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ANALYSE |
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Le débat J. Halbronn versus P. Guinard |
Bien que je n’ai pas lu - et je le regrette, mais le temps me manque de plus en plus - les
oeuvres complètes de Jacques Halbronn, ni celles de Patrice Guinard, étant
invité par Robert Benazra à proposer un commentaire sur leur débat dans
ses pages Web, voici ce que leur argumentaire respectif m’a inspiré.
Les possibilités d’interprétation positive des Quatrains :
S’il est exact que, jusqu’aux derniers auteurs cités, aucune interprétation positive vraiment convaincante n’a jusqu’ici pu être menée à bien, on remarquera que l’ultime détracteur positiviste, en la personne de Brind’Amour lui même, n’y est pas parvenu non plus. Mais ce que l’on a dit des Prophéties - qu’elles restent incompréhensibles - vaudrait également pour le reste de l’oeuvre, même celle qui passe pour ne pas être prophétique : concernant la Paraphrase de Galien en particulier, personne n’avait encore explicité, ni même cherché, la raison d’être de cette traduction - assortie d’un préambule abscons - que certains ont d’ailleurs trouvé si mauvaise qu’elle n’aurait même pas valu la peine que l’on s’y intéresse [1]. Et il y a une bonne raison à cela, que personne jusqu’à ce jour n’avait imaginée, et encore moins démontrée : c’est que l’auteur des quatrains prophétiques souffrait de dyslexie, et que donc sa production littéraire n’est pas directement et naturellement accessible à l’entendement, ce qui a retardé pour longtemps toute interprétation réaliste. C’est pourquoi l’auteur indiquait - aux ineptes tranflateurs - dans le préambule de sa Paraphrase : que ferõt quelques vns, à qui pofsible, qui ne pourroit nullement imiter la moindre partie de la tranflation vouldrõt calomnier quelque mot, que pofsible leur femblera aliené à leurs oreilles ; et si quelques lecteurs, parmi les plus instruits, avaient bien voulu se donner la peine de suivre le conseil de Galien indiqué à la fin de son Protreptique, ils auraient peut-être imaginé pourquoi le médecin de Salon, dans le choix d’une telle traduction, Ay voulu choifir ceftuy icy, & ne dis les caufes parquoy.
Le problème des faussaires et des imitateurs :
On sait, et on admet sans
réserve qu’il y ait eu des imitateurs et des faussaires de Nostradamus, qui lui-même s’en plaignait (cette
plainte est-elle aussi l’oeuvre d’un faussaire ?). Souffrant de dyslexie, Nostredame le médecin connaissait son infirmité
qui rendait son style inimitable pour un connaisseur (à la fois du style, et de la maladie). Cependant, ce travail
de tri entre ce qui pourrait être authentique et ce qui ne peut l’être est une étape utile, mais cet
exercice spécialisé - pour indispensable qu’il soit - est nécessairement limité, et ne doit
en rien oblitérer la recherche dans d’autres domaines, et en particulier lexicographique. Le fait que les quatrains
n’aient encore jamais été bien compris n’est pas une preuve absolue qu’il s’agisse de l’oeuvre de faussaires
dont on ne verrait plus alors très bien les intentions politiques supposées par J. Halbronn (car l’oeuvre
de ces prétendus faussaires n’est pas mieux comprise que celle du père de César lui-même).
(Halbronn) : encore le nom du libraire Benoît Rigaud pour un autre ouvrage de Nostradamus,
non prophétique celui-là et authentique. Ne seraient authentiques que des ouvrages non prophétiques
? On ne taxait pourtant pas d’imitations les oeuvres de Guillaume Postel, mêlant, sans aucune énigme, prophéties
et politique. Et les Interprétations des Hieroglyphes, authentiques, ou imitations cachant encore des intentions
politiques ?
On ne voit pas exactement bien pourquoi Halbronn cherche à réduire les seules Prophéties au
rang de contrefaçons ou de vulgaires imitations. Craint-il que certaines prophéties puissent se réaliser
(mais lesquelles, puisqu’il les nie toutes ?), ou bien regrette-t-il qu’aucun quatrain n’ait encore pu recevoir, ou ne puisse
jamais recevoir (du moins le croit-il) aucune explication satisfaisante ; une explication n’étant en aucun cas une
prophétie. Est-ce aussi parce que Brind’Amour a tellement voulu ridiculiser les Prophéties et son auteur
que J. Halbronn ne condamne pas son exégèse, pourtant fautive en de maints endroits ?
