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ANALYSE

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Les éditions à sept centuries prolongées

par Jacques Halbronn

    A lire la Bibliographie Nostradamus de Michel Chomarat, pour les années 1610 - 1611, on ne peut qu’être surpris par la diversité extrême de la production centurique. Qu’on en juge (pp. 93 et seq) mais qu’est ce qui parut réellement alors, c’est ce dont il va être débattu ici :

N° 171 et 172
Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Dont il y en a trois cens qui n’ont iamais esté imprimées. Adioustées de nouveau par ledict Autheur. A Lyon. Par Pierre Rigaud.

Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Centuries VIII. IX. X. Qui n’ont encores jamais esté imprimées. Ibidem [ca1610] Bibl. Mun. Lyon Res 808163.

N° 173 :
Les Centuries et Merveilleuses Prédictions de M. Michel Nostradamus, Contenant Sept Centuries dont il y en a trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées (...) A Rouen, Par Pierre Valentin (...) Iouxte la copie imprimée en Avignon 1611 (Bibl. Ruzo).

   Il s’agit là quasiment du même intitulé que pour l’édition d’Anvers, paru une vingtaine d’années plus tôt en 1590, Les grandes et merveilleuses Prédictions etc devenant Les Centuries et Merveilleuses Prédictions.

   Le dernier quatrain de la VII porte le n°40 et non plus 35.

   Comparons la formule conclusive dans les deux éditions :

1590
“Fin des Professies de Nostradamus réimprimées de nouveau selon l’ancienne impression imprimée premièrement en Avignon par Pierre Roux Imprimeur du Legat en l’an mil cinq cens cinquante cinq. Avec privilège dudict Seigneur.”

1611
“Fin des Centuries et merveilleuses prédictions de Maistre Michel Nostradamus, de nouveau imprimées sur l’ancienne impression, premièrement imprimée en Avignon, par Pierre le Roux. Imprimeur du Légat. Avec privilège du dit Sieur.”

   On notera l’absence de la mention de l’an 1555 dans l’édition 1611 et la reprise du titre dans cette dernière tandis que dans l’édition datée de 1590 on y introduit une forme différente de celle du titre, à savoir “Professies (sic) de Nostradamus”.

N° 175

Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées. Adioustées de nouveau par ledict Autheur. A Troyes. Par Pierre Chevillot.
Les Rpopheties (sic) de M. Michel Nostradamus. Centuries VIII, IX. X. [ca 1611] suivi par Recueil des Prophéties et Révélations etc, A Troyes. Par Pierre Chevillot (...) 1611.

   Dans cette édition, les volets sont intervertis.

   Il s’agit là du même intitulé que celui de l’édition de Cahors, Jaques Rousseau, 1590. Cette édition n’est pas datée mais est associée à un Recueil qui, lui, est daté de 1611, ce qui détermine apparemment une telle datation de toutes les éditions Chevillot.

   Nous serions donc en présence de rééditions d’éditions parues en 1590, l’une à sept centuries, l’autre à dix centuries, en deux volets et deux Epîtres, augmentée cependant de Prédictions admirables avec les sixains ainsi que diverses annexes qui ne figurent pas dans l’édition de Cahors. En revanche, l’édition Pierre Rigaud, non datée, est plus semblable à celle de Cahors en ce qu’elle ne comporte ni sixains ni annexes.

N° 174
Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées. Trouvez en une Bibliothèque délaissez par l’Autheur. A Troyes. Par Pierre Chevillot.

   Suivi de :

   Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Dont il y en a trois cens qui n’ont esté imprimées où il se recongnoist le passé. Et l’advenir. Ibidem [ca 1611].

   Cette édition comporte des titres qui différent quelque peu de ceux de l’édition de Cahors, ainsi qu’une Epître à Henri IV introduisant les sixains et par ailleurs diverses annexes qui n’y figurent pas.

