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ANALYSE

41

Les femmes dans les Prophéties de Nostradamus

par le Dr. Lucien de Luca ©

    Dans les Prophéties attribuées à Michel de Nostredame – qu'il s'agisse de contrefaçons supposées (Halbronn, 2002) ou non, cela ne changera rien – il est assez souvent question de femmes, sous des aspects divers : tantôt garce (V-12), andronne (V-17), hommasse (VIII-15) ou matrone (IX-37, X-61), tantôt pute (V-5) ou courtisane (la dame grecque de beauté laydique), ici pucelle (X-98), vierge ou vestale (II-17, IX-9), ailleurs mère (III-16, IV-7, V-73, VII-11, VIII-73-75, X-55), efpouse (I-88, IV-71, VIII-8-39), concubine (X-54) ou par mariage (II-25, V-87, VIII-54, X-17), plus loin veuve (VI-29, VIII-80, X-39). D'autres femmes interviennent encore sous des noms d'emprunt mythologique : Arthemide (IV-27, IX-74, X-35), Aréthuse (I-87), Latona alias Λητω, mère des jumeaux Artémis et Apollon (I-62), ou Vénus.

   Qu'en est-il exactement ? Suivant une méthode originale qui nous a déjà permis de faire des Centuries un ensemble ayant une cohérence sémantique, à type d'énigme logique admettant une seule solution1, tenant compte du contexte culturel de la Renaissance d'une part, et des prédispositions neuropsychologiques de l'auteur d'autre part, nous avons regroupé la plupart de ces dénominations féminines en fonction de leurs attributs symboliques, religieux ou mythologiques.

   Parmi les références mythologiques, nous avons déjà vu précédemment dans Logodaedalia que l'emploi d'Aréthuse illustrait un processus de Renaissance, à l'image du phénix qui – lui-même mâle et femelle, hermaphrodite et vierge – s'associe encore dans les Prophéties, ou évoque, d'autres éléments bisexués : Androgyn, andronne, hommasse.

   On rappelle que c'est le vécu neuro-psychologique de Nostredame qui a pu le diriger dans l'emploi de ces métaphores : en effet, souffrant d'épilepsie psychique, affection ressemblant à un état de mort récurrente, la comparaison d'un phénix avec la renaissance – et prouvée par Dante2 – explique encore les divers recyclages nostradamiens d'un concept associant la résurrection à la dualité : double visage de Janus (une porte à double sens altermondialiste), dualité gémellaire des Dioscures (Castor est un bastard, seul Pollux est immortel de naissance par Zeus), dualité de naissance de Dionysos3 (deux fois né, après césarienne divine), dualité sexuelle des hermaphrodites illustrant l'indétermination et l'ambiguité conceptuelle, et parfois dualité conceptionnelle (pré et post-mortem), endogamique, avec les divinités égyptiennes Isis et Osiris.4 Omniprésentes en arrière-plan dans les Prophéties (écrites après l'Interprétation des Hieroglyphes), ces deux divinités cousines germaines et leurs avatars, comme le sont également dans la mythologie le couple Hélios-Séléné (parfois représenté par les jumeaux Apollon-Artémis5, ou Horus-Bastet chez Hérodote6), nous invitent à considérer sans aucune négligence les connotations mythologico-religieuses des métaphores matrimoniales et féminines employées – à tort ou à raison – dans les Centuries. C'est en effet toujours les mêmes raisons neuro-psychologiques qui autorisent cette enquête : en effet, le syndrome épileptique dont souffrait Nostradamus, comprend habituellement une forte expression religieuse ou mystique (Benson, 1991), souvent accompagnée de connotation sexuelle, voire érotique (Bancaud, 1970 ; Crevenna, 2000 ; Currier, 1971 ; Stoffels, 1980 ; Taylor, 1969 ; Van Reeth, 1958 ; Warneke, 1976). Et à qui l'aurait oublié ou négligé, l'auteur des Prophéties ne cessait de le crier lui-même dans ses Almanachs : “Dieu est sur tout”, rappellant Paul (“que Dieu soit tout en tous”, I Corinthiens, XV, 28 ; “tout a été créé par lui et pour lui”, “qui est tout et en tout”, Colossiens, I, 15, III, 15). Et il serait plus qu'étonnant que Nostradamus n'ait jamais rien lu de l'Ancien Testament, et même qu'il n'ait jamais vu ou entendu les Evangiles, ne serait-ce que dans les églises, d'ailleurs abondamment illustrées d'images pieuses ornant les vitraux comme des bandes dessinées. Aussi, le rappel de quelques passages des Ecritures permettra-il de relier pertinemment à une comitiale agitation mystique toutes ces femmes non femmes nostradamiennes.7

   C'est alors qu'on comprendra mieux ce que viennent faire ces mariages (II-25, V-87, VIII-54, X-17, 39) et ces adultères (VI-59, VIII-14-63, X-10), au milieu de vierges, de pucelles ou de vestales. En effet, nombreux sont les passages où les Ecritures laissent évoquer une connotation sexuelle des rapports entre Dieu et ses fidèles rassemblés. Sans compter le Cantique des Cantiques, où les allusions érotiques accentuées masquent le concept d'union et de fidélité spirituelle, on trouve dans le livre d'Osée une connotation d'image nuptiale appliquée aux rapports spirituels entre Dieu et Israël assez démonstrative : “Parole du Seigneur. Mon épouse infidèle, je vais la séduire, je vais l'entraîner jusqu'au désert, et je lui parlerai coeur à coeur. Là, elle me répondra comme au temps de sa jeunesse, au jour où elle est sortie du pays d'Égypte. Tu seras ma fiancée, et ce sera pour toujours. Tu seras ma fiancée, et je t'apporterai la justice et le droit, l'amour et la tendresse ; tu seras ma fiancée, et je t'apporterai la fidélité, et tu connaîtras le Seigneur.“ (Osée, 2, 16-17, 21-22). Et avec Isaïe, pour se féliciter de la résurrection de Jérusalem : “On ne te nommera plus “Délaissée”, ni ta terre “Abandonnée”. Mais on t'appelera “Ma Plaisance” et ta terre “Epousée”. Car tu plais à Yahvé et ta terre aura un époux” (Isaïe, 62, 4). Puis c'est avec les Evangiles que la notion de fiancée ou d'épouse, voire de mère, a été appliquée à l'Eglise, en étendant la notion d'assemblée ethnique ou territoriale à celle d'assemblée spirituelle : l'Eglise n'est plus seulement l'endroit où quelques fidèles se réunissent, voire plus, mais l'ensemble des croyances affiliées sous la même bannière, à savoir le Christ pour les chrétiens.8Je vous ai fiancés à un époux unique, pour vous présenter au Christ comme une vierge pure” concluait Paul (2 Corinthiens, 11,2).

   Aux débuts du christianisme, l'image de l'union sexuelle – prise dans la Génèse (2, 24) – a été une parabole souvent réutilisée : “Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Eglise (..) Voici donc que l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et les deux ne feront qu'une seule chair : ce mystère est d'une grande portée ; je veux dire qu'il s'applique au Christ et à l'Eglise.” (Ephésiens, 5, 25-32). C'est pourquoi il ne serait pas inconcevable de retrouver plus tard une telle métaphore d'union sexuelle chez un chrétien de la Renaissance :

VIII-66
Quand l'efcriture D.M. trouuee,
Et caue antique a lampe defcouuerte,
Loy, Roy, & Prince Vlpian efprouuee,
Pauillon Royne & Duc fous la couuerte.

Clefs :

   - efcriture D.M. : celle des dieux Mânes exprimée dans l'Interprétation des Hiéroglyphes de Orus Apollo ; caue antique : en latin le mot “cave” se dit cavus : orbite, enceinte, mais en grec μνημα : mémorial, emblème, tombeau qui conviendrait à l'âme d'un défunt, et à son os, son verbe et son efcriture D.M., dans laquelle la lampe – emblèmatique ou hiéroglyphique – représenterait l'âme vivante, le principe de NERSAF en VIII-67.

