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ANALYSE

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La présence lyonnaise de Nostradamus

par Jacqueline Allemand

Directrice du Musée “La Maison de Nostradamus” à Salon-de-Provence

Michel de Nostredame

    Nombreux sont les liens qui unissent la ville de Lyon et le personnage de Michel de Nostredame, dit Nostradamus, médecin, “astrophile”, né en 1503, à St-Remy-de-Provence, et mort, en 1566, à Salon-de-Provence, où il s’était installé depuis près de 20 ans, dans une maison du quartier ancien, aujourd’hui transformée en Musée.

   La renommée de Lyon, à la Renaissance, était telle que la rencontre ne peut que paraître évidente. Notre homme se rend à pluusieurs reprise dans le “Lyonois”, d’abord pour parfaire son savoir, ensuite pour soigner, pour rencontrer des gens importants et surtout pour imprimer tous ses livres.

   Lyon fut très tôt siège de grandes foires internationales, grand rendez-vous des libraires et des imprimeurs, au carrefour des routes et de voies d’eau. Ceux qui s’y rendent bénéficient des plus grands privilèges et on y débite en très grande quantité : almanachs, pronostications etc, et selon Rabelais, on y vend en une seule fois plus d’exemplaires de Gargantua que de Bibles en dix ans.

“Où est la ville ayant tel bruit
En Changes, Foires, Marchandises ?
Nulle mieux que Lyon ne bruit,
Soient les Anvers, ou les Venises”1

La Cour à Lyon

   Rois et reines ont pris l’habitude de séjourner à Lyon en compagnie de toute la Cour, et parfois, durant de longs mois, voire des années.
Charles VIII, Louis XII…

   François Ier fait une entrée triomphale le 12 juillet 1515 avec ses troupes et son gouvernement. Marguerite, sœur du roi, future reine de Navarre, fine lettrée, est à l’écoute des nouvelles idées et va permettre à l’ “humanisme” de se développer.

   En 1522, François Ier rend visite à Pierre Sala dans son domaine de l’ “Antiquaille”, puis en août 1524, la Cour s’installe pour un séjour de 18 mois, et à cette époque, Henri Corneille Agrippa (1486-1535), correspondant de Didier Erasme à Louvain, est médecin de la reine-mère Louise de Savoie, à Lyon, mais sa renommée de “sorcier” le fera vite entrer en disgrâce.

   Le 27 mai 1533, vient à son tour la reine Eléonore, 2ème épouse de François Ier, et sœur de l’empereur Charles Quint.

   L’année 1548 donne l’occasion d’offrir une somptueuse “entrée” au roi Henri II.

   En 1564, Catherine de Médicis entreprend un voyage de deux ans, à travers la France, pour faire visiter le pays à son fils, le jeune roi Charles IX, âgé de 14 ans, espérant que le peuple sera ému par cet enfant-roi et se ralliera à ses côtés si les troubles de la Religion s’amplifient.

   Sept mille chevaux accompagnent la Cour dans ce périple qui permettra à cette royale équipée de s’arrêter à Salon-de-Provence, le 17 octobre 1564, pour rendre hommage à Nostradamus, le nommer médecin du roi et conseiller de la reine.

   Dans ce cheminement de deux ans, après Bar-le-Duc, c’est à Lyon que séjourne le cortège : un arrêt avait été prévu dans un cadre enchanteur, à L’Isle-Barbe, petite abbaye sur la Saône, qui passait pour avoir été restaurée par Charlemagne, et possédait une très riche bibliothèque.

   L’entrée offerte à Charles IX fut mémorable : sur des colonnes, porte de Vaise, figuraient des allégories évoquant les livres, la philosophie, tous signes marquant l’élégance intellectuelle de cette ville. Le jeune roi logeait au palais archiépiscopal, au bord de la Saône et se trouva fort réjoui de cet accueil. Il se rendait parfois dans la belle maison de Thomas de Gadagne où résidait le Duc d’Anjou.

   Hélas, une grosse épidémie de peste chassa la Cour à cinq lieues de la ville (8 juillet 1564).

   Durant les séjours lyonnais, les personnages de la Cour logeaient chez l’habitant qui revait donc d’avoir un logis à la hauteur de son rang. François Ier était reçu par Pierre Sala dans sa riche maison de l’ “Antiquaille” alors que Charles IX se rendait, pour les repas, chez les Gadagne à Beauregard, ou chez les Gondi, au Perron, tandis que les Bullioud, cités dans la correspondance de Cornelius Agrippa hébergeaient le Cardinal du Bellay.

L’urbanisation lyonnaise

   Le plan de Lyon, vers 1550, laisse bien entrevoir la densité des constructions et la nécessité de s’adapter à l’accroissement démographique dû aux foires renommées et au rayonnement intellectuel qui appellent de nombreuses populations à emprunter ce carrefour de l’Europe.

   “Lyon en France est cœur d’Europe”, écrit Barthélémy Aneau dans Lyon marchant en 1541.

Plan de Lyon

Plan scénographique de Lyon vers 1550, A.M.L..

   Mais pour cela il faudrait songer à franchir le Rhône, à une époque où la Part-Dieu n’est encore qu’une campagne tranquille.

   Les Tables claudiennes découvertes en 1528, et exposées dans l’Hôtel commun avaient provoqué chez les lyonnais cultivés, un véritable attrait pour le cours de d’histoire, d’où le manuscrit des Antiquités de Lyon, attribué à Pierre Sala, collectionneur de vestiges, mais leur intérêt pour les vieilles pierres ne se transforme pas encore en belles réalisations.