   On observera que sur la base d’un tel corpus, entre 1590 et 1610 / 1611, si l’on se fie aux dates indiquées entre crochets, des additions importantes sont intervenues dans les rééditions de l’édition de Cahors et quelques quatrains ont été ajoutées à la fin de l’édition d’Anvers.

N° 178
Les Prophéties de M. Michel Nostradamus médecin du Roy & l’un des plus excellens Astronomes qui furent iamais. A Lyon. MDCXI.

   Suivi par :

   Les Prophéties de M. M. Nostradamus. Centurie (sic) VIII. IX. X. Qui n’avoient esté premièrement imprimées & sont en la mesme édition de 1568. Bibl. Bruxelles Res Precieuse VH 8812 A.

   On retrouve le même intitulé que pour l’édition datée de 1605 pour le second volet. Mais le premier volet de la dite édition 1605 est ainsi formulé :

   Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Reveues & corrigées sur la copie imprimée à Lyon par Benoist Rigaud, ce qui correspond mieux à ce à quoi renvoie le titre du second volet.

   Quelles observations pouvons-nous faire sur une période qui est probablement une des plus confuses de la chronologie centurique ? En effet, en amont, c’est-à-dire jusqu’en 1588 - 89, il nous semble que le terrain est désormais bien balisé, en dépit des nombreuses éditions manquantes et des éditions antidatées et en aval, à partir des années 1620, le canon centurique est établi pour une longue période, avec les sixains notamment jusqu’à ce qu’au XVIIIe siècle, les dits sixains soient évacués ainsi que diverses annexes, et ce dans des éditions souvent antidatées comme pour la fameuse édition Pierre Rigaud 1566.

   C’est donc entre 1590 et 1620 que la situation reste à éclaircir, ce qui correspond notamment au passage d’éditions à sept centuries à des éditions à dix centuries plus sixains, en l’espace d’une trentaine d’années, sachant que les éditions à sept centuries font elles-mêmes suite à une édition de “Dix Centuries de Quatrains” parue au plus tard en 1585. Ajoutons que la période ici couverte et qui va de la mort d’Henri III, lors du siège de Paris (1589) au siège de La Rochelle par Richelieu (1627) est celle de la parution du Janus Gallicus, Lyon 1594 et Paris 1596, sous le titre de Commentaires du Sieur de Chavigny. La plupart des éditions de cette période ne sont pas datées et celles qui le sont ne le sont que sous bénéfice d’inventaire.

Les éditions Pierre Chevillot

   On s’intéressera à une édition quelque peu atypique (Bibl. Lyon B 511975), n° 174 dans la Bibliographie Nostradamus.1

   Son titre déjà mentionné plus haut :

   Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées. Trouvez en une Bibliothèque delaissez par l’Autheur

   Le titre nous intéresse en ce qu’il nous semble offrir un certain caractère d’ancienneté par rapport au titre des autres éditions Chevillot. La mention de la bibliothèque de Nostradamus nous semble correspondre à la façon dont les toutes premières éditions des Centuries se présentèrent. On imagine mal la mention de la Bibliothèque apparaître sur le tard si elle n’avait déjà existé au départ. On conçoit, en revanche, que l’on ait voulu supprimer la référence à la bibliothèque en vue d’accréditer le fait que les Prophéties étaient parues du vivant de l’auteur, avec des éditions datées de 1555, 1557 et 1560.2

   De la même façon, le titre du second volet est aussi tout à fait inhabituel, il n’y est pas fait mention des Centuries VIII. IX. X et en fait le mot même de Centurie ne figure pas du tout au titre de l’un ou l’autre volets et l’on peut même se demander si l’usage du mot Centurie au titre n’est pas en soi un trait de parution post 1589. En fait, pour le second volet, on se contente de reprendre le titre du premier volet, en ajoutant, à sa suite “où il se recongnoist (sic) le passé & l’advenir”. On peut se demander si cette présentation ne fut pas celle de l’édition à Dix Centuries de quatrains qui précéda la période des éditions à sept Centuries de la Ligue. Tout se passe, en effet, comme si l’on était passé de la forme :

   Les Prophétie (..) Dont il y en a trois cens qui n’ont esté imprimées

   à :

   Les Prophéties (....)Centuries VIII. IX. X. Qui n’ont encores iamais esté imprimées

   On voit mal l’inverse se produire.

