversaires de MDN nous renseignent sur ce qu’il écrivait, même si c’est à leur manière. Les imitateurs ne s’amuseraient pas à rédiger une Préface à César, en traduisant le Compendium, jusque là connu seulement en latin - en tout cas pas en français - s’il n’y avait pas eu quelque texte dédié par MDN à son jeune fils. Un témoin malveillant comme Antoine Couillard ne laisse, dès 1556, dans ses Prophéties, aucun doute à ce sujet et on comprend d’autant mieux que voulant “centuriser” ce texte et le placer en tête d’une imposante somme, il fallut aux faussaires lui donner plus d’épaisseur, en y interpolant l’oeuvre de l’ancien tyran de Florence, par ailleurs, auteur d’une attaque contre l’astrologie judiciaire, inspirée de celle de Pic de la Mirandole et donc nullement favorable à la discipline de MDN. On imagine mal, encore une fois, MDN allant chercher servilement son inspiration dans un tel texte même anonyme mais n’en comportant pas moins des intonations déplaisantes pour son astrologie et élaguant, de surcroît le dit texte, pour lui faire dire autre chose que ce qu’il dit ! Pitié pour sa mémoire !

   Concernant MDN, outre la question de savoir s’il était ou non doté de pouvoirs prophétiques, une autre question existe, celle de ses procédés rédactionnels plus ou moins élégants. Et si nous ne sommes pas enclins à lui accorder de tels pouvoirs - ce qui serait lui faire trop d’honneur - nous ne sommes pas davantage prêts à lui infliger l’opprobre des plagiaires au petit pied.

   Quant à soutenir que la confirmation des prophéties serait un moyen de s’assurer de leur authenticité et de ce que MDN en serait l’auteur, nous ne voyons pas pourquoi un imitateur de MDN serait un plus mauvais prophète que lui ni qu’un plagiat ne conduirait pas à de la bonne prophétie. Il est probable précisément que ces cadavres exquis que sont certains quatrains centuriques auront parfois permis les rapprochements les plus spectaculaires.

Jacques Halbronn
Paris, le 14 mars 2002

Notes

1 Cf. notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France, Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 2002. Retour

2 Cf. Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, aux Ed. Ramkat, sur le Site Nostredame.chez.tiscali.fr et sur le Site du Cura.free.fr. Voir aussi, “Le texte prophétique; discours de la méthode”, Littérature et prophéties, Revue Babel, 4, Université de Toulon, 2000. Retour

3 Cf. notre étude du “non possum”, par exemple. Retour

4 Préface à César, inspirée par le Compendium de Savonarole, mais aussi les suspectes Significations de l’éclipse, 1559, reprises de l’Eclipsium de Leovitius. Retour

5 Cf. notre étude sur le Site du CURA. Retour

6 Cf. à ce propos notre étude dans Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Ed Ramkat, 2002, à propos du plagiat du Dialogue de Maurice Joly pour forger un faux antimaçonnique. Retour



 

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