   Pourtant un maître-maçon se prépare : Philibert de l’Orme (v1513-1570) a hérité de son enfance lyonnaise, l’amour des mathématiques, en particulier la géométrie qui caractérisera plus tard la société élégante de la Renaissance. En véritable disciple de Platon et de Pythagore, il laissera sa signature inscrite dans la gallerie Bullioud :

“Nullus expers mathematices ingrediatur”
(Nul n’entre ici dénué de Mathématiques)

   Peut-être est-ce l’héritage laissé par Nicolas Chuquet qui dispensait son enseignement rue Grenette (de 1480 à 1488), repris en écho par les imprimeurs de la rue Mercière qui éditaient les premiers ouvrages de cette discipline : L’œuvre très subtile de Juan de Ortega par Simon Vincent, en 1515, Arismetique d’Etienne de la Roche, édité par lui-même, en 1520.

   Malgré leurs séjours lyonnais respectifs, c’est à Rome où Philibert est allé parfaire ses connaissances qu’il rencontre françois Rabelais, dans le sillage de Jean Du Bellay (1492-1560), et sympathise avec lui, évoquant les souvenirs de Lyon et discutant d’Urbino, la “cité idéale”, ou de Theleme, l’abbaye rabelaisienne imaginaire.

   Lors de son premier retour d’Italie, en 1536, en pleine période de trouble à Lyon, au moment où François Ier annexe la Savoie pour sa mère, rendant furieux Charles Quint, et juste avant la parution du Traité d’Architecture du grand Sébastien Serlio, Philibert de l’Orme réalise la gallerie de l’Hôtel d’Antoine Bullioud, rue Juiverie, avec ses fameuses “trompes”.

Architecture

   L’architecte écrit dans son traité qu’il préfère travailler pour les grands seigneurs même s’il veut bien construire “pour hommes médiocres, pourvu qu’ils aient bon entendement et bon jugement [des] oeuvres qu’on fait”. Il se mefie de la bourgeoisie ou des marchands récemment anoblis qui constituent grande part des clients lyonnais.

   Sans doute se satisfera-t-il pleinement des commandes passées par Jean du Bellay à St-Maur-lès-fossés ou par François Ier à Anet et Fontainebleau !

   Marguerite de Bourg, l’épouse d’Antoine Bullioud, est reconnu comme une femme d’excellence. Proche de l’évêque-poète Pontus de Thyard, elle est versée dans les mathématiques et l’astronomie. Après la mort de son mari, 1546, elle tient salon dans sa belle maison du quartier Saint-Paul où elle reçoit des érudits parmi lesquels Maurice Scève, peu gêné par le dicton selon lequel la Saône répartit “A Saint-Jean, la noblesse, à Saint-Paul, la richesse”.

   Michel de L’Hospital, qui visite la ville en 1559, trouve que les maisons de Lyon ont une hauteur démesurée. En fait le parcellaire lyonnais, en lanières, imposait des façades étroites et hautes qui cachaient des maisons profondes parfois doubles et unies par un même escalier monumental, avec des appartements reliés par des galeries. Les passages ou “traboules” (tras ambulare = traverser) permettaient de passer de l’une en l’autre maison, sans problème, à flanc de colline, parfois plaçant les “estables... au plus hault du logis” comme le dit Rabelais dans la bouche de Gargantua.

   Le pont du Rhône, véritable porte stratégique, amène son flux d’arrivants vers l’Hôtel Dieu, la Cathédrale Saint-Jean, la petite chapelle de Fourvière (pas encore basilique), ou bien encore la rue Mercière, suivant qu’ils sont malades, pèlerins, voire auteurs en quête d’éditeurs.

   C’est une époque où les banquiers sont puissants. La ville prête, même au Roi, et investit les bénéfices.

Les banquiers

   Avec François Ier, la ville de Lyon est devenue le premier bailleur de fonds de l’Etat. Charles Quint exige pour libérer le roi français, prisonnier à Madrid, une rançon que seuls, le banquier lyonnais Thomas de Gadagne et quelques autres riches marchands, vont pouvoir rassembler.

   Plus tard, vers 1545, “l’homme de la Roche”, le banquier Jean Kleberger de Nüremberg, appellera à la rescousse ses compatriotes toujours pour aider le roi.

   Venu en France, après avoir épousé en 1528, puis abandonné, la fille de Willibald Pirkheimer, humaniste allemand, possesseur de la meilleure bibliothèque de sa région et grand ami du célèbre peintre et graveur de la renaissance Albert Dürer, J. Kleberger, touché par la détresse des habitants, à son arrivée à Lyon, participe à la création de “La police de l’Aumône” n’hésitant pas à verser une somme considérable pour nourrir les pauvres, élever les orphelins, soigner les indigents, fournir du travail, comme il l’avait vu faire dans sa ville de Nüremberg.

Albert Dürer et Willibald Pirkheimer

Albert Dürer et Willibald Pirkheimer, ami d'enfance de Jean Kleberger,
qui donnera à ce dernier, sa fille Felicita, en mariage.

   Il faut dire qu’en 1529, la ville avait beaucoup souffert “de la rebeine... ou rebellion du populaire... contre les conseillers de la cité et notables marchans, à cause des bleds” comme le décrit le célèbre bibliophile et non moins grand bibliographe Antoine Du Verdier (1544-1600).

   La sécheresse de plusieurs années avait épuisé et affamé le peuple qui, durant 3 jours, pille et saccage couvents, églises, la maison de Symphorien Champier, l’Hôtel de Ville...

   En octobre 1530, c’est au tour des gens de métier, et notamment des imprimeurs, de se rebeller devant des conditions de travail devenues exécrables : peste, ravitaillement difficile, affrontements religieux.

   Aussi, en 1531, une grande famine secoue la ville. 8000 pauvres sont dénombrés, soit 1/5 de la population, et c’est dans ces conditions que Kleberger intervient pour aider la ville, comme il a été dit ci-dessus.