Halbronn écrit :
1. qu’il existe quatre lots distincts (en gros I-IV, V-VII, VIII-X,
XI (sixains)) de centuries apparus à des époques différentes et dont seul l’un d’entre eux pourrait
être attribué à Michel de Nostredame. J’ai démontré, dans Logodaedalia, que
les thèmes et les procédures lexicales sont les mêmes - et donc probablement du même auteur car
formant un ensemble original encore inédit - dans tous les quatrains, de I à X (je n’ai pas étudié
les sixains, parce qu’ils avaient été prétendus faux), ainsi que dans sa Paraphrase de Galien
et son Interprétation des Hieroglyphes.
2. Il y a des coïncidences - on pense au cas de Varennes . Halbronn tient pour
acquis que dans les Prophéties les toponymes sont réalistes, il ne le démontre pas. Pourtant il y avait
déjà eu des précédents fameux dans la littérature, avec l’épître de Clément
Marot à son Amy Lyon par exemple (Rigolot, 1977), ou les Ballades en Jargon de François Villon
qui, par des similitudes de sons ou des confusions voulues de mots, établit une corrélation factice
entre des noms de lieux et des actions humaines (Dufournet, 1992). Ce qu’Halbronn et tous les autres, depuis
Chavigny et les premiers détracteurs, auraient du comprendre c’est que l’impossibilité d’une démonstration
fondée sur une réception stricto sensu du vocabulaire nostradamien appelle la nécessité
d’une tentative d’un autre ordre, en particulier philologique, linguistique et surtout neuropsychiatrique. C’est ce que
nous avons commencé à faire, avec un certain succès. Et on attend la preuve du contraire, qui ne viendra
pas de sitôt.
3. En fait, la contrefaçon traite surtout du futur immédiat plutôt que du
présent ou du passé : cela contredit la démonstration de Brind’Amour qui prétendait
lui aussi que les Centuries ne sont que des imitations , sinon des contrefaçons d’un passé
antérieur à Nostra, afin que leur auteur puisse se faire passer pour prophète à peu de fais.
De plus, en affirmant ceci, Halbronn suppose, sans le démontrer d’ailleurs, qu’il existe bien une possibilité
d’interprétation positive à l’actif des contrefaçons, ce qu’il dénie aux Prophéties
juste auparavant. Le procédé rappelle curieusement d’autres lieux, d’autres époques, d’autres hommes,
d’autres régimes, d’autres procès ; on dénoncera le piège de ces raisonnements fallacieux déjà
étudiés par Aristote dans les Réfutations Sophistiques, pour le retourner à l’encontre
des sophistes eux-mêmes, avant d’appliquer aux Prophéties elles-même l’enseignement exposé
par Galien avec Des Sophismes Verbaux.
4. Le prophétisme relève largement de la propagande politique, se place au service
d’un des camps en présence - souvent des deux : c’est vrai autant des prophéties (cf. le cas
de Guillaume Postel, lequel n’a écrit que des prophéties en langage clairement compréhensible) que
de la contre-façon, de l’éxégèse et de la contre-exégèse. Mais l’analyse lexicographique
- orientée par une sémiologie neuro-psychiatrique - montre que les prophéties nostradamiennes ne sont
nullement au service d’un de ces prétendus camps contemporains à leur écriture, mais s’adressent probablement
à une postérité beaucoup plus éloignée (cf. notre chapitre sur les Antéchrists)
; ce qui ne prouve pas - et n’empêche pas davantage - que les Prophéties doivent nécessairement
se réaliser. De cela les esprits forts devraient s’en moquer...
5. Force est de constater en réalité qu’il y a eu des imitateurs de Nostradamus,
du style des centuries avant qu’il n’y ait des interprètes : on admet sans aucune réserve qu’il
y a eu des imitateurs, mais un des tous premiers interprètes est Chavigny lui-même, dont l’existence a même
été niée un certain temps jusqu’à être réhabilitée récemment par
B. Chevignard, du coup on voit que les plus fervents détracteurs de Nostra ne cessent de se contredire eux-mêmes,
jusqu’à perdre toute crédibilité, ce que l’on regrette. En outre, Halbronn feint d’ignorer que toute
lecture est déjà une interprétation du texte lu, et que donc toute imitation suppose déjà
un début d’interprétation.