   Il ne s’agit pas ici de contenu mais bien d’un problème de titre et si le titre ne garantit pas que le contenu soit aussi ancien, en revanche, un titre tardif est rédhibitoire pour une édition. prétendument ancienne.

   Le fait d’avoir remplacé une formule posthume :
“Trouvez en une Bibliothèque delaissez par l’Autheur”.

   Une autre ayant un sens bien différent qui annule le caractère post mortem de l’affaire :
“Adioustées de nouveau par le dict Auteur”.

   On notera aussi qu’alors que les autres versions Chevillot ont le même motif pour les deux volets, l’édition dont il est ici question comporte au premier volet le double blason France / Navarre que l’on trouve dans les autres versions mais au second volet, elle est la seule du lot à comporter une vignette caractéristique des Prophéties Perpétuelles et que l’on trouve également dans le Kalendrier des Bergers. On a toutes les raisons de penser que cette édition “à la bibliothèque” est la plus ancienne qu’ait publiée Pierre Chevillot. On voit mal que l’on ait voulu présenter une édition parue du vivant d’un auteur comme posthume mais l’inverse, en revanche, est possible.

   On fera les mêmes remarques sur le fait que la centurie VII de notre édition a 39 quatrains alors que les autres éditions Chevillot en ont davantage pour la dite centurie, à savoir 42.

   Relevons aussi que notre édition Chevillot ne comporte pas d’addition à la VII comme les autres éditions Chevillot, mais bel et bien l’addition à la VIII.3 Il est intéressant d’observer que l’annexe à la VIII serait parue avant l’annexe à la VII et dont nous savons qu’elle était reprise de l’almanach pour 1561.

   Il semble donc que du moins par certains côtés le titre des volets de notre édition Chevillot soit antérieur aux autres titres connus des éditions à deux volets.

   En ce sens, si l’on se base sur le titre des volets, l’édition Pierre Rigaud, datée c1610 dans la Bibliographie Nostradamus, porte un titre identique à celui des autre éditions Chevillot, ce qui confirme la parenté entre les éditions Chevillot “hors bibliothèque” et les éditions pseudo-rigaldiennes. Notons que les éditions pseudo-rigaldiennes Pierre Rigaud du XVIIIe siècle portent à la suite du titre type Chevillot la mention “Imprimées par les soins du Fr. Jean Vallier du Convent de Salon des Mineurs Conventuels de Saint François” qui nous renvoie à nouveau à un présentation posthume à l’instar de la formule “trouvez en une Bibliothèque délaissez par l’Autheur”.

   Rappelons que cette dernière expression est attestée par d’autres publications :

1568
Prédictions pour vint (sic) ans continuant d’an en an (...) trouvée (sic) en la bibliothèque de nostre défunct dernier décédé, Rouen, P. Brenouzer, BNF Res. PV 715 (1).

1572
Présages pour treize ans (...) trouvées (sic) en la bibliothèque du defunct maistre Michel de nostredame, Paris, Nicolas Du Mont. Bibliothèque Sainte Geneviève Reserve 1225 (5).

   Il nous semble assez évident que dans un tel contexte où la bibliothèque de Nostradamus est instrumentalisée pour produire une littérature (pseudo) nostradamique, le titre de notre édition Chevillot ne détonne guère et que c’est son absence qui surprend. Ajoutons que les ouvrages cités appartiennent au genre des prophéties perpétuelles et sont en accord avec la vignette du second volet de notre édition.