   - Prince Vlpian : relatif à la gentilice Ulpius, Ulpianus, dérivé de allium ulpicum (punicum), sorte de poireau ou d'ail à grosse tête ; ici encore Nostredame fait un emprunt à la religion égyptienne (cf. ieune ognyon de IX-89). En effet on lit dans Pline (XIX, 32, 101) : “Alium cepasque inter deos in iureiurando habet Aegyptus : l'Egypte invoque l'ail et l'oignon parmi les dieux dans les serments” ; dans Prudence (Hymnes, X, 256-260) on lit aussi : “Adpone porris religiosas arulas, uenerare acerbum caepe, mordax allium : Dresse de pieux autels aux poireaux, venère l'oignon âcre et l'ail piquant” ; du même auteur (Contre Symmaque, 865-68) : “Sunt qui, quadriviis brevioribus ire parati, Vilia Niliacis venerantur holuscula in hortis, Porrum et caepe deos inponere nubibus ausi, Alliaque et senapin caeli super astra locare : Il y en a qui, prêts à s'avancer par des carrefours plus étroits encore, adorent, dans les jardins que borde le Nil, de vils légumes, osant imposer comme dieux aux nuages le poireau et l'oignon, et placer au-dessus des astres du ciel l'ail et la moutarde”. La raison de cet emprunt se trouve expliquée encore dans Pline (XIX, 36, 121) : “quae a radice nascuntur, radix diuturna et fruticosa est, ut bulbi, gethyi, scillae : ceux qui naissent de racines ont une racine peristante et qui bourgeonne, comme les bulbes, la ciboulette et la scille” ; ou dans Psellus : “τας δε φυσεις οιμαι των γιγνομενων μη μαλα ειδοτες σκιλλαν τιμωσι και κρομμυα οτι αυτοματως βλαστανουσι : ils honorent les bulbes de scille et les oignons parce qu'ils bourgeonnent d'eux-mêmes” (in Chaeremon, 1987) ; cette déclaration exprime dans le domaine botanique une transposition du cycle palingénésique du phénix.

   - Pauillon : “Vng Pauillon & tente, Papilio, Conopeum, Tabernaculum [...] Vng Papillon, Papilio” (Estienne, 1549). “Qui introduxit eum in tabernaculum Sarae matris suae, et accepit eam uxorem ; Et Isaac introduisit Rebecca dans sa tente : il la prit et elle devint sa femme et il l'aima” (Génèse, 24, 67). On voit ici facilement que la Royne se trouve bien couverte sous le pavillon ducal, ou préfectoral, à tel point qu'un peu plus tard le médecin de Salon lui trouve le ventre enflé.

VIII-75
Le pere & filz feront meurdris enfemble
Le prefecteur dedans fon pauillon
La mere à Tours du filz uentre aura enfle.
Caiche uerdure de feuilles papillon.
Clefs :

   - Le papillon met le ver dans le fruit (engendre) en butinant et fécondant la fleur (le pavillon), et les métamorphoses successives cachent son génie, ignoré des gens distraits ou naïfs. Mais le papillon nostradamien c'est aussi la Ψυχη, l'Ame personnifiée sortant toute en ailes d'une chrysalide9, devenue symbole d'immortalité chez Dante. Le pere & filz... meurdris enfemble, pour être le même “homme” et avoir aimé la même “femme” : comme dans la religion égyptienne où Osiris est à la fois mari, frère jumeau et fils d'Isis.10 La mere à Tours – ou encore la mère à tours – ressemblerait bien à Cybèle, la Mère des dieux à la couronne de tours (Ovide, Les Métamorphoses, X, 686), alias Isis sous d'autres cieux, Vénus, Minerve, Proserpine, Hécate ou Cérès.11

   - Pour revenir à l'Eglise, l'assemblée des fidèles, elle est elle-même représentée comme une mère ayant un fils (le Christ, un fils de Dieu dans le domaine spirituel et non pas matériel ; cf. Jean, 3 : 6), comme époux : “Comme les disciples de Jean Baptiste et les pharisiens jeûnaient, on vient demander à Jésus : «Pourquoi tes disciples ne jeûnent-ils pas, comme les disciples de Jean et ceux des pharisiens ?» Jésus répond : «Les invités de la noce pourraient-ils donc jeûner, pendant que l'Époux est avec eux ? Tant qu'ils ont l'Époux avec eux, ils ne peuvent pas jeûner. Mais un temps viendra où l'Époux leur sera enlevé : ce jour-là ils jeûneront.»” (Marc, 2, 18-22). On retrouve cette notion d'épouse maternelle chez Nostradamus, et aussi de mère épousant un de ses fils :

VI-50
Dedans le puys feront trouués les oz,
Sera linceft commis par la maratre:
L'eftat changé on querra bruit & loz,
Et aura Mars afcendant pour fon aftre.
Clefs :

   - inceft : (cf. supra VIII-75), la marâtre, la belle-mère ou seconde femme du père, incestueuse comme Isis [4].

   Plus loin, ce sont encore les Ecritures qui permettent de replacer dans leur contexte religieux certaines “femmes“ publiques des Centuries. En effet, c'est toujours dans le livre d'Osée qu'on trouve le recours à la parabole d'une épouse adultère illustrant l'infidélité d'une nation : “Quand Yahvé commença de parler par Osé, Yahvé lui dit : « Va, prends une femme portée à la prostitution et des enfants de prostitution, car le pays, abandonnant Yahvé, ne fait que se prostituer ». Accusez votre mère, accusez-là ! Car elle n'est plus ma femme et je ne suis plus son mari. Qu'elle bannisse de sa face ses prostitutions, d'entre ses seins ses adultères, sinon je la déshabillerai toute nue et la mettrai comme au jour de sa naissance ; je la rendrai semblable au désert, je la réduirai en terre aride et la ferai périr de soif, ...“ (Osée, 1,2). Et dans Isaïe pareillement, et très explicitement : «Comment est-elle devenue une prostituée, la cité fidèle ?» (Isaïe, 1, 21). Ces métaphores bibliques permettraient d'expliquer la présence et la nature des adultères dans les Centuries :

VI-59
Dame en fureur par rage d'adultere,
Viendra a fon Prince coniurer non de dire :
Mais bref cogneu fera le vitupere,
Que feront mis dixfept a martire.
Clefs :

   - vitupere : latin vituperare : blâmer, reprimander, critiquer (cf. Philippique en IX-30) ; bref cogneu : en paix & vie ne fera longuement en I-3 (ne sera, à la fois et en même temps, longuement et en paix et en vie, souffrant d'un mal'heureux tourment en I-68) ; Chef fuyant en I-98, fuytif en X-3 (dans Nombres [24:4] le mot hébreu נפל pour fugitif – nophel ou naphal – est synonyme d'épilepsie, traduit par υπνω dans la Septante et cadit dans la Vulgate (cf. Jérémie, 39:9; 2 Rois, 25:11), quasi divaguant, en latin c'est vagus (cf. loin vaguera en II-28) ; dixfept : dixfept bateulx en V-71, Apres le fiege tenu dixfept ans en V-92, avant dixhuict incompetant eage en X-39. Plutarque expose certaines propriétés mystiques du nombre dixfept : “Selon les mythes égyptiens, la mort d'Osiris survient un 17, le jour où il devient tout à fait visible que la pleine lune a accompli son temps. Les Pythagoriciens, pour cette raison, appellent ce jour “interposition”, et ils abominent absolument le nombre 17. Tombant en effet entre le carré 16 et l'oblong 18 , seuls nombres plans à avoir leur périmètre égal à leur aire, 17 s'interpose entre eux, les sépare, interrompt leur progression (de raison 9/8) et détermine des intervalles inégaux.“ (Isis et Osiris, 367 E [42]). Or, une interposition, en grec παρενθηκη, c'est aussi une parenthèse, une césure (presque une césarienne ; cf. V-92 : Apres le fiege tenu dixfept ans, Cinq changeront en tel reuolu terme), un moment bref cogneu – convenant à une étoile filante qu'on appelerait aujourd'hui une “star” (fuyante encore la comete en II-62, l'eftoille cheuelue en II-43, VI-6) – par rapport à la durée d'un ou plusieurs siècles, temps dans lequel se place Nostredame, celui de l'Histoire oubliant les détails matériels évanescents au regard de ceux qui seulement – bon gré, mal gré – ont survécu et survivront dans la mémoire de tous, et partout.