6. On nous réplique : vous dites que tel événement postérieur au
temps de Nostradamus du fait qu’il figure dans les Centuries est la preuve... : il y a une place nouvelle,
et désormais toute grande ouverte, à une exégèse lexicale et psycho-linguistique, non événementielle,
qui renverrait dos à dos révisionnistes (en général universitaires) et charlatans (en général
grand public), atteints les uns et les autres tantôt de myopie tantôt de vertige.
7. Ce qui est grave dans le travail des faussaires, c’est qu’ils entretiennent le mythe selon
lequel l’homme est capable de prédire l’avenir : capable, peut-être pas autant que certains le
voudraient, mais désireux, ça oui : prévisions météo, financières et boursières,
électorales, tout y passe, et depuis longtemps, dans toutes les couches sociales, et cela n’est certainement pas
prêt de s’arrêter : c’est un des comportements qui distingue l’homme de l’animal, bien illustré dans
la fable de la cigale et la fourmi. Halbronn oublierait-il aussi de dénoncer aucune gravité dans
le travail de ces prévisionnistes boursiers ou électoraux ? et pourtant... fonctionnaires payés par
la République, ce ne sont qu’illusionistes, marchands de rêves et de tromperies.
8. Au lieu que l’Homme se donne réellement les moyens de prévoir le futur, ils
laissent croire que c’est déjà le cas, ce qui compromet et retarde le moment où cela sera possible
: Halbronn fait-il là lui-même une prophétie ? L’intervention de faussaires et d’imitateurs ne règle
pas tout le problème des Prophéties. On a l’impression qu’Halbronn pense, mais ne le dit pas, que seuls des
progrès techniques ou scientifiques seraient capables d’accéder aux prévisions (distingue-t-il les
prophéties des prévisions ?). Ce faisant, il oublie que prévoir ce n’est pas simplement
calculer, mais d’abord comprendre, ce que ne saura jamais faire aucune machine, n’étant pas humaine.
9. C’est là tout le problème de ces exégètes qui n’hésitent
pas à changer le texte même qu’ils sont censés commenter ou de ceux qui, par le biais d’une traduction,
en profitent pour corriger l’original : c’est - en imitant les faussaires que dénonce fort
justement Halbronn - ce qu’a précisémment fait Brind’Amour pour enlever tout caractère prophétique
aux Centuries, afin de mieux les démolir, alors qu’il aurait pu se contenter de dire qu’aucune prophétie n’est
inéluctable. Brind’Amour qui n’a cessé de procéder à de nombreuses corrections aussi savantes
qu’indues, pour se dédouaner d’une passion pour l’astrologie - qu’il croyait peut-être honteuse -, conjurait
la superstition (et sa crainte de la superstition) en taxant Nostradamus de charlatan, alors qu’il ne souffrait que d’un
handicap neuro-psychologique - probablement génétiquement programmé - d’une dyschronie (Llinas, 1993
; Stein, 1993) perturbant la perception du temps (Habib, 2000), mélangeant le passé, le présent et
l’avenir dans une sorte de déjà-vu jamais vécu (Efron, 1963 ; Bruenet-Bourgin, 1984 ; Chauvel, 1989).
10. Le Roy de Bloys dans Avignon regner. Curieusement, le quatrain 52 est un des rares à
être incomplet en son quatrième verset. On sent l’ouvrage un peu bâclé ! : Non, ce
n’est pas la rédaction qui est baclée, c’est l’analyse qui omet de voir derrière la prophétie
l’énigme littéraire, qui était un jeu très pratiqué à l’époque de la Renaissance
(cf. l’Enigme en Prophétie dans Gargantua, les Bigarrures d’Etienne Tabourot ; cf. Béhar,
Les écritures secrètes à la Renaissance). Dans ce dernier vers incomplet de VIII-52 - Deuant
boni.- le début laisse imaginer une suite de six syllabes dans le décamètre, obligatoirement terminé
par une rime phonétique en -indre comme poindre (viendra poindre, en IV-90), joindre (par le nouveau
Roy ioinct en 1-16, Roy et Duc ioignant en X-80), oindre (nouueau Roy oingt en VI-24, de miel face
oingt en VI-89, oingdre aduché en VIII-36), et une césure au milieu du vers, comme dans tous les
vers nostradamiens (BrindAmour, 1996) ne permettant après boni quune syllabe comme face (face
oincte en I-57, devant sa face en IV-61)
sachant qu’ici la face est dernière, comme en II-81, où
l’on voit Le nay aiant au deuant le dernier. On comprendra alors que l’extrémité muette de VIII-52
soit abandonnée à l’intelligence du lecteur.