La peste et les médecins

   Depuis “la grande peste noire” de 1348, et pendant plus de deux siècles, cette pandémie resurgit tous les dix ans, faisant des ravages dans toute l’Europe, décimant les populations. Elle sévit durant 36 ans au cours du XVIème siècle, en huit grandes épidémie, si bien qu’une “quarantaine” est mise en place près du nouvel hôpital Saint Laurent des Vignes dont on doit l’agrandissement à la générosité de “Monsieur de Beauregard, sieur Thomassin Gadaigne”.

   On procédait à l’isolement de l’Hôtel Dieu aussi souvent que nécessaire. On recouvrait les cadavres de chaux et on éloignait mères et enfants. Les pestiférés étaient chargés sur des espèces de pirogues, comme celles qui ont été retrouvées récemment au quartier Saint-Georges. Ces bateaux descendaient le fleuve jusqu’à Saint-Laurent, car, déjà en 1494, Charles VIII trouvait insupportable de ne pouvoir se promener sur les berges de la Saône sans y croiser la contagion, d’autant plus que, sur le parcours, se trouvaient les Antonins chargés d’accueillir, de soigner et de nourrir les “pesteux”.

   Nostradamus raconte en son Traité des Fardements et Confitures que “la peste estoit tant grande & tant espouvantable que mourroit de peuple sans comparaison de toutes âges, en mangeant & beuvant, tellement que les cimetieres estoient si pleins des corps morts, que l’on ne sçavoit plus lieu sacré pour les enterrer”. Aucun médicament ne faisait de l’effet, “pas même la tyriaque2 d’Andromachus composée justement au vray” et “la fureur de la maladie estoit si enflambée, qu’il n’en eschappa pas un : quand on avait faict la visitation par toute la cité, & jetté hors les pestiferes, le lendemain en y avoit plus que au paravant.”

   Nostradamus explique encore que cette peste “estoit tant maligne”, que “plusieurs affermoient que cestoit punition divine”.

   Et la contagion était si violente qu’il semblait que d’un seul regard, on pouvait contaminer l’autre. Les gens mourroient de saignements du nez, les femmes avortaient. Plusieurs “se sont jettes dedens les puix, d’autres se sont précipitez de leurs fenestres en bas sus le pavé”, et “la désolation estoit si grande, que avec l’or et l’argent à la main souventes mourroit-on faute d’un verre d’eau...”

La peste !

   Symphorien Champier, médecin du duc de Lorraine en 1506, formé à Montpellier et à Padoue, installé à Lyon et et échevin en 1520 et 1533, tentera tout ce qu’il pourra pour améliorer l’hygiène de la ville.

   En 1532, François Rabelais arrive à Lyon, dans une ville en pleine activité commerciale et intellectuelle mais où grouille aussi cette faune famélique, berceau de la peste et de la vérole.

   A Montpellier, il est allé compléter son savoir en médecine : il y a étudié les Anciens, Galien et surtout Hippocrate, les médecins arabes d’Avicenne et de Rhazes, y a pratiqué des dissections. Il s’est aguerri aux nouvelles thérapies : médicaments préparés à base de simples (= plantes que l’on peut cueillir et utiliser simplement), destinés à contrebalancer l’influence des planètes pour que le corps de l’homme puisse se retrouver en harmonie avec l’univers.

   On commence à soupçonner et que la contagion peut se propager par particules invisibles ou “séminaria” comme l’écrit le médecin-philosophe veronais Girolamo Fracastoro, praticien des papes, reines et empereurs, dans son De contagione, en 1546. On lui doit aussi le nom de “syphilis” posé sur ce que l’on appelle à l’époque le “mal français” qui fait des ravages.

   Il faut dire que jusque là, le monde médical en était resté aux préceptes d’Augier Ferrier, médecin toulousain, qui clamait : “quant la peste se déclare il faut partir vite, loin, et revenir tard !” Bayard, le “preulx chevallier”, ainsi nommé par son cousin S. Champier, n’avait pourtant pas été le dernier à fuir la peste lorsqu’elle était arrivée à Grenoble. Et François Ier qui avait perdu un de ses fils de ce mal terrible, en avait été très affecté, et vouait depuis, une grande dévotion à Saint Roch.

   Ainsi, la médecine ne pouvait faire que des progrès et découvrir un autre horizon que les saignées et les lavements administrés au pauvre roi Henri II, blessé à l’œil en tournoi, et agonisant.

   Théophraste Bombast von Hohenheim, dit Paracelse (1493-1541), de Zurich, est en train de mettre au point sa “Théorie des signatures”, basé sur le principe selon lequel Dieu a mis sur terre les maladies mais aussi les moyens de les soigner ; il se met donc en quête de plantes aux feuilles lobées et au suc jaune pour soigner les maladies de foie, énonçant “Rien est poison, tout est poison, c’est une question de dose”.

   Nostradamus, étudiant en médecine, avec Rabelais, à Montpellier, met en pratique les premières notions d’hygiène : protection de la bouche et du nez à l’approche des contagieux, désinfection des abords avec des essences de plantes, du vinaigre, une flamèche pour tuer les “miasmes”, autant de jalons pour assurer la réussite de son électuaire anti-peste qu’il prépare lui-même, n’accordant aucune confiance aux apothicaires qui donnent à gâcher la marchandise à leurs apprentis (appréhension rencontrée aussi chez Symphorien Champier).

   Il prône comme Fracastoro, les régimes reconstituants, les traitements préventifs et nettoie les bubons (abcès pesteux) avec des cautères, instruments métalliques portés au rouge et appliqués sur la plaie comme il le recommande et le dessine, dans une lettre au cardinal Laurent Strozzi qui l’avait mandé à Béziers pour une consultation, en 1559.

Lettre à Strozzi

   Mais pour comprendre l’attirance de la ville de Lyon sur Nostradamus, il faut parachever ce tableau en y ajoutant un noyau incomparable : le cercle des imprimeurs.