   Certes, répétons-le, le contenu de notre édition Chevillot est fort différent de celui qui dut exister lors des premières éditions des Centurie, ne serait-ce que par la présence de centuries inconnues de Crespin (1572, et par celle des sixains, ces derniers appartenant, à coup sûr, au XVIIe siècle.4

   D’autres questions se posent : celle du maintien du titre de l’édition à sept centuries seulement Anvers 1590 encore en 1611 et ce dans deux villes différentes : Avignon et Rouen. Est-on certain qu’en 1611, paraissaient des éditions à plus de sept centuries ? Rappelons qu’encore en 1620, paraissait un Petit Discours ou Commentaire sur les Centuries de Maistre Michel Nostradamus imprimées en l’année 1555 (BNF Ye 7380) s’articulant sur une édition à sept centuries, ce qui semble bien relever d’une édition des Centuries se référant à 1555 comme c’est le cas de l’édition anversoise.

   Nous ne saurions exclure l’éventualité selon laquelle l’Epître à Henri II et les centuries VIII. IX. X. qui l’accompagnent daterait seulement du courant des années 1620. A cette date, on aurait ajouté un second volet à plusieurs éditions à sept centuries, ce qui expliquerait l’existence même des deux volets qui n’a pas autrement de raison d’être. Comment se fait-il en effet que les deux volets portent l’un et l’autre le nom du libraire ? Nous pensons que cela tient au fait que l’on a converti des éditions à sept centuries en éditions à dix centuries et plus, en se servant des plaques utilisées pour les dites éditions à sept centuries, d’où le plus souvent des différences importantes au niveau de la présentation entre les deux volets, le second venant s’ajouter à une période sensiblement plus tardive. Par la suite, cela deviendra une tradition même lorsque l’ensemble sera réalisé en une seule fois :

   Donnons quelques exemples :

   Chevillot (à la bibliothèque)
Taille des caractères plus petite pour l’Epître à Henri II que pour la Préface à César.

   Chevillot (édition 1866, Delarue)
Préface à César : italique (sauf citations latines).
Epître à Henri II : pas d’italique (sauf citations latines).

   Benoist Rigaud (Reprint 2000 Chomarat)
Préface à César : italique (sauf citations latines).
Epître à Henri II : pas d’italique (sauf citations latines).

   Or, le recours aux italiques pour la Préface à César est caractéristique des éditions parisiennes 1588 - 1589 ainsi que de l’édition anversoise. Nous ignorons ce qu’il en est des éditions rouennaises car la description fournie par Benazra ou par Chomarat ne le précise pas mais on peut se fier probablement à l’édition anversoise qui en dérive, comme le montre le maintien du même titre. On voit donc que tout se passe comme si cette partie avait été conservée telle quelle et qu’on lui avait ajouté un second volet à une époque où les italiques étaient moins de mise pour un texte de plusieurs pages. On notera cependant que dans l’édition de Cahors, les deux épîtres sont en italique mais, en fait, le second volet de l’édition de Cahors est intégralement en italique, quatrains compris, alors que le premier volet n’a en italique que la Préface à César.

   Certes, le Janus Gallicus de 1594 - 1596. se réfère-t-il à une édition à plus de sept centuries mais il s’agit probablement de l’édition à “Dix Centuries de quatrains” signalée par Du Verdier, dans sa Bibliothèque (1585).

   Nous dirons que la base des éditions à dix centuries est constituée des éditions à sept centuries mais que ce passage est tardif et pourrait ne s’être produit qu’au cours des années 1620, après la parution des sixains. Quant aux Présages qui figurent dans les éditions troyennes Pierre Du Ruau - mais non dans les éditions Pierre Chevillot - et à sa suite dans les éditions d’Amsterdam (1667 - 1668), ils se réduisent à ceux qui sont commentés dans le Janus Gallicus.