11. dans les Centuries, le mot Juif n’est pas prononcé mais nous avons montré
que le nom même d’Avignon désignait alors non point tant une enclave pontificale qu’une enclave juive au sein
d’un Royaume : il n’est pas prouvé que l’Avignon nostradamien soit une ville, une enclave juive ou pontificale.
Une fois de plus, alors qu’il déclarait que l’interprétation positive était impossible, Halbronn fait
lui même une interprétation de cette catégorie, pour ensuite reprocher aux autres qu’ils ont accepté
une contrefaçon. Ce faisant Halbronn pratique lui-même ce qu’il reproche aux autres exégètes.
S’il pense que les interprétations positives sont impossibles, pourquoi n’en a-t-il pas lui même proposé
d’autres, qui sans être négatives, seraient celles issues d’un métalangage allégorique.
Concernant les Juifs d’Avignon qui devaient tout de même connaître un peu d’hébreu, au moins autant que
le normand Guillaume Postel, sinon plus, Halbronn s’est-il interrogé sur les quelques mots d’hébreu présents
dans les Centuries qu’il taxe de contrefaçons ? Ainsi en VIII-67, on remarquera devant NERSAF l’emploi d’un
néologisme construit dans le domaine hébreu ; NERSAF pourrait être la contraction de NER (bougie
= source de lumière) et de SAF (seuil = passage, porte), donc un Passage vers la Lumière, une Porte de Lumière,
un Porteur de Lumière, une Source de Lumière (mieux qu’une bougie qui flotte néanmoins
poétique), un Guide, un Passeur Lumineux. J’ajouterais encore que les deux mots qui précèdent NERSAF
sont probablement issus du grec : PAR (= auprès, à coté, contre > parallèle, double, pair,
cf. latin paris) et CAR (graphie phonétique de CH AR < CHARIS, CHARÔN = brillant ; graphie latine
de KAR = tête), réalisant ainsi une traduction grecque de la construction hébraisante NERSAF.
On sait aussi que, d’après Horapollon que Nostredame avait lu et mis en vers, la flamme de la bougie représente
l’âme, et la vie (cf. encore l’exigue flamme de la Préface à César). Donc,
NERSAF et PAR.CAR sont des mots doubles, convenant à une âme double (Janus, qui est une porte,
un passage ou un seuil, à tête double) portant la lumière du Passeur (Pontife, du latin pontifex), ou
à un Guide Lumineux du peuple, et qui aura amour & concorde. Or l’allégorie
de Janus, du Passeur, du Pontife, du Guide, de la tefte double est partout présente dans les Prophéties,
de la première aux dernières centuries. Il faudrait qu’Halbronn nous dise en quoi cette écriture de
NERSAF serait le travail d’un faussaire, et pour quel camp politique ce dernier aurait alors travaillé.