VIII-63
Quant l'adultere bleffé sans coup aura
Meurdry la femme & le filz par defpit,
Femme affoumee l'enfant eftranglera :
Huit captifz prinz, s'eftouffer fans refpit.
Clefs :

   - adultère : coqu, trompé, ou plutôt du latin ad ulter, de l'au-delà, de alter : l'autre, le second, l'ultérieur, le vopisque en I-95 ; bleffé sans coup : malade, blessé spirituellement (cf. anglais blessed, béni, bienheureux), quasi non mort apoplectique en III-36 ; affoumée : assommée, assoupie (quasi satisfaite, assouvie), ou bien étourdie (cf. dame infenfée en II-44, femme forcenée en VIII-13, hors de sens : de l'ancien français forsener), ou encore assumée (du latin sumere, prendre), prise (cf. Greimas, 1994 ; DMD). Cette femme nostradamienne, comprise comme une conception spirituelle, étranglera-t-elle l'enfant ad ulterius ? Très certainement, si cet enfant bleffé – souffrant d'un mal'heureux tourment en I-68 – vient à s'eftouffer et suffoquer d'apoplexie dans un mal comitial, sacerdotal, i.e. Hiraclien, et fera connaître une offense. Alors on pourra ensuite se demander si l'helléniste de Salon n'aura pas adapté l'enseignement des Ecritures à la démonstration que faisait Platon des petites vertus de la démocratie :

VIII-14
Le grand credit d'or, d'argent l'abondance
Fera aueugler par libide l'honneur
Sera cogneu d'adultere l'offence,
Qui parviendra à fon grand deshonneur.
Clefs :

   - “Car il n'est pas rare que ce soient ou la possession des biens privés ou la soif ardente de les posséder et la plus misérable de toutes les passions, l'ambition, qui poussent les mortels, même malgré eux, dans tous les vices, pour leur plus grand malheur, un malheur sans égal. C'est de là que bien souvent, sans qu'on s'y attende, surgissent la division des esprits, l'ébranlement des armes et les guerres pires que les discordes intestines. Dans ces désordres, non seulement la condition la plus florissante des heureuses Républiques est ruinée de fond en comble mais leur gloire autrefois acquise, la célébration de leurs triomphes, la splendeur de leurs trophées, les dépouilles opimes enlevées à leurs ennemis à chaque victoire sont complètement effacées de la mémoire.“ (Lettre de Jérôme Busleiden à Thomas More, 1516 ; Prévost, 1978). Pour le rédacteur de cette lettre à l'auteur de l'Utopie, et qui sait aussi pour le médecin de Salon, ainsi tombaient et finiront – quelles qu'elles soient – les Républiques : dans la corruption ?

III-50
La republique de la grande cité
A grand rigueur ne voudra confentir :
Roy fortir hors par trompette cité,
L'efchelle au mur, la cité repentir.
Clefs :

   - Dans l'Ancien Testament (Nombres, XI, 4), une grande cité à grand rigueur ne voulait consentir : “Le ramassis de gens qui se trouvaient au milieu d'Israël fut saisi de convoitise ; et même les enfants d'Israël recommencèrent à pleurer et dirent : Qui nous donnera de la viande à manger ? Nous nous souvenons des poissons que nous mangions en Égypte, et qui ne nous coûtaient rien, des concombres, des melons, des poireaux, des oignons et des aulx. Maintenant, notre âme est desséchée : plus rien ! Nos yeux ne voient que de la manne (...) Ensuite, inspiré, Moïse dit à son peuple (Nombres, XI, 8) : “L'Éternel vous donnera de la viande, et vous en mangerez. Vous en mangerez non pas un jour, ni deux jours, ni cinq jours, ni dix jours, ni vingt jours, mais un mois entier, jusqu'à ce qu'elle vous sorte par les narines et que vous en ayez du dégoût, parce que vous avez rejeté l'Éternel qui est au milieu de vous“ ; bien que prévenu, le peuple se jette sur l'abondance facilité, mais La cité repentir, suite à l'ire de Dieu : “Comme la chair était encore entre leurs dents sans être mâchée, la colère de l'Éternel s'enflamma contre le peuple, et l'Éternel frappa le peuple d'une très grande plaie.“ (Nombres, XI, 33).
La republique, vu comme principe gouvernemental de la grande cité humaine, passant de la démocratie à la tyrannie [cf. infra], depuis Platon, Aristote ou Cicéron : ce concept était un sujet de discussion permanent dans l'oeuvre de Machiavel et de More, largement répandu dans les milieux humanistes et popularisé par Rabelais avec ses Thélémites jusqu'à la publication des Six Livres de la République de Jean Bodin en 1583.

IX-78
La dame Grecque de beauté laydique
Heureufe faicte de procs innumerable,
Hors tranflatee au regne Hifpanique
Captiue prinfe mourir mort miferable
Clefs :

   - Laïs, comme une dame antique en II-51, était une célèbre courtisane grecque de Corinthe, son nom signifie littéralement “fille du peuple“ (de λαος) ; on voit aussi que la prostituée biblique est belle et bien laïque (grec λαικας : populaire, profane). La république démocratique, celle de “l'ignorante et sotte multitude“ tant redoutée des Thélémites, a été une spécialité grecque, particulièrement bien étudiée par Platon, dans La République : “Dans cet Etat, on n'est pas contraint de commander si l'on en est capable, ni d'obéïr si l'on ne veut pas, non plus de faire la guerre quand les autres la font, ni de rester en paix quand les autres y restent, si l'on ne désire point la paix ; d'autre part, la loi vous interdit-elle d'être magistrat ou juge, vous n'en pouvez pas moins exercer ces fonctions, si la fantaisie vous en prend (…). Hé quoi ! la mansuétude des démocraties à l'égard de certains condamnés n'est-elle pas élégante ? N'as-tu pas déjà vu dans un gouvernement de ce genre des hommes frappés par une sentence de mort ou d'exil rester néanmoins dans leur patrie et y circuler en public ? Le condamné, comme si personne ne se souciait de lui ni ne le voyait, s'y promène, tel un héros invisible (…). Tels sont les avantages de la démocratie, avec d'autres semblables. C'est comme tu le vois, un gouvernement agréable, anarchique et bigarré, qui dispense une sorte d'égalité aussi bien à ce qui est inégal qu'à ce qui est égal (...) Le maître [y] craint ses disciples et les flatte, les disciples font peu de cas des maîtres et des pédagogues (…). Le terme extrême de l'abondance de liberté qu'offre un pareil Etat est atteint lorsque les personnes des deux sexes qu'on achète comme esclaves ne sont pas moins libres que ceux qui les ont achetées. Et nous allions presque oublier de dire jusqu'où vont l'égalité et la liberté dans les rapports mutuels des hommes et des femmes (…). A quel point les animaux domestiqués par l'homme sont ici plus libres qu'ailleurs est chose qu'on ne saurait croire quand on ne l'a point vue. En vérité, selon le proverbe, les chiennes y sont bien telles que sont leurs maîtresses ; les chevaux et les ânes, accoutumés à marcher d'une allure libre et fière, y heurtent tous ceux qu'ils rencontrent en chemin, si ces derniers ne leur cèdent point le pas. Et il en est ainsi du reste : tout déborde de liberté.“ (La République, VIII, 558-563).