   Le premier volet de l’édition de Cahors nous apparaît comme le plus proche du premier volet de nombre d’éditions ultérieures, à ce détail près que tout semble indiquer que l’on ait également tenu compte des éditions parisiennes pour constituer l’annexe à la VIIe Centurie, ce qui ne posait guère de problème puisque la dite annexe se plaçait tout à la fin du premier volet, ce qui ne bousculait pas pour autant l’agencement du dit volet; Cette annexe ne figure pas, précisons-le, dans les éditions d’Anvers et de Cahors, parues en 1590 ; mais dans la totalité des éditions du XVIIe siècle à deux volets. Le cas des deux volets de l’édition Cahors est remarquable (Bibl. Soc. Lettres de l’ Aveyron, Rodez) en ce qu’il ne comporte ni l’annexe à la VII dans le premier volet ni, dans le second volet, celle à la VIII et pas davantage les sixains, ni d’autres éléments figurant dans le Janus Gallicus. Il faut donc y voir un premier stade de composition du second volet, avec en effet une version distincte de l’Epître à Henri II (cf. infra).

   Une telle politique d’ajout de modules à une même base à sept centuries est soulignée chez les libraires troyens, tant Chevillot que Du Ruau, par la présence, en troisième position, à la suite des pièces nostradamiques du Recueil des Prophéties et Révélations. Contenant un sommaire des revelations de Saincte Brigide, S. Cyrille etc.5 Notons que Chavigny affectionne toutes ces prophéties et notamment St Catalde & la sibille Tiburtine6 comme cela ressort des Pléiades, (...) où en l’explication des antiques Prophecies conférées avec les Oracles du célébre & célébré Nostra-Damus (sic) est traicté du renouvellement des siècles etc dont la première édition date de 1603, chez Pierre Rigaud - d’autres éditions suivront en 1606 et 1607, toujours chez le même libraire - et dont seulement une partie concerne Nostradamus. On pourrait considérer qu’un tel ensemble correspond assez bien au corpus chavignien. Déjà en 1594, dans un Avis au Lecteur (commençant par “Que la Providence de Dieu est très grande”, p.18) en tête du Janus Gallicus, Chavigny dressait tout un historique des prophéties avant de passer à Nostradamus et cite nommément ce Cyrille qui figure au titre du Recueil des Prophéties et Révélations, lequel recueil avait déjà connu une longue carrière au XVIe siècle : on citera notamment une édition parue en 1582 chez Benoist Rigaud: (Bibl. Amiens, fonds Lescalopier).

   Notre édition Chevillot ne dispose pas ce Recueil tandis que l’autre version Chevillot en dispose.

   Mais quid des éditions rigaldiennes lesquelles correspondent au contenu des deux volets de l’édition Cahors “prolongée” ? On notera qu’elles ne comportent pas la variante de l’Epître à Henri II à laquelle nous faisons référence, à savoir :

Cahors 1590:
“Mesmes de l’année 1585.1605 commençant depuis le temps présent qui est le quatorzième de mars 1557 etc.”

Chevillot
“Mesmes de l’année 1585 & de l’année 1606 accomençant depuis le temps présent qui est le 14 de Mars 1557 etc.”7

   S’agirait-il, pour le second volet, d’un état intermédiaire entre l’édition Cahors et l’édition Chevillot étant entendu qu’il a pu exister des éditions à sept centuries publiées par les Rigaud (Benoist, Héritiers Benoist Rigaud, Pierre Rigaud) au cours de la décennie 1590. Mais pour le second volet, on parle ici de la décennie 1620 et souvent à l’initiative d’autres libraires ou de leurs successeurs. Si on admet que les éditions Chevillot sont issues des éditions Rigaud et non pas l’inverse, que l’on n’a pas retiré des éléments mais qu’on en a ajoutés, que s’est-il passé au XVIIIe siècle avec les éditions pseudo-rigaldiennes ? Il semble que l’on se soit en fait contenté de reprendre les anciennes éditions Benoist et Pierre Rigaud, augmentées de leur second volet, quant à lui, plus tardif, et le choix porta précisément sur les Rigaud parce qu’il correspondait à une volonté d’élagage du canon, telle que demandée dès 1656 dans l’introduction à l’Eclaircissement des véritables quatrains de Michel Nostradamus.