12. La vignette figurant sur la page de titre de la Paraphrase de Galien, texte latin traduit
par Nostradamus, se retrouve sur les éditions des Prophéties supposées parues chez le même libraire,
en la même année 1557. Cette vignette de la Paraphrase, ouvrage non prophétique... : Halbronn,
pas plus que Brind’Amour ou personne d’autre non plus, n’a pas bien compris la raison d’être de cette traduction,
pourtant précédée d’un prologue orienté à dessein, mais incompréhensible
sans une expérience clinique. On ne renverra pas à l’universitaire québecois ses propos condescendants
narguant Crouzet de ne pas disposer des instruments intellectuels nécessaires pour mener à bien sa
tâche (Brind’Amour, 1996 p. 569). Le médecin de Salon, lui-même souffrant de dyslexie
et d’épilepsie, avait proposé cette traduction en langue vulgaire, espérant que ses futurs lecteurs
suivraient le conseils de Galien à la fin du texte : il est indispensable d’étudier la médecine, faute
de quoi on ne saurait reconnaître les malades parmi les biens portants, ou seulement même en parler, et encore
moins prétendre les soigner, les curer, les comprendre, ou corriger leurs fautes. Et pourquoi ? Parce que seules
les études médicales, ajoutées à l’exercice de l’art, permettent de comprendre pourquoi Nostra
s’exprimait de cette façon si bizarre : l’auteur des Centuies se savait lui-même épileptique et dyslexique,
mais la plupart de ses lecteurs en ignoraient les nuances cliniques et seméiologiques, feignant d’y voir le plus
souvent une manifestation diabolique. (cf. Taxil,
1601). Les traces littéraires de cet auto-diagnostic sont éparpillées dans toute l’oeuvre de Nostra,
mais pour les identifier, il faut déjà en avoir étudié les ressorts neuropsychologiques, les
expressions et les symptômes déjà répertoriés chez d’autres malades ayant souffert d’affections
identiques. Il eût donc mieux valu, pour la cause des études nostradamiennes, que Brind’Amour s’intéressât
davantage à la médecine et à la neuropsychologie qu’à l’astrologie.
P. GUINARD (dans le site du C.U.R.A) :
Nostradamus connaissait-il les planètes transuraniennes ?
Dommage pour
la belle construction de P. Guinard, mais à mon avis Nostredame ne connaissait pas - ni ne pouvait connaître,
ni même supposer avant les travaux de Kepler et Le Verrier - l’existence des ces planètes ; et comment l’aurait-il
pu ? De plus, il ne pouvait déjà connaître leur existence et dire qu’elles ne seront découvertes
que plus tard : ou il en est le premier inventeur, ou il ne l’est pas. En outre, on doit à la tradition éxégétique
- initiée par les premiers détracteurs eux-mêmes - de n’avoir pas respecté le conseil donné
par l’auteur des Centuries, et méprisé par Brind’Amour lui-même : Omnesque Astrologi Blenni, Barbari
procul funto. Pour ma démonstration il faudrait, même ici dans cette courte page, refaire tout le
lexique nostradamien. Je vais tout de même tenter de réunir brièvement quelques éléments
nécessaires - parmi les plus importants - à un début de démonstration, laquelle ensuite n’exclurait
pas nécessairement à priori l’étude des sources astrologiques historiques.
Le quatrain I 84 : la découverte de Pluton ?
Lune obscurcie aux profondes tenebres, |
Le quatrain VIII 69 : la découverte d’Uranus ?
Aupres du jeune le vieux ange baisser, |
Pour faire le lexique de Nostradamus, on doit réunir le corpus nostradamien dans son
ensemble, et s’aider parfois de l’apport d’autres sources. Considérant la Lune, on pourra faire appel tantôt
à Roussat, citant lui-lême Saint Augustin : « au premier de fon onzieme de la Cité de
Dieu, dit en cefte forte : Omniù gétiù literas, omniù fibi genera in geniorù
nostrum omnium creatoré : & Luna Ecclefiam fignificat. [Iupiter fignifie & denote noftre
Dieu, createur de toutes choses,& la Lune lEglise] » (Le Livre des Mutations, p. 54), «
La Lune (comme dit Iean de Liftember) nous denote & fignifie lEmpire Romain. » (op.
cit., p. 97), tantôt Nostredame lui-même en IV-31 invoquant La Lune au plain de nuit fus le haut mont,
celle de Platon dans la République (VII, 516) éclairant le philosophe au sortir de sa caverne, ou celle
de Moïse au sommet dun haut mont (Exode, 34, 1-28) appelé Sinaï de Sîn, nom du
dieu-lune chez les Sumériens (Cherpillod, 1991 ; Stol, 1993, pp. 131-132).