   - Procs : prononcé prox (sauf votre respect), singuliers proces, conviendrait à une courtisane payée en numéraire innumerable pour ses avances (cf. proco, procatio, demande en mariage, procax, demande effrontée, impudence, cf. français moyen procacité, insolence ; Bailly, 1934, Godefroy, 1885). Hifpanique (cf. Hyfpans en VIII-94, IX-78 ; Espagne : Spania en latin, Spain en anglais, Spanien en allemand), spanios, spanis, Σπανος à la mode hellène : en manque de ressources, dans le plus total dénuement, dans une pitoyable nudité, une piteuse nécessité (cf. III-30, IV-22, V-73).

II-39
Vn an deuant le conflict Italique
Germains, Gaulois, Hezpaignolz pour le fort :
Cherra l'efcolle maifon de republicque
Ou, hormis peu, feront fuffoqué mors.
Clefs :

   - “Qui ne m'entent n'a suivy les bordeaulx“ rappelait Villon aux connaisseurs de la Grosse Margot tenant “publicque escolle“, là où des escholiers enseignaient, comme les ânes de Platon, à leurs maîtresses. Villon dans le Testament, CLI : “Item, à Marion l'Idole / Et la grand Jeanne de Bretaigne / Donne tenir publicque escolle / Où l'escolier le maître enseigne“. La double lecture du vers 1631 a entraîné deux leçons différentes pour le vers 1632 : si l'on fait de l'escolier le sujet d'enseigne, il s'agit d'une école spéciale, celle des prostituées, et d'un monde à l'envers où c'est l'élève qui enseigne au maître les vertus chrétiennes. “ (Dufournet, 1992) ; (le bordel : cf. les bordeaux en I-72, le peautre de l'inhumain Neron en IX-76).

I-61
La republique miferable infelice,
Sera vaftee du nouueau magistrat :
Leur grand amas de l'exil malefice,
Fera Sueue rauir leur grand contract.
Clefs :

   - Une définition de la république : “Qui va trefmal, Aegrota refpublica “ (Estienne, 1549). La republique miferable infelice des Prophéties n'est-elle pas comme la neufue Babylone fille miferable dans la Lettre à Henry Second (p. 11) ? Sueue, sonne pour Suède (Souabe pour Brind'Amour...), du latin Suevus, mis pour suave, de l'ancien français souef, soef, latin suavis (Estienne, 1549) : suave, c'est-à-dire enchanteur, comme Ogmios alias Hercule gaulois pour Lucien de Samosate, alias Dionysos pour Plutarque.12 Ce nouueau magistrat, pour être Suave comme un Hercule gallique, aurait donc encore une langue ornée d'oreilles en I-96, tellement on boira ses paroles (l'homme d'homme fera anthropophage en II-75) ; Contract : dans un contexte religieux, contrat de mariage, pacte, Alliance.

I-3
Quand la lictiere du tourbillon uerfée,
Et feront faces de leur manteaux couuers :
La republique par gens nouueaux vexée,
Lors blancs & rouges iugeront à l'enuers.

Clefs :

   - pourquoi la Republique vexée ? Platon, encore : “Maintenant, le passage de la démocratie à la tyrannie ne se fait-il de la même manière que celui de l'oligarchie à la démocratie ? (…) N'est-ce pas le désir insatiable de ce que la démocratie regarde comme son bien suprême, la liberté, qui perd cette dernière ? (…) En effet, dans une cité démocratique tu entendras dire que c'est le plus beau de tous les biens, ce pourquoi un homme né libre ne saurait habiter ailleurs que dans cette cité. (…). Or donc…, n'est-ce pas le désir insatiable de ce bien, et l'indifférence pour tout le reste, qui change ce gouvernement et le met dans l'obligation de recourir à la tyrannie ? (…) Lorsqu'une cité démocratique, altérée de liberté, trouve dans ses chefs de mauvais échansons, elle s'enivre de ce vin pur au-delà de toute décence ; alors, si ceux qui la gouvernent ne se montrent pas tout à fait dociles et ne lui font pas large mesure de liberté, elle les châtie, les accusant d'être des criminels et des oligarques. (…). Et ceux qui obéissent aux magistrats, elle les bafoue et les traite d'hommes serviles et sans caractère ; par contre, elle loue et honore, dans le privé comme en public, les gouvernants qui ont l'air de gouvernés et les gouvernés qui prennent l'air de gouvernants. N'est-il pas inévitable que dans une pareille cité l'esprit de liberté s'étende à tout. (…). Que le père s'accoutume à traiter son fils comme son égal et à redouter ses enfants, que le fils s'égale à son père et n'a ni respect ni crainte pour ses parents, parce qu'il veut être libre, que le métèque devient l'égal du citoyen, le citoyen du métèque et l'étranger pareillement. (…). Le maître craint ses disciples et les flatte, les disciples font peu de cas des maîtres et des pédagogues. (…). Or, vois-tu le résultat de tous ces abus accumulés ? Conçois-tu bien qu'ils rendent l'âme des citoyens tellement ombrageuse qu'à la moindre apparence de contrainte ceux-ci s'indignent et se révoltent ? Et ils en viennent à la fin, tu le sais, à ne plus s'inquiéter des lois écrites ou non écrites, afin de n'avoir plus absolument aucun maître. (…). Eh bien ! mon ami, c'est-ce gouvernement si beau et si juvénile qui donne naissance à la tyrannie…“. (La République, VIII, 562-563).
Donc en résumé, l'efcolle maifon de Républicque (II-39), qui A grand rigueur ne voudra confentir (III-50), et miferable infelice... Sera vaftee du nouueau magistrat (I-61) ou par gens nouueaux vexée (1-3) : car “... la mort d'un fort grand apportera beaucoup de troubles tant en la hierarchie, qu'en ariftocratie, & beaucoup plus en la democratie. [...] fon gazophilacium fe treuuera tellement efpuisé, qu'il fera contraint de tyranniquemẽt exiger fes fubiets, & deuiendra fplenetique...”13 (Almanach pour 1566, Predictions de Juin, Cahiers Nostradamiques).

   Après Platon, Aristote et Cicéron, peut-être Nostredame avait-il lu Machiavel : “Quiconque compare le présent et l'avenir, voit que toutes les cités, tous les peuples ont toujours été et seront encore animés des mêmes désirs, des mêmes passions. Ainsi, il est facile, par une étude exacte et bien réfléchie du passé, de prévoir, dans une République, ce qui doit arriver“. (Discours sur la Première Décade de Tite-Live ; II, 39).

   Cependant, rien ne prouve que le médecin de Salon ne se soit pas quelque peu éloigné d'une simple copie des glossateurs bibliques, faisant d'une nation athée une femme infidèle. Après tout, la fille publique nostradamienne (ieune pute en V-5, pucelle joyeuse en X-98, femme de ioye en I-41), la res publica, pourrait être une de ces conceptions que chacun peut épouser librement ; conception religieuse ou philosophique, mais pas nécessairement démocratique.

I-41
Siege en cité & de nuict affaillie,
Peu efchapés : non loin de mer conflict.
Femme de ioye, retours filz defaillie
Poifon & lettres cachées dedans le plic.
Clefs :

   - cité : assemblée, cf. la Republique de la grande cité en III-50 ; Poifon : le breuuage de VIII-13, potion magique ou philtre d'amour, médicament, medicant fecours en X-63, etc. Peu efchappés = hormis peu en II-39 ; femme de ioye : conception nostradamienne des bienheureux, mais feme infame en IX-9 (du latin infamis, privé de sa renommée) : décriée.

X-98
La fplendeur claire a pucelle ioyeufe
Ne luyra plus long temps fera sans fel
Auec marchans, ruffiens loups odieufe
Tous pelé meflé monftre uniuerfel.

   - La fplendeur claire pourrait ressembler à la lumière d'un astre divin personnifié, Lune ou Soleil, Artémis ou Apollon (divine en I-2, céleste en X-98, efplandeur en IV-28).