   Comment distinguer les fausses éditions Rigaud du XVIIIe siècle des éditions “augmentées” du XVIIe siècle ? Dans le premier cas, il y a unité de présentation car le travail a été fait d’une seule traite tandis que dans le second, chaque volet est bien différencié, comme on peut le voir, entre autres, dans l’édition non datée Poyet, où la Préface à César est en italique alors que l’Epître à Henri II ne l’est pas. L’édition Benoist Rigaud 1568 offre le même type de décalage entre les deux volets que l’édition Cahors 1590 ou que l’édition Poyet ou même l’édition Chevillot. En revanche, pour le XVIIIe siècle les éditions Du Ruau, avec les deux Epîtres en italique et les éditions qui en dériveront en Hollande, offrent un ensemble épistolaire homogène au niveau graphique comme le feront les éditions du XVIIIe siècle. Une fois de plus, on notera que les éditions les plus anciennes sont les plus hétérogènes car elles subissent des ajustements qu’elles n’ont pas eu le temps de gommer mais à leur tour des éditions complètement refondues peuvent à leur tour subir des additions qui ne seront effacées que plus tard en tant que telles et ainsi de suite. Si l’on remonte aux toutes premières éditions qui ne sont pas conservées, on peut supposer que le second volet pouvait différer graphiquement du premier avec cette différence que chaque volet ne comportait alors que 300 quatrains, auxquels seront rajoutés quelques dizaines de strophes dans un troisième temps. De même l’addition à la centurie IV est encore marquée comme telle dans les éditions parisiennes de 1588 - 1589 alors qu’elle n’est plus signalée dans l’édition d’Anvers 1590 qui gomme également l’addition à la VIe centurie, après le 71e quatrain.

   On serait donc confronté à un phénomène d’addition d’un second voire, avec le Recueil des Prophéties et Révélations, d’un troisième - en 1866, viendra s’ajouter un quatrième constitué des Prophéties Perpétuelles de Thomas Joseph Moult. Un tel procédé permettait à bon compte de produire - dans tous les sens du terme - des éditions augmentées en attribuant à des libraires la production d’un deuxième volet centurique en réalité plus tardif voire postérieur à leur période d’activité comme ce sera le cas pour Benoist Rigaud, dont l’activité s’arrête en 1597, même si bien entendu le contenu de ce volet était, quant à lui, connu de longue date, ce qui semblait exclure une quelconque imposture. Insistons donc sur le fait que l’imposture ne consistait pas à introduire mais à réintroduire trois centuries et surtout une Epître à Henri II retouchée et comportant de nouveaux éléments. Il semble bien en définitive que c’est bel et bien la date de la version en question “à la miliade” de la dite Epître qui était l’enjeu principal, plutôt que le contenu des quatrains des centuries en question. VIII-X. Car si l’on peut plus ou moins vérifier que les quatrains n’ont pas changé par quelques recoupements au demeurant insuffisants (compilation de Crespin, en 1572, Janus Gallicus, en 1594, laquelle vient montrer que la numérotation des quatrains est déjà acquise sur la base de l’éphémère édition à “Dix centuries de quatrains”, parue au début des années 1580), en revanche, on ne sait pas grand chose du contenu de l’Epître à Henri II. avant la mise en place, dans les conditions que l’on sait, de la version “à la miliade”, tant il est vrai qu’un même titre peut recouvrir plusieurs contenus.