Pour Nostradamus, comme pour beaucoup d’autres souffrant d’épilepsie psychique à l’image de Dostoiëvski,
il n’y avait rien de plus grand que Dieu lui-même. Rien que dans les Centuries, le mot grand
et ses synonymes est représenté plus de 600 fois, et pour qui connaît déjà un peu les
principales caractéristiques cliniques du syndrome religieux des épilepsies temporo-psychiques (les redondances,
la verbiosité), l’usage répété de cet adjectif devient à la fois un des éléments
du diagnostic et une clef du lexique : Dieu est sur tout, répètait inlassablement l’auteur des Almanachs
à la fin de chaque paragraphe (Dieu seul est grand, le reste est petit). Pour être grand,
Dieu n’en est pas moins vieux non plus : vieil ange
ici, vieillart taciturne dans la Paraphrase de Galien (vieux car aussi ancien
que l’humanité, taciturne parce qu’il ne parle pas). Ce qui permettrait de démontrer qu’en I-35 (Le Lyon
ieune le vieux furmontera) le Lyon nostradamien n’est probablement pas celui auquel on a généralement
pensé jusqu’à présent, et que dans les Prophéties il n’a jamais été question
de politique, mais de religion.
Concernant le fer et la playe, une analyse philologique
montrerait qu’ils appartiennent tout deux à l’espace céleste (cf. mon corrigenda §7), le fer parce qu’il est sidéral
(du grec σιδηρος, le fer), et la plaie lorsqu’elle est antique en II-50,
i.e. latine (de plaga, plaine céleste) ou ici, sanguine, c’est à dire sacrée comme la blessure
du phénix, lequel renaissait au ciel après avoir fait couler son sang (cf.
corrigenda §5).
Dix ans egaux pourraient s’écrire XX : vingt en notation romaine (vingt trois
les fix en II-51), mais mil mille en notation grecque (mil mille trembleront en VIII-21), voire Aleph & Aleph
en X-96.
De trois deux l’un est mis pour décrire un triumvir à deux teftes
- un Janus rené comme Verbius lui-même dans l’Eneide (VII, v. 774-777) - valant un huitiefme
feraphin, et dont on a déjà vu la description de l’habit feraphicque en VI-27 et
X-94 (Six efchappez fardeaux de lyn), et sa lumineuse exposition en IV-31 (les Yeux au midy. En feins
mains, corps au feu) ou dans le Discours sur la dignité de l’homme de Pic de la Mirandole.
Dans lorganisation chrétienne des anges, les séraphins sont au nombre de Sept, et non pas au nombre
des Six efchappés. Mais le huitiefme feraphin de
VIII-69, nécéssairement aussi nouveau qu’inconnu, pourrait être conforme à larithmétique
néo-pythagoricienne de Plutarque : « en effet, on honore Poséidon le huit de chaque mois ; cest
que le nombre huit, étant le premier cube du premier nombre pair et le double du premier carré, représente
de la manière la plus adéquate la stabilité et la solidité de la puissance de ce dieu que nous
appelons Asphalion (stable) et Gaïeochon (qui tient la terre). » (Vies, Thésée,
36, 6).
Sans nier que Nostredame se soit interéssé de près à l’astrologie, on est très loin
de l’astronomie proprement dite, et encore plus loin d’une prétendue imitation de faussaires en mal de propagande
politique.
Le quatrain IV 33 : la découverte de Neptune ?
Iuppiter ioint plus Venus quà la Lune (1557 : Iupiter ioinct/ foubz la blãcheur/ De Mars frappée). |
J’ai déjà proposé dans mon livre, pour ce quatrain IV-33, une analyse non
astrologique que je résumerai ici avec quelques compléments.
Si trois astres (Jupiter, Vénus et Lune) paraissent cités, la conjonction paraîtrait toutefois désigner
Jupiter plus [à] Vénus quà la Lune [2]. Cependant il nous est apparu rarissime,
sinon impossible, que Jupiter et Vénus soient conjoints un jour de pleine Lune, apparaissant ici de plenitude
blanche. Cette conjonction se produit habituellement en Nouvelle Lune, comme entre le 9 et le 11 Janvier 1606, date
à laquelle beaucoup de chrétiens redoutaient la survenue de leur Antéchrist, comme on le lit dans le
Livre des Mutations de Roussat : « Si Iupiter,& Venus saffemblent auec permutation de triplicité,
fignifient linfidele fecte pleine de volupté & puante luxure: afcauoir celle que les
Agariens, Turcs, Mores, Barbares, Sarrazins,& aultres femblables tiennent : laquelle, cõbien que Magmed,
ou Mahommet, en fon Alcoran layt declairee, toutes foys, longtemps deuant, eftoit trouuee & excogitee par
vn faulx heretique, nommé Meui. » (Roussat, p. 102) ; « quand Iupiter & la Lune feront meflez
& ioinctz, auec mutation de triplicité, fera la derniere fecte,& mauldicte, quon attribuera
à lAntechrift: laquelle fera de petite duree, & tres fort inftable,& variable.