X-22
Pour ne vouloir confentir au diuorce
Qui puis apres fera cogneu indigne
Le Roy des Ifles fera chaffé par force
Mis a fon lieu que de roy n'aura figne.
Clefs :

   - le divorce, la femme infidèle est comparée à la res publica tentée par la corruption, l'aventure dérélictueuse, la division (grec διαβολη – latin diabole) des citoyens par ce grand credit d'or, d'argent, l'abondance : “Qu'est devenue cette antique fécondité des mariages, heureuse suite des mœurs, grâce à laquelle, pendant près de six cents ans depuis la fondation de Rome, pas une maison ne connut le divorce? Aujourd'hui, au contraire, les femmes ont tous les membres chargés d'or, elles n'osent embrasser sans crainte à, cause du vin qu'elles ont bu ; quant au divorce, il est devenu l'objet de leurs vœux et comme un fruit du mariage. “ (Tertulien, Apologétique, VI, 6) ; le Roy des Ifles voudrait rester comme Osée, l'époux de sa grande cité, mais celle-ci en fureur par rage d'adultere voulant le répudier, et son entêtement à vouloir rester l'Epoux de sa République le fera cogneu indigne, chaffé par force, etc ; l'ifle Harmotique en X-36 : unie, accordée (du grec αρμοττω, αρμοζω : unir, prendre pour femme) ; les ifles : des terres nouvelles, au milieu de la mer, entre deux eaux firmamentales, inondées ou baptisées (cf. Cicéron : “S'ils veillent [les dieux] sur ceux qui habitent cette sorte de grande île que nous appellons le globe terrestre“, De la nature des dieux, LXVI, 165).

X-17
La royne Ergafte voiant fa fille blefme,
Par vn regret dans l'eftomach encloz,
Crys lamentable feront lors d'Angolefme,
Et au germain mariage fort clos.
Clefs :

   - Fort clos : le mariage du fort (celui de II-39) est achevé, accompli (cf. anglais close, proche), et non pas nécessairement forclos, exclu. Royne Ergafte (du latin ergastulum : prison d'esclave, par le grec εργασια : travail, préparation), en travail forceps. On remarquera dans le grec γαστηρ : estomac, mais aussi entrailles, ventre – cf. caue antique, pour la conception – la terminaison commune et peut-être fortuite de εργαστηρ : travailleur, la matrone préparant au travail de l'accouchement). On imagine alors une Royne homérique, olympienne, une déesse parnassienne comme Héra ou Junon Lucina, matrone présidant aux accouchements et aux délivrance, parfois pour les retarder comme lors de la naissance d'Hercule.

X-35
Puyfnay royal flagrand d'ardant libide,
Pour fe iouyr de coufine germaine,
Habit de femme au temple d'Arthemide :
Allant murdry par incogneu du Maine.
Clefs :

   - Habit de femme : robe de l'ecclésiastique. Arthemide : Artémis, divinité lunaire, vierge divine. cf. germain mariage en X-17, d'une conjonction de Mars à Venus (cf. IV-84-97, V-25), à l'exemple de Mars-Arès, s'unissant à sa consœur germaine (Coufin, à Confanguineus, quafi Confanguin. ; Estienne, 1549). Vénus-Aphrodite, alias Isis, l'épouse de Vulcain-Héphaistos, alias Osiris14 ; meurtry à Venus faifant vœu en VIII-32.

X-39
Premier fils vefue malheureux mariage
Sans nuls enfans deux Ifles en difcord,
Auant dixhuict incompetant eage,
De l'autre pres plus bas fera l'accord.
Clefs :

   - Auant dixhuict : c'est-à-dire à dixfept, au moment d'une parenthèse, d'un fubit changement en I-20, à l'instant d'un eftat changé en VI-50 ; incompetant : incompetens déplacé, inconvenant, discordant, de competo : s'accorder, tandis l'accord pourrait être fait par un competiteur en III-73, refusant le diuorce en X-22. Sans nul enfans : cf. dans la Lettre à Henry Second : “Car Dieu regardera la longue fterilité de la grãd dame, que puis apres conceura deux enfans principaux : Mais elle periclitant, celle qui luy fera adiouftee par la temerité de l'eage de mort periclitant dedans le dixhuictiefme... (p.9) Apres ceci la dame fterile de plus grande puiffance que la feconde... (p.10)“ . Deux isles en discord (cf. Aupres des portes & dedans deux cités en II-6, Dans deux logis de nuit le feu prendra en II-35), cf. Saint-Augustin : “Deux amours ont bâti deux cités. L'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu, la cité terrestre. L'amour de Dieu jusqu'au mépris de soi, la cité céleste. L'une se glorifie d'elle-même, l'autre dans le Seigneur“ (La Cité de Dieu, XIV, 28).

I-86
La grande royne quand fe verra vaincu,
Fera excés de mafculin courraige.
Sus cheual,fluue paffera toute nue,
Suite par fer : à foy fera oultrage.
Clefs :

   - à foy, ou à foy ? le masculin courage conviendrait à une andronne, ou à une homasse : l'Eglise militaire en VIII-78 ?

I-88
Le diuin mal furprendra le grand prince
Vn peu deuant aura femme efpoufée.
Son apuy & credit à vn coup viendra mince,
Confeil mourra pour la tefte rafée.
Clefs :

   - diuin mal : le haut mal, un mal comitial et sacerdotal, on retrouve dans l'Almanach pour 1566 cette association de maladie suivie de convalescence dans les suites d'un mariage15 ; femme efpoufée : la femme prise comme religion du nom des mers en X-96, lors d'un haut mariage en II-25, vnion faincte en VI-20, meurtry à Venus faifant vœu en VIII-32, luy faillira ne refufant l'efpoufe en VIII-39 ; mince comme λεπτος conviendrait à un grand prince fin, subtil, quasi ληπτος : pris intelligemment, acceptable, et qu'on ne saurait même refuser. Le jeu de mot dyslexique se voit mieux dans une graphie latine : leptos, mince, faible, mais lêptos : qu'on peut saisir, acceptable.16 On rappelle que le confeil mourra, le jour de la mort mis en nativité en II-13 (cf. TAG amifere en II-60, de l'allemand tag, le jour, amifere : du latin fero, qui porte, apporte, emporte [l'âme]), par renaissance ou résurrection spirituelle, quand blancs & rouges jugeront à l'envers en I-3, c'est-à-dire quand on renoncera à certaines utopies pour en adopter d'autres.

Conclusion

    On ne saurait encore dire exactement comment Nostredame aurait lui-même rangé toutes ces “femmes“, de la première à la dernière, ni encore précisément quels seraient tous leurs attributs respectifs, mais on voit bien qu'il existe de nombreuses relations entre elles d'une centurie à l'autre, ce qui prouve un fois de plus que les Prophéties sont l'oeuvre d'un seul auteur, animé par des préoccupations spirituelles et religieuses plutôt que strictement, et bassement, matérialistes et politiciennes. On voit aussi – et autant qu'une Apocalypse ce sera sûrement une révélation – que les Almanachs et les Prophéties sont écrites de la même main, pour ne pas dire par la même tête : celle qui, obsédée, revient toujours au même sujet, à Dieu quelle que soit l'occasion, la saison ou l'année de l'almanach. Nous avons déjà eu l'occasion de dire que ce leitmotiv appartenait à la sémiologie de certaines épilepsies temporales ou syndromes apparentés, nous insistons à nouveau pour le faire remarquer à celui qui l'ignorerait, de bon ou mal gré. De même que les Prophéties ne sont pas une liste de prédictions successives, les Almanachs ne sont pas non plus un calendrier perpétuel, mais une prédiction permanente où au milieu de prévisions météorologiques anodines on retrouve partout la même obsession : pour Nostredame la justice divine s'exerce et doit s'exercer en tout temps et en tout lieu, à toute occasion, tôt ou tard... Mais pour l'oracle de Salon, la justice divine ne saurait être exercée par les hommes eux-mêmes, fût-ce dans une république utopique ou démocratique, mais par Dieu seul, celui qui justement “est sur tout“. Resterait à trouver selon Nostredame – parfois accusé de vouloir ressusciter les dieux païens – une définition de Dieu, promis à ressusciter en nouueau vieux (III-72).