Les imprimeurs

   En 1470, sort le premier livre parisien sur le presses de la Sorbonne. Trois ans plus tard, Barthélémy Buyer publie le premier ouvrage lyonnais : le Compendium breve.

   Dès lors, les ateliers vont se multiplier et produire des livres accessibles à tous les publics, tant sur le contenu que sur le prix, usant les lettres et les bois jusqu’à l’extrême limite.

   Claude Nourry, dit “le prince”, produit des petites plaquettes populaires, illustrées de bois gravés, avec des caractères gothiques et le peintre Guillaume II Leroy lui dessine sa 1ère marque.

   François Rabelais le rencontre, dès son arrivée à Lyon, en 1532, pour son Pantagruel et sa Pronostication. C’est justement pour l’imprimerie que Rabelais se rend à Lyon et il y arrive au moment de la plus grande expansion.

L'imprimerie

   Lyon a produit 1/3 des éditions françaises de la fin du XVIème siècle (près de 1200 éditions sont conservées). La production va doubler dans le 1er tiers du XVIème siècle (2500 éditions) pour faire de cette ville la capitale de l’imprimerie européenne, au milieu du XVIème siècle. A cette époque un Gryphe ou un Rigaud sont capable de faire un millier d’éditions.

   La rue Mercière, la rue Ferrandière, et les rues avoisinantes abritent près d’une centaine d’ateliers. On imprime à tous les étages, jour et nuit, et cette production fait vivre 5 à 600 personnes.

“en mille maisons au dedans
un grand million de dents noires
un million de noires dents
travaille en foires et hors foires”3

   L’affaire des Placards, en octobre 1534, va donner un coup de frein à cette industrie prospère : en une nuit, sont affichés à Paris, Orléans, Amboise et jusque sur la porte de la Chambre du Roi, à Blois des milliers de manifestes, contre l’Eglise, d’une rare violence.

   Ils sont l’œuvre d’Antoine Marcourt, un lyonnais réfugié à Neuchâtel, et sortent des presses de Pierre de Vingle, gendre de Claude Nourry.

   La répression va être sévère mais épargera Lyon. Pourtant les proches de Nourry préfèreront fuir : Rabelais s’absente un peu, Calvin part pour Fribourg auprès d’Erasme qui le tempère, Clément Marot se réfugie à Nérac chez Marguerite d’Angoulême, la sœur du roi, puis sur ses conseils, à Ferrare, chez Renée de France, cousine et amie de celle-ci.

   L’imprimerie va alors changer d’optique laissant à Troyes les livres de colportage (bibliothèque bleue) et s’appropriant le livre humaniste, jusque là apanage des parisiens.

   Josse Bade, de passage à Lyon, venant de Belgique fut le premier à se lancer dans cette entreprise pour ressortir les textes de l’antiquité, les traduire, les diffuser. Correcteur chez Jean Treschel dont il épousa la fille avant de s’établir à Paris, il prépara des éditions savantes avec des gloses dans les marges se référant à Seneque, Virgile ou Ciceron.

   Le plus connu de ce type de travail était le savant Alde Manuce de Venise, qui avait créé ses propres caractères “italiques”. Il restaurait des classiques grecs et latins pour les diffuser à un rythme soutenu.

Sébastien Gryphe                Sébastien Gryphe

   Sébastien Gryphe qui exercera à Lyon, de 1528 à 1566, à l’enseigne du griffon, le prend pour modèle et distribue, à son tour, des éditions élégantes.

   Son atelier réunit des savants comme Guillaume Scève, Barthélémy Aneau, Etienne Dolet, André Alciat…, les plus grands humanistes de cette époque qui célèbrent Gryphe dans leurs écrits.

   Un de Tournes qui réalisera de purs joyaux est d’abord compositeur chez lui durant une dizaine d’années.

   Ces érudits partagent leurs connaissances, maîtrisant le grec, l’hébreu parfois ; la langue latine leur permet d’échanger avec toute l’Europe.

   Après 1540, Rabelais lettré et scientifique, qui s’attache à retrouver le texte d’origine et maîtrise le grec, contrairement à bon nombre de professeurs, s’adresse à Sébastien Gryphe, pour éditer ses traductions d’Hippocrate, Manardi ou Galien. Son atelier est le point de rencontres le plus prisé des humanistes. Il a même créé, selon Baudrier, une “société angélique” pour les libres-penseurs.

   Mais l’imprimerie lyonnaise va évoluer, à la sortie d’une grande grève des typographes qui dure de 1539 à 1542 : la hausse des prix des matières premières et des terrains contraint les libraires à augmenter les cadences pour compenser les pertes de bénéfice. La révolte d’un milliers d’ouvriers s’inscrit dans une crise économique plus générale encore.

   J. Boucher écrit : “il y a, à Lyon, en 1545, 29 libraires, marchands et capitalistes pour la plupart sans presses, et 60 imprimeurs qui travaillent le plus souvent pour eux.”

   Désormais, les libraires, pour assurer leurs arrières, se lanceront parallèlement dans d’autres affaires : commerce des textiles, des soieries, ou même du vin comme pour Guillaume Rouille (1544-1589), spécialiste de livres illustrés de médecine, de droit, de traductions (Mathoile, Alciat, Dante…) qui habitait, à Lyon, dans la belle maison dite “d’Horace Cardon”, imprimeur rue Mercière, sur la rive gauche de la Saône.

   Certains seront nommés au rang d’échevins de la ville, et quelques-uns créent des dynasties, croisant mariage et matériel d’imprimerie. Parfois, ils s’associent à d’autres gens de valeur.

   Etienne Dolet, universitaire, collaborateur de Gryphe, édita, en 1542, le Pantagruel et le Gargantua de Rabelais, avant d’être brûlé, en 1546, à Paris pour ses idées trop subversives et ses livres “prohibées et damnés”.

Nostradamus à Lyon

   Lui aussi arrivera par le Pont du Rhône cherchant l’Hôtel Dieu.