» (Roussat, p. 103). L’improbable conjonction de Jupiter à Vénus en Pleine Lune, savamment distillée
par une expression alambiquée, nous parait donc encore devoir inviter à une lecture non astrologique des Prophéties.
Dans le second vers, la Lune apparaîtrait, autant que la blancheur des flots de Neptune, de plenitude blanche,
comme en IV-31 au plain pour le nouueau fophe dvn feul cerueau. Et en accordant à
Venus la valeur latine de venufte en VI-92, lélégance, la grâce, Iupiter
deviendrait léquivalent du grand Endymion de II-73, un berger amoureux de la Lune, un lunatique quasi
séléniaque [3]. Pour finir de critiquer lapparente connotation astrologique de ce
quatrain, Iuppiter est dit ioinct, bien accompagné, assemblé (comitatus, du latin committo,
committere, quasi comitialis ; Gaffiot, 1936), comme le nouueau Roy ioinct en I-52, par le mal trouvé
au ioinct de fonne et Rofne en IX-68, conioint au Lyon en VIII-2.
Le dernier vers semblerait exprimer une action martiale, quasi réciproque, punitive, contenue dans Mars frappé,
alors que granée (de graine, grain, lécarlate, lorage ; Greimas & Keane, 1992) serait
plutôt un terme de la botanique cryptogamique de Nostredame. La granée branche serait la branche écarlate,
de couleur rouge cochenille, la branche qui porte les pêches ou les grenades [4] (cf. au royaume
de Grenade en III-20, conquefter la Grenade en V-55), ces fruits rouges à gros grains, la branche du grenadier
dont le nom latin accuse une variété de Punica, une branche à prendre de la graine [5].
Pour être un peu plus clair, le médecin de Salon décrirait donc moins cette action martiale et punitive
qu’on croit lire, mais davantage une allégorie mythologique, une union quasi consanguine (comme Mars-Arès
à Vénus-Aphrodite dans l’Odyssée, conjonction clandestine), nécessaire à la résurrection
parthénogénétique d’une graine punique, le phénix. Et à défaut d’être clair,
mais pour être précis, c’est bien le phénix qui renaît après une courte éclipse,
c’est bien un phénix hermaphrodite qui renaît de son sang, une graine punique auto-féconde, et c’est
bien le comitial qui - lunatique souffrant de pna, de tourment et de souffrance (Gaffiot, 1936), ou lépreux
souffrant d éléphantiasis [6] - renaît avoir été frappé
d’une attaque.
Le nom de Neptune, alias Poseïdon chez les Grecs, est probablement mis moins pour
le nom d’une planète (encore inconnue jusqu’au XVIIIème siècle) que pour celui d’un dieu, comme Mars,
Vénus ou Jupiter. En effet, dans les Centuries, on ne retrouve l’évocation du dieu que dans ses fonctions
mythologiques, sans aucune connotation astrale : Le fien Neptune pliera voyle noire en I-77, Le grand Neptune
du profond de la mer en II-78, Le grand Neptune à fon plus haut beffroy en III-1, Qu’a paix
Neptune ne fera incité en VI-90, et parfois décoré de son attribut le plus évident
: Du grand Neptune, & fes tridents fouldars en II-59, Tridental en V-62, Trinacrie
en VIII-84, voire le plus savant : Ennofigée en I-87 (pour l’épithète grec de Poséidon
: ennosigaios, ébranleur du sol et de la terre). On remarquera encore que pour Nostredame, le chiffre trois
est un symbole de puissance insurmontable (triumuir en V-7, trois grans princes en II-43, trois bras
en II-73, V-86, trois freres en VIII-16-46, IX-36, etc...), que le choix de Neptune explique aussi la locution de
X-98 religion du nom des mers , et que dans le préambule de sa Paraphrase de Galien, feignant
de s’adresser emphatiquement au Baron de la Garde, il prie Dieu lui-même avec la plus que obeiffante
feruitude que continuellement vous porte, & portera à voftre tremebonde trident,
le plus humble & obeiffant de voz feruiteurs, toute fa vie.