   De quand date la présence de l’annonce de 1792, dans l’Epître à Henri II ? Quid de l’importance accordée à l’an 1606, tant par son ajout aux côtés de l’an 1585 que des positions planétaires concernant cette année là et non signalées comme telles dans l’Epître ? Que n’a-t-on pas fait annoncer à Michel de Nostredame en 1558, la date restant, elle, immuable, sauf à considérer celle figurant en tête des Présages Merveilleux pour 1557 et datée de 1556 ? On nous objectera que 1606 ne parait pas, du moins rétrospectivement, une date si importante qu’elle pouvait justifier une telle entreprise et qu’en outre cette échéance était déjà révolue dans les années 1620. Est-ce que cette mention ne serait pas au contraire la preuve que la rédaction de l’épître “à la miliade” est antérieure à 1606 ? Rappelons que l’Epître à Henri IV qui sera jointe au dit volet VIII-X est, quant à elle, datée de 1605 alors que les sixains qui l’accompagnent ne sont certainement pas de cette époque8, sixains qui, au demeurant, apportent un complément numérique de 58 strophes justifiant la miliade. Car rappelons la fiction de l’Epître à Henri IV : ces sixains ont été retrouvés dans les papiers de Nostradamus et donc quand Nostradamus rédige son Epitre à Henri II, il est supposé les avoir déjà composés mais non publiés mais on suppose qu’il tient scrupuleusement la comptabilité de ses strophes et que celles-ci émergent peu à peu, complétant un puzzle à 1000 pièces, fiction qui ne tient nul compte, soulignons-le des déclarations du Brief Discours sur la vie de Michel de Nostredame, en tête du Janus Gallicus, concernant l’existence de douze centuries et repris en tête de nombreuses éditions du XVIIe siècle sous le titre “La Vie de Maistre Michel Nostradamus” - ce qui implique a priori plus de 1000 strophes surtout si l’on se fie aux numéros des quatrains fournis - dont des échantillons sont commentés dans le recueil en question sous la direction de Jean Aimé De Chavigny :

   “Ayant (il y a quelques années) recouvert certaines Prophéties ou Pronostications, faictes par feu Michel Nostradamus, des mains d’un nommé Henry Nostradamus, neveu dudit Michel, qu’il me donna avant de mourir & par moy tenues en secret iusques à présent (...) recogneu que j’ay (ayant reconnu) la vérité de plusieurs sixains advenus de point en point comme vous pourrez voir etc” (19 mars 1605). La formule “tenues en secret” est à rapprocher de celle du Brief Discours “Ces deux dernières (XI et XII) ont long tems tenu prison”, d’ailleurs les 58 sixains porteront dans certains éditions le nom de Centurie XI, renforçant l’impression d’un corpus éclaté, avec des centuries qui seraient restées incomplètes, l’important, somme toute, étant la sommes des quatrains et non le nombre de Centuries. Mais enfin - tout est bien qui finit bien - on atteignait la miliade grâce à ces sixains qui trouvaient ainsi leurs lettres de noblesse tant et si bien que l’on peut se demander si toute cette mise en scène ne visait pas plutôt, plus encore que la nouvelle mouture de l’Epître à Henri II, la mise en circulation des dits sixains, bien axés sur les enjeux du début du XVIIe siècle, ce qui expliquera leur succès tout au long du siècle avant que le siècle suivant ne les évacue tout en conservant l’Epître “à la miliade”, laquelle se trouve, soulignons-le, dans toutes les éditions connues à 10 centuries, y compris dans celles datées de 1568 et présentées comme parues chez Benoist Rigaud, alors que le corpus de quatrains est désormais réduit à 942.

   Les faussaires ont un talon d’Achille, le besoin d’économiser. A force de faire des économies, on commet des imprudences et notamment en ce que l’on récupère des données en les retravaillant le moins possible et cela laisse des traces ; c’est tout le problème des plagiats, surtout quand ceux-ci ont pour objet de réaliser des contrefaçons.9

Jacques Halbronn
Paris, le 5 février 2004

Notes

1 Cf. aussi RCN, pp. 172 - 173. Retour

2 Cf. notre étude sur “les chronologies officielles des premières éditions centuriques”, sur Espace Nostradamus. Retour

3 Cf. RCN, p. 75. Retour

4 Cf. nos Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, pp. 139 et seq. Retour

5 Cf. notre étude sur le Mirabilis Liber et Lichtenberger sur le Site Cura.free.fr et RCN, pp. 54 - 55, 112. Retour

6 Cf. RCN, p. 155. Retour

7 Cf. Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, op. cit., pp. 85 et seq. Retour

8 Cf. Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus. Retour

9 Cf. le cas des Protocoles des Sages de Sion in Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002. Retour



 

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