A Lyon

Première visite :

   La première fois, ils ne vient pas à Lyon pour publier ses livres car il est trop jeune et en quête de perfectionnement. Il écrira dans son Excellent et moult utile Opuscule à touts nécessaire... ou Traité des fardements et confitures, écrit en 1552, qu’il “n’est permis à exerceant la faculté Iatrice [=de soigner] de rien rediger par mémoire quilz ne soient au soleil couchant [=qu’ils n’aient atteint un certain âge]”, ce qui explique peut-être qu’il ait commencé à publier ses ouvrages aux environs de 50-52 ans.

   En 1520, lorsque le collège d’Avignon ferme ses portes pour cause de peste, il parcourt le pays durant huit ans, pour étudier les plantes et comparer la façon de faire des uns et des autres : “j’ay veu la façon de Thoulouse, de plusierus [plusieurs] de Bourdeaux, de la Rochelle… & de toute la Provence, du Dauphiné, du Lyonois… Protestant que de tout ce que j’ay cy escrit de l’avoir le tout fait ou fait faire : et la plus grand part en ma présence”.

   Il ajoute que Lyon possède “une même renommée” que les villes qu’il a déjà évoquées “la ou la faculté de médecine estoit souverainement faite”, grâce à la personne de Philibert Sarrazin qu’il avait déjà questionné sur ses principes et qui, selon lui, avez eu tort de se retirer à Villefranche.

   Son premier passage à Lyon doit donc dater des années 1520-1525, où à peine âgée d’une vingtaine d’années, il multiplie les contacts avec les maîtres.

   Symphorien Champier (1471-1537 ou 39) qui a fait comme lui et comme Rabelais, sa médecine à Montpellier (1495 à 1498) peut être un de ceux-là. Sa célébrité s’était étendue hors du lyonnais. Il était devenu médecin personnel d’Antoine, duc de Calabre, devenu duc de Lorraine, à la mort de son père René II, et on sait que l’arrière grand-père de Nostradamus était proche de cette famille. Traducteur du Livre de l’ordre de Chevalerie écrit en 1274 par Raymond Lull, il présentait un autre attrait pour Michel de Nostredame qui possédait un livre de Jean Duns Scot (XIIIème siècle aussi) et avait brûlé, de son propre aveu, ses vieux ouvrages dans lesquels il cherchait, sans doute, des textes fondateurs et la transmission d’un savoir sacré.

   De même l’intérêt de Champier pour les plantes qui lui fera publier, en 1533 son Hortus Gallicus ou pour Galien, dont il va traduire et publier de nombreux textes, pouvait attirer ce jeune étudiant en médecine qu’était encore Nostradamus.

   Le retour de Champier, à Lyon, au plus tard en 1519 rend tout à fait plausible cette rencontre au cours de laquelle, les deux compères n’auront pas manqué d’évoquer les tromperies des apothicaires qu’ils redoutaient tous deux.

Deuxième séjour :

   Celui-ci date précisément de 1547 et on en retrouve trace dans plusieurs écrits :

      - Dans son Traité des fardements et confitures, Nostradamus écrit à propos de l’eau de rosat :

   “René le pillier verd à Lyon du temps que je y estoit l’an mille cinq cent quarante sept, qui estoit un personnaige qui en cest estat la faisoit en homme de bien”.

      - Lors de l’épidémie de peste de 1547, à Lyon, le Consulat fait appel à Nostradamus. Celui-ci est réputé pour son médicament contre le mal pesteux qu’il a déjà enrayé à Marseille, Aix et Salon.

   C’était à cette époque qu’il se trouve face à la renommée d’un “Phil. Sarracenus”, comme il dit [= Philibert Sarrazin, de Charlieu], futur médecin personnel de Calvin, capable d’arrêter à lui seul les progrès de la contagion. Il préfère se retirer à Salon, où, veuf d’un premier mariage, il va se remarier le 11 novembre 1547.

Autres passages dans les années 1550 :

   Ses pérégrinations ne s’arrêteront pas puisque la Chronique lyonnaise de Jean Guéraud (1536 - 1562) mentionne son passage à Lyon, entre le 20 mai et le 27 juillet 1555.

   Robert Benazra dans son Répertoire nostradamique cite les mémoires d’un lyonnais qui écrit en 1555 :

   “En ce même temps fust et passa par cette ville un astrologue nommé Michel de Nostre Dame en Sallon de Craulx en Provence homme très scavant… qui alloit à la cour du Roy où il estoit mandé et craignoit grandement qu’on luy fist mauvais party…”

   En effet, César de Nostredame, le fils aîné, raconte dans L’histoire et chronique de Provence, imprimé à Lyon, chez Simon Rigaud, en 1614, que Catherine de Médicis apprenant que le livre des Prophéties était paru le 4 mai 1555, avait immédiatement envoyé Claude de Savoie, comte de Tende, gouverneur de Provence, signifier à ce mystérieux personnage qu’elle souhaitait le voir. Parti le 14 juillet de Salon, la même année, il était arrivé à Paris, le 15 août, le jour de la fête de Notre Dame, et logeait en l’auberge Saint-Michel, deux bons présages selon lui. Immobilisé par une crise de goutte, il avait été emmené par le Connétable Anne de Montmorency, en son logis. La reine, satisfaite de l’entrevue, l’avait pourvu d’une bourse pleine de 100 écus et le Roi avait fait de même, ce qui l’avait rempli d’aise.

   Mais sans doute, a-t-il déjà pris l’habitude de venir régulièrement à Lyon puisqu’il va publier, chaque fin d’année, un almanach pour l’année suivante, celui pour 1555 étant confié à Jean Brotot, alors que celui de 1553 pour 1554, déposé aussi à Lyon, chez Maître Bertot dit “La Bourgogne”, avait été sujet de litige et qu’il avait fait et retiré le manuscrit, pas acte notarié, chez Maître d’Hozier à Salon.