On voit qu’une lecture allégorique et clinique des Prophéties est possible,
sinon nécessaire, pour entendre dans le charabia nostradamien la prière d’un élève de Galien.
Une telle lecture permet d’éviter maintenant certaines erreurs aussi grossières que regrettables, qu’elles
soient recopiées sur celles de certains Hypernephelistes Ombrophores, ou d’autres Amaurotes Picrocholins, aucun n’ayant
atteint cette substantifique moelle logée à plus haut sens.
De plus, cette lecture clinique s’applique, avec un succès régulier dans l’entreprise, à la totalité
de l’oeuvre nostradamienne, qu’elle soit prophétique ou non, ce qui n’est pas le cas de tous les éxégètes
précédents - outre Guinard et Halbronn, dernières victimes de tous ceux-là - qu’ils soient crédules,
se hasardant à justifier des issues historiques par d’incroyables relations astrologiques, ou qu’ils soient sceptiques,
croyant à une hasardeuse et impérative liberté. Car si le médecin de Salon s’intéressait
autant aux mouvements des planètes qu’à ceux des hommes, il affirmait aussi que toutes et tous étaient,
non pas libres, mais soumis à un seul maître : celui qui - dans la Génèse - créa,
au commencement, les cieux et la terre avant même les premiers hommes.
Dr. Lucien de Luca
Notes
[1] Cités dans le Répertoire Chronologique Nostradamique
(Benazra, 1990, Ed. La Maisnie p. 26) :
je ne vis dans cette traduction souvent presque inintelligible,
même avec le secours du latin, qu’une suite d’offenses à la grammaire et au sens commun, de contresens faits
à plaisir, et d’omissions qui brisent le fil de la pensée, dans le but évident de révolter le
lecteur et de se faire passer pour un fou . (F. Buget, Bulletin du bibliophile, 1861, pp. 395-412).
Le style du traducteur est absurde, et n’offense pas moins le sens commun que la grammaire. (J.-Ch. Brunet, Manuel
du Libraire, t. IV, col. 106).
[2] Cf. Plutarque : « Ce que nous voions aduenir à lair mefme, lequel fe fondant aux
pleines Lunes plus quen autre temps rend auffi lors plus grande quantité de rofee. Ce que le poëte Lyricque
nous donne couuertement à entendre quand il dit, De Iupiter & de la Lune fille, Dame rofee. Ainfi il eft tefmoigné
de tous coftez, que la lumière de la Lune a ie ne fçay quoy dhumide, & propriété de
lafcher & dhumecter
» (Propos de tables, III, 10 - Amyot, 1572, p. 387 ; Cf. Stol, 1993 - p.126).
[3] The star of Marduk for bennu ; Spawn of ulpae (is) bennu. This star,
also named ulpaea, is the planet Jupiter and Spawn of ulpaea is a severe form of epilepsy. (
)
The chapter on astrology in the early Assyrian handbook of astronomy Mul-apin, when discussing the ominous position of Jupiter,
gives this omen : If Marduk (= the plane Jupiter) is seeing the body (pagru) of a man, bennu will seize
him. (Stol, 1993, p. 116-117).
[4] Grenade, Granatum malum, a granorum multidine. t mutatur in d. Malum punicum.
(R. Estienne, 1549).
Du latin Poeni (les Phéniciens, les Puniques) peuvent être facilement dérivés punio,
poenio, punir, et punicans, puniceus, rouge, pourpre, et Punica arbos, le grenadier, larbre
granité, ainsi que Punica malum, la grenade.
[5] Grain, Eft ce qui vient en lefpi, contenant farine. Granum fromentum, hordei,
filiginis, avenæ (
). Teint en graine, Coccineus, Coccinus. (Nicot, 1606).
[6] Φοινικη, phoenicia, Syria, & morbus in ea regione,
aliisquam orientalibus frequens, quidam pro elephantiafi, quam nos lepram dicimus, accipunt. (C. Gesner, 1537, 1543, Basle,
Lexicon
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