   Néanmoins, l'éxégète n'est pas le prophète, ni l'éxégèse la prophétie : ni l'une ni l'autre n'est assurée, et encore moins inexorable, et l'on est pas obligé de croire pour étudier la Bible ou les Prophéties. Vouloir refuser ou craindre, esquiver ironisera-t-on, l'une ou l'autre, l'éxégèse ou le texte, voire les deux, c'est faire preuve de superstition : on craint la prophétie alors que l'on a aucune certitude de son accomplissement, mais comme les esprits faibles craignent la prophétie, ils interdisent aussi son éxégèse ou inventent des clauses de nullité. Puéril. Puis pour échapper à la critique de ses conjectures hasardeuses, le néophyte, ignorant superbement les travaux de Sperry et Gazzaniga sur le cerveau dédoublé, Geschwind et Waxman sur les troubles psychiatriques des épilepsies temporales, invoque Freud – admis pour certain parmi les imposteurs (Bénesteau, 2002) – : c'est ainsi faire preuve d'incompétence dans le domaine neuropsychologique, et récompenser l'espèce qu'on prétendait dénoncer ailleurs par des sophismes extravagants.17 Mais passe encore. Car d'autres Elithes Amaurotes feignant d'ignorer que les Prophéties, comme d'autres textes beaucoup plus connus (Alajouanine, 1973 ; Altschuler, 2002 ; Hansen, 1988 ; Landsborough, 1987 ; Vercelletto, 1997), sont le produit désormais inévitable de cette Comitiale agitation Hiraclienne auto-diagnostiquée par un élève d'Hippocrate et de Galien réunis, reléguent le traducteur du Protreptique, élevé sur un fond d'Utopia, parmi les confiseurs et autres amateurs innocents de miel, de fleurs et petits oiseaux, laissant les Hypernéphélistes Ombrophores pérorer sans fin sur ces inévitables, merveilleux et tout puissants Martiens. Prétentions abracadabresques que celles d'astrologues, fussent-ils sorbonnistes, voulant enseigner les maux d'esprit aux derniers disciples d'Asklépios ! Le mal serait insignifiant si tous ces vices débiles n'encouragaient directement certaines pratiques sectaires aussi ahurissantes que redoutables, et ce n'est pas le déni d'utopies – assisté de faussaires – qui aidera à combattre ce genre de péril mortel.18

Dr. Lucien de Luca
in Logodaedalia,14 juillet 2003

Notes

1 par aenigmatique fentence, n'ayant que vn feul fens, & unique intelligence, fans y auoir rien mis d'ambigue ne emphibologique calculation [...] Refpondra quelcun qui auroit bien befoing de foy moucher...” (Lettre à Henry Second, p5-8). Retour

2 “Così per li gran savi si confessa / che la fenice more e poi rinasce, / quando al cinquecentesimo anno appressa; / erba né biado in sua vita non pasce, / ma sol d’incenso lagrime e d’amomo, / nardo e mirra son l’ultime fasce. / E qual è quel che cade, e non sa como, / per forza di demon ch’a terra il tira, / o d’altra oppilazion che lega l’omo, / quando si leva, che ’ntorno si mira / tutto smarrito de la grande angoscia / ch’elli ha sofferta, e guardando sospira: / tal era il peccator levato poscia.” : “Ainsi, au dire des grands sages, le Phénix meurt et ensuite renaît, lorsqu'il approche de sa cinq centième anneée./ Il ne se nourrit, durant sa vie, ni d'herbe ni de grains, mais de larmes d'encens et d'amôme ; et le nard et la myrrhe sont ses derniers langes./ Tel que celui qui tombe et ne sait comment, que la force du démon l'ait jeté à terre, ou un autre mal qui lie l'homme,/ Quand il se relève, regarde autour, troublé par la grande angoisse qu'il a soufferte, et, regardant, soupire./ Tel était le pécheur, après s'être relevé. Oh ! que sévère est la justice de Dieu, dont la vengeance frappe de tels coups.” (Enfer, XXIV, 106-118) ; cette leçon de la Divine Comédie illustre incontestablement la relation nostradamienne entre la renaissance du Phénix et la “comitiale agitation Hiraclienne”, i. e. le mal caduc, un état de mort apparente et récurrente, laissant l'âme errante entre le corps et l'au-delà (ce que nul fin lettré lecteur de Dante n'ignorait alors : “O DALTRA. Opilation che legha lhuomo. Come è el morbo comiciale overo caduco”, commentaire de Cristoforo Landino, 1497). La dualité de la Psychéâme ou papillon – en métamorphose (palindrogénésique pour le phénix) se retrouve aussi chez Dante : “Il se faisait de soi-même une lampe, et ils étaient deux en un, et un en deux. Comment cela se peut, le sait celui qui ainsi l'ordonne” (Enfer, XXXVIII) ; “Et mes yeux, encore peu assurés, virent Béatrice tournée vers l'animal qui est une seule personne en deux natures. /.../ Comme le soleil dans le miroir, ainsi l'animal double rayonnait dedans, offrant tantôt un aspect et tantôt un autre.” (Purgatoire, XXXI) ; (cf. Notes, p. 491 : n. 13 : “Le griffon représente symboliquement le Christ, en qui sont unies deux natures, divine et humaine ; n. 19 : “On a déjà vu que le Griffon, par sa double nature, était le symbole de Jésus-Christ, à la fois Dieu et homme” ; cf. Isidore de Séville : “Leo pro regno et fortitudine ; et Serpens pro morte et sapientia ; idem et Vermis, quia resurrexit ; Aquila, propter quod post resurrectionem ad astra remeavit”, Liber VII, De Deo, Angelis et Sanctis, 43). Cettre résurrection dans la lettre et dans l'esprit explique bien pourquoi le Janus hypergraphique de la Lettre à César et de la première centurie (Lors blancs & rouges..., I-3) se recopie lui-même une fois de plus dans le texte de la dixième (Comme un gryphon... Accompaigné de ceux de l'Aquilon De rouges & blancz, X-96) – et résume Dante (Purgatoire, XXIX, 100-127). Retour

3 Dionysos : “Illustre fils de deux mères”, l“une féminine, l'autre masculine ; Cf. Ovide, Métamorphoses., III, 317 ; Apollodore, III, 4, 3. Retour

4 Plutarque : “Isis et Osiris estans amoureux l'un de l'autre devant qu'ils fussent sortis du ventre de la mere, coucherent ensemble à cachettes, et disent aucuns que Aroveris nasquit de ces amourettes-là, qui est appellé l'aisné Orus par les Aegyptiens, et Apollo par les Grecs.” “Isis apres sa mort coucha encore avec Osiris, duquel elle eut Helitomenus et Harpocrates qui estoit mutilé des pieds” (Amyot, 1587, Isis et Osiris, 320v, 322r). Retour

5 Cf. Cicéron De la nature des dieux, III, 20, 51. Retour

6 “Apollon et Artémis, d'après les Egyptiens, seraient enfants de Dionysos et d'Isis ; Léto serait leur nourrice et les aurait sauvés, en langue égyptienne Apollon s'appelle Horus, Déméter Isis, Artémis Boubastis.” (Histoires, Euterpe, 155). C'est dans la cité appelée Bubastis que se trouvait le sanctuaire de Bastet, divinité à tête de félin, qu'Hérodote confond avec Artémis. Retour

7 Cf. Les significations de l'Eclipse : “quelque Roine, ou homme vir non vir, & du tout efemine” (Chevignard, 1999, p. 450).
Cf. IV-57 : Ignare enuie du grand Roy fupportée,/ Tiendra propos deffendre les efcriptz:/ Sa femme non femme par vn autre tentée,/ Plus double deux ne fort ne criz. Retour

8 Cf. encore, Dante : “son épouse et confidente, la Sainte Eglise” (Banquet, II, 5, 5) ; “vous combattez avec vaillance pour l'Epouse du Christ, pour le siège de l'Epouse, qui est Rome...” (Epitre XI, 26) ; “un qui eut en ses bras Sainte Eglise” (Purgatoire, XXIV, 22) ; “quand l'épouse de Dieu se lève et chante/ matines vers l'époux afin qu'il l'aime” (Paradis, X, 140). Retour

9 “l’âme est dans le corps comme dans une prison [φρουρα]” (Gorgias, 525a ; Phédon, 62 b), “ou même dans une tombe” (corps / tombe : σωμα / σημα, Gorgias, 493 a ; Cratyle, 400 c ; Phèdre, 250c). Le papillon symbolise les métamorphoses de l'âme, débarassée de son enveloppe charnelle (le grec ψυχη signifie à la foi âme et papillon). Cf. Dante : “O superbi cristian, miseri lassi, che, de la vista de la mente infermi, fidanza avete ne' retrosi passi, non v'accorgete voi che noi siam vermi nati a formar l'angelica farfalla, che vola a la giustizia sanza schermi ? Di che l'animo vostro in alto galla, poi siete quasi antomata in difetto, sì come vermo in cui formazion falla ?” : “O chrétiens superbes, malheureux débiles/ qui infirmes de la vue de l'esprit/ vous fiez aux pas rétrogrades,/ Ne savez-vous donc point que nous sommes des vers/ nés pour deveneir l'angélique papillon/ qui, sans que rien l'en défende vole devant la Justice ? / De quoi gonflée, votre âme en haut flotte-t-elle,/ Qu'êtes-vous que d'informes insectes,/ semblables au ver qu'avorte la transformation ?” (Le Purgatoire, X, 121-129). Cf. Diderot : “LE MAÎTRE : Pour moi, je me regarde comme en chrysalide ; et j'aime à me persuader que le papillon, ou mon âme, venant un jour à percer sa coque, s'envolera à la justice divine. JACQUES : Votre image est charmante. LE MAÎTRE : Elle n'est pas de moi, je l'ai lue, je crois, dans un poète italien appelé Dante, qui a fait un ouvrage intitulé : La Comédie de l'Enfer, du Purgatoire et du Paradis” (Jacques le Fataliste). Cf. Ovide dans les Métamorphoses (faisant suite à une autre transformation superlative des grenouilles et des oursons) : “Les chenilles qui, aux champs, enveloppent les feuilles dans le réseau de leurs fils blancs se changent – les paysans ont constaté le fait – en papillon funèbre“ (Met., XV, 370). Retour

10 ανηρ της Ισιδος Οσιρις και αδελφος και υιος παραδεδοται” (Porphyre, in Chaeremon, 1987). Retour

11 “Car les Phrygiens m'appelent la mère des dieux : les Atheniens, Minerve : les Cypriens, Venus, les Candians, Diane : les Sicilens, Proferpine : les Eleufins, Ceres : aucuns Iuno : les autres Bellone, puis Hecate, & principalement les Ethiopiens, qui habitent au Soleil leuant, & les Egyptiens qui font excellens en toute doctrine ancienne, & qui par propres cerimonies ont de coutume de m'adorer, m'appelent la Royne Ifis.” (Apulée, La Métamorphose, XI, 2 ; éd. 1553, p.388) ;
“Les Anciens la nommerent Mere des Dieux, pource qu'à la femblance d'vne mere elle produit & nourrit toutes chofes. Et cõme mere de la Terre (ce dit Phurnutus) les Romains & les Grecs luy attribuerent plufieurs puiffances, & la nommerent de plufieurs noms, vne fois Sybele, Ceres, la Terre, Proferpine : d'autrefois mere des beftes (& tout ainfi la nomme Lucrece) Vefta, & Diane. (…) Et Virgile nous a donné à entendre qu'elle eftoit Lune au Ciel, Diane fus terre, & Proferpine aux enfers, quand il a dit, Tergeminamque Hecatem tria virginis ora Diana. (…) cõme nous lifons en Athenaeus, eftimants que Hecate, Diane, la Lune & Proferpine eftoyent vne mefme chofe.” (Discours de la religion des anciens Romains, Du Choul, 1556, p. 90-93) ;
Cf. Turcan, 1992 (p. 101). Retour

12 “Les François en leur lãgue maternelle appellent Hercules Ogmiù. & le figuret en painture dune facon nouuelle & inufitee. Ilz le figurent en vieillard chauue, nayant que vng bien peu de cheueux derriere, & Iceulx tous chanus & blãcs. Sa peau eft ridee, & toute noire brulee du chaut au foleil, cõme on voit que font coulorez ces vieulx mariniers, vo' diriez quil feroit vng droit Charõ, ou vng Iapetus, lefquelz frequentent aux enfers. (…) Touteffois en cefte figure & efpece il porte laornemet dudit Hercules, entedu quil eft veftu dune peau de Lion, & quen fa main dextre tiet vne maffue, & porte a fon col en echarpe vne trouffe, & en fa main feneftre vng arc bede. Finablemet. Il eft vng droit Hercules.” (Tory, 1529 ; Champfleury, I, f° II) ;
Plutarque : “Osiris regnant en Aegypte, retira incontinent les Aegyptiens de la vie indigente, souffreteuse et sauvage, en leur enseignant à semer et planter, en leur establissant des loix, et leur monstrant à honorer et reverer les Dieux: et depuis allant par tout le monde, il l'apprivoisa aussi sans y employer aucunement la force des armes, mais attirant et gaignant la plus part des peuples par douces persuasions et remonstrances couchees en chansons, et en toute sorte de Musique, dont les Grecs eurent opinion que c'estoit un mesme que Bacchus” (Amyot, 1587, Isis et Osiris, p320v ; 13 [356 B]) ;
Cf. Erasme : “…semblable à celle que les fables des anciens poètes ont notée non sans raison chez Mercure qui, comme avec une baguette magique ou une cithare divine, envoie ou retire le sommeil quand il lui plaît, expédie aux Enfers ou en rappelle qui il veut, ou bien semblable à celle qu'ils ont indiquée chez Amphion et Orphée, dont l'un est représenté mettant en marche des rochers rigides, l'autre attirant avec sa cithare les chênes et les ornes ; ou pareille à celle que les Gaulois attribuaient à leur Ogmius qui conduisait tous les mortels où il voulait grâce à des chainettes partant de sa langue attachées à leurs oreilles, (…) une éloquence qui, au lieu de caresser seulement les oreilles d'un plaisir vite évanoui, laisse dans les coeurs des auditeurs de durable aiguillons, qui entraîne, qui transforme, qui renvoie l'auditeur tout différent de ce qu'il était à son arrivée.” (Paraclesis, 1516).
Cf. Alciat : “Eloquentia fortitudine praestantior. Eloquence vault mieux que force./ L'arc en la main, en l'autre la massue,/ Peau de lyon estant cy aperceue,/ Pour Hercules me faict ce vieillart croire./ Mais ce qu'il a marque de si grand gloire:/ Que mener gens enchainez a sa langue/ Entendre veult, qu'il feist tant bien harengue,/ Que les François pour ses dits de merveilles,/ Furent ainsi que pris par les oreilles./ Si donc il a par loix & ordonnances/ Rangé les gens, plustost que par vaillances:/ Dira l'on pas (comme est vérité)/ Que l'espee a lieu aux livres quicté ?/ Et que ung dur cueur par sages mieulx se range,/ Que gros effort son aspreté ne change ?/ Pour ce Hercules ne fait pas grandes forces:/ Et si sont gens, apres luy grandes courses.” (Livret des Emblèmes, 1536). Retour