   Peut-être assiste-il, en 1554, aux fastueuses noces lyonnaises d’Hélène de Gadagne (fille du richissime Thomas) et de Laurent Capponi, alors que Guillaume de Gadagne devient sénéchal de la ville, et que Thomas, son frère, est seigneur d’Oullins.

   Peut-être encore, dépose-t-il, en même temps, le manuscrit de son Excellent et moult utile Opuscule à touts nécessaire, qui désirent avoir cognoissance de plusieurs exquises Receptes, divisé entre deux parties autrement appelé Traité des Fardements et Confitures puisque la Préface est signée du “1er avril 1552. A Salon de Craux en Provence”. Ce texte sortira sur les presses d’Antoine Volant, à Lyon, en 1555.

   Parallèlement sort chez Macé (Mathieu) Bonhomme, toujours à Lyon, au printemps 1555, la 1ère édition des Prophéties de M. Michel Nostradamus dont on peut admirer aujourd’hui un exemplaire à Albi, et un à Vienne, en Autriche, avec des variantes de l’un à l’autre.

   Rappelons que chez le même imprimeur qui travaillait alors pour G. Rouille, en 1548, André Alciat, professeur de droit de Nostradamus à Avignon (1519-1520), avait réédité, après une sortie à Paris en 1534, et une autre chez Jean de Tournes et Bernard Salomon, à Lyon, en 1547, son livre “Emblemata”.

   Après une infidélité en 1556 et 1557, pour un almanach et Les Présages merveilleux qu’il confie à “Iaques Keruer, rue S. Iaques aux deux Crochetz”, Nostradamus revient à Lyon où il retrouve Jean Brotot qui lui demande des textes plus court et plus laconiques.

Dernier séjour à Lyon 1557 - 1565 :

   L’année 1557 le retient un plus longuement à Lyon. Il confie deux ouvrages à Antoine du Rosne :

      - La 2ème édition des Prophéties de Michel Nostradamus
   On y retrouve les 353 quatrains de la 1ère édition, avec la même préface à son fils César, et d’autres quatrains pour arriver au total de 639, rangés par séries de cent d’où le surnom de centuries.

      - La Paraphrase de C. Galen… dont le Musée de Nostradamus à Salon possède l’original aujourd’hui. Cet ouvrage, l’un des textes les moins connus de Galien (131-201) est davantage un recueil de petites morales plus encore que de médecine.

   De son séjour à Lyon, en 1557, Gabriel de Saconay, chanoine en cette ville, raconte dans sa Généalogie et la fin des huguenaux… publiée en 1572 : “Nostradamus étant à Lyon, fut convié à dîner en une maison des plus plaisantes et aérées de Lyon, en bonne compagnie. Après dîner, il mit la tête à la fenêtre et demeura quelques temps contemplant la dite ville, laquelle quasi toute il pouvait découvrir. Etant alors enquis quelles étaient ses pensées, il répondit : je contemple cette belle église de Saint Jean, la ruine de laquelle est jurée et n’était qu’elle est en la protection de Dieu à cause de service divin qu’on y célèbre si religieusement, il n’y demeurerait en bref pierre sur pierre”. Une telle lucidité dans ce propos visionnaire ne peut que surprendre le chanoine qui écrit peu après la Saint Barthélémy.

Eglise St-Jean

   Michel Chomarat, actuellement le plus grand collectionneur au monde de documents sur Nostradamus, auteur et et bibliographe du personnage, écrit, à propos de cette maison, dans le bulletin de la ville du 12 janvier 1997 : “Il pourrait bien s’agir de la maison de Pierre Sala, appelée l’Antiquaille, immortalisée dans une miniature conservée à Vienne et située en bonne place dans le plan scénographique de Lyon édité vers 1550”.

   Par ailleurs, Michel de Nostradamus remercie Guillaume de Gadagne, sénéchal de Lyon et homme de la chambre du roi, dans sa Pronostication nouvelle pour l’an 1558.

   “Monseigneur, en recordation du bon accueil que votre excellence me fit dans votre maison à Lyon, allant à la Cour, en tant grand et somptueux convive, accompagné d’un nombre de graves personnages, tous d’honneur, de doctrine, de noblesse, et érudition, de mon revenu annuel pour une recordation [= un souvenir, une reconnaissance] vous ai voulu consacrer ce petit exigu labeur...”

   Ici se place l’énigme de Nostradamus : l’édition complète des Prophéties comportant dix Centuries, dont la 7ème toujours incomplète, les trois dernières Centuries précédées d’une Préface dédiée “A l’invectissime, tres puissant, et tres-chrestien Henry Roy de France second” datée du 27 juin 1558, édition toujours citée et jamais retrouvée.

   La plus ancienne édition des Prophéties “complète” connue reste donc celle de 1568 publiée à Lyon, chez Benoist Rigaud.

   C’est encore à Benoist Rigaud que Nostradamus va confier la publication de sa Lettre à Catherine de Médicis, datée de Salon-de-Provence, le 12 décembre 1565, mais l’a-t-il rencontré pour cela ? Rien n’est moins sûr car il se plaint de sa santé plus que chancelante. Il souffre énormément. Il écrit le 13 décembre 1565 : “j’ai eu… une telle crise de rhumatismes aux mains, que je n’ai pu faire pour le jour dit son horoscope, mais les douleurs passent de la main au genou droit puis au pied et voici 21 jours que je ne dors plus, aujourd’hui je respire un peu”.

   Surprenant : dans cette même lettre, il annonce que les guerres de religion vont se rallumer, malheur qu’il a déjà annoncé dans sa Pronostication de 1564 (pour 1565).

   Hélas, la goutte, puis l’hydropisie, auront raison de lui. Le 2 juillet 1566, il s’éteint dans cette maison, à Salon, aujourd’hui transformée en Musée, après avoir rédigé son testament et écrit sur ses éphémérides : “Ici, ma mort est proche”.

Les relations lyonnaises de Nostradamus

A Lyon

   Au vu de la vie intense de cette capitale commerciale et intellectuelle, il serait prétention de vouloir lister toutes les connaissances lyonnaises de Nostradamus.

   Toutefois, on peut en citer quelques unes choisies ça et la.

   Lorsque qu’il arrive à Lyon, face à l’Hôtel Dieu, à la tombée de la nuit, une ombre s’éloigne au coin de la rue Mercière qui, à cette époque, s’étire jusque là. Aura-t-il reconnu cette grande cape noire ? Le vent emporte son ancien compagnon d’études à Montpellier, François Rabelais, vers son rendez-vous avec Etienne Dolet, où les deux compères vont discuter, à la chandelle, dans l’atelier du maître-imprimeur Sébastien Gryphe, du prochain livre à paraître et de sa traduction du grec en latin… ou bien de la précédente dissection que Dolet, rempli d’admiration, va célébrer dans ses poèmes.

   Oui, mais voilà, “Rabellet”, comme inscrit sur le registre de l’Hôtel-Dieu où il a la charge de médecin, part sans prévenir après avoir enterré son fils, mort en bas âge. Le cardinal Jean du Bellay appelle et l’inquisition guette…. Voilà deux bonnes raisons pour s’éloigner. Pour tous ces érudits qui veulent transmettre leur savoir afin que l’homme entre en harmonie avec l’univers, la survie est une nécessité de chaque instant. Et justement... Dolet le paiera de sa vie, à 37 ans, brûlé vif, en 1546 !

   La “Belle Cordière” habite la maison face à l’Hôtel-Dieu, autrefois dotée d’un petit jardin. Il s’agit Louise Labé (1520-1566), née sur les pentes de la Croix Rousse, non loin de Philibert de l’Orme. Délaissant le magasin de cordages de ses parents, élève de Maurice Scève, elle se fera remarquer pour sa poésie.

   Les Gadagnes, riches commerçants et banquiers d’origine italienne deviennent les financiers du royaume. Les réceptions qu’ils donnent restent célèbres et on y côtoie rois et reines de passage à Lyon. Nostradamus a pu y rencontrer François Sala, capitaine, ou bien le gouverneur Jean-Jacques de Trivulce duquel il pouvait bien tenir le menu du festin de “nopces” [= noces] donné à Milan, chez les Tivulce, en 1488, et comportant 21 plats de viandes ainsi que des olives de Salon !

   Chez l’imprimeur Jean Brotot, il côtoie le florentin, poète et astrologue, Gabriel Syméoni (1509-1570), qu’il retrouvera sans doute à la Cour de Savoie, cette famille étant très proche de Nostradamus.

   Quand Rabelais est à Lyon, l’auteur du De occulta Philosophia, Henri Corneille Agrippa de Nettesheim, surnommé par lui “Her Trippa”, n’est jamais bien loin, encore dans la place, ou juste parti à Grenoble, non loin de là.

   Son influence est grande et quand Nostradamus, astrologue, qui préfère se dire “astrophile” (terme décrit par l’abbé Trithème, en 1505), évoque son “don de vaticination” ou le “Genius” qui l’anime par le “subtil esprit de feu”, on ne peut que penser à Cornélius Agrippa ou à Marsile Ficin dont Symphorien Champier fut le disciple.

   Les relations épistolaires sont importantes aussi. Lorsque Nostradamus envoie son courrier, celui-ci met deux à quatre jours pour atteindre Lyon.

   Ses correspondants, parfois de riches industriels d’Augsbourg (qui écrivent en latin), ou Beaunois, ou Belges… lui conseillent d’envoyer ses lettres chez Christoph Kraft à Lyon, ou chez Brotot, rue de Tremassac, à la maison de Balieux. Un peu plus tard, Laurenz Tubbe, de Poméranie, professeur de droit à Stasbourg lui demande de ne plus expédier “chez Kraft mais chez un autre allemand de Lyon, Gaspar Thaurer ou, en son absence, Martin Hahreitner : on les retrouve facilement au Change”.
   ... Serait-ce grand blond avec un bonnet, qui s’agite devant la façade ? Mais non, il s’agit plutôt de son voisin occupé à compter de l’argent. On imagine bien l’effervescence qui régnait en cet endroit !

   Mais il faut rester discret. Chacun est surveillé. De 1542 à 1552, l’Aragonais Michel Servet, correcteur de l’imprimeur lyonnais Treschel, médecin à Charlieu, se terre à Vienne (où Nostradamus s’arrête en 1547), et fait imprimé ses textes en secret par Balthazar Arnoullet, ami de Calvin.

   Cela n’empêchera pas Calvin de le faire brûler vif le 27 octobre 1553.

   Le 29 mai 1561, un certain “Jacobus Securivagus Belga” écrit, de Lyon, à Nostradamus, que les prédictions astrologiques sont sans doute nécessaires mais, ajoute-t-il, “par ces temps difficiles, il faut être prudent, ne pas dépasser la mesure ; je vous donne ces conseils par amitié pour vous”.

   Au même moment, Nostradamus subit à Salon les affres des dénonciations l’accusant de fréquenter des réformées. A Lyon, Barthélémy Aneau, Principal du Collège est massacré par la foule au cours d’une procession !…

   Lyon ou Salon : pour Michel de Nostredame, le combat continue pour la transmission du Savoir mais il essaie de se mettre sous la protection des têtes couronnées, notamment :

      - Henri II sur lequel il écrit, en 1555, un quatrain (I.35) qui le rendra célèbre puisqu’il semble décrire en détail la mort tragique du roi, survenue à la suite d’un duel singulier, au Palais des Tournelles, en 1559. Cet épisode vaudra à Nostradamus la renommée pour ses écrits, et la protection des plus grands.