13 Latin gazophylacium : salle du trésor, du latin gaza (d'origine perse, par le grec) : trésor, crédit ; épuisé : affaibli (comme Hercules à la suite de ses Travaux), éprouvé, mis à l'épreuve ; splenetique : mélancholique, atrabilaire, pour le moins courroucé. C'est dans L'Interprétation des Hiéroglyphes qu'on voit le mieux le sens et les attributs de ce spleen : “Comment derechief le sainct escrivain/ Voulant encores le sacriste escripvain/ Signifier ou le vates ou prophete/ Ou bien le juge ou le ris nieis ou vain/ Le prince aussi ou bien l'odeur parfaicte/ Le chien paignoient qu'a toutz il ne faict feste/ Le scribe pour ce que celui qui doibt estre/ Parfaict scribe beaucoup luy fault penser/.../ Parquoy le prophete au chien/.../ Parquoy le chien à la rate comparé/ La ratte pour ce car le chien a la ratte/ Si fort legiere que souvent mort en vient/ Par cela mesmes et la raisge faict haste/ Souvent de mort quand subit luy survient/ E ceulx qui scavent quel cuer il apartient/ Quant mourir doibvent par rate vient hectique/ L'odeur sentir le minister s'aplique,/ L'oudeur le ris ont ne vient remuer/ L'esternuer car qu'est splenetique/ Ne peult sentir, rire ne esternuer./ Comment l'homme constitué en estat de magistrat/ Voulant escripre le magistrat loyal/ Paignoient le chien ou piez de sa figure/...” (Rollet, 1968). Retour

14 Jamblique : “L'intellect démiurgique, maître de la vérité et de la sagesse, quand il vient dans le devenir et amène à la lumière la force invisible des paroles cachées, se nomme Amon en égyptien, mais quand il exécute infailliblement et artistement en toute vérité chaque chose, on l'appelle Ptah (nom que les Grecs traduisent Héphaistos, en ne l'appliquant qu'à son habileté d'artisan) ; en tant que producteur des biens, on le nomme Osiris, et il a d'autres appellations selon ses diverses vertus et activités.” (Les Mystères d'Egypte, VIII,3). Retour

15 “Et mefmes vne ioye fort grande aduiendra aux hommes pour caufe de quelque grãd prince & monarque, qui de maladie grande retournera en parfaite conualefcẽce, & fa priftine fanté luy fera reftituee. [...] Ici lon fera courir vn bruit de la maladie & mort de quelques grands & dans vn mefme moment feront apportées nouuelles de fa conualefcence & fanté. [...] La plus part s'accordera & quand on fera parvenu iufques à conclure tout, lors que quelque grand vieil, & quelque grande dame, tous deux par fraudulence fe mettront à trauers. Le vieil pour le fouftenement de quelque vierge à marier, & pour quelques maladies, pour quelque defaillement de feruiteurs : la dame pour le faict de fectes, loix, religion, perigrinatiõs, quelques horribles fonges qu'auront efté precedants : le tout donnera quelque trouble & empechement, mais non obftant quelque excufes, contradictions & fubterfuges le tout uiendra à fe paracheuer en grãde alegreffe, cõualescence & au contentement d'vn chacun. [...] Au refte les plus grands feront treftous en alegreffe, ioye & fupreme hylarité par nouuelles aliances, par nouueaux mariages, & par autres agreables conftitutions & ordonnances, qui feront caufe que les regnes croiftront en augmentation de tous biens auec paix, amour, vniõ, & paifible trãquillité.” (Almanach pour 1566, Cahiers Nostradamus, pp. 91, 92, 102, 104). Retour

16 Cf. Platon : “α δη λογω μεν και διανοια ληπτα : or, ces choses sont perçues par la raison et la réflexion, et non par la vue” (La République, VII, 529d) ;
Cf. Erasme : “E simili modo profertur, nisi quod ore parcius diducto vox non erumpit sursum in coelum oris, sed in linguam infimam, quae leuiter ferit utrinque dentes molares, reductis introrsum labiis. Inter haec duo elementa medium est η Graecorum, quod effertur rictu minus diducto quam in α, hiantiore tamen ac minus in ima depresso sono quam in e. Cognationem arguit primum, quod apud Graecos α frequenter vertitur in η et contra, vt ριηπος pro ριαπος et ιητρος ιατρος ; contra ταν pro την. Apud Latinos fere vertitur in e longum, ut Κρητες Cretes et σπλην splen.” (De pronuntiatione, 260) ;
Cf. Tory : “Ita vault vng I. long en quantite de fyllabe metrique, & fouuuant eft mue & change de Grec en Latin pour E long en quantite de fyllabe metrique”. (Champfleury, Declaration de la lettre grecque, 1529 ; Art et Science de la vraie proportion des Lettres, Bibliothèque de l'image, 1998) ;
Cf. Rabelais (Panurge, IX ; in G. Defaux, 1994) : “Despota ti nyn panagathe, dioti sy mi uc artodotis ? Horas gar limo analiscomenon eme athlios. Ce en to metaxy eme uc eleis udamos, zetis de par emu ha u chre, ce homos philologi pantes homologusi tote logus te ce rhemeta peritta hyparchin, opote pragma afto pasi delon esti. Entha gar anancei monon logi isin, hina pragmata, (hon peri amphisbetumen, me phosphoros epiphenete”. Rétro-version grecque : "Δέσποτα τοίνυν πανάγαθε, διατί σύ μοι οὐκ ἀρτοδοτε-ς ; Ὁρᾷς γὰρ λιμῷ ἀναλισκόμενον ἐμὲ ἀθλίως. Καὶ ἐν τῷ μεταξὺ ἐμὲ οὐκ ἐλεε-ς οὐδαμῶς, ζητε-ς δὲ παρ᾽ ἐμοῦ ἃ οὐ χρ, καὶ ὅμως φιλόλογοι πάντες ὁμολογοῦσι τότε λόγους τε καὶ ματα περιττὰ ὑπάρχειν, ὁπότε πρᾶγμα αὐτὸ πᾶσι δλόν ἐστι. ῎Ενθα γὰρ ἀναγκα-οι μόνον λόγοι εἰσίν, ἵνα πράγματα, (ὧν πέρι ἀμφισβητοῦμεν), μ φωσφόρως ἐπιφαίνεται. (Notus, 2003). Traduction : “Excellent maître, pourquoi ne me donnez-vous pas de pain ? Vous me voyez dépérir de faim misérablement, et cependant vous êtes pour moi sans pitié, et vous me demandez des choses hors de propos. Pourtant tous les amis des lettres sont d'accord que les discours et paroles sont superflus quand les faits sont évidents pour tous. Les discours ne sont nécessaires que là où les faits sur lesquels nous discutons ne se montrent pas clairement.” Retour

17 Cf. Cicéron : “Hoc persaepe facitis, ut, cum aliquid non veri simile dicatis et effugere reprehensionem velitis, adferatis aliquid, quod omnino ne fieri quidem possit, ut satius fuerit illud ipsum, de quo ambigebatur, concedere quam tam inpudenter resistere” : “Voilà ce que vous faites sans cesse : quand vous proférez une opinion douteuse, et que vous voulez fuir la réprobation, vous apportez une explication absurde, de sorte qu'il vaudrait mieux vous abstenir de controverser, plutôt que de résister effrontément.” (De la nature des dieux, I, 69). Retour

18 “Mais ceci ne peut entrer en l'entendement d'vne troppe infinie par trop affectiõnée à leur vaine, friuole & fuperficielle foy fans ceremonies, ignorans des autres fciences” (Almanach pour 1566, Les Cahiers Nostradamiques).
“... à toufiours efté l'ignorance eftimee caufe de tous maux, & empefchement de tous biens, d'autant qu'il eft impoffible d'euiter vn mal auquel on ne penfe point, ny de iouyr d'vn bien qu'on n'entent point.” (La Grand' Pronostication, 1557 ; Chevignard, 1999, p. 395). Retour

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