      - Catherine de Médicis, férue d’astrologie, qui collectionne les textes anciens (776 articles) dans sa bibliothèque du Château de Saint-Maur, avec un goût certain que Ronsard célèbre ainsi :

“La reine a fait chercher les livres les plus vieux,
Hébreux, grecs, latins, traduits et à traduire,
Et par noble despense elle en a fait reluire
Le haut palais du Louvre, afin que sans danger
Le François fut vainqueur du sçavoir estranger”.

      - Charles IX, son fils, qui, jeune roi de 14 ans, rend visite à Salon à Nostradamus, et le nomme médecin ordinaire du Roi, Conseiller de la Reine.

      - La famille de Savoie très attachée à sa personne.

Lyon toujours

   Il s’est toujours gardé à Lyon, un fonds important de livres et manuscrits, et le sujet ne faillira pas à la tradition puisqu’après de remarquables collections de documents sur Nostradamus connues à travers le monde : celles de Le Pelletier, Torné-Chavigny ou, plus près de nous, celle de Daniel Ruzo au Mexique ou de Vlaicu Ionescu à New-York, c’est désormais le lyonnais Michel Chomarat qui est le plus grand possesseur de ces illustres ouvrages. Bien heureusement, pour les disciples du célèbre médecin astrophile auquel le monde entier s’intéresse toujours, Michel Chomarat a déposé son fonds à la Bibliothèque de la Part-Dieu, à Lyon, pour que les chercheurs puissent travailler dessus et poursuivre cette quête de savoir.

   Il ne s’est pas arrêté là puisqu’il fait aussi publications et conférences sur le sujet, accrochant les maillons d’une chaîne infinie qui fait briller et rayonner cette lumière qui attire chacun de nous vers une plénitude intellectuelle.

   La ville de Salon-de-Provence a bénéficié, en 2003, pour le 500ème anniversaire de la naissance de Nostradamus, d’une exposition de documents du fonds Chomarat, originaux du XVIème siècle à nos jours, mettant en évidence le phénomène sociologique des pics de consultation des Prophéties chaque foi qu’il y a une crise dans le monde.

   L’astrologie médical, pratiquée à la Renaissance, n’ayant plus grand chose à voir avec les horoscopes d’aujourd’hui, on peut se demander ce qui fait encore courir le monde auprès de Nostradamus ?

   L’étude de ses textes semble révéler un message important :

   Cet homme qui travaille à la manière des Babyloniens, qui a donc une vision cyclique du temps, met sa vie en danger pour annoncer à ceux qui voudront bien s’intéresser à ses écrits, que si l’homme, dans lequel il a foi, ne fait rien pour prendre son destin en mains, l’humanité va à sa perte.

   Cinq siècles plus tard, ce message résonne comme un écho dans l’esprit de chacun, et réveille des consciences, c’est pourquoi chacun peut se l’approprier et poursuivre cette quête, où qu’il soit dans le monde.

   Nostradamus : l’avenir se mériterait-il ?

Michel de Nostredame

Jacqueline Allemand
Directrice du Musée Nostradamus à Salon-de-Provence
Pour le Salon du “Livre en région” - Lyon, du 5 au 14 novembre 2004.

Bibliographie sommaire

      - Les catalogues des Archives municipales de Lyon : Philibert de l’Orme, le Palais de Saint-Jean, les imprimeurs de Rabelais
      - Les plaquettes et photos, “Renaissance du Vieux Lyon”
      - Guide de Lyon - Renaissance -Age classique, Jean-Pierre Gutton, E.L.A.H.
      - Dictionnaire historique des Médecin, Michel Dupont, Larousse
      - Dictionnaire des lettres françaises - Le XVIème siècle, Encyclopédie d’aujourd'hui - La Pochothèque
      - Les guerres de Religion, Pierre Miquel, Fayard
      - Vivre à Lyon au XVIème siècle, Jacqueline Boucher, E.L.A.H.
      - L'histoire - la vie - les moeurs et la curiosité... (1450-1900) , John Grand-Carteret, Paris, 1927
      - Bibliographie lyonnaise, Baudrier
      - Nostradamus - Lettres inédites, Jean Dupèbe, Droz, 1983
      - Les rééditions des textes originaux de Nostradamus, Editions Michel Chomarat
      - Bibliographie Nostradamus - 16e - 17e - 18e siècles, Michel Chomarat et Jean-Paul Laroche, Editions Valentin Koerner, Baden-Baden & Bouxwiller, 1989
      - Nostradamus entre Rhône et Saône, Michel Chomarat, Ger Editions
      - Nostradamus Astrophile, Pierre Brind’Amour, Editions Klincksiek
      - Les premières Prophéties, Pierre Brind’Amour, Droz
      - Répertoire chronologique nostradamique (1545-1989) , Robert Benazra, Trédaniel
      - Les présages de Nostradamus, Bernard Chevignard, Le Seuil
      - Nostradamus, l'éternel retour, Henri Drevillon et Pierre Lagrange, Découvertes Gallimard
      - Nombreux articles rédigés par Michel Chomarat
      - K7 vidéo “Nostradamus, Prophète de l’An 2000”, Y.N. Productions, Lyon

Notes

1 Cf. Charles Fontaine, Ode de l’antiquité et excellence de la ville de Lyon, Lyon, 1557. Poète et disciple de Marot, correcteur chez Jean de Tournes à Lyon, Charles Fontaine s’était lié avec B. Aneau, Dorat, Ronsard… et fut un temps auprès de Renée de France, à Ferrare. Retour

2 La tyriaque était un antique médicalement universelle à base de 70 ingrédients dont certains sont fébrifuges, antalgiques, antidotes… Retour

3 Cf. Charles Fontaine, 1557. Retour